Digitized by the Internet Archive in 2015 https://archive.org/details/b21498180_0002 I LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE AUJOURD'HUI CORBEIL. — IMrniUERIE CRI£TÉ-DE L'AKGnE. LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE PAR LOUIS FIGUIER AUJOURD'HUI LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO LE MAGNÉTISME ANIMAL. — LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES LA FILLE ÉLECTRIQUE — LES ESCARGOTS SYMPATHIQUES LES ESPRITS FRAPPEURS — LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS LES SPIRITES — l'hypnotisme PARIS A LA LIBRAIRIE ILLUSTRÉE 7, RUE DU CROISSANT, 7 Droits de jjiopriété et de traduction réservés 2 '7 - 7 l'>IBTOmo»L 1 WELLCC Moi'E U.:. : CoÇ^ welhAOmec Ho. (j^ icro LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO 1 Joseph Balsamo à Strasbourg. Avant d'aborder l'histoire du magnétisme animai, nous devons faire passer sous les yeux du lecteur des faits qui en sont les antécédents logiques, Et pour commencer, nous raconterons les prodiges du charlatan fameux qui, sous le nom de comte de Cagliostro (remplaçant son nom véritable de Joseph Balsamo), remua, dans les dernières années du xviif siècle, l'Europe crédule et affamée de surprises. Joseph Balsamo a réalisé la plupart des mer- veilles qui ont étonné nos contemporains. Ses miroirs magiques ont reparu, dans les procédés et moyens physiques destinés à provoquer l'hypnotisme du docteur Braid et des médecins de nos jours, sans que l'on puisse noter aucune différence bien appréciable entre ces deux modes d'influence de la volonté d'un homme sur des sujets dociles et soumis. Ses pupilles ont été ressuscités , sous nos yeux, par ces médiums qui, sortis de l'Amérique, ont inondé l'Europe ; et la plupart des phénomènes que les hypnotiseurs nous convient à admirer, tels que la suggestion mentale et la fascination, ne sont qu'une nouvelle édition des pratiques qui étaient familières à Joseph II. i 2 LES MYSTERES DE LA SCIENCE Balsamo. Mais dans tout cela nous ne reconnaîtrons que la puissante action de la volonté, traduite par des phénomènes qui n'ont de surnaturel que l'apparence. Nous commencerons le récit des hauts faits du thaumaturge sicilien au moment où il arrive en France, et fait son entrée solennelle à Stras- bourg. C'était le 19 septembre 1780. Dès le malin, un nombre considérable de gens du peuple et de bourgeois étaient sortis de la ville, et debout sur le pont de Kehl, ou attablés dans les guinguettes voisines, ils devisaient sur le prodigieux personnage que l'on attendait. On lui donnait diverses origines. ■On racontait ses longs voyages en Asie, en Afrique et en Europe. On parlait des richesses immenses qu'il avait amassées, en changeant en or les métaux vils. Pour les uns, c'était un saint, un inspiré, un prophète qui avait le don des miracles. Pour les autres, toutes les cures qu'on lui attribuait s'expli- quaient naturellement par sa vaste science. Un troisième groupe, et ce n'était pas le moins nombreux, ne voyait en lui qu'un génie infernal, un diable expédié en mission sur la terre. Mais, çà et là, se rencontraient, dans cette classe même, des gens plus favorables à Cagliostro, et qui, considérant qu'après tout, il ne faisait que du bien aux hommes, en inféraient assez logiquement que ce devait être un bon génie. Ils admettaient donc et soutenaient intrépidement tout ce que cet étrange personnage disait ou faisait dire de lui-même. Or, il avait pro- clamé qu'il était venu et qu'il voyageait en Europe pour convertir les incrédules et relever le catholicisme. Il assurait que Dieu, pour le mettre à même de justifier sa mission, lui avait donné le pouvoir d'opérer des pro- diges, et même avait daigné le gratifier de la vision béatifique. On disait, en effet, qu'il avait de fréquents entretiens avec les anges... (( Des entretiens avec les anges ! » s'écria un vieillard qui, sans appartenir à aucun groupe, avait recueilli et médité silencieusement tout ce qui s'était dit jusque-là; « des entretiens avec les anges !... Mais quel est donc l'âge de cet homme ? — L'âge de notre père Adam, ou celui de M. le comte de Saint-Germain, lui répondit un de ses voisins, en le persiflant. Je vous trouve plaisant, bonhomme, avec votre question. Est-ce qu'il y a un extrait de baptême pour de pareils personnages? Sachez qu'ils n'ont aucun âge, ou qu'ils ont toujours celui qu'il leur plaît d'avoir. On dit que M. le comte de Cagliostro a plus de trois mille ans, mais qu'il n'en paraît guère que trente-six. — Trente-six ans! ouais, se dit tout bas le vieillard, mon coquin LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 3 aurait à peu près cet âge. Il faut absolument que je voie cet homme. » Pendant ces colloques, l'homme si curieusement attendu, le grand cophte, était arrivé au pont de Kehl, au milieu d'un nombreux cortège de laquais et de valets de chambre en livrées magnifiques. Il étalait le luxe d'un prince, et il savait, d'ailleurs, en prendre l'air et la dignité. A côté de lui, dans une voiture découverte, Seraphina Feliciani, sa femme, brillait de tous les charmes de la jeunesse et de la beauté. Unie à lui presque au sortir de l'enfance, elle partageait, depuis dix ans, sa vie d'aventures. L'entrée de Joseph Balsamo dans la capitale de l'Alsace fut un véritable triomphe. Elle fut à peine contrariée par un incident, qui n'eut d'autre suite que de faire éclater tout d'abord la puissance du grand cophte^ ou sa mer- veilleuse habileté dans l'emploi de la ventriloquie. Au moment où le cortège était arrivé à la hauteur du pont de Kehl, un cri partit du milieu des groupes, et, presque aussitôt, un vieillard en sortit. Il se précipita au-devant des chevaux, et, arrêtant la voiture, il s'écria: « C'est Joseph Balsamo, c'est mon coquin ! » Et, l'apostrophant avec colère, il répétait ces mots : Mes soixante onces d'or! mes soixante onces d'or! Le grand cophte parut calme; à peine songea-t-il à jeter un coup d'œil sur cet agresseur téméraire. Mais au milieu du silence profond que cet incident avait produit dans la foule, on entendit distinctement ces paroles, qui semblaient tomber du haut des airs : « Écartez du chemin cet insensé, que les esprits infernaux possèdent ! La plupart des assistants tombèrent à genoux, terrifiés par l'imposant aspect de ses traits. Ceux qui purent rester maîtres d'eux-mêmes, s'empa- rèrent du pauvre vieillard, qui fut entraîné ; et rien ne troubla plus l'entrée triomphale du grand cophte au milieu de la ville en fête. Le cortège s'arrêta devant une grande salle où se trouvaient déjà tous les malades que les émissaires de Cagliostro avaient recrutés d'avance. On avait eu le soin d'écarter ceux qui étaient atteints d'affections graves, se réservant de les secourir à domicile. On assure que le fameux empirique guérit tous ceux qui étaient rassemblés dans cette salle, « les uns par le simple attouchement, les autres par des paroles, ceux-ci par le moyen d'un pourboire en argent, ceux-là par son remède universel. » Mais ce remède, en quoi consistait-il? Faut-il s'en rapporter sur ce point à ce qui est affirmé dans \à. Biographie de Michaud, par un auteur anonyme,' qui prétend savoir que l'élixir de Cagliostro était uniquement composé d'or et d'aromates: « Nous avons eu l'occasion, dit cet écrivain, de goûter ïélixir vital de Cagliostro, ainsi que celui du fameux comte de Saint^' 5. LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Germain; ils n'ont point d'autre base que l'or et les aromates. » Voilà qui est bientôt dit, perspicace anonyme ! Quoi qu'il en soit, lorsque Joseph Balsamo sortit delà salle des malades, les acclamations et les bénédictions de la foule l'accompagnèrent jusqu'à l'hôtel splendide qui lui avait été préparé, et dans lequel il allait produire d'autres merveilles, tout à fait analogues aux phénomènes de magnétisme transcendant que nous aurons à passer en revue dans ce volume. Pour ce genre de manifestations, Cagliostro opérait par l'intermédiaire d'un jeune garçon ou d'une jeune fdle, qu'il appelait ses colombes^ et qui jouaient le rôle de nos médiums actuels. Les colombes^ ou les pupilles de Cagliostro, devaient être de la plus pure innocence. Ces enfants, choisis par lui, recevaient d'abord de ses mains, une sorte de consécration ; puis ils prononçaient, devant une carafe pleine d'eau, les paroles qui évoquent les anges. Bientôt, les esprits célestes se montraient pour eux, dans la carafe. Aux questions qui leur étaient faites, les anges répondaient quelquefois eux-mêmes, et d'une voix intelligible ; mais, le plus souvent, ces réponses arrivaient écrites dans la carafe à fleur d'eau, et n'étaient visibles que pour les colombes, qui devaient les lire au public. Le soir même de son arrivée, Cagliostro reçut à une table somptueuse- ment servie, l'élite de la société de Strasbourg, à laquelle il donna ensuito une séance de ses colombes. Voici comment, d'après le témoignage des contemporains, un anonymo raconte cette soirée. « On amena dans le salon de Cagliostro, éclairé par des procédés où l'optique et la fantasmagorie jouaient un grand rôle, plusieurs petits garçons et plusieurs petites filles de sept à huit ans. Le grand cophte choisit dans chaque sexe la colombe qui lui parut montrer le plus d'intelligence; il livra les deux enfants à sa femme, qui les emmena dans une salle voisine, où elle les parfuma, les vêtit de robes blanches, leur fît boire un verre d'élixir et les représenta ensuite préparés à l'initiation. « Cagliostro ne s'était absenté qu'un moment pour rentrer sous le costume de grand cophte. C'était une robe de soie noire, sur laquelle se déroulaient des lé- gendes hiéroglyphiques brodées en rouge ; il avait une coiffure égyptienne, avec des bandelettes pUssées et pendantes après avoir encadré la tête; ces bandelettes étaient de toile d'or. Un cercle de pierreries les retenait au front. Un cordon vert- émeraude, parsemé de scarabées et de caractères de toutes couleurs en métaux ciselés, descendait en sautoir sur sa poitrine. A une ceinture de soie rouge pendait une large épée de chevalier, avec la poignée en croix. 11 avait une figure si formi- dablement imposante sous cet appareil, que toute l'assemblée fit silence, dans une sorte de terreur. On avait placé sous une petite table ronde en ébène la carafe de cristal. Suivant le rite, on mit derrière les deux enfants, transformés en pupilles ou colombes, un paravent pour les abriter. « MES SOIXANTE ONCES DOR " (PAGE 3) LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 7 « Deux A'alets de chambre, vêtus en esclaves égyptiens, comme ils sont repré- sentés dans les sculptures de Thèbes, fonctionnaient autour de la table. Ils amenè- rent les deux enfants devant le grand cophte, qui leur imposa les mains sur la tête, sur les yeux et la poitrine, en faisant silencieusement des signes bizarres qui pouvaient figurer aussi des hiéroglyphes, et que l'Ordre appelait des mythes, ou symboles. « Après cette première cérémonie, un des valets présenta à Cagliostro la petite truelle d'or, sur un coussin de velours blanc. Il frappa du manche d'ivoire de sa truelle sur la table d'ébène et demanda: « — Que fait, en ce moment, l'homme qui, ce matin, aux portes de la ville, a insulté le grand cophte ? » « Les colombes regardèrent dans la carafe, et apparemment elles y virent quelque chose, car la petite fille s'écria : « Je l'aperçois qui dort. » « On a prétendu que le dessous de Ja table était préparé de manière à faire passer sousla carafe des figures et des caractères. Ce qui le ferait croire, c'est que, dans les cas qui sortaient du cours ordinaire des réponses banales, les enfants ne voyaient rien. Mais alors la voix des anges invisibles répondait. « Sur l'invitation de Cagliostro, qui annonça qu'on pouvait faire toute question, plusieurs dames s'émurent. L'une demanda ce que faisait sa mère, alors à Paris. La réponse fut qu'elle était au spectacle, entre deux vieillards. Une autre voulut savoir quel était l'âge de son mari. Il n'y eut point de réponse; ce qui fit pousser de grands cris d'enthousiasme, car cette dame n'avait point de mari, et l'échec de cette tentative de piège fit qu'on n'en tendit pas d'autres. Une troisième dame déposa un billet fermé. Le petit garçon lut aussitôt dans la carafe ces mots : « Vous « ne l'obtiendrez pas. » On ouvrit le billet qui demandait si le régiment que la dame sollicitait pour son fils lui serait accordé. Cette justesse éleva encore l'admi- ration. « Un juge, qui pourtant doutait, envoya secrètement son fils à sa maison pour savoir ce que faisait en ce moment sa femme'; puis, quand il fut parti, le père adressa cette question au grand cophte. La carafe n'apprit rien; mais une voix annonça que la dame jouait aux cartes avec deux voisines. Cette voix mystérieuse, qui n'était produite par aucun organe visible, jeta la terreur dans une partie de l'assemblée, et le fils du magistrat étant venu confirmer l'exactitude de l'oracle, plusieurs dames, effrayées, se retirèrent. » Pendant près de trois ans que Joseph Balsamo demeura à Strasbourg, il se vit recherché et fêté par les plus grandes notabilités de la noblesse, de la magistrature, de l'Église et de la science. Il reçut, en particulier, la visite du célèbre Lavater, qui prétendait, par le seul aspect des physionomies, deviner le caractère des hommes. Mais le grand cophte craignait sans doute de se livrer à lui comme sujet d'observa- tion, car il accueillit Lavater, ou pour mieux dire, il l'éconduisit, par ce dilemme : « Si vous êtes le plus instruit de nous deux, vous n'avez pas besoin de 8 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE moi; si c'est moi qui suis le plus savant, je n'ai pas besoin de vous'. » Le bon curé de Zurich, qui avait fait le voyage de Strasbourg tout exprès pour causer avec Joseph Balsamo et qui ne voulait pas s'en retourner dans sa paroisse avec ce simple compliment, lui écrivit le lendemain : « D'où vous viennent vos connaissances? Comment les avez-vous acquises? En quoi consistent-elles? » Le grand cophte, de plus en plus laconique, lui répondit : In verbis, in herbis^ in lapidibus. Lavater méritait certainement mieux que cette réception. On ne le con- naît en France que pour ses travaux relatifs à la physionomie humaine ; mais ce ne fut là que l'un des côtés des préoccupations du pasteur de Zurich. Cet homme, aussi savant que crédule, était surtout un enthousiaste, et même un thaumaturge de bonne foi. Sur le simple bruit des merveilles du magné- tisme animal, et avant de savoir précisément en quoi consistait ce nouveau système, il s'était fait l'ardent prédicateur du mesmérisme. Sans nul doute, il était disposé à apporter la même crédulité et les mêmes hommages à la puissance du grand cophte de la maçonnerie égyptienne, lequel, pourtant, réconduisit avec si peu de façons. Ce fut également à Strasbourg que Joseph Balsamo vit, pour la première fois, le cardinal de Rohan, alors archevêque de cette ville, avec lequel il sera impliqué plus tard dans la fameuse affaire du collier. Il capta facile- ment l'amitié et la confiance de ce prince de l'Église; toutefois, il ne le guérit pas. C'est du moins ce qu'on doit conclure d'un aveu implicite contenu dans le mémoire que Balsamo, prisonnier à la Bastille, rédigea pour sa défense. « Peu de temps après mon arrivée en France, dit-il, M. le cardinal de Rohan m'avait fait dire par le baron de Milinens, son grand veneur, qu'il désirait me connaître. Tant que le prince ne lit voir à mon égard qu'un motif de curiosité, je refusai de le satisfaire ; mais bientôt, m'ayant envoyé dire qu'il avait une attaque d'asthme et qu'il désirait me consulter, je me rendis avec empressement à son palais épiscopal. Je lui fis part de mon opinion sur sa maladie ; il parut satisfait, et me pria de l'aller voir de temps en temps. » Meiners, professeur à Gbttingue, fut un de ceux qui voulurent voir Joseph Balsamo, par curiosité, et qui furent renvoyés, par lui, comme des 1. Cette réponse de Balsamo est calquée sur celle d'un alchimiste franc-comtois à l'envoyé de Léopold II, qui faisait faire à ce souffleur les offres les plus séduisantes, pour l'attirer à la cour de Prague : « Ou je suis adepte ou je ne le suis pas, répondit-il. Si je le suis, je u"ai pas besoin de TEmpereur, et si je ne le suis pas, l'Empereur n'a que faire de moi. » LES PRODIGES DE CAGLIOSÏRO 11 espions. Quoique très mal disposé à son égard, le professeur de Gôltingue ne nie point la réalité de ses cures. Il ne faut pourtant pas croire qu aucune note discordante ne vint se mêler au concert de bénédictions et de louanges, au milieu duquel Balsamo vécut pendant trois ans à Strasbourg. Dans son mémoire^ il parle lui-même, quoi- que en termes très vagues, de certaines persécutions qui l'éloignèrent de cette ville. Faute de détails, nous ne pouvons dire d'où partaient ces per- sécutions, ni quelle en était la nature. Elles se rattachaient peut-être à l'incident qui avait, un moment, troublé l'entrée du grand cophte à Strasbourg, et dont le lecteur doit être curieux d'avoir l'explication. Le malencontreux interrupteur était un orfèvre de Palerme, nommé Marano, qui descendait d'une famille juive ou mauresque. Avare, usurier, et, en cette qualité, fort défiant, mais superstitieux et crédule à l'excès pour les choses qui flattaient ses instincts cupides, Marano était souvent la dupe des charlatans. Les pertes considérables qu'il avait déjà faites, en écoutant les chercheurs de la pierre philosophale, et en se livrant à d'autres entre- prises tout aussi vaines, ne l'avaient pas corrigé. Marano entendait souvent parler d'un jeune homme dont la vie était pleine de mystères. On l'appelait Joseph Balsamo. Il n'avait alors que dix- sept ans, et dans cette ville même de Palerme où il était né, il passait pour un personnage étrange et doué de pouvoirs surnaturels. L'obscurité de ses parents ne pouvait rien contre cette opinion qu'il avait su donner de lui : on répondait que sa famille apparente n'était qu'une famille supposée, car il devait le jour à une grande princesse d'Asie. Du reste, le jeune homme faisait honneur aux hypothèses les plus avantageuses qu'on pouvait bâtir à son sujet. Il était de belle mine et de grand air; il parlait peu, et tenait ses interlocuteurs comme enchaînés par la fascination de ses regards. Joseph Balsamo cachait avec soin sa vie intérieure, et précisément parce qu'on en connaissait peu de chose, on en racontait les circonstances les plus' singulières. On l'avait vu souvent évoquer les esprits, et, dans Palerme, chacun tenait pour avéré qu'il avait commerce avec les anges, et qu'il obtenait, par leur intermédiaire, la révélation des secrets le.s plus intéressants. Marano prêtait une oreille attentive à ces récits ; il lui tardait singulière- ment de voir V ami des esprits célestes. Celui-ci avait déjà tant d'admirateurs, mêlés sans doute de quelques compères, qu'il s'en rencontra un pour lui ménager l'entrevue désirée par rorfêvrc. 12 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Ce fut dans sa maison même que Marano fut mis en rapport avec le jeune- Balsamo. Il mit, dès l'abord, le genou en terre. Balsamo l'ayant laissé faire, le releva ensuite, et d'un ton solennel, mais bienveillant, lui demanda pourquoi il l'avait appelé. « Grâce à vos entretiens habituels avec les esprits célestes, il vous serait facile de le savoir, répondit Marano ; et vous n'auriez pas plus de peine, ajouta-t-il, avec un sourire plein de tristesse, à me faire regagner tout l'argent que j'ai perdu avec de faux alchimistes, et même à m'en procurer bien davantage. — Je peux vous rendre ce service, dit Balsamo, si vous croyez. — Si je crois? Oh! certes, je crois! » s'écria l'orfèvre, avec ferveur. La foi, ou plutôt une croyance aveugle, était le fort ou le faible de Marano, surtout quand la perspective de trésors à découvrir venait à reluire dans son esprit. Balsamo, qui connaissait bien chez l'usurier cette condition essentielle, lui donna rendez-vous pour le lendemain, hors de la ville, et le quitta, sans ajouter un mot. Le lendemain, à six heures du matin, ils se trouvaient tous deux sur le chemin de la chapelle de Sainte-Rosalie, à, cent pas environ delà porte de Palerme. Balsamo, sans rien dire, fit signe à l'orfèvre de le suivre. Quand ils eurent marché pendant près d'une heure, ils s'arrêtèrent au milieu d'un champ désert et devant une grotte. Balsamo étendant la main vers cette grotte : « tJn trésor existe, dit-il, dans ce souterrain. Il m'est défendu de l'enlever moi-même; je ne saurais le loucher, ni m'en servir, sans perdre ma puis- sance et ma pureté. Il repose sous la garde des esprits infernaux. Cependant ces esprits peuvent être enchaînés un moment par les anges qui répondent à mon appel. Il ne reste donc qu'à savoir si vous remplissez scrupuleusement les conditions qui vont vous être énoncées. A ce prix, le trésor peut vous appartenir. — Que je sache seulement ce qu'il faut faire, s'écria, avec iiflpétuosilé, le crédule orfèvre ; parlez donc vile ! — Ce n'est pas de ma bouche que vous devez l'apprendre, interrompit Balsamo. Mais d'abord, à genoux ! » Lui-même avait déjà pris cette posture ; Marano se hâta .de l'imiter, et tout aussitôt on entendit, du haut du ciel, une voix claire et harmonieuse prononcer les paroles suivantes, plus flalleuses pour l'oreille du vieil avare que toutes les symphonies des chœurs aériens : « Soixante onces de perles, — soixante onces de rubis ; — soixante onces de diamants, dans une boîte d'or ciselé, du poids de cent vingt onces. — LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 13 Les esprits infernaux qui gardent ce trésor le remettront aux mains de l'hon- nête homme que notre ami présente, s'il a cinquante ans, s'il n'est point chrétien, si si si ! ! » Venait alors le détail d'une série de conditions que Marano réunissait toutes. Aussi était-ce avec la plus vive joie qu'il les notait une à une, jusqu'à la dernière, inclusivement, laquelle était ainsi formulée : « Et s'il dépose à l'entrée de la grotte, avant d'y mettre le pied, soixante onces d'or en faveur des gardiens ! » « Vous avez entendu, dit Balsamo, qui, s'étant dâ-jà relevé, se remettait en marche, sans paraître faire attention à la mine stupéfaite de l'orfèvre. « Soixante onces d'or! » s'écria, avec un soupir, l'usurier, en proie aux plus vifs combats de la cupidité et de l'avarice. Mais Balsamo n'écoutait ni ses exclamations ni ses soupirs : il regagnait silencieusement la ville. Marano, qui s'était enfin décidé à se relever, ie suivait, silencieusement aussi. Ils arrivèrent jusqu'à l'endroit où ils s'étaient donné rendez-vous, et où il avait été convenu qu'ils devaient se séparer, avant de rentrer dans Palerme. C'était donc le moment, pour Marano, de prendre une résolution. « Accordez-moi un seul instant! s'écria-t-il, d'une voix piteuse, en voyant le jeune homme s'éloigner. Soixante onces d'or ! est-cebien le dernier mot? ■ — Mais sans doute, dit négligemment Balsamo, sans môme interrompre sa marche. — Eh bien, donc, à quelle heure, demain? — A six heures du matin, au même endroit. — J'y serai, » Ce fut la dernière parole de l'orfèvre, et comme le dernier soupir de son avarice vaincue. Le lendemain, à l'heure convenue, ils se joignaient tous deux, aussi exacts que la première fois, Balsamo avec son calme habituel, et Marano avec son or. Ils s'acheminèrent vers la grotte. Les anges, consultés de la même façon que la veille, rendirent les mêmes oracles aériens. Balsamo parut alors étranger à ce qui allait se passer, et Marano déposa, non sans de grands combats intérieurs, soixante onces d'or à la place désignée. Ce sublime effort accompli, il se prépara à franchir l'entrée de la grotte. Il fît quelques pas pour y entrer, mais il ressortit bientôt : « N'y a-t-il pas de danger à pénétrer dans cet antre? — Non; si le compte de l'or est fidèle. » Il entra avec plus de confiance, ressortit encore, et cela plusieurs fois, sous 14 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE les yeux de Balsamo, dont la figure exprimait l'indifférence la plus désinté- ressée. Enfin il s'encouragea lui-même, et descendit si profondément, pour le coup, que toute reculade lui devint impossible. En effet, trois diables, bien noirs et bien musclés, lui barrent le chemin, en poussant des grogne- ments formidables. Ils se saisissent de lui, et le font longtemps pirouetter. Ce manège fini, les diables passent aux horions et aux gourmades. Le malheu- reux appelle en vain les anges gardiens de Balsamo, qui restent sourds, tandis que les gourmades des diables redoublent. Enfin, roué de coups, n'en pouvant plus, le juif tombe la face sur terre, et une voix bien intelligible lui intime l'ordre de rester là immobile et muet, avec la menace d'être achevé s'il fait le moindre mouvement. Le malheureux n'avait garde de désobéir. Lorsque Marano put reprendre ses sens, et quand l'absence de tout bruit lui donna le courage de lever la tête, il se traîna comme il put, et parvint, en rampant, à gagner l'issue de celte terrible caverne. Arrivé au dehors, il regarde autour de lui. Plus rien ! Les trois démons, Balsamo et l'or, étaient partis, de compagnie. Le juif alla, le lendemain, déposer sa plainte chez le magistrat; mais Balsamo avait déjà quitté Palerme. Ce fut là, pour l'un et l'autre, le point de départ d'une longue vie d'aven- tures, bien différentes pour chacun d'eux. Balsamo, courant le monde sous les divers noms de comte Harat, comte Fenice, marquis d'Anna, marquis de Pellegrini, Zischis, Belmonte, Melissa, comte de Cagliostro, etc. , s'instruisant, et surtout s'enrichissant dans ses voyages, subjugueles grands etlespetits, par le prestige de ses œuvres et l'éclat de sa magnificence; Marano, au contraire, ruiné par la perte de ses soixante onces d'or, et forcé de quitter Palerme, va cacher sa détresse à Paris, puis dans d'autres villes, où il brocante miséra- blement, parmi les juifs, jusqu'à ce que, vingt années après, il vienne se trouver, comme nous l'avons raconté, aux portes de Strasbourg, en présence de son voleur, au moment où celui-ci arrive dans la capitale de l'Alsace, vénéré comme un messie et applaudi comme un triomphateur. Vers le milieu de 1783 Cagliostro quitta Strasbourg. A cette époque, son étoile était loin d'avoir pâli en France; carie marquis de Ségur, MM. de Miro- ménil et de Vergennes le recommandaient, dans les termes les plus flatteurs. Après une courte excursion en Italie, Cagliostro parut à Bordeaux, dans le temps même où le P. Hervier y propageait, par la parole et par l'action, la doctrine nouvelle dn magnétisme animal, comme il sera dit dans la suite de ce volume. II Balsamo à Bordeaux. — Son arrivée à Paris. — Prodiges qu'il y accomplit. — Le banquet d'outre-tombe de la rue Saint-Claude. — Miracles de Seraphina Feli- c'ani, la Grande maîtresse. — Le souper des trente-six adeptes. — La guérison miraculeuse du prince de Soubise. — Enthousiasme de la capitale pour le nou- veau thaumaturge. Joseph Balsamo entra à Bordeaux, le 8 novembre 1783. Il assure que l'affluence des malades fut si grande, qu'il dut « obtenir des soldats, à l'effet d'entretenir l'ordre dans sa maison». Cette précaution, qui pouvait n'êlre qu'une manœuvre de son charlatanisme, ne doit pourtant pas empêcher de croire aux effets puissants qu'il produisit dans cette ville. Nous savons, d'ailleurs, et c'est un fait constant, que le P. Hervier, magnétiseur plein de facultés, ayant osé lutter de puissance fliiidique avec Gaglioslro, fut publiquement terrassé par' lui, et reçut à cette occasion, de toute 'a société mesmérienne, le blâme que méritait son imprudence. ici le mémoire de Gaglioslro va nous donner son itinéraire, et nous apprendre aussi qu'en tout lieu sa gloire était mêlée de quelque amertume : « ... Le genre de persécutions qui m'avait éloigné de Strasbourg'm'ayant suivi à Bordeaux, je pris le parti, après onze mois de séjour, de m'en aller à Lyon, dans les derniers jours d'octobre 1784. Je ne restai que trois mois dans cette dernière ville, et je partis pour Paris, où j'arrivai le 30 janvier 1785. Je descendis dans un des hôtels garnis du Palais-Royal ; et, peu de temps après, du boulevard. « Mon premier soin fut de déclarer à toutes les personnes de ma connaissance que mon intention était de vivre tranquille, et que je ne voulais plus m'occuper de médecine. J'ai tenu ma parole et me suis refusé absolument à toutes les sollicitations qui m'ont été faites à cet égard » On ne voit pas, en effet, Joseph Balsamo signaler par beaucoup de i. -Mémoire composé pour sa défense, par Gaglioslro, pendant qu'il était détenu à la Bastille pour Finstruction de Yaffaire du collier. 16 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE guérisons son séjour à Paris, qui, pourvu alors d'une Société de V harmonie, de plusieurs cliniques mesmériennes, desioniennes, juméliennes, etc., d'arbres magnétisés dans les jardins et les promenades, et de plusieurs milliers de baquets à domicile, n'eût vraiment eu que faire d'un nouveau dispensateur du fluide vital. Use retourna donc vers un autre genre d'opé- rations, plus étonnantes que les cures magnétiques, dans lesquelles Paris commençait à ne plus rien voir de surnaturel. Les phénomènes qu'il produisit furent de ceux qui échappent à la compétence et à la discussion des corps académiques, mais qui n'en frappent que plus fortement les esprits, et dont nous avons déjà vu quelques préliminaires à Strasbourg, dans la séance des colombes. 11 étonna par l'évocation des ombres, c'est-à-dire en faisant appa- raître, à la volonté des curieux, dans un miroir ou dans une carafe pleine d'eau, des personnages, morts ou vivants. Joseph Balsamo, à Paris, ne voulut être que thaumaturge, et il fit, en cette qualité, d'assez grands miracles ou d'assez grands to^urs, pour éclipser un moment toute autre célébrité contemporaine. Dans le peuple, dans la bourgeoisie, chez les grands et surtout à la cour, l'admiration alla poui lui jusqu'au fanatisme. On ne l'appelait que le divin Cagliostro. Son portrait était partout, sur les tabatières, sur les bagues et jusque sur les éventails des femmes. On posait sur les murailles des affiches où l'on rappelait que Louis XVI avait déclaré coupable de lèse-majesté quiconque ferait injure à Cagliostro. Tout le monde voulait être témoin de ses merveilles ; ceux qui ne pouvaient les voir se les faisaient raconter, et ne se lassaient pas d'en entendre le récit. . On assurait qu'à Versailles, devant quelques grands seigneurs, il avait fait paraître, dans des miroirs, sous des cloches de verre et dans des carafes, non pas seulement l'image de personnes absentes, mais ces personnes mêmes, des spectres animés et se mouvant, et même plusieurs morts qu'on lui avait désignés. Ces évocations de morts illustres étaient le spectacle ordinaire que Joseph Balsamo donnait à ses convives, dans des soupers qui faisaient grand bruit dans Paris, à celte époque où Diderot, d'Alembert et plusieurs autres célè- bres encyclopédistes, n'existant plus, la marmite des soupers philosophiques était renversée. L'auteur des Mémoires authentiques pour servir à V histoire de Caglios- tro a fort heureusement décrit une de ces scènes, où des encyclopédistes, passés à l'état d'ombres, viennent jouer leurs rôles. Le grand thaumaturge avait annoncé que dans un souper intime, composé de six convives, il évoquerait les morts; qu'on lui désignerait, et qu'ils II. L2 BANQUET DOUTRE-TOMIiE DE LA RUE SAINT-CLAUUE (l'AGE 1 G; 3 LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO ig viendraient s'asseoir au banquet, où leur couvert serait mis d'avance. Le souper eut lieu à Paris, rue Saint-Claude, où demeurait Caglioslro, et âl'insude Seraphina. A minuit on se trouva au complet. Une table ronde, de douze couverts, fut servie avec un luxe inouï, dans une salle où tout était en harmonie avec l'opération cabalistique qui devait avoir lieu. Les six convives, et Cagliostro septième, prirent place. On devait donc être treize à table ! Le souper servi, les domestiques furent renvoyés, avec menace d'être tués raides, s'ils tentaient d'ouvrir les portes avant d'être appelés. Ceci était renouvelé des soupers du Régent. Chaque convive demanda le mort qu'il désirait revoir. Cagliostro prit les noms, les plaça dans la poche de sa veste glacée d'or, et annonça que, sans autre préparation qu'un simple appel de sa part, les esprits évoqués allaient venir de l'autre monde en chair et en os; car, suivant le dogme égyptien, il n'y a point de morts. Ces convives d'outre-tombe, demandés et attendus avec une émotion croissante, étaient : le duc de Choiseul, Voltaire^ d'Alembert, Diderot, Vabbé de Voisenon et Mo7itesquieu. On pouvait se trouver en plus sotte compagnie. Les noms furent prononcés à haute voix, lentement, et avec toute lapuissance de volonté dont était doué Joseph Balsamo. Les six convives évoqués apparurent, et vinrent prendre place au souper, avec toute la courtoisie qui les caractérisait. Quand les invités vivants eurent un peu repris leur respiration, on se hasarda à questionner les morts. Ici nous laisserons parler l'historiographe de ce prodigieux souper. « La première question fut : Comment l'on se trouvait dans l'autre monde ? — « Il n'y a point d'autre monde, répondit d'Alembert. La mort n'est qu'une cessation des maux qui nous ont tourmentés. On n'a nulle espèce de plaisir, mais aussi on ne connaît aucune peine. Je n'ai pas trouvé mademoiselle Lespinasse, mais je n'ai pas vu Linguet. On est fort sincère. Quelques morts qui sont venus nous rejoindre, m'ont assuré que j'étais presque oublié. Je m'en suis consolé. Les hommes ne valent pas la peine qu'on s'en occupe. Je ne les ai jamais aimés, maintenant je les méprise. » « — Qu'avez-vous fait de votre savoir ?» — demanda M. de... à Diderot. — Je n'ai pas été savant, comme on l'a cru, répondit-il ; ma mémoire me traçait ce que j'avais lu, et, lorsque j'écrivais, je prenais de côté et d'autre. De là vient le décousu de mes livres, qu'on ne connaîtra pas dans cinquante ans. L'Encyclopédie, dont on m'a fait honneur, ne m'appartient pas. Le métier d'un rédacteur est de mettre de l'ordre dans le choix des matières. L'iiomme qui a montré le plus d3 20 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE talent à l'occasion de rEncyclopédie est celui qui en a fait la table, et personne ne songe à lui en faire honneur. » ;( — J'ai beaucoup loué cette entreprise, dit Voltaire, parce que je la croyais propre à seconder mes vues philosophiques. A propos de philosophie, je ne sais trop si j'avais raison. Après ma mort, j'ai appris d'étranges choses. J'ai causé avec une demi-douzaine de papes. Ils sont bons à entendre. Clément XIV et Benoit surtout sont des hommes d'infiniment d'esprit et de bon sens. » « — Ce qui me fâche un peu, dit le duc de Ghoiseul, c'est qu'on n'a point de sexe là où nous habitons; et, quoi qu'on en dise, cette enveloppe charnelle n'était pas trop mal inventée. » — « Alors à quoi se connaît-on ? » demanda quelqu'un. — « Aux caprices, aux goûts, aux prétentions, à mille petites choses, qui sont des grâces chez vous et des ridicules Lî-bas. » « — Ce qui m'a fait vraiment plaisir, dit l'abbé Voisenon. c'est que, parmi nous, on est guéri de la manie de l'esprit. Vous n'imaginez pas combien l'on m'a persiflé sur mes petits romans saugrenus, combien l'on s'est moqué de mes notices littéraires. J'ai eu beau dire que je donnais à ces puérilités leur juste valeur ; soit qu'on ne crût pas à la modestie d'un académicien, soit que tant de frivolité ne convînt pas à mon état ou à mon âge, j'expie presque tous les jours les erreurs de ma vie humaine. » Il est facile de reconnaître l'esprit anlipliilosophique du gazelier qui rapporte ce prétendu dialogue. Qu'il l'eût arrangé à sa manière, c'est ce que chacun reconnaissait à cette époque, et ce qui n'importait guère, d'ailleurs, puisque tout le monde tenait pour avéré ce fait, essentiel et inouï, que les interlocuteurs désignés avaient paru, et qu'ils avaient parlé ! Et là-dessus la foi était d'autant plus forte que les gazetiers du temps assuraient, sans nommer personne d'ailleurs, et pour cause, que les six convives de Cagliostro étaient six personnages importants, parmi lesquels se trouvait même un grand prince. Au milieu de ces scènes de prestige, Cagliostro poursuivait une idée, qui paraît avoir été le but de sa vie, s'il en eût jamais d'autre que d'exploiter la crédulité des grands. Depuis plusieurs années, il s'était fait, le propaga- ndiste zélé d'une maçonnerie nouvelle, dite maçonnerie égydtienne. Dans toutes les villes où il séjournait, il établissait des loges de ce rite. Il voulut fonder à Paris une loge-mère, dont toutes les autres ne seraient que les suc- cursales. Il s'annonçait comme apportant de l'Orient les mystères d'Isis et d'Anubis; ce qui lui donnait naturellement une grande considération. Quoi- qu'il menaçât d'une réforme radicale la maçonnerie vulgaire, qui ne comptait pas moins de soixante-douze loges actives dans la capitale, sa popularité aidant, isis et Anibus triomphèrent de toutes les oppositions. 11 eut bientôt des sectateurs, et des plus haut titrés, lesquels s'assemblèrent LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 21 un jour, en grand nombre, pour entendre Joseph Balsamo leur exposer les dogmes de la franc-maçonnerie égyptienne. Dans celte séance solennelle, il parla, dit-on, avec une éloquence entraînante. Son succès fut si éclatant que tous ses auditeurs sortirent émerveillés et convertis à la maçonnerie régé- nérée et purifiée. Aucun d'eux ne douta qu'il ne vînt d'être initié aux secrets de la nature, tels qu'on les conservait dans le temple d'Apis, à l'époque où Cambyse fit fustiger ce dieu capricieux A partir de ce moment, les initiations à la nouvelle franc-maçonnerie furent nombreuses, quoique restreintes à l'aristocratie de la société ; et il y a des raisons de croire qu'elles coûtèrent fort cher aux grands personnages qui en furent jugés dignes. Des femmes de qualité, qui avaient entendu parler de ces scènes mysté- rieuses et du souper (ï outre-tombe de la rue Saint-Claude, se sentirent prises, à leur tour, d'un désir ardent d'être initiées aux mêmes mystères. Elles sollicitèrent, à l'insu de leurs maris, la faveur de participera ces séances fantastiques. La plus passionnée de toutes, la duchesse de T..., fut choisie pour proposer, en leur nom, à madame de Cagliostro (Seraphina) d'oi^vrir pour elles un cours de magie, où nul homme ne serait admis. On lui répondit, avec sang-froid, que ce cours commencerait dès que le nombre des aspi- rantes s'élèverait à trente-six. Dans la même journée ce nombre futcomplété. Voilà Seraphina, ou Lorenza, car elle est connue et désignée indifféremment sous ces deux noms par les contemporains, devenue Grande maîtresse de la maçonnerie égyptienne, au même titre que son mari en était le Grand Cophte. Elle commença par faire connaître les conditions de son cours de magie féminine, qui étaient, pour chaque adepte, de verser cent louis, de s'abstenir de tout commerce humain, à dater du jour de la demande, et de se soumettre à tout ce qui lui serait ordonné. Ces conditions acceptées, on fixa la séance au 7 août. La Grande maîtresse avait loué et fait préparer dans la rue Verte, au faubourg Saint-Honoré, quartier alors très solitaire, une vaste maison, entourée de jardins et d'arbres magnifiques. C'est là que la réunion fut annoncée. Aucune des trente-six adeptes n'y manqua. A onze heures, on était au grand complet. En entrant dans la première salle, toutes les dames furent obligées de quitter leurs vêtements, et de prendre une robe blanche, avec une ceinture de couleur. On les partagea en six groupes, qui se distinguaient par les 1. Mémoire pour servir à l'histoire de la franc-maçonnerie, par uu Rose-Croix. Paris, 1790. 22 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE nuances de leurs ceintures : six. étaient en noir, six en bleu, six en coque- licot, six en violet, six en rose, six en impossible (couleur de fantaisie). On remit à chacune uq grand voile, qu'elles placèrent en sautoir. On les fit ensuite entrer dans un temple éclairé par le haut de la voûte, et garni de trente-six fauteails, couverts de satin noir. Lorenza, vêtue de blanc, était assise sur une espèce de trône, assistée de deux grandes figures, habillées de telle manière qu'on ne pouvait savoir si c'étaient des hommes ou des femmes, ou encore des spectres. La lumière qui éclairait cette saîle s'affaiblit insensiblement, et, quand on put à peine distinguer les objets, la Grande maîtresse ordonna aux dames de se découvrir la jambe gauche. Elle leur commanda ensuite de lever le bras droit et de l'appuyer sur la colonne voisine. Deux jeunes femmes, à qui l'on donnait le nom de Marphise et Clorinde, entrèrent, tenant un glaive à la main, et attachèrent les trente-six dames entre elles par les jambes et par les bras, au moyen de cordons de soie. Alors et au milieu d'un silence absolu, Lorenza prononça un discours, qui commençait ainsi : « L'état dans lequel vous vous trouvez est le symbole de votre état dans la société. Votre condition de femmes vous place sous la dépendance passive de vos époux. Vous portez des chaînes, si grandes dames que vous soyez. Nous sommes toutes, dès l'enfance, sacrifiées à des dieux cruels. Ah ! si, brisant ce joug honteux, nous savions nous unir et combattre pour nos droits, vous verriez bientôt le sexe orgueilleux qui nous opprime, ramper à nos pieds et mendier nos faveurs... » Ce discours, qui semble jusque-là commenter le code de la femme libre, finit pourtant par baisser de ton, et aboutit même à des conseils pleins d'un dépit superbe, mais fort rassurants pour le droit des maris : «Laissons-les, s'écria la grande prêtresse, faire leurs guerres meurtrières ou débrouiller le chaos de leurs lois; mais chargeons-nous de gouverner l'opinion, d'épurer lesmœurs, de cultiver l'esprit, d'entretenir la délicatesse, de diminuer le nombre des infortunes. Ces soins valent bien ceux de pro- noncer sur de futiles querelles. » Après ce discours, qui fut acueilli par des acclamations enthousiastes, Marphise et Clorinde détachèrent les liens de ces dames, pour qui les épreuves allaient commencer. Mais, auparavant, Lorenza les fortifia, par cette autre allocution : « Recouvrez votre liberté, et puissiez-vous la recouvrer dans le monde. Oui, cette liberté, c'est le premier besoin de toute créature : ainsi donc, que vos âmes tendent de toute leur ardeur à la conquérir. Mais pouvez-vous compter sur vous-mêmes ? Êtes-vous sûres de vos forces? Quelle garantie m'en don- LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 23 nerez-Tous? Adeptes qui m'écoutez, il faut subir d'autres épreuves. Vous allez vous diviser en six groupes. Chaque couleur se rendra à un des six appartements qui correspondent à ce temple ; là, de terribles tentations viendront vous assaillir... Allez, mes sœurs, les portes du jardin sont ouvertes, et la lune, douce et discrète, éclaire le monde. » Les dames entrèrent dans les appartements qui leur étaient respecti- vement désignés, et dont chacun ouvrait sur le jardin. Nul ne les y suivit ; elles devaient aborder seules, dans leur force et dans leur liberté, les épreuves qui les attendaient. Elles firent, dit-on, des rencontres inouïes. Ici, des hommes les poursuivaient en les persiPiant ; là, des adorateurs soupiraient, dans des postures attendrissantes. Plus d'une crut se trouver avec son amant, tant le fantôme ou le génie qui lui apparut avait une ressemblance frappante avec l'objet aimé. Mais le devoir et le serment prononcé commandaient une cruauté inflexible ; il fallut repousser, et, au besoin, maltraiter l'ombre charmante, au risque de perdre à jamais une réalité adorée. On cite une de ces dames qui, dans l'exaltation de sa vertu, n'hésita pas à fouler d'un pied ravissant, mais impitoyable, l'image qui lui représentait l'idéal de sa pensée, le rêve de son cœur. Toutes s'acquittèrent strictement de ce qui leur avait été ordonné. L'esprit nouveau de la femme régénérée triomphait sur toute la ligne des Irente-six ceintures. Ce fat donc avec ces symboles intacts et immaculés, qu'elles rentrèrent dans la demi-obscurité de la salle voûtée qu'on appelait le temple, pour recevoir les félicitations de la Grande maîtresse. Là, quelques minutes furent accordées au recueillement. Tout à coup, le dôme de la salle s'ouvrit, et l'on vit descendre, sur une grosse boule d'or, un homme nu comme Adam avant le péché, qui tenait un serpent dans sa main et portait sur sa tête une flamme brillante. « C'est du Génie même de la vérité, dit la Grande maîtresse, que je veux que vous appreniez les secrets si longtemps dérobés à votre sexe. Celui que vous allez entendre est le célèbre, l'immortel, le divin Cagliostro, sorti du sein d'Abraham sans avoir été conçu, et dépositaire de tout ce qui a été, de tout ce qui est, et de tout ce qui sera connu sur la terre. — Filles de la terre, dit le Grand Cophte, dépouillez ces vêtements profanes. Si vous voulez entendre la vérité, montrez-vous comme elle. » Aussitôt, la grande prêtresse, donnant l'exemple, ôle sa ceinture et laisse tomber ses voiles. Et les adeptes, l'imitant, se montrent, sinon dans leur innocence, du moins dans toute la nudité de leurs charmes, aux yeux du Génie céleste. 24 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Alors ayant promené lentement sur les beautés nues ses magnétiques regards : « Mes filles, reprit-il, la magie tant décriée n'est, entre des mains pures, que le secret de faire du bien à l'humanité. La magie, c'est l'initiation aux mystères de la nature, et la puissance d'user de cette science occulte. Vous ne doutez plus du pouvoir magique : il va jusqu'à l'impossible, les appa- ritions du jardin vous l'ont prouvé. Chacune de vous a vu l'être cher à son cœur, et a conversé avec lui. Ne doutez donc plus de la science hermé- tique, et venez quelquefois dans ce temple, où les plus hautes connaissances vous seront révélées. Cette première initiation est d'un bon augure ; elle prouve que vous êtes dignes de la vérité. Je vous la dirai tout entière, mais par gradations. Aujourd'hui, apprenez seulement de ma bouche que le but sublime de la franc-maçonnerie égyptienne, dont j'apporte les rites du fond de l'Orient, c'est le bonheur de l'humanité. Ce bonheur est illimité; il comprend les jouissances matérielles, comme la sérénité de l'âme et les plaisirs de l'intelligence. Tel est le but. Pour y parvenir, la science nous offre ses secrets. La science pénétrant la nature, c'est la magie. Ne m'en demandez pas davantage. Vivez heureuses, et, pour cela, aimez la paix et l'harmonie. Retrempez vos âmes par les émotions douces, aimez et pratiquez le bien ; le reste est peu de chose. » Abstraction faite de l'appareil fantasmagorique, il n'y a rien, dans celte initiation, rapportée par l'écrivain à qui l'on doit le plus de détails sur les actes et les prédications de Cagliostro à Paris', qui contraste trop avec la morale et les idées humanitaires qui avaient déjà cours dans le dix- huitième siècle. Après ce discours, le Génie de la vérité se replaça sur sa boule d'or, qui, s'élevant comme elle était descendue, l'emporta dans les profondeurs de la voûte. Pendant cette ascension, le parquet s'entrouvrit par le milieu, et, la lumière revenant à flots dans le temple, on vit sortir de dessous terre une table splendidement ornée et délicatement servie • argenterie éblouis- sante, qui n'était pas une vaine apparence, belles fleurs, qui exhalaient de vrais parfums, mets et vins choisis, qui, délectant les sens, les forçaient à reconnaître leur plantureuse réalité. Dans ce souper, que les thaumaturges faisaient succéder à l'initiation, il n'y avait rien d'illusoire ni de fantastique, pas même les amants, que ces dames y retrouvèrent. On soupa gaiement et de bon appétit, il y eut des 1. Le marquis de Luchet. II. SER.VPHINA FELICIANI (d'après une estampe île la bibliothèque nationale de Paris.) 4 LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO 2- danses et des divertissements, où brillèrent les talents de Clorinde et de Marphise, naguère farouches guerrières, maintenant ravissantes aimées, peut-être empruntées à l'Opéra, mais qu'on croyait importées d'Egypte, en même temps que les mystères d'Anubis. Quand on se retira, il était trois heures du matin, preuve irrécusable que l'émancipation de la femme, dans la société française, avait déjà fait quelques progrès avant l'arrivée, à Paris, du grand Cophte et de sa compagne. Pour présider ce joyeux souper, Lorenza avait quitté ses insignes et le ton solennel de Grande maîtresse. Elle ne laissa point partir ses charmantes convives sans leur déclarer que cette première initiation n'avait été qu'un amusement, sauf à reprendre et à continuer le cours de magie, au gré des nobles adeptes. Mais elle leur fit cet aveu avec tant de charme et à la suite d'un si beau festin, qu'elles l'embrassèrent avec tendresse; de sorte qu'aucune d'elles ne songea à se plaindre d'avoir payé cent louis une simple séance de magie. A partir de ce jour, la comtesse de Cagliostro, qui était belle, d'ailleurs, passa pour le type accompli de toutes les perfections. On disputa sur la pureté des lignes de son visage, et sur la couleur de ses yeux, bleus ou noirs. Il y eut, dans la ville, des cartels échangés et de grands coups d'épée donnés et reçus en l'honneur de la Grande maîtresse de la rue Verte. Balsamo, comme nous l'avons dit, avait déclaré qu'il ne voulait point faire de médecine à Paris. Cependant, il ne lui fut pas possible d'être con- stamment fidèle à celte résolution. Cette maison, isolée, profonde et entourée de jardins, qu'il avait louée sur le boulevard du Temple, à l'extrémité de la rue Sainte-Claude, et qui devait plus tard servir de demeure à Barras, ne devait d'abord être consacrée qu'à abriter le laboratoire mystérieux où se distillait son fameux élixir de longue vie. Mais il fut obligé d'y recevoir les malades pauvres qui imploraient ses secours . Il les traitait gratui- tement. Il allait même visiter dans leur taudis les plus infirmes, et ne les quittait jamais sans leur laisser quelque argent. A l'égard les malades titrés, ou ayant quelque importance dans le monde, il se montrait plus difficile, et ne consentait à les voir qu'après avoir été plusieurs fois appelé par eux. Désarmée par tant de discrétion et de réserve, la Faculté de médecine de Paris se contenta d'exprimer des doutes sur les guérisons opérées par Joseph Balsamo, et de protester, dans quelques gazettes, contre l'illégalité de ses moyens de médication, remarque qui ne pouvait guère refroidir l'en- thousiasme du public pour cet homme surnaturel. 28 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Cagliostro eut, d'ailleurs, la bonne fortune d'opérer bientôt une cure éclatante, qui fit le désespoir de la médecine officielle. Nous avons déjà parlé de ses premières relations avec le cardinal de Rohan. Un des frères de ce prince-archevêque, le prince de Soubise, était dangereusement malade. Certains médecins l'avaient déclaré atteint d'épui- sement, d'autres accusaient la fièvre scarlatine ; tous s'accordaient à trouver le cas désespéré. Le cardinal de Rohan, bien qu'il n'eût pas éprouvé pour lui- même, à Strasbourg, les bons effets delà puissance médicale du grand empirique, n'en avait pas moins en lai une confiance illimitée. Il le pria donc, avec instance, de voir son frère, le prince de Soubise. Un jour, il le fit monter dans son carrosse, et le conduisit à l'hôtel de Soubise, où il annonça « un médecin », sans le nommer, d'ailleurs. Comme la Faculté avait déclaré le malade perdu, la famille laissa faire. Quelques domestiques seulement se trouvaient dans la chambre du prince, lorsque le cardinal et Joseph, Balsamo y entrèrent. Ce dernier ayant demandé à rester seul quelque temps avec le malade, on les laissa. Que fit Joseph Balsamo, ainsi renfermé avec le prince? Le magnétisa-t-il à outrance, ou se mit-il lui-même en état de somnambulisme ? C'est ce qu'on n'a jamais su. Toujours est-il qu'après une heure consacrée à un examen ou à des préliminaires dont il garda le secret, Balsamo appela le cardinal, et lui dit : « Sil'on suit mes prescriptions, dans deux jours Monseigneur le prince de Soubise quittera ce lit, et se promènera dans cette chambre ; dans huit jours il sortira en carrosse ; dans trois semaines il ira faire sa cour à Versailles. Quand on a consulté un oracle, on n'a rien de mieux à faire que de lui obéir. Le cardinal de Rohan se mil donc aux ordres de Balsamo, qui, dans la même journée, revint avec lui à l'hôtel de Soubise, muni cette fois d'une petite fiole contenant un liquide, dont il fit prendre dix gouttes au malade. « Demain, dit-il, nous donnerons au prince de Soubise cinq gouttes de moins ; après-demain, il ne faudra que deux gouttes de cet élixir, et il se lèvera dans la soirée. » L'événement dépassa les prédictions de l'oracle. Le second jour qui suivit cette visite, le prince de Soubise se trouvait en état de recevoir quelques amis. Dans la soirée, il se leva, fit le tour de sa chambre, causa assez gaie- ment et revint s'asseoir dans un fauteuil. Il se sentit même assez en appétit pour demander une aile de poulet ; mais, quelque instance qu'il fil pour l'obtenir, on dnt la lui refuser, la diète absolue étant une des prescriptions du médecin, encore inconnu, qui faisait de telles merveilles. LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO 20 Dès le quatrième jour, le malade était en pleine convalescence. Mais ce ne fut que le lendemain, dans la soirée, qu'il lui fut octroyé de manger enfin son aile de poulet. Personne, dans l'hôtel de Soubise, ne savait encore que Cagliostro était le médecin anonyme qui donnait ses soins au prince. On ne le nomma qu'au moment de la guérison, et ce nom, déjà fameux, ne fut plus dès lors pour personne celui d'un charlatan. Ennobli par cette cure miraculeuse, il retentit à la ville et à la cour, au milieu de mille acclamations enthousiastes. Peu de temps après, deux cents carrosses stationnaient dans toute la longueur de la rue Saint-Claude. A Versailles, le roi et la reine, apprenant l'heureuse nouvelle de cette cure inattendue, s'en réjouirent hautement, et envoyèrent complimenter le prince de Soubise sur sa guérison. Ce n'était là qu'une attention d'étiquette rigoureuse, et d'une démarche toute naturelle à l'égard d'un si grand personnage ; mais il ne put s'accomplir sans donner une sorte de consécration officielle àla gloire du divin Cagliostro. Son buste fut taillé en marbre, coulé en bronze, et au-dessous de son portrait, gravé au burin, on lisait cet hommage poétique : De l'ami des humains reconnaissez les traits, Tous ses jours sont marqués par de nouveaux bienfaits. II prolonge la vie, il secourt rindlgence ; Le plaisir d'être utile est seul sa recompense. 111 i Le cénacle des treize. Que faisait cependant la Faculté ? Elle assistait, muette et impassible, à ce triomphe de la médecine illégale. Interrogée sur la cure qui faisait tant de bruit, elle ne répondit rien , sinon que le prince de Soubise devait guérir. La réponse n'était pas fière, mais elle a paru suffisante à plusieurs contemporains, qui ont écrit que la nature seule avait opéré le miracle. Quelques-uns allèrent même jusqu'à dire que le prince était guéri avant que Cagliostro l'eût visité. Du reste, Grimm, qui admet cette dernière version, paraît croire que Cagliostro était encore à Strasbourg lorsque le cardinal de Rolian l'appela, pour son frère, et qu'il dut se rendre de cette ville à Paris, ce qui aurait laissé un intervalle suffisant pour qu'une heureuse révolution se fût opérée dans l'état du malade. Mais Grimm a été induit en erreur sur la circonstance essentielle. Il est certain qu'à cette époque le grand thaumaturge avait déjà établi son officine et son laboratoire à Paris, et que, pour se transporter à l'hôtel Soubise, il n'eut qu'à monter dans le carrosse du cardinal. On peut voir, d'ailleurs, dans la Correspondance de Grimm, que cet écrivain, à celte exception près, rend toute justice aux succès et au désintéressement de Joseph Balsamo, relativement à sa pratique médicale. « Quelques personnes de la société de M. le Cardinal, dit-il, ont été à portée à. consulter Cagliostro ; elles se sont fort bien trouvées de ses ordonnances, et n'ont jamais pu parvenir à lui faire accepter la moindre marque de reconnaissance. » Et il ajoute, touchant le mystère dont cet étrange personnage enveloppait sa vie : « On a soupçonné le comte d'avoir été l'homme de confiance de ce fameux M. de Saint-Germain, qui fit tant parler de lui, sous le régne de madame de Pompadour; on LES PIIODIGES DE GAGLIOSTRO 31 croit aujourd'hui qu'il est fils d'un des directeurs des mines de Lima ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'il a l'accent espagnol, et qu'il parait fort riche. Un jour qu'on le pressait, chez madame la comtesse de Brienne, de s'expliquer sur l'origine d'une existence si surprenante et si mystérieuse, il répondit en riant : « Tout ce que je puis vous dire, c'est que je suis né au milieu de la mer Rouge, et que j'ai été élevé sous les ruines d'une pyramide d'f]gyte; c'est là qu'abandonné de mes parents, j'ai trouvé un bon vieillard qui a pris soin de moi ; je tiens de lui tout ce que je sais '. » Joseph Balsamo était alors au point culminant de sa renommée et de son crédit. Il voulut mettre ce moment à profit pour donner le couronnement à l'édifice de sa franc-maçonnerie égyptienne. Les aspirants à la nouvelle franc-maçonnerie se présentaient en foule, et c'étaient, pour la plupart, des personnage très considérables ; mais il mit ordre à cet empressement par une application sévère de la maxime : beau- coup d'appelés^ et peu clélus. Il déclara aux futurs adeptes « qu'on ne pouvait travailler que sous une triple voûte, et qu'il ne devait y avoir ni plus ni moins de treize adeptes, lesquels, sous le nom de mutres, et réunis dans un cénacle particulier, seraient les grands dignitaires de l'ordre maçonnique. Il va sans dire que ces hauts grades ne pouvaient être conférés qu'à des sommités sociales; mais, pour ceux qui les ambitionnaient, il y avait encore d'autres conditions. « Ils devaient être, dit Grimm, dans sa Correspondance, purs comme les rayons du soleil, et même respectés de la calomnie, n'avoir ni femmes ni enfants, ni maî- tresses, ni jouissances faciles, posséder une fortune au-dessus de cinquante-trois mille livres de rente, et surtout cette espèce de connaissances qui se trouvent rarement avec de nombreux revenus. » Des événements qui suivirent empêchèrent la formation du cénacle projeté. Nous en sommes dès lors réduits à des conjectures sur ce que Joseph Balsamo méditait de faire avec ces treize personnages, nobles, instruits, garçons ou veufs, chastes et riches. Sans doute il les avait séduits par le prospectus d'une franc-maçonnerie transcendante, dont tous les usages tiendraient du surnaturel, « où l'on verrait des spectres et des démons, où l'esprit des adeptes serait magiquement entraîné loin de cette misérable planète que nous habitons » ^ Cagliostro avait promis sans doute aux membres de ce cénacle d'élite, outre la vision béatifique^ fruit de la régénération morale de l'homme, de 1. Correspondance littéraire, philosophque et critique de Grimm et Diderot, auuée 1783. 2. J.-B. Gouriet, Personnages célèbres dans les rues de Paris, depuis une haute antiquité jusqu'à nos jours. Paris, 1811, iii-8, t. 1, p. 2GÛ. 32 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE leur communiquer encore, soit l'immortalité, soit une prolongation de la vie, eiïet de la régénération physique. Il est certain qu'il affirmait jouir pour lui-même de ce privilège d'une longévité extraordinaire. Une pièce curieuse, quoique évidemment satirique, qui a été conservée, peut jeter quelque lumière sur ce point. Cette pièce a pour titre : Secret de la régénération^ ou Perfection physique par laquelle on peut arriver à la spiritualité de 5557 ans [Bureau d'assurances du grand Cagliostro). « Celui qui aspire à une telle perfection, doit, tous les cinquante ans, se retirer, dans la pleine lune de mai, à la campagne, avec un ami; et là, renfermé dans une chambre et dans une alcôve, souffrir pendant quarante, jours la diète la plus aus- tère, mangeant très peu, et seulement de la soupe légère, des herbes tendres, rafraîchissantes et laxativcs, et n'ayant pour boisson que de l'eau distillée ou tombée en pluie dans le mois de mai. Chaque repas commencera par le liquide, c'est-à-dire par la boisson, et finira par le solide, qui sera un biscuit ou une croûte de pain. Au dix-septième jour de cette retraite après avoir fait une petite émission de sang, on prendra de certaines gouttes blanches, dont on n'explique pas la com- position, et on en prendra six le matin et six le soir, en augmentant de deux par jour jusqu'au trente-deuxième jour. « Alors on renouvellera la petite émission de sang au crépuscule du soleil. Le jour suivant on se met au lit, pour n'en plus sortir qu'à la fin de la quarantaine, et là, on avale le premier grain de matière première. Ce grain est le même que Dieu créa pour rendre l'homme immortel, et dont l'homme a perdu la connaissance par le péché ; il ne peut l'acquérir de nouveau que par une grande faveur de l'Eternel, et par les travaux maçonniques. Lorsque ce grain est pris, celui qui doit être rajeuni perd la connaissance et la parole pendant trois jours ; et, au milieu des convulsions, il éprouve une grande transpiration et une évacuation considé- rable. Après que le patient est revenu, et qu'il a été changé de lit, il faut le restaurer par un consommé fait avec une livre de bœuf sans graisse, mêlé de diffé- rentes herbes propres à réconforter. » Si le restaurant le remet en bon état, on lui donne, le jour suivant, le second grain de matière première dans une tasse de consommé qui, outre les effets du premier, lui occasionnera une très grande fièvre, accompagnée de délire, lui fera perdre la peau et tomber les cbeveux et les dents. Le jour suivant, qui est le trente-cinquième, si le malade est en force, il prendra pendant une heure un bain qui ne sera ni trop chaud ni trop froid. Le trente-sixième jour, il prendra, dans un petit verre de vin vieux et spiritueux, le troisième et dernier grain de matière pre- mière, qui le fera tomber dans un sommeil doux et tranquille ; c'est alors que les cheveux commenceront à repousser, les dents à germer, et la peau à se rétabhr. Lorsqu'il sera revenu à lui-même, il se plongera dans un nouveau bain d'herbes iromatiques, et le trente-huitième jour dans un bain d'eau ordinaire. Le bain étant pris, il commencera à s'habiller, et à se promener dans la chambre, et le trente- t LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 35 neuvième jour, il avalera dix gouttes du baume du grand maître dans deux cuillerées de vin rouge ; le quarantième jour, il quittera la maison tout à fait rajeuni et parfaitement régénéré. » Nous ne devons pas oublier de dire que l'une et l'autre méthode ' est prescrite également pour les femmes, et que, dans ce qui regarde la régénération physique, il est enjoint à chacune de se retirer ou sur une montagne ou à la campagne, avec la seule compagnie d'un ami, qui doit lui donnerions les secours nécessaires, et principalement dans les crises de la cure corporelle ^ » Quoi qu'il en soit de l'authenticité du texte qu'on vient de lire, il est certain que Cagliostro parlait de sa recette pour la régénération physique avec toute l'assurance d'un homme qui l'a plusieurs fois expérimentée sur lui-même. Dans le Malade imaginaire, lorsque la jeune et espiègle ser- vante d'Argant se fait présenter à son maître travestie en médecin, et que, voulant lui prouver par un exemple l'excellence du traitement qu'elle lui prescrit, elle n'hésite pas à se doter de quatre-vingt-dix ans, on est tenté de trouver le chiffre exagéré, même pour une charge comique. Cagliostro l'eût jugé trop timide pour le théâtre où il opérait : il se donnait un âge fabuleux, infini ; le lointain ténébreux dans lequel il cachait sa naissance ne permettant pas de la calculer. Parfois même, se lassant de n'être qu'immortel, il voulait faire croire à son éternité ; et, usurpant les paroles de l'Évangile où Jésus-Christ s'exprime comme personne divine, il disait : Je suis celui qui EST, Egio sum qiàsum. Notre grand thaumaturge aimait à plaisanter sur son âge, et les excen- tricités qu'il se permettait sur cette question ne lui faisaient rien perdre de son crédit. On raconte que, parcourant un jour la galerie des tableaux du Louvre, il s'arrêta devant la magnifique Descente de croix ^ de Jouvenet, et se prit à pleurer. Comme il n'était guère possible de mettre ses larmes sur le compte d'une émotion artistique, quelques personnes s'enquirent avec intérêt de la cause de sa douleur. « Hélas ! répondit Cagliostro, je pleure la mort de ce grand moraliste, de cet homme si bon, d'un commerce infiniment agréable, et auquel j'ai dû de si doux moments. Nous avons dîné ensemble chez Ponce Pilate. — De qui parlez-vous donc ? interrompit M. de Richelieu, stupéfait. — De Jésus-Christ ; je l'ai beaucoup connu. » Balsamo avait un valet, ou intendant, qui le secondait à merveille, par son silence mystificateur, et qui, lorsqu'il se décidait à parler, était au moins de 1. Il D'y a qu'une méthode iudiquée ci-dessus; l'autre, que nou3 n'avons pas, est sans doute celle qui conduit à la régénération morale. 2. Gouriet, Personnages célèbres dans les rues de Paris, 1. 1, p. 2S4-286. 36 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE la force de son maître. A. Strasbourg, M. d'Hannibal, seigneur allemand, le saisit un jour par l'oreille, et d'un ton moitié goguenard, moitié furieux : « Maraud, dit-il, tu vas me déclarer cette fois l'âge véritable de ton maître ! » Notre homme de prendre alors une mine réfléchie et concentrée, et un instant après, comme un vieillard qui vient de fouiller profondément dans sa mémoire : « Écoutez-moi bien. Monsieur, répondit-il ; je ne saurais vous donner l'âge de M. le comte : cela m'est inconnu. Il a toujours été pour moi ce qu'il est pour vous, jeune gaillard, buvant sec et dormant fort. Tout ce que je puis vous dire, c'est que je suis à son service depuis la décadence de la république romaine ; car nous sommes tombés d'accord sur mon salaire précisément le jour où César périt assassiné dans le sénat. » Les privilèges et dons précieux offerts en appât aux futurs membres du cénacle des treize^ étaient si séduisants que le nombre des élus semblait trop restreint pour satisfaire à toutes les candidatures d'élite suscitées par le prospectus. Un des postulants les plus empressés, le duc de***, osa faire à ce sujet des représentations au grand Gophte. « 11 y a tant de gens, dit-il, à qui il vous sera impossible de refuser un grade éminent, et qui ont des droits à l'obtenir ! Comment n'admettrez-vous pas tel conseiller au parlement, qui magnétise comme un autre Mesmer, qui a combattu l'arrêt de la grand'chambre contre les novateurs physiciens ? Comment refuserez-vous le duc de Ch..., qui fait de l'or, des liqueurs et des teintures stomachiques, au moyen desquelles ce vieillard triomphe des atteintes de l'âge ? Que répondrez-vous à madame la comtesse de M..., qui, après avoir fait un cours complet de chimie chez Demachi, a établi chez elle un laboratoire, où ses femmes, son cocher, son jardinier, son cuisinier et jusqu'à son marmiton, sont obligés de travailler ? Et le président de V..., qui, sur les fleurs de lis de son siège, rêve d'alchimie, le repousserez-vous ? Aurez-vous assez de pouvoir pour ne pas admettre au premier rang un grand prince, amiral, architecte, banquier, directeur de spectacle, grand joueur, arbitre de la mode, cité pour ses chevaux, pour ses fêtes et pour l'éducation philosophique qu'il a fait donner à ses enfants ? Il vous sera impossible de refuser des gens ayant de pareils litres et une telle influence. Vous serez débordé. Augmentez, augmentez le cénacle. » Joseph Balsamo ne se rendait pas à ces raisons, et pourtant il en sentait toute la force. Pendant qu'il hésitait, qu'il ajournait, voulant, disait-il, se donner le temps de réfléchir, le temps amena un événement qui coupa court à toutes ses LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO 37 réflexions et porta violemment l'intérêt du public sur un tout autre sujet. Paris n'eut pas son cénacle égyptien, mais la France eut un drame dans lequel Cagliostro dut accepter, malgré lui, un rôle qui le fît déchoir, car ce rôle fut celui d'un simple comparse. C'est qu'il se trouva qu'en fait d'audace, tous les acteurs de ce drame étaient plus forts que lui. IV L'affaii-e du collier. Par esprit de subordination conjugale, ou par une politique eoncertée entre elle et son époux, Lorenza Féliciani semblait mettre toute sa gloire à s'effacer devant lui. Pour faire adorer de la foule l'homme divin auquel elle s'était unie, Lorenza l'adorait elle-même, etplus humblement que personne. Elle se tenait à une respectueuse distance de sa face olympienne, tropheureuse si, parfois, un rayon perdu de ce front lumineux venait percer l'ombre où elle se tenait cachée. A Strasbourg, nous l'avons vue s'occuper de débar- bouiller et de vêtir colombes (\\x\ servaient auxopérations du grand Cophte. C'est dans des soins aussi vulgaires que se renfermait habituellement son assistance à l'œuvre merveilleuse de son mari. Dans cette maison de la rue Saint-Claude, où celui-ci recevait son monde, et accordait ses consultations, au milieu d'un appartement somptueux, Lorenza s'était arrangé une existence retirée, et, en quelque sorte, claustrale. Elle n'était visible qu'à certaines heures, et pour certaines personnes choisies, devant lesquelles elle affectait néanmoins do se produire toujours sous des costumes prestigieux. Tel avait été depuis longtemps le train de vie ordinaire de Lorenza, à Paris. Mais, après le maître coup de filet du souper magique des trente-six grandes dames à cent louis par tète, qui avait rapporté au ménage le beau denier sonnant de 86 400 livres, il aurait été contraire aux lois d'une bonne écono- mie domestique de ne pas laisser un peu plus de champ à l'exercice des puissantes facultés attractives de Lorenza. Ce changement étaitla conséquence nécessaire de la grande scène où Lorenza s'était manifestée avec tant d'avan- tages. Après les fantasmagories de la rue Verte, et le souper qui avait suivi la séance de magie blanche, la Grande maîtresse était donc entrée dans le courant de célébrité et de gloire qui, jusque-là, n'avait porté que le nom de Cagliostro. Sa beauté faisait l'entretien de la cour et de la ville, et c'étaient LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO 39 trente-six femmes, belles elles-mêmes et haut placées dans le monde, qui se chargeaient de la préconiser. Devenue, grâce à ces dignes protectrices, l'objet d'une curiosité univer- selle, Lorenza Féliciani vit bientôt son entourage s'augmenter, et elle ne sut pas toujours faire un choix réfléchi parmi tant de nouvelles amies auxquelles elle était exposée, A la suite des femmes, quelques hommes se glissèrent chez elle, et il s'en trouva qui osèrent lui parler d'amour. Ici la chronique est un peu confuse. 11 est presque avéré que, parmi ces soupirants, elle en distingua un, jeune et beau, qu'on nommait le chevalier d'Oisemont. Mais à quel degré s'arrêta ou ne s'arrêta point cette préférence, c'est ce que la chronique, aidée par les plusméchantes langues, n'a pu suffi- samment déterminer ; incertitude profondément regrettable dans une matière oïl la précision fait tout. On parle cependant d'apparences tellement signi- ficatives, que Balsamo, pour la première fois de sa vie, aurait été jaloux; mais nous, qui en savons surson caractère beaucoup plus que nos lecteurs ne peuvent encore en savoir, nous accordons tout au plus qu'il feignit de l'être. La même chronique veut, d'ailleurs, qu'il s'absente de Paris en ce temps-là même, ce qui ne peut se concilier avec sa jalousie. Quoi qu'il en soit, ce serait pendant cette absence de Joseph Balsamo que des rendez-vous auraient été donnés et acceptés entre Lorenza et le beau chevalier d'Oisemont. Un jour qu'ils étaient en tête-à-tête, une des nouvelles connaissances de Lorenza, nommée madame de La Motte, les surprit, et devina, à leur trouble, une passion qu'ils n'essayèrent pas de dissimuler. « J'ai votre secret, dit madame de La Motte à Lorenza, quand le chevalier se fut retiré ; je n'en abuserai pas, mais jemetsune condition à mon silence: vous me servirez auprès de votre mari, vous ferez tout au monde pour que je devienne l'amie de la maison et que j'y aie mes entrées libres. Enfin vous préparerez si bien[les choses, que Cagliostro mette à ma disposition sa science prodigieuse et son habileté, si jamais j'ai besoin de ses services. » Un pareil engagement pouvait mener fort loin ; mais Lorenza, — elle était nécessairement coupable ou penchait à le devenir, — l'imprudente Lorenza promit tout ce qu'on voulut, et dès ce moment elle fut vendue au diable. C'était, en effet, une créature infernale que cette dame de LaMotte. Venue on ne sait d'où, élevée par les bienfaits d'une noble famille, elle avait la prétention d'appartenir à l'illustre maison des comtes de Saint-Rémy- Valois. On la croyait sur parole dans ces sociétés équivoques qu'on appellerait aujourd'hui le demi-monde; et dans le grand monde, où elle commençait à avoir un pied, on souffrait qu'elle se vantât d'une origine qui faisait couler du sang royal dans ses veines. 40 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Mais celte prétendue descendante des Valois était surtout une auda- cieuse intrigante. Elle avait rencontré un gentilhomme de contrebande qui, en Tépousant, lui avait donné le titre de comtesse. Ce couple admi- rablement assorti vivait d'expédients et de friponneries. Sans cesse à l'affût des dupes, cherchant partout des gens simples à exploiter, il était affilié secrètement à une bande de redoutables escrocs qui infestaient alors la capitale. A celte société perverse il fallait un grand théâtre pour exécuter de grands coups. Jeune encore, belle, et séduisante, la comtesse de la La Motte était, [lour cette société d'escrocs, un agent de la plus grande valeur. La voilà donc introduite, et bientôt impatronisée dans la maison de Balsamo, oùl'oii pouvait apprendre beaucoup de choses, rencontrer beaucoup de personnes, et trouver l'occasion de préparer quelques grandes scélé- ratesses. Ayant, de cette manière, pris position chez Gagliostro, madame de La Motte se mit à ourdir ses intrigues, l'œil aux aguets sur ce qui se passait autour d'elle, et l'esprit tendu à découvrir quelque bonne pratique. Elle ne fut pas longtemps sans trouver ce qu'elle cherchait. Elle connaissait déjà le cardinal de Rohan. Ses relations avec Son Émi- nence devinrent naturellement plus fréquentes dans les salons de Joseph Balsamo. Depuis la guérison du prince de Soubise, les Rohan appartenaient à Balsamo, comme lui-même, par l'influence de Lorenza, doit désormais appartenir à madame de La Motte. En peu de temps, notre intrigante était entrée dans l intimité du cardinal, qui lui fit, témérairement, diverses confi- dences, entre autres celle de l'éloignement que Marie-Antoinette avait pour lui, et qu'aucune marque de respect ou de dévoiiment de sa part n'avait encore pu vaincre. Grand aumônier, sa charge, qui le faisait approcher si souvent des personnes royales, ne lui avait fourni que trop d'occasions de reconnaître jusqu'à quel point il déplaisait à la reine. Cet éloignement de Marie-Antoinette pour le cardinal de Rohan était réel, Plusieurs écrivains ont fait remonter la cause de cette antipathie jusqu'à l'époque du mariage de Marie-Antoinette, alors que M. de Rohan, ambas- sadeur de France à Vienne, et un des plus beaux hommes de son temps, passait pour être au mieux avec sa mère, l'impératrice d'Autriche, l'austère Marie-Thérèse. La jeune archiduchesse, fille de Marie-Thérèse, conserva-t-elle contre le prince de Rohan quelque ressentiment, en raison de cette intimité, maligne- ment interprétée par l'opinion, ou bien eut-elle à s'ofïenser de quelques pré- tentions qui se seraient adressées à sa propre personne ? Notre tâche n'est BOEHMER SUPPLIE A GENOUX LA REINE MARiE-AiNTOINETTE, DE LUI ACHETER SON COLLIER DE DIAMANT (page 44) II. LIV. 6 LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO 43 pas de résoudre les problèmes de l'histoire secrète des cours. Parmi bien des conjectures, plus ou moins hasardées, nous avons noté les deux qui précè- dent, et entre lesquelles le lecteur pourra çhoisir, s'il ne préfère admettre tout simplement entre nos deux personnages une antipathie naturelle. Ce qui est avéré, c'est que l'archiduchesse d'Autriche, devenuereine de France, montra toujours des dispositions peu favorables à celui dont sa mère avait hautement apprécié le mérite. Or, précisément vers le temps où le cardinal de Rohan épanchait ainsi ses chagrins dans le sein de madame de La Motte, le nom de la reine était cité avec admiration par toutes les bouches, à l'occasion d'un acte vraiment louable, quand même il n'eût été inspiré que par une bonne politique. L'année 1786 avait commencé sous les plus tristes auspices. Dès les premiers mois, le blé manquait dans le plus grand nombre des provinces ; la spécu- lationaidant, la disette était bientôt devenuela famine. L'approvisionnement de Paris ne put être assuré ni par les mesures sévères, mais tardives, que Louis XVI prit contre les accapareurs, ni par quelques sacrifices personnels qu'il s'imposa. Depuis le commencement de son règne, il avait introduit de sages réformes dans les dépenses de la cour ; mais l'État était depuis longtemps obéré, sans crédit, et la cassette royale, qui suivait nécessairement leniveau des finances de l'État, dans lesquelles elle s'alimentait, ne laissait à la bienfaisance du roi que des moyens étroits ou précaires. Telle était la pénurie d'argent que, dans les premiers mois de l'année, la reine qui avait fait l'acquisition de quelques brillants pour compléter Gjn écrin, dut prendre des termes pour en effectuer le payement. On disait, d'ailleurs, que, franchement convertie à l'esprit de réforme et d'économie dont le roi était animé, elle avait obtenu de lui la promesse de ne plus acheter pour elle aucun bijou. Cette modération, conforme aux idées du jour, plaisait aux philosophes et au public, mais elle ne faisait pas le compte du joaillier de la couronne, Boehmer. Ce joaillier était un spéculateur hardi, lancé dans de grandes affaires, et, pour le moment, un peu trop chargé des importants achats de bijoux qu'il avait faits, dans des prévisions que trompait cruellement une cour économe. Il fallait, pour lui, vendre ses bijoux ou succomber. Il connaissait le faible de Marie-Antoinette pour les diamants. Parmi ceux qu'il avait réunis à grands frais, dans ses folles prévisions, il y en avait de très beaux, de l'eau la plus pure et du pins éblouissant éclat. D'un choix intelligent de ces diamants magnifiques, il composa, avec tout son art, celte parure, vraiment royale et même trop royale pour le temps, qui, sous le nom de collier^ a gardé dans l'histoire une scandaleuse célébrité. LES MYSTERES DE LA SCIENCE Le prix de celte merveille ne s'élevait pas à moins de seize cent mille livres. Boehmer la présenta un jour au premier gentilhomme de la chambre-. Celui-ci en parla au roi, qui parut, dit-on, sur le point de céder. Peut-être feignit-il cette complaisance pour la reine, afin de lai réserver le mérite d'un refus, qu'elle exprima nettement, en l'accompagnant de ces paroles, vraiment dignes d'être répétées, comme elles le furent bientôt par toutes les bouches : « Avec le prix de ce collier, on construirait un navire pour le service du roi et de l'État. » Ainsi éconduit, Boehmer ne se tint pas pour battu. Quelques semaines après, il se présentait chez la reine, son écrin à la main, et là, joignant le drame à la fascination, il se jetait aux pieds de Marie- Antoinette, pleurant, se désespérant, assurant qu'il était ruiné si on ne lui achetait son collier. Il parlait même d'aller se jeter à la Seine. La reine, prenant le ton d'une sévérité émue, lui répondit : « Relevez- vous, monsieur Boehmer. Je n'aime pas de pareils éclats; les honnêtes gens n'ont pas besoin de supplier à genoux. Je vous regretterais si vous vous donniez la mort, mais je ne serais pas responsable de ce malheur. Non seulement je ne vous ai pas demandé un collier de diamants ; mais toutes les fois que vous m'avez fait proposer de nouvelles parures, je vous ai dit que je n'ajouterais pas quatre brillants à ceux que je possède. J'ai donc refusé ce collier. Le roi a voulu me le donner ; j'ai remercié. Ne me parlez plus de cela, ne m'en parlez jamais. Tcâchez de diviser le collier et de le vendre. Je vous sais très mauvais gré de vous être permis cette scène en ma présence et devant cette enfant (elle désignait madame Royale). Qu'il ne vous arrive jamais de choses semblables. Allez, Monsieur. » Après cette déconvenue Boehmer comprit que toute nouvelle tentative directe lui coûterait son titre de joaillier de la couronne. Il se tourna donc d'un autre côté. Il adressa ses propositions à diverses cours de l'Europe^ mais il ne fut pas plus heureux. Pour ôter à la reine le souvenir d'une scène pénible, on fit courir le bruit, dans son entourage, que les diamants avaient été achetés pour le compte du Sultan. Et comme, après tout, Boehmer ne s'était pas jeté à l'eau, Marie- Antoinette avait le droit de goûter sans trouble la gloire d'un refus qui lui valait une si douce popularité. Cependant, il y avait de par le monde une personne qui ne voulait pas admettre qu'une pareille gloire fût sans amertume. Elle prétendait qu'une femme, même une reine, qui refuse une parure de seize cent mille francs, remporte sur elle-même une victoire tellement pénible, tellement contre nature, qu'on ne doit jamais la croire définitive. LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO 43 La personne qui philosophait ainsi était madame de La Molle, el le car- dinal de Rohan l'écoulait avec surprise. 11 demeurait étonné de la profon- deur de cette philosophie, qui dans le fait, était infernale. Il ne put s'empê- cher d'abonder dans l'opinion que Marie-Antoinette, dont il connaissait d'ailleurs le faible pour les diamants, eût été moins héroïque, sans la ques- tion pécuniaire qui l'avait forcée défaire contre fortune bon cœur. Mais, bien ou mal fondé, qu'importait ce jugement après coup, impossible même à vérifier, puisque la question pécuniaire... Attendons un peu la suite des œuvres de madame de La Motte, qui ne faisait pas de la philosophie purement spéculative. Quelques jours après cet entretien, elle vint trouver le cardinal, et prenant un air d'amie empressée qui apporte une bonne nouvelle : « Eh bien ! Monseigneur, lui dit-elle, voilà une belle occasion, une occa- sion unique pour vous réconcilier avec Sa Majesté, la reine, pour conquérir sa confiance et gagner même ses bonnes grâces. » Émerveillé de ce début, le cardinal la pria de s'expliquer promptement. Elle le remit sur l'affaire du collier, et, au moyen d'une histoire tissue avec un art infini, elle parvint à lui persuader que la reine n'avait pas renoncé à l'envie de posséder cette magnifique parure ; mais que, ne voulant pas obérer la cassette du roi d'un achat si onéreux, elle avait formé le projet d'acquitter elle-même toute la somme sur ses économies, en prenant des termes : « Seulement, ajoula-t-elle, il faudrait trouver un personnage considérable qui fût le prête-nom de Sa Majesté, et qui inspirât assez de confiance au joaillier pour que celui-ci livrât les diamants. » En disant ces mots, elle regardait le cardinal, à qui la tête avait déjà tourné. Sa vanité d'homme était extrême, mais ici sa vanité de Rohan aurait suffi. Il se sentait enflé de toute la gloire de ce nom, dont la grandeur sin- gulière et indéfinie donnait à ceux qui le portaient la prétention de prendre un rang à part auprès des rois ' ; et il se dit qu'un Rohan seul pouvait se pré- senter sans offense pour rendre service à la reine. Passant de l'exaltation à la tendresse, il ne répondit à madame de La Motte qu'en l'appelant son ange de bonheur^ ajoutant qu'il mettait à sa disposition toute sa fortune. Il voulait dire tout son crédit, car, en grand seigneur qu'il était, le car- dinal de Rohan avait toujours si bien tenu à honneur de ne pas équilibrer ses dépenses avec ses revenus, fort considérables d'ailleurs, que pour lui l.Oa sait que la devise des Rohan était : Roi ne puis, prince ne daigne, Rohan suis. Un des membres de la famille disait à propos de la faillite de Rohan-Guéménée, vers la fin du xviu« siècle : u N'im- porte! on dira on Europe qu'il n'y avait qu'un roi ou un Rohan qui pût faire une faillite de qua- rante millions. » 46 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE la question pécuniaire devenait aussi une question. Il s'agissait cette fois de seize cent mille livres ! Madame de La Motte apportait un plan tracé d'avance, au moyen duquel toute difficulté était levée. Elle avait fait croire à M. de Rohan qu'elle avait des relations secrètes avec la reine, pour certains services officieux. A sa première entrevue avec Sa Majesté, elle devait lui apprendre que le cardinal se mettait à ses ordres. De son côté, le cardinal proposait de se rendre cau- tion de la reine, de se mettre en son lieu et place vis-à-vis de Boehmer, et de lui souscrire plusieurs billets à échéances successives pour le montant du prix du collier. On obtiendrait de la reine la promesse qu'avant l'échéance de chaque billet, elle en ferait passer les fonds au cardinal, par les mains de madame de La Motte : c'était de l'argent sûr. M. de Rohan trouva cette combinaison très heureuse. Les félicités que son ange lui faisait entrevoir furent encore exaltées par l'assurance que trois jours ne se passeraient pas sans que madame de La Motte obtînt une audience particulière de la reine, à laquelle elle ferait agréer tout cet arran- gement. Ayant laissé sa dupe ainsi préparée, l'intrigante alla travailler à l'exécu- tion d'un autre plan, conçu avec une audace et une perversité vraiment diaboliques. Disons d'abord, quant au but de madame de La Motte, qu'elle n'avait pas simplement médité, comme on pourrait le supposer, d'intercepter l'argent d'un des billets souscrits à Boehmer, et de disparaître avec cetle fiche. Elle n'entrait pas au jeu avec cette petitesse d'ambition qui fait qu'on se contente de la partie, quand on peut, moyennant quelque risque, enlever le tout. C'était au collier lui-même qu'elle en voulait. C'était donc le collier qu'il s'agissait de faire passer entre ses mains, par une manœuvre qui exigeait l'aide et le concours de plusieurs agents. Il faut ici faire sortir de l'ombre où ils se sont tenus cachés jusqu'à présent, deux personnages que leur habileté spéciale et leur intimité avec madame de La Motte, appelaient les premiers à la seconder dans l'exécution de son entreprise, comme ils en avaient sans doute dressé le plan avec elle. C'est d'abord s»n mari, le comte de La Motte, escroc consommé, et, à ce titre, tenu en grande considération dans la bande de scélérats à laquelleil apparte- nait. C'est ensuite un sieur Villette, de la même bande, ami de La Motte, escroc non moins habile, et surtout très exercé dans l'art de contrefaire les écritures. Ce dernier trouva bientôt l'emploi de son talent. Quatre ou cinq jours après l'entretien que nous avons rapporté, madame de La Motte, toute radieuse, vint trouver le prince de Rohan, apportant un LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO 47 billet où le cardinal reconnut^ sans hésitation, la main royale de Marie- Antoinette : c'était l'acceptation des bons offices de M. de Rohan, et l'auto- risation d'acheter le collier, pour le compte privé de la reine, par les moyens proposés. Boehmer fut mandé sur-le-champ par le cardinal. Toujours embarrassé de son collier, il ne demanda pas mieux que d'accepter la caution qui lui était offerte. L'affaire marchait de ce train rapide, quand la faiblesse d'esprit du car- dinal l'arrêta pour un moment. Avant de faire un pas de plus, il voulut con- sulter le génie divin de Cagliostro. Notre aventurier, qui, sans doute, avait eu vent de quelque chose, essaya de se soustraire à cette épreuve. Invité à se rendre chez Son Éminence, il répondit cavalièrement : « Si le cardinal est malade, qu'il vienne et je le guérirai; s'il se porte bien, il n'a pas besoin de moi, ni moi de lui. » Le cardinal ne s'offensani ne se rebuta de celte réponse. 11 n'en devint môme que plus pressant, et il devait nécessairement l'emporter, deux femmes étant conjurées avec lui pour forcer le rebelle Protée à rompre le silence en sa faveur. La consultation eut lieu dans une chambre de l'hôtel de Rohan, à hnis clos, pendant la nuit, en présence de trois adeptes discrets, initiés aux mys- tères de la philosophie cabalistique et avec le secours des colombes. Sous un costume d'une étrange magnificence, on vit le grand magicien s'avancer, et suivre d'un regard attentif les mouvements d'une matière mise en ébuUition par le feu dans un bassin d'or. Cette inspection terminée, Balsamo parut se recueilhr ; puis, s'animant tout à coup, et comme vivement ému par la vision qu'il venait d'avoir, il dit : « La négociation entreprise par le prince est digne de lui, elle aura un plein succès; elle mettra le comble aux faveurs d'une grande reine, et fera briller le jour fortuné où le royaume de France jouira d'une prospérité sans égale, sous l'influence des talents et de la prépondérance de Louis de Rohan. » Cagliostro ne se donnait pas la peine de mesurer ses flatteries. Il connais- sait sa dupe, et savait qu'on ne pouvait rien prédire de trop brillant à ce crédule et vaniteux personnage. Cet oracle fut rendu le 29 janvier. Dès le lendemain, le cardinal reçut, en échange des billets signés de lui, l'écrin contenant les précieux diamants, qui ne devaient pas tarder à passer de ses mains dans celles de madame de La Motte. « L'intention de la reine, lui dit cette intrigante, est de porter cette parure, pour la première fois, le jour de la fête de la Purification. Marie- 48 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Antoinette, ajoiila-t-elle, qui est en ce moment à Trianon, doit envoyer prendre les diamants chez moi, à Versailles. » Le cardinal crut tout cela. Du reste, madame de La Motte l'avait invité à se rendre, de sa personne, à Versailles, pour être témoin de la remise du coffret à l'homme de confiance de Sa Majesté. Le cardinal n'eut garde de manquer l'heure du rendez-vous : c'était pour lui le commencement de la félicité suprême. Madame de La Motte prit de sa main le précieux coffret, et le posa sur une table. Quant à lui, on le fit placer, comme un amoureux, dans un cabinet à porte vitrée donnant sur la pièce, de manière à ce qu'il pût tout entendre. Au bout de quelques minutes, on annonça à voix haute : Delà part de la reine! Et l'heureux cardinal put voir madame de La Motte prendre l'écrin et le remettre au personnage muet qui venait d'entrer, et dans lequel il reconnut positivement le valet de chambre de service à Trianon. 11 n'y avait qu'un homme ensorcelé par l'amour ou par Caglioslro, pour possédera ce degré transcendant le don des reconnaissances. Cependant, la fête religieuse de la Purification tombait le lendemain. Qu'on juge avec quelle douloureuse distraction le cardinal de Rohan, qui était, comme nous l'avons dit, grand aumônier de la cour, dut accomplir ce jour-là son ministère, quand il ne vit pas figurer au cou de la reine la magni- fique parure! Point de collier à la messe, ni au cercle du roi, ni dans la soirée ! Pour comble de désappointement, le cardinal crut même s'apercevoir que Marie-Antoinette le traitait avec plus de froideur qu'à l'ordinaire. Il y avait là une énigme dont il ne pouvait deviner le mol. Il courut le demander à madame de La Motte, qui ne parut nullement embarrassée pour trouver des paroles rassurantes. « N'avez-vous pas, Monseigneur, lui dit-elle, la lettre de Marie-Antoinette qui consent à accepter votre intermédiaire, et qui vous assure de sa recon- naissance? Avec une telle pièce, que redoutez-vous? La reine, pour ne surprendre personne, arrivera par gradation, peu à peu, insensiblement, à un changement de ton et de manières envers vous. Elle a trop de finesse -pour brusquer un tel changement. Cela donnerait lieu à beaucoup d'étonne- ment, etl'on ferait mille suppositions plus fâcheuses les unes que les autres. » Satisfait de cette explication, le cardinal se retira, laissant madame de La ■ Motte moins tranquille que lui. Elle comprenait, en effet, qu'avec le temps, Mes plus belles raisons deviendraient fort mauvaises. Le collier, est-il nécessaire de le dire, voyageait, en ce moment, loin de Trianon, entre les mains des deux maîtres escrocs, dont l'un avait eu l'au- dace de venir le prendre sous les yeux mêmes du cardinal. A peine Villette, LE CARDINAL DE ROHAN, SORTANT DU CABINET DU ROI, EST ARRÊTÉ DANS LA GALERIE DU CHATEA DE VERSAILLKS, PAR M. DE BRETEUIL ET LES GARDES DU CORPS (PAGE Oo) II. LIV. 7 I LES PRODIGES DE GAGLIOSÏRO 51 le prétendu valet de chambre de la reine, avait-il été nanti du précieux objet, qu'il s'était hâté de rejoindre le comte de La Motte, et tous les deux avaient pris sur-le-champ la route de l'Angleterre, où leur projet était de diviser le collier et de vendre les diamants. Ils employèrent plusieurs mois à celte opération, qui n'était pas sans difficulté ou même sans péril, et, durant tout ce temps, leur complice, restée à Versailles, sentait peser immédiatement sur elle seule le poids d'un crime, toujours sur le point d'être découvert. Dire quelles ressources d'imagination et d'audace elle déploya pour ajourner ce quart d'heure inévitable, en amusant le cardinal, serait une entreprise à désespérer les plus habiles narrateurs. Il arriva pourtant un moment oîi M. de Rohan ne voulut plus être amusé. Il trouva que la reine se déguisait trop. Non seulement elle s'obslinait à ne point se parer de ces diamants si longtemps et si vivement désirés, mais elle gardait toujours à son égard la même réserve, la même froideur, le même dédain. Et pourtant, circonstance critique! le premier billet souscrit à Boehmer, allait échoir. Madame de La Motte voyait bien que, sans de nou- velles lettres de Marie-Antoinette, il lui serait impossible de contenir pins longtemps le cardinal. Mais le faussaire dont elle avait besoin était à Lon- dres; elle lui écrivait par tous les courriers, et le mandait dans des termes qui étaient de véritables cris de détresse. Enfin Villette arrive. Il se met à l'œuvre, avec son habileté ordinaire. Bientôt, le cardinal put reconnaître une seconde fois la royale main de Marie- Antoinette dans un nouveau billet, dont la lecture l'émut jusqu'aux larmes, mais qui ne contenait aucune mention des trois cent mille francs promis pour le premier payement du prix du collier. Il en parla à madame de La Motte, qui eut l'air de s'ouvrir en toute sincérité avec lui sur ce chapitre intéressant : « Je vois, dit-elle, la reine embarrassée pour cet argent. Elle ne vous l'écrit pas pour ne pas vous tourmenter; mais. Monseigneur, vous feriez certaine- ment une chose qui lui serait agréable en vous chargeant de l'avance de ces trois cent mille francs. » Le cardinal n'avait pas cet argent, sa confidente devait s'en douter. Il ne fallait pas penser à prier Cagliostro de le lui fabriquer, comme elle en donna le conseil. Il en avait coûté cent mille francs au prince pour reconnaître, à Strasbourg, que Cagliostro faisait de l'or alchimique, mais après six semaines de préparation, sans compter les grands frais nécessaires pour l'alimentation de ses fourneaux. Heureusement, madame de La Motte avait à son service mieux qu'un alchimiste pour sortir de ce premier embarras. Elle avait la connaissance d'un 52 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Anglais fraîchement débarqué à Paris, très riche capitalisfe, qui s'appelait M. de Saint-James, et qui, n'ayant plus rien à désirer du côté de la fortune, poursuivait les honneurs. On voulut d'abord lui procurer celui d'obliger un Rohan, un prince de l'Église, un grand aumônier de la couronne, et on lui fit entendre qu'un pareil service rendu à un si grand personnage, aurait pour récompense le cordon rouge. Le cardinal laissa la conduite de celte affaire à madame de La Motte, qui l'eut bientôt menée à bonne fin. Il était temps d'ailleurs. Influencé par ses promesses séduisantes, le financier Saint-James s'engagea à prêter, sur parole, trois cent mille livres au cardinal, et celui-ci put écrire triomphalement à la reine, pour lui offrir de mettre à ses pieds la somme nécessaire au premier payement. Il va sans dire que madame de La Motte fut chargée de remettre cette lettre, qu'elle garda; mais comme elle n'avait pas alors son faussaire sous la main, la réponse se fit attendre. Villette, mandé de nouveau, revint à Paris, et le car- dinal reçut un troisième billet de la même main, dans lequel la reine décla- l ait accepter ses offres, mais seulement pour la première échéance. Le but de nos trois escrocs, autant qu'on en peut juger par leurs manœu- vres, était d'amener le cardinal, d'expédients en expédients, à payer en entier le prix du collier, ou du moins à n'engager que lui seul dans cette dette énorme. Alors, plus d'éclat possible, plus de crise fâcheuse à redouter. La honte, autant que la prudence, ne commanderait-elle pas au prince le silence le plus absolu sur une aventure qui le couvrirait de ridicule, et dans laquelle, chose plus grave, le nom de la reine était mêlé? Il s'agissait donc d'exalter les folles espérances du cardinal à un tel point qu'il fût déterminé à tous les sacrifices. C'était la tâche dévotue à madame de La Motte. Nous avons vu avec quel succès elle s'en est acquittée jusqu'à présent; mais nous arrivons à son chef-d'œuvre. Il y avait alors dans Paris une jeune personne nommée mademoiselle Leguay, que l'on ne pouvait regarder sans étonnement. Son imposante beauté, sa taille élégante, son profil, sa démarche, et jusqu'au son de sa voix, lui donnaient une parfaite ressemblance avec la reine. On a cru que Balsamo lui-même l'avait désignée pour le rôle qu'on devait lui faire jouer dans la pièce des trois escrocs, mais il ne paraît pas qu'il y ait fait autre chose que de la magnétiser, avec une foule de femmes de toutes les classes, qui fréquentaient la maison de la rue Saint-Claude. C'est là que madame de La Motte l'avait rencontrée, et l'avait aussi magnétisée à sa manière. Cette fille, très naïve et plus que légère, écouta les propositions de madame de La Motte, ne voyant sans doute qu'un amusement dans la scène où on l'invitait à figurer, en lui donnant le nom de baronne d'Oliva. LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 53 Madame de La Molle s'élant assurée de sa complaisance par quelques cadeaux et de magnifiques promesses, alla Irouver le cardinal, el lui montra un nouvel écrit, dans lequel la reine lui accordait un rendez-vous la nuit, dans un bosquet de Trianon. « Vous verrez Marie-Anloinelte, ajoula-t-elle. et dans cette entrevue elle vous dira ce qu'elle ne pouvait pas vous écrire sur le retour de ses bonnes grâces. » Il n'y avait plus rien de trop fort pour la crédulité du cardinal, tant cette femme audacieuse avait su le fasciner. Nous emprunterons, pour la scène qui va suivre, le récit d'un des biographes de Cagliostro. « Dans la soirée du jour fixé et à l'heure dite, M. de Rohan, vêtu d'une redin- gote bleue, se trouva au rendez-vous indiqué. Il s'était fait accompagner du baron de Planta, un gentilhomme de sa maison, qui attendit à une assez grande distance le retour de monseigneur. » La nuit était limpide, éclairée par un faible clair de lune ; mais le bosquet désigné était assez sombre. Madame de La Motte, portant un domino brun, vint trouver M. de Rohan, et le prévint de l'arrivée de la reine. En effet, quelqu'un la suivait. Au frôlement d'une robe de soie, le prince, dont l'émotion était extrême, faillitse trouver mal. Mais, à la vue d'une femme, qui était la ressemblance vivante de la reine, il se ranima, et, ne doutant pas qu'il ne fût en présence de Marie-Antoi- nette, il salua profondément et baisa une main charmante qu'on lui abandonna. Au pâle rayon de la lune, monseigneur reconnut le profil de la reine, dont le cos- tume, du reste, était d'une imitation parfaite ; c'était un de ces élégants négligés que Marie-Antoinette portait à Trianon. M. de Rohan commença en balbutiant un peu sa propre justification ; il allait expliquer toute sa conduite et parler de l'exaltation de ses sentiments, lorsque la fausse reine l'interrompit, et lui dit à demi-voix, mais avec précipitation : « Je n'ai qu'un moment à vous donner ; je suis contente de vous ; je vais bientôt vous élever à la plus haute faveur. » Alors un bruit de pas se fit entendre près du bosquet. La prétendue reine en parut effrayée ; elle remit une rose à M. de Rohan, et lui dit tout bas : « Voilà madame la comtesse d'Artois qui me cherche, il faut s'éloigner. » « Le premier quitta le bosquet à l'instant même et du côté opposé. Il rejoignit le baron de Planta et madame de La Motte, et leur fit part, avec une vive expression de chagrin, du contre-temps survenu. Il ne se doutait de rien. Les bruits de pas qu'il avait entendus avaient été produits par un compère qui servait l'intrigue arrangée par madame de La Motte. Quant à, mademoiselle d'Oliva, elle disparut *iussi *. » Tous les acteurs avaient bien joué leurs rôles, dans cette scène, trop courte pour le bonheur du cardinal. Ce fut là le tourment de sa nuit ; mais le lende- main, un douxréveil l'attendait. Comment aurait-il douté des sympathies de 1. Jules de Saint-Félix, Aventures de Cagliostro, in-18. Paris, 1834, p. 131-133. 54 LES MYSTERES DE LA SCIENCE sa royale amante, quand, le malin, madame de La Molle lui apporta un nouveau billet, dans lequel Marie-Antoinette exprimait elle-même ses regrets de la fâcheuse interruption de la veille. Dans son ivresse, le cardinal avait perdu de vue l'affaire la plus prosaïque, mais la plus importante. Le terme du payement des trois cent mille francs était expiré, et Saint-James, on ne sait pour quelle raison, n'avait pas encore donné son argent. Pressé par des engagements auxquels il ne pouvait faire face, le joaillier ne savait oîi donner de la tête. Dans son désespoir, il pensa naturellement que la personne qui devait prendre le plus d'intérêt à sa situation, serait la reine elle-même. Deux jours après la scène nocturne du bosquet de Trianon, il fut, par hasard, mandé au château, d'après un ordre du roi, et ayant trouvé l'occasion de voir Marie-Antoinette en personne, pour lui apporter une petite parure, il lui remit, en même temps, un placel, qui contenait ces deux lignes: « Je félicite Votre Majesté de posséder les plus beaux diamants connus en Europe, et je la supplie de ne pas m'oublier. » Boehmer s'était retiré quand la reine jeta les yeux sur ce papier. L'ayant lu à haute voix, elle le jeta au feu en disant : « Il est fou. » Toutefois, revenant sur ces lignes qui l'avaient extrêmement surprise, elle sentit le besoin d'une explication, et donna ordre à sa première femme de chambre, madame Campan, d'aller la demander au joaillier. C'était tout ce que voulait le pauvre homme. Il ne se fit donc nullement prier pour raconter avec détail toute son histoire. « Monsieur Boehmer, s'écria madame Campan à ce récit, on vous a volé vos diamants! La reine ignore tout. » Il est facile de se représenter l'indignation de Marie-Antoinetle, lorsque toute celte intrigue lui fut dévoilée. Elle invoqua l'autorité du roi, qui lui engagea sa parole que prompte justice serait faite des coupables. Le biographe que nous avons déjà cité, Jules de Saint-Félix, raconte ainsi la fin de ce drame et le commencement de la procédure dans laquelle Joseph Balsamo se trouva enveloppe. « Le jour de l'Assomption, le prince, grand aumônier, fut mandé dans le cabinet du roi. Le cardinal était vêtu, non pas de ses ornements pontificaux, comme l'ont dit certains historiens, et surtout certains romanciers, mais de son habit de céré- monie. La reine était présente, assise près de la table du conseil. Louis XVI adressa brusquement la parole à M. de Rohan. Ce fut un véritable interrogatoire. Le prince atterré répondit en balbutiant. Marie-Antoinette, pâle de colère, gardait le silence, sans même jeter les yeux sur le cardinal. Cependant celui-ci, recourant à un moyen extrême de justification, sortit de sa poche une lettre qu"il disait être de la reine et LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO adressée àmadame de La Motte. Marie-Antoinette fit un mouvement nerveux. Son geste était indigné, ses yeux étincelaient. Le roi prit la lettre, il la parcourut, et la rendant au cardinal : « Monsieur, dit-il, ce n'est ni l'écriture de la reine ni sa signature. Comment un prince de la maison de Rohan, comment le grand aumô- nier de la couronne a-t-il pu croire que la reine signait Marie-Antoinette de France ? Personne n'ignore que les reines ne signent que leur nom de baptême. >> « Le cardinal resta muet. « — Mais expliquez-moi donc toute cette énigme, » dit le roi avec une extrême impatience. « Le cardinal s'appuyait contre la table, il pâlissait, et ne put répondre que ces paroles : <( — Sire, je suis trop troublé pour m'expliquer devant Votre Majesté. » « Le roi reprit avec plus de bienveillance : « — Remettez-vous, Monsieur le cardinal. Passez dans la pièce voisine, vous y trouverez ce qu'il faut pour écrire. Je désire ne pas vous trouver coupable. » « M. de Rohan se retira. Un quart d'heure après il remit au roi un papier où se trouvaient tracées quelques lignes qui, loin de donner des explications claires, jetaient encore plus de confusion dans cette malheureuse aflfaire. « — Retirez-vous, Monsieur, dit le roi d'une voix indignée. « Le cardinal reprit le chemin de la galerie. Comme il traversait la salle des gardes, il vit le baron de Brcteuil qui l'attendait. Il comprit tout. En effet, il fit un signe et M. de Rohan fut arrêté par les gardes du corps. On le conduisit dans son appartement, à la grande aumônerie, située dans le corps du logis du château royal. Là, il trouva le moyen d'écrire à la hâte un billet au crayon destiné à l'abbé Georget, son grand vicaire. L'heiduque du cardinal, coureur aussi rusé que leste, ramassa le billet que son maître lui jeta à la dérobée et s'élança sur la route de Paris. L'abbé Georget, qui logeait à l'hôtel de Rohan, reçut le message, et brûla en toute hâte des papiers importants. « Le lendemain, M. de Rohan était transféré à la Bastille. Le lieutenant de police avait reçu des ordres, et, dansla même journée, la dame de La Motte fut incarcérée. On chercha d'abord inutilement Yillette et le sieur de La Motte. Ils étaient cachés, mais on finit par se saisir de Villette, et on l'écroua. La Motte se sauva en Angle- terre. Restait Cagliostro, qui, tout sorcier qu'il était, ne se doutait de rien au fond de son laboratoire de la rue Saint-Claude. « Le soir même de l'arrestation du cardinal, des agents de la maréchaussée pénétrèrent dans le mystérieux logis de l'alchimiste, malgré le concierge et les gens de la maison. Un officier, l'épre au poing et. suivi de ses gendarmes, se pré- senta tout à coup sur le seuil de la porte où Cagliostro faisait de la chimie. Le hardi aventurier paya d'audace, et se mit, dit-on, sur la défensive, armé d'une lige de fer. (( — Monsieur, dit l'officier, c'est par ordre du roi. J'ai avec moi dix hommesbien armés et qai se moquent des sorciers. Suivez-moi. » (I La partie n'était pas égale ; et toutes les incantations de la magie noire ou blanche se fondaient comme une vapeur devant un ordre si nettement formulé. « Cagliostro suivit l'officier. Un fiacre attendait dans la cour. Il y monta, et, 56 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE escorté de quatre cavaliers, il fut dirigé sur la Bastille, où il fut écroué. C'était à deux pas de la rue Saint-Claude, donnant sur le boulevard du Temple. « Que devint Lorenza? On dit qu'effrayée comme une colombe échappée à un lacet, elle s'enfuit à tire-d'aile et se réfugia en Italie, à Rome, dans sa famille. C'est ce qu'elle aurait dû faire plus tôt, la pauvre femme ! » Tous les accusés furent renvoyés devant la grand 'chambre du parlement. V Retour en arrière. — Aventures et exploits de Cagliostro avant son arrivée à Strasbourg. Puisque la justice met un temps d'arrêt dans la carrière de notre thauma- turge, nous profilerons de cette pause pour jeter un coup d'œil rétrospectif sur quelques-uns de ses exploits antérieurs à l'époque où nous l'avons vu paraître en France, et aussi pour répandre un peu de lumière sur le point de départ de cet homme extraordinaire, qui a voyagé presque autant que le Juif-Errant, et qui certainement a dépensé beaucoup plus d'argent que lui. En cela nous suivrons une marche tracée par .loseph Balsamo lui-même, qui, en rédigeant un mémoire pour sa justification, pendant sa captivité à la Bastille, employa ses loisirs forcés à se fabriquer une origine mystérieuse- ment glorieuse, que nous discuterons, du reste, et des antécédents qui, pour être vrais, n'auront souvent besoin que d'être complétés. Enfin, et ce ne sera pas là le moindre intérêt de cette course en arrière à la suite de Cagliostro, nous aurons occasion de rencontrer sur notre chemin un autre homme extraordinaire, qui l'avait précédé de quelques années dans le même genre de célébrité. Nous voulons parler du fameux comte de Saint-Germain, à qui nous n'avons pas pu, dans cet ouvrage, consacrer un chapitre à part, l'histoire ni la tradition ne fournissant rien d'assez précis sur les œuvres merveilleuses qui ont, durant plusieurs années, rendu son nom si grand dans toutes les cours de l'Europe, et particulièrement à la cour de France. « J'ignore, dit Cagliostro, le lieu qui m'a vu naître et les parents qui m'ont donné le jour... Toutes mes recherches n'ont abouti à cet égard qu'à me donner sur ma naissance des idées grandes à la vérité, mais vagues et incertaines. J'ai passé ma première enfance dans la ville de Médine en Arabie. J'y ai été élevé sous le nom. d'ArAara/, nom que j'ai conservé dans mes voyages d'Afrique et d'Asie. J'étais logé dans le palais du muphti. Je me rappelle parfaitement que j'avais co LES MYSTÈRES DE L.\ SCIENCE autour de moi quatre personnes, un gouverneur, âgé de cinquante-cinq à soixaiite ans, nommé Altolas, et trois domestiques, un blanc et deux noirs; un blanc, qui me servait de valet de chambre, et deux noirs, dont l'un était nuit et jour avec moi. Mon gouverneur m'a toujours dit que j'étais resté orphelin à l'âge de trois mois et que mes parents étaient nobles et chrétiens ; mais il a gardé le silence le plus absolu sur leur nom et sur le lieu de ma naissance. Quelques mots dits au hasard m'ont fait soupçonner que j'étais né à Malte... Altotas se fît un plaisir de cultiver les dispositions que j'annonçais pour les sciences. Je puis dire qu'il les possédait toutes, depuis les plus abstraites jusqu'à celles de pur agrément. La botanique et la physique médicinales furent celles dans lesquelles je fis le plus de progrès... Je portais, ainsi que lui, l'habit musulman ; nous professions, en appa- rence, le mahométisme ; mais la véritable religion était empreinte dans nos cœurs. « Le muphti venait me voir souvent; il me traitait avec bonté, et paraissait avoir beaucoup de considération pour mon gouverneur. Ce dernier m'apprit la plus grande partie des langues de l'Orient. Il me parlait souvent des pyramides d'Égypte : de ces immenses souterrains creusés par les anciens Egyptiens, pour renfermer et défendre contre l'injure des temps le dépôt précieux des connaissances humaines. J'avais atteint ma douzième année... Altotas m'annonce un jour qu'enfin nous allions quitter Médine et commencer nos voyages... Nous arrivâmes à la Mecque, et nous descendîmes dans le palais du chérif. On me fit prendre des habits plus magnifiques que ceux que j'avais portés jusqu'alors. Le troisième jour de mon arrivée, mon gouverneur me présenta au souverain, qui me fit les plus tendres caresses. A l'aspect de ce prince, un bouleversement inexprimable s'em- para de mes sens, mes yeux se remplirent des plus douces larmes que j'aie répan- dues de ma vie. Je fus témoin de l'effort qu'il faisait pour retenir les siennes. Je restai trois années à la Mecque; il ne se passait pas de jour que je ne fusse admis chez le chérif, et chaque jour voyait croître son attachement et ma reconnaissance ; souvent je le surprenais les yeux attachés sur moi, puis les élevant vers le ciel avec toutes les marques de la pitié et de l'attendrissement. J'interrogeais le nègre qui couchait dans mon appartement; mais il était sourd et muet sur toutes les questions que je pouvais lui faire. Une nuit que je le pressais plus vivement que de coutume il me dit que, si jamais je quittais la Mecque, j'étais menacé des plus grands malheurs, que je devais surtout me garder de la ville de Trébizonde... Un jour, je vis entrer le chérif seul dans l'appartement que j'occupais; mon étonne- ment fut extrême de recevoir une semblable faveur; il me serra dans ses bras avec plus de tendresse qu'il n'avait jamais fait, me recommanda de ne jamais cesser d'adorer l'Éternel, m'assura qu'en le servant fidèlement, je finirais par être heureux et connaître mon sort : puis, il me dit, en baignant mon visage de ses larmes : « Adieu, fils infortuné de la Nature... » « Je commençai mes voyages par l'Egypte; je visitai ces fameuses pyramides, qui ne sont, aux yeux des observateurs superficiels, qu'une masse énorme de marbre et de granit. Je fis connaissance avec les minisires de différents temples, qui voulurent bien m'introduire dans les lieux où le commun des voyageurs ne pénétra jamais. Je parcourus ensuite, pendant le cours de trois années, les .principaux royaumes de l'Afrique et de l'Asie. LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO 61 «... J'abordai, en 1766, dans File de Rhodes avec mon gouverneur ci les trois domestiques qui ne m'avaient pas quitté depuis mon enfance. Je m'embarquai sur un vaisseau français qui faisait voile pour Malte. Malgré l'usage qui oblige les vaisseaux venant du Levant à faire leur quarantaine, j'obtins, au bout de deux jours, la permission de débarquer . Le grand maître Pinto me donna, ainsi qu'à mon gouverneur, un logement dans son palais... « La première chose que fit le grand maître, fut de prier le chevalier d'Aquino, de l'illustre maison des princes de Caromanica, de vouloir bien m'accompagner partout, et me faire les honneurs de l'île. « Je pris alors pour la première fois Thabit européen, le nom de comte de Cagliostro, et je ne fus pas peu surpris de voir Altotas revêtu d'un habit ecclésias- tique et décoré de la croix de Malte... Je me rappelle avoir mangé chez M. le baron de Rohan, aujourd'liui grand maître. J'étais loin de prévoir alors que, vingt ans après, je serais arrêté et conduit à la Bastille pour avoir été lionoré de l'amitié d'un prince de même nom. « J'ai tout lieu de penser que le gi^and maître Pinto était instruit de mon origine, lime parla plusieurs fois du chérif et de Trébizonde; mais il ne voulut jamais s'expliquer clairement sur cet objet. Du reste, il me traita toujours avec la plus grande distinction, et m'offrit l'avancement le plus rapide, dans le cas oili je me déterminerais à faire des vœux. Mais mon goût pour les voj'ages et l'ascendant qui me portait à exercer la médecine me firent refuser des offres qui étaient aussi généreuses qu'honorables. « Ce fut dans l'île de Malte que j'eus le malheur de perdre mon meilleur ami, le plus sage, le plus éclairé des mortels, le vénérable Altotas. Quelques moments avant sa mort, il me serra la main : « Mon fils, me dit-il, d'une voix presque éteinte, ayez toujours devant les yeux la crainte de l'Éternel et l'amour de votre prochain ; vous apprendrez bientôt la vérité de tout ce que je vous ai enseigné. » « L'île où je venais de perdre l'ami qui m'avait tenu lieu de père, devint bientôt pour moi un séjour insupportable... Le chevalier d'Aquino voulut bien se charger de m'accompagner dans mes voyages, et de pourvoir à tous mes besoins. Je partis en effet avec lui. Nous visitâmes la Sicile... ; de là, les différentes îles de l'Archipel ; et, après avoir parcouru de nouveau la Méditerranée, nous abordâmes à Naples, patrie du chevalier d'Aquino. Ses affaires ayant exigé de lui des voyages particu- liers, je partis seul pour Rome, avec des lettres de crédit pour le sieur Bellonne, banquier. « Arrivé dans cette capitale du monde chrétien, je résolus de garder Vincognito le plus parfait. Un matin, comme j'étais renfermé chez moi, occupé à me perfec- itonner dans la langue italienne, mon valet de chambre m'annonça la visite du ecrétaire du cardinal Orsini. Ce secrétaire était chargé de me prier d'aller voir Son. Éminence ; je m'y rendis en effet. Le cardinal me fit toutes les politesses imagi- nables, m'invita plusieurs fois à manger chez lui, et me fit connaître la plupart des cardinaux et princes romains, et notamment le cardinal d'York, et le cardinal Ganganelli, depuis pape sous le nom de Clément XIV. Le pape Rezzonico, qui occupait alors la chaire de Saint-Pierre, ayant désiré de me connaître, j'eus plu- sieurs fois l'honneur d'être admis à des conférences particulières avec Sa Saintetés 62 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE « J'étais alors (1770) dans ma vingt-deuxième année. Le hasard me procura la connaissance d'une demoiselle de qualité nommée Séraphina Félichiani. Elle était à peine au sortir de l'enfance; ses charmes naissants allumèrent dans mon cœur une passion que seize années de mariage n'ont fait que fortifier... « Je n'entrerai pas dans le détail des voyages que j'ai faits aans tous les royaumes de l'Europe, je me contenterai de citer les personnes de qui j'ai été connu. La plupart vivent encore... Qu'elles disent si, en tout temps et en tous lieux, j'ai fait autre chose que guérir gratuitement les malades et soulager les pauvres... <( J observerai que, voulant n'être pas connu, il m'est arrivé de voyager sous difi'érents noms. Je me suis appelé successivement le comte Harat, le comte Fenice, le marquis d'Anna... » Joseph Balsamo borne là celte liste, comme s'il avait otiblié les autres noms qu'il a portés ; et par une omission beaucoup plus grave, puisqu'elle tendrait à nous frustrer des pages les plus brillantes et les plus authentiques de son étrange odyssée, il arrive de plein saut dans la capitale de l'Alsace, où nous l'avons pris au commencement de ce récit. Nous avons donc à raconter, à sa place, ce qu'il fit de plus prodigieux en Europe avant son entrée à Strasbourg. Mais, d'abord, revenons un moment sur ce qu'il dit de son origine et de ses premières aventures. A la manière dont il accuse son ignorance relativement à ses parents, on voit qu'il paraît craindre d'être cru sur parole, et serait bien aise de faire penser qu'il en sait plus qu'il n'en veut dire. Une certaine affectation de mystères et de réticences discrètes, quelques noms placés avec art dans son récit, ont pour but manifeste d'insinuer qu'il est fils d'un grand maître de l'ordre de Malte et de la princesse de Trébizonde. Quelques écrivains naïfs lui ont, en effet, accordé cette ilustre parenté. Mais des recherches très minutieuses auxquelles l'Inquisition de Rome se livra, pendant l'ins- truction de son procès, il résulte authentiquement qu'il était né à Palerme, ii 8 juin 1743, de Pierre Balsamo et Félicia Braconieri, honnêtes mar- chands, très bons catholiques, et veillantavec un soin particulier à l'éducation de leurs enfants. Celui qui venait de leur naître fut baptisé sous le nom de Joseph. Les heureuses dispositions qu'il montra de bonne heure ayant fait juger qu'il pourrait aller loin dans les lettres et dans les sciences, on le plaça au séminaire de Saint-Roch, de Palerme, d'après l'avis de deux de ses oncles maternels, qui voulurent contribuer aux frais de ses études. Mais, chez le jeune Balsamo, l'esprit d'indépendance et d'aventure était aussi précoce que l'intelligence. Plusieurs fois il s'enfuit du séminaire, où sa conduite LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 63 indiseiplinée lui allirait de trop fréquentes corrections. On le rattrapa, un jour, au milieu d'une bande de petits vagabonds. Joseph avait alors treize ans, il devenait urgent de prendre un parti à son égard. On le confia, sous bonne et sévère recommandation, au père général des Bo?ifralel/.i, qui se trouvait alors de passage à Palerme, et qui l'emmena avec lui dans le couvent de cet ordre, aux environs de Cartagirone, en annonçant qu'il répondait de le faire moine. Arrivé dans le couvent, .Joseph Balsamo endossa, en effet, l'habit de •novice ; cequilui était plus facile que d'en prendre l'esprit. Ayant été remis à la garde de l'apothicaire du couvent, il parut s'accommoder de ses relations avec ce frère, et apprit de lui, comme il le dit lui-même, les principes de la chimie et de la médecine. Il profita si bien des leçons de ce maître, qu'en peu de temps il se trouva en état de manipuler les drogues avec une étonnante sagacité. Mais on remarquait que ses instincts le portaient à chercher surtout, dans ces premiers éléments de la science, les secrets qui peuvent le mieux servir et seconder le charlatanisme. line tarda pas, d'ailleurs, à donner, encore dans cette maison, de nou- velles marques de son caractère vicieux, et il dut souvent être corrigé. Un jour, étant chargé, au réfectoire, de faire la lecture d'usage pendant le repas, l'effronté novice se mit à lire, non ce qui était dans le livre, mais tout ce que lui suggérait son imagination pervertie. Dans sa Iscture il substituait aux noms des saints du martyrologe ceux des plus fameuses courtisanes. Un tel scandale ne pouvait être expié que par une rude pénitence. Elle fut ordonnée, mais Balsamo y échappa en sautant par-dessus les murs du couvent. Après avoir couru la campagne pendant quelques jours, le novice éman- cipé prit le chemin de sa ville natale. Dès son retour à Palerme, sa vie fut libre et môme tout à fait licencieuse. Il s'adonna quelque temps 3u dessin et à l'escrime, mais il y fit moins de progrès que dans l'art de l'escamotage et de la ventriloquie. Il essaya ses premiers coups en ce genre, d'abord sur un de ses oncles, puis sur un notaire, enfin sur un religieux. On dit qu'il avait déjà eu quelques démêlés sérieux avec les gens de loi, quand l'affaire Marano, dont nous avons raconté les détails au début de cette histoire, le brouilla tout à fait avec la justice. Forcé de quitter Palerme, Joseph Balsamo s'embarque sur une tartane qui fait voile pour Messine. Arrivé dans cette grande ville, il se souvient qu'il y a une vieille tante, nommée Vincente Cagliostro, laquelle passe pour posséder d'assez belles économies. Il se met à sa recherche ; mais la bonne dame était morte depuis quinze jours, ayant donné la meilleure part de son bien aux égUscs de Messine et distribué le reste aux pauvres. 84 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE En bon neveu, Balsamo paya à la mémoire de cette tante trop chrétienne un juste tribut de regrets. Mais voulant hériter d'elle en quelque chose, il lui prit son nom, et, allongeant ce nom d'un titre de noblesse, il se fit appeler le comte Alexandre Cagliostro. Notre nouveau gentilhomme allait, venait dans Messine, cherchant quelque bonne aventure. Un jour, comme il se promenait, tout rêveur, près du môle, à l'extrémité du port, il fit la rencontre d'un personnage qui paraissait âgé de cinquante ans, et dont la figure et tout l'extérieur offraient quelque chose de fort étrange. Le type n'était proprement ni grec ni espa- gnol, mais il semblait combiner ces deux origines. Le costume, à quelques détails près, était celui d'un Arménien. Aux premières paroles que les deux promeneurs échangèrent, Balsamo, qui n'était pourtant pas un esprit timide, se sentit dominé par l'ascendant de cet étranger. C'est qu'il se trouvait en présence du fameux Altotas, de ce génie universel, presque divin, dont il nous a parlé avec tant de respect et d'admiration. Cet Altotas n'est pas, d'ailleurs, un personnage imaginaire. L'Inquisition de Rome a recueilli maintes preuves de son existence, sans avoir pu, cepen- dant, découvrir où elle a commencé ni où elle a fini; car Altotas disparaît, ou plutôt s'évanouit comme un météore, après sa rencontre avec Balsamo. Médecin, chimiste, magicien, Altotas, d'après quelques opérations qu'on lui attribue, doit avoir été plus versé dans certaines parties des sciences naturelles qu'on ne l'était communément à son époque, surtout dans les pays où il a voyagé. En acceptant Joseph Balsamo pour son disciple, il pouvait donc, sans vanité, se croire très capable de compléter une instruction scien- tifique déjà heureusement ébauchée par le frère apothicaire du couvent de Cartagirone. Gomme magicien ou devin, Altotas donna sur-le-champ au jeune Balsamo une étonnante preuve de sa science. Il lui montra qu'il était instruit de tous ses antécédents, y compris le dernier, en le saluant du titre de gentilhommer A celle preuve il en ajouta bientôt une autre, d'un caractère moins railleu. et d'une utilité plus positive. La promenade s'étant prolongée, ils arrivèrent, de rue en rue, jusqu'à une petite place ombragée de sycomores, et au centre de laquelle jaillissait une jolie fontaine. Là, son compagnon l'arrêtant : « Monsieur, dit-il, voici la maison que j'habite. .le n'y reçois personne ; mais, comme vous êtes voyageur, jeune et gentilhomme (il persévérait dans sa raillerie), comme d'ailleurs vous êtes animé de la noble passion des sciences, je vous autorise à venir me voir. Je serai visible pour vous demain, à II. RENCONTRE d'aLTOTAS ET PE JOSEPH BALSAMO SUR LE QUAI DE MESSINE (p. 67) 9 LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO Ô7 onze heures et demie de la nuit. Vous frapperez deux coups à ce marteau (il lui désignait la porte d'une maison petite et basse), puis trois autres coups lentement. On vous ouvrira. Adieu. Hâtez-vous de rentrer à votre auberge. Un Piémontais cherche à vous voler, dans ce moment-ci, les trente-sept onces d'or que vous avez enfermées dans une valise, contenue elle-même dansuna armoire, dont vous avez la clef dans votre poche droite. Votre serviteur. » Cagliostro, c'est ainsi que nous le nommerons désormais, courut à son hôtellerie, et surprit, en effet, un Piémontais, son voisin de chambre, occupé à crocheler la serrure de l'armoire où était enfermé le reste des soixante onces d'or escroquées à Marano. En propriétaire légitime et indigné, il saisit son larron et le livra à la maréchaussée. Le lendemain, entre onze heures du soir et minuit, le jeune homme fut reçu dans le laboratoire d'Altotas. C'était une vaste pièce, pourvue de tout l'étrange mobilier d'un alchimiste. Là, une courte conversation entre le savant et celui qui aspirait à devenir son disciple, se termina par cette sorte d'examen : ÂLTOTAS. Comment fait-on le pain ? Cagliostro. Avec de la farine. Altotas. Et le vin ? Cagliostro. Avec du raisin. Altotas. Comment fait-on l'or ? Cagliostro. J'allais vous le demander. — Nous résoudrons le problème une autre fois, dit Altotas. Mon projet est de partir pour le Caire. Jeune homme, voulez-vous me suivre ? — Si je le veux ! » s'écria Cagliostro avec transport. Et, sans plus de délibération, le départ fut fixé au surlendemain. Un bâtiment génois, qui allait mettre à la voile pour le Levant, prit nos deux voyageurs à son bord. Pendant la traversée, ils aimaient à causer à l'écart sur le pont. Dans ces entretiens, Cagliostro, malgré son respect pour son mentor, cherchait souvent à le sonder, et employait mille détours adroits pour arriver à connaître l'histoire d'un homme qui connais- sait si bien la sienne. Altotas, las d'avoir toujours à déjouer la même stratégie, lui déclara, une fois pour toutes, qu'il ne savait rien lui-même sur sa naissance. « Cela vous surprend, mon fils, lui dit-il, mais la science qui peut nous renseigner sur autrui, est presque toujours impuissante à lous révéler ce que nous sommes nous-même. » Puis, lui ayant raconté ce que ses sou- venirs lui rappelaient relativement aux premières années de sa vie, et quelques-uns des événements de sa carrière aventureuse, il s'arrêta et lui dit: 68 LES MYSTERES DE LA SCIENCE « Je borne là mes confidences pour aujourd'hui. Un jour, si vous êtes digne de ma confiance, je vous révélerai ma vie tout entière. Je suis vieux, beaucoup plus vieux que vous ne pensez et que je parais l'être; mais je connais certains secrets pour conserver la vigueur et la santé. J'ai trouvé des procédés scientifiques qui produisent de l'or et des pierres précieuses ; je sais dix ou douze langues ; je n'ignore à peu près rien de ce qui compose la somme des connaissances humaines ; rien ne m'étonne, rien ne m'afflige, si ce n'est le mal que je ne puis empêcher, et j'espère arriver avec calme au terme de ma longue existence. Quant à mon nom, il faut bien que vous le sachiez, si toutefois mes voisins à Messine ne vous l'ont pas appris : je me nomme Altotas. Oui, ce nom est bien à moi, je l'ai choisi entre mille, et je me le suis donné en toute propriété. Gela dit, mon jeune compagnon, allons prendre du café ; voilà le soleil qui se lève sur la mer, et l'île de Malte qui montre au loin son blanc rocher, couronné de bastions. » Cagliostro, malgré ses affirmations, ne voyagea jamais, en compagnie d' Altotas, dans l'Afrique proprement dite, ni probablement en Asie. Il est du moins fort douteux qu'il ait visité l'Arabie, et ce serait, dans tous les cas, le dernier terme de ses courses hors de l'Europe et de l'Égypte. Mais il est constant, d'après la relation de la procédure de l'Inquisition, qu'ils parcourut, avec Altotas, outre l'Égypte, différentes îles de l'Archipel et les côtes de la Grèce. Débarqués tous deux à Alexandrie, ils y demeurèrent quarante jours, qui furent très bien employés pour leurs finances. Grâce à des opérations chimiques dont Altotas avait le secret, ils fabriquaient, avec du chanvre pour matière première, des étoffes qui imitaient l'or. Les résultats qu'ils obtenaient étaient si merveilleux, que les industriels du pays se présentèrent en foule, pour acheter leurs procédés. Il est bien permis de croire qu'au milieu de ces excellentes affaires, nos deux philosophes oublièrent de visiter les pyramides, les hypogées, les ruines de Memphis, l'Éléphantine, les temples d'Athor et de Luxor, et qu'ils ne remontèrent point jusqu'aux cataractes du Nil. Le caractère industriel de leur voyage est bien établi, tandis que son caractère scienti- fique n'a pour garant que le récit, fort suspect, de Cagliostro. Dans l'île de Rhodes, où ils se rendirent, en quittant Alexandrie, ils réalisèrent encore des profits considérables, par les mêmes opérations de chimie industrielle. Delà ils voulurent repasser en Égypte, pour exploiter le Caire, qui était compris, comme on l'a vu, dans l'itinéraire d' Altotas; mais des vents contraires poussèrent leur bâtiment vers Malte. LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 69 Débarqués dans cette île, ils se firent présenter au grand maître Pinlo, qui devait être pour eux une mine d'un riche produit. Le chef suprême de la chevalerie de Malte était un personnage dans le genre du cardinal de Rohan. Entiché de chimie, comme beaucoup de grands seigneurs de cette époque, il n'avait que des connaissances très bornées dans cette science; mais, en revanche, sa disposition d'esprit le portait à tout croire en fait de merveilleux. Pinto n'eut donc rien de plus pressé que de livrer son laboratoire aux deux étrangers, qui se mirent à travailler avec un impénétrable mystère. Tout ce qu'on sait de leurs opérations, c'est qu'elles coûtèrent des sommes énormes au grand maître de Malte. Si le résultat ne le paya pas de ses avances, la cause en est peut-être dans la subite disparition d'Altotas. C'est en effet dans cette île de Malte, comme le rapporte Gagliostro, qu'il plut au grand magicien de se rendre définitivement invisible aux yeux des mortels. Pinto prouva, néanmoins, qu'il ne gardait pas rancune de ce qui s'était passé dans son laboratoire ; car, au moment où Gagliostro prit congé de lui pour se rendre à Naples, il le recommanda très chaleureusement à un jeune chevalier de Malte qui s'embarquait avec lui, pour la même destination. Grâce aux bons offices du chevalier d'Aquino, de l'illustre maison de Gara- manica, et aussi à l'argent dont il se trouvait alors abondamment pourvu, Gagliostro fit à Naples une certaine figure, et put trouver accès auprès de plusieurs grands personnages. Dans cette ville était alors un prince sicilien. La liaison qu'il noua avec ce compatriote, rappela soudain à Gagliostro les souvenirs de son pays natal. Le prince était précisément atteint de l'épidémie régnante : comme Pinto, il avait soif de l'or chimique. Gagliostro sut tellement le charmer par ses savantes théories, que son riche compagnon lui proposa de l'emmener avec lui, pour en faire l'application, dans un château qu'il possédait en Sicile. Gagliostro s'y laissa conduire, oubliant qu'une fois en Sicile il allait se trouver bien près de Palerme et peut-être de l'homme aux soixante onces d'or, l'implacable Marano, qui n'avait pas renoncé à sa vengeance. Une ancienne connaissance qu'il rencontra le rappela bientôt au sentiment de ce péril. G'était un des mauvais sujets qui avaient joué le rôle de ces malins diables dont le bâton avait laissé des traces si cuisantes sur le dos de' l'orfèvre. Sans être savant, quoique prêtre défroqué, ce vaurien avait aussi son procédé pour faire de l'or, et il proposa à Gagliostro de l'exploiter avec lui. Il s'agissait d'aller établir à Naples une maison de jeu, qui serait ouverte auxnombreuxétrangersvoyageant en Italie. Gagliostro, ayant accepté, prit congé de son prince, qui en était pour quelques frais avec lui, et qui 70 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE n'avait pas même eu le temps de l'appréciei' à sa véritable valeur. Dans un des premiers villages napolitains où les deux compagnons descendirent, ils eurent déjà une mauvaise aveuture. Des carabiniers royaux les arrêtèrent, comme gravement soupçonnés de l'enlèvement d'une femme. Toutes les perquisitions auxquelles on se livra dans leur hôtel, n'ayant pas abouti à faire retrouver la femme désignée, on les relâcha ; mais la police garda de cet incident une impression défavorable, dont Cagliostro s'aperçut bien. Il résolut de gagner les États romains, parti fort prudent, qui eut d'abord l'avantage de le débarrasser de son compagnon, celui-ci s'étant souvenu de son ancienne tonsure, et de quelques antécédents qui lui faisaient redouter le voisinage du saint-office. A Rome, Cagliostro débuta par une conduite des plus édifiantes. On le vit fréquenter les églises, remplir ses devoirs de religion, hanter les palais des cardinaux. Informé des rapports qu'il avait eus avec le grand-maître de la chevalerie de Malte, le bailli de Breteuil, alors ambassadeur de l'ordre de Malte près le saint-siège, l'accueillit avec faveur, et lui procura d'autres relations honorables. C'est ainsi qu'en peu de temps, Cagliostro se fit dans la haute société romaine et étrangère une riche clientèle, à laquelle il débi- lait gratis des histoires merveilleuses et, moyennant de bons ducats, des spécifiques pour tous les maux. Il jouissait avec modération de la fortune qui lui arrivait, et s'il ne pouvait pas vivre sans un certain luxe, du moins ne se permettait-il que des plaisirs décents. Ce fut à cette époque que, passant un soir sur la place de la Trinité-des- Pélerins, devant le magasin d'un fondeur de bronze, Cagliostro vit une charmante jeune fille, qui prenait le frais au rez-de-chaussée de cette maison. Lorenza ou Seraphita Feliciani fit sur lui une telle impression que, deux jours après, il la demandait en mariage à ses parents. Sa fortune appa- rente, son titre aristocratique et les belles relations qu'il avait dans la société romaine, le représentaient comme un excellent parti aux yeux de Feli- ciani. Il fut donc agréé, et, après la célébration du mariage, les époux demeurèrent dans la maison du beau-père. On pourrait croire qu'arrivé à ce point, ayant acquis une situation hono- rable et aisée, notre aventurier songea à mettre un terme à sa vie vagabonde et à se ranger définitivement. Il n'en fit rien. Le témoignage de tous les biographes, amis ou ennemis de Cagliostro, est unanime pour affirmer que Lorenza ou Seraphita Feliciani n'était pas seu- lement jeune et belle, mais encore riche de toutes les qualités du cœur, tendre, dévouée, honnête et modeste, comme les parents qui l'avaient élevée, en un mot, une femme véritablement faite pour le bonheur domestique. LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 7i Quelles durent être sa douleur et sa honte, quand son mari, dans leurs entre- tiens intimes, se mit à la railler sur ses principes de vertu, et à lui représenter le déshonneur d'une femme comme un moyen de fortune, sur lequel on devait pouvoir compter dans l'association conjugale! Lorenza, épouvantée de l'aveu de pareils sentiments, s'en plaignit à sa mère, qui fit une esclandre et courut conter cette infamie cà son mari. Ce dernier entra en fureur à son tour, et mit Cagliostro à la porte de sa mai- son. Mais Lorenza, par tendresse ou par devoir, ne voulut point séparer son sort de celui de son époux. La maison qu'ils allèrent habiter fut bientôt ouverte aux chevaliers d'in- dustrie, si nombreux dans la sainte ville de Rome. Cagliostro devint pour quelque temps l'associé de deux de ces hommes. L'un, qui s'appelait, Ottavio Nicastro, fut pendu plus tard ; l'autre, qui se faisait appeler le marquis d'Agliata, contrefaisait les écritures avec une perfection extraordinaire. Comme ce dernier semait l'or et l'argent à pleines mains, on le soupçonnait de battre monnaie avec son art. Si Cagliostro ne reçut jamais d'argent pro- venant d'une pareille source, il en tira du moins plusieurs brevets d'officier supérieur, que d'Agliata s'amusait à composer pour s'entretenir la main, quand il n'avait pas un meilleur emploi de son temps. Mais la mésintelligence se mit dans cette association. Nicastro, qui croyait avoir à se plaindre de ses complices, les dénonça à la police ponti- ficale. Averti à temps, le marquis d'Agliata partit de Rome, emmenant Cagliostro et sa femme, pour les beaux yeux de Lorenza. Les fugitifs avaient pris la route de Venise par Lorette. Ils ne s'arrêtèrent qu'à Bergame, et comme ils s'y livraient à des opérations moins légales que lucratives, l'autorité, qui avait reçu des renseignements sur eux, donna ordre de les arrêter. D'Agliata, toujours sur le qui-vive, eut encore le temps de fuir; mais il ne sauva que lui cette fois : Cagliostro et Lorenza furent mis en prison. Cependant l'instruction n'ayant rien pu établir contre eux, au bout de quelques jours on leur rendit la liberté, avec injonction de quitter la ville sur-le-champ. Cette mesure était plus dure pour eux que la détention, car, d'Agliata ayant emporté la caisse, les deux époux se trouvaient dans le plus complet dénùment. Dans celte situation, il leur vint l'idée d'entreprendre un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Ayant traversé les États du roi de Sardaigne sous l'habit de pèlerins, ils arrivèrent à Antibes, et de là purent gagner l'Espagne et arriver à Barcelone. Tous leurs moyens d'existence, pendant ce long voyage, furent les secours, qu'à l'aide de belles paroles, ils savaient obtenir du clergé et des communautés. 72 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Ils firent un séjour de six mois dans la capitale de la Catalogne. L'argent leur manquant pour vivre, voici l'expédient dont s'avisa Cagliostro. Il y avait, dans le voisinage de leur auberge, une église qui ai)partenait à des religieux. Lorenza ayant reçu les instructions de son mari, alla se con- fesser dans cette église, et fit croire à son confesseur qu'elle et son époux appartenaient tous deux à une illustre maison de Rome, qu'ils avaient con- tracté un mariage clandestin, et que, l'argent qu'ils attendaient manquant, ils se trouvaient un peu gênés. Le bon religieux la crut, et lui donna un peu d'argent. Le lendemain, il leur envoya un jambon en présent. Étant allé ensuite les visiter, il les salua en leur donnant le titre d'Excellences. Tout allait pour le mieux, lorsque le curé de ce lieu ayant conçu des soupçons, leur demanda leur contrat de mariage, qu'ils n'avaient point avec eux. Dans cet embarras, Cagliostro songea à recourir à la protection d'un personnage de qualité, et lui détacha sa femme. « Jeune, dit l'historien de l'Inquisition, d'une taille médiocre, blanche de peau, brune de cheveux, le visage rond, d'un juste embonpoint, les yeux brillants, d'une physio- nomie douce, sensible et flatteuse, elle pouvait exciter une passion. » C'est aussi ce qui arriva dans celte occasion, et dans beaucoup d'autres semblables. Donc, grâce à Lorenza, devenue de plus en plus docile à la morale de son mari, cette affaire s'arrangea très bien. Le grand seigneur se chargea de faire venir de Rome le contrat de mariage, et en attendant, il défraya les deux époux de leur long séjour à Barcelone. A Madrid et à Lisbonne, Cagliostro eut les mêmes succès, par les mêmes moyens. Dans cette dernière ville, ayant appris un peu d'anglais auprès d'une demoiselle à laquelle il donnait, dit-on, d'autres leçons, il se crut en état de passer à Londres. Arrivés dans cette ville, les deux époux se lièrent avec plusieurs quakers, et avec un Sicilien qui se faisait appeler le marquis de Virona. Un de ces quakers sentit l'austérité de sa secte se fondre au feu des beaux /eux de Lorenza. Sans céder à ses obsessions, Lorenza en fit la confidence à son mari ; et tous deux, de concert avec Virona, arrêtèrent qu'elle don- nerait au quaker un rendez-vous secret, bien résolus à lui faire payer chère- ment des plaisirs dont il n'aurait eu que l'espérance. A l'heure indiquée, le quaker ne ma,nqua pas de se rendre à l'invitation de la dame. Dans ce tête- à-tête, le dialogue s'échauffa, et devint si vif, dit l'historien de l'Inquisition, u que le quaker, en nage, ôta son chapeau, sa perruque et son habit ». Mais, au signal convenu, paraissent subitement, dans la chambre, Cagliostro et Virona, qui se saisissent de leur homme, et c'est par grâce ç.u'il obtient la FACHEUSE AVSNTURE d'uN QUAKER ET lE LORENZA FELICIAKI (p. 70) 10 LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 75 permission de sortir, moyennant cent livres sterling, que les fripons se partagèrent. Notre aventurier faisait pourtant d'assez mauvaises affaires à Londres. Sa femme était sa principale ressource. Peu de temps après l'aventure du quaker, il fut mis en prison, pour dette du loyer de sa maison. Heureuse- ment, Lorenza avait eu l'occasion, en fréquentant la chapelle catholique de Bavière, d'y faire la connaissance d'un honnête Anglais. Elle lui exposa si bien la situation de son mari, que le digne homme donna la somme néces- saire pour payer la dette. Cagliostro une fois libre, les deux époux ne songèrent qu'à quitter Londres, pour se rendre à Paris, vers lequel leur instinct les poussait. A Douvres, ils se lièrent avec un Français, nommé Duplaisir, qui offrit de leur payer le voyage. La proposition fut bien vite acceptée. C'est de Cagliostro qu'on tient ce détail, que le voyage se fît par la poste, et que M. Duplaisir allait en carrosse avec la femme, tandis que le mari les escor- tait à cheval. ■ Une liaison si agréablement inaugurée ne pouvait pas cesser au bout de quelques jours. M. Duplaisir défraya longtemps le ménage à Paris ; il ne se rebuta que devant les exigences toujours croissantes de Cagliostro, aux- quelles sa fortune, qui n'était pas considérable, n'aurait pu suffire. On dit qu'avant la rupture, M. Duplaisir eut avec Lorenza un dernier entretien, dans lequel il lui conseilla de retourner en Italie, chez ses parents, ou du moins, si elle voulait continuer la même vie, de la faire pour son propre compte. 11 est certain qu'un jour Lorenza abandonna à l'improviste la maison de son mari, pour aller en occuper une autre, que Duplaisir lui avait louée. Mais Cagliostro eut recours à l'autorité du roi. Il obtint un ordre de faire arrêter sa femme et de l'enfermer à Sainte-Pélagie, où elle resta plusieurs mois. La réconciliation eut lieu, et à ce qu'il paraît, sans rancune de part ni d'autre. Plus tard, quand Cagliostro, grandi par la renommée et par la fortune, reviendra à Paris, et paraîtra dans un somptueux équipage, il essayera de nier ce premier séjour dans notre capitale, et cette histoire de Sainte-Pélagie. Il sou'iendra que sa femme, à qui il avait fait prendre le prénom de Séraphina, n'avait rien de commun avec Lorenza Feliciani, qui avait été enfermée à Sainte-Pélagie, ni lui, comte de Cagliostro, avec l'em- pirique auquel on avait défendu, à cette époque, de continuer ses opérations. Mais certains documents judiciaires, d'une authenticité irréfragable, appuie- ront sur ce point les souvenirs de ses ennemis. Il est intéressant de savoir, en effet, que, dans le temps où Lorenza fut incarcérée, on dressa, au tribunal 76 LES MYSTERES DE LA SCIENCE de police, des actes qui se trouvent imprimés dans un opuscule ayant pour tilre : Ma correspondance avec le comte de Cagliostro. On y trouve, entre autres, la déposition de Duplaisir, qui déclare que, bien que Balsamo et sa femme eussent vécu pendant trois mois à ses dépens, ils avaient encore contracté environ deux cents écus de dettes, pour des modes, pour le perruquier et un maître de danse nommé Lyonnais. Ce maître de danse ayant donné un bal à ses écoliers, le lundi 21 décembre 1772, Balsamo, à celte occasion, escroqua à plusiers fripiers des habits magnifiques, et parut au bal avec sa femme dans le plus brillant costume. Peu de temps après cette soirée, Cagliostro quitta Paris, plus ou moins volontairement. Il gagna Bruxelles, et, ayant traversé l'Allemagne et l'Italie, il osa encore se montrer à Palerme. Il faillit cette fois, être victime de sa témérité. Marano, qu'il venait, en quel- que sorte, braver, le fit arrêter, et voulait absolument le faire pendre ; mais la protection d'un seigneur, pour lequel il s'était fait donner, en passant à Naples, des recommandation très pressantes, tira notre aventurier de ce péril. Il s'embarque alors avec sa femme pour Malte, revient à Naples, où il professe pendant plusieurs mois la cabale, concurremment avec la chimie, et fait beaucoup d'adeptes. De là, il se rend à Marseille, et il y trouve deux fort bonnes pratiques. Il y avait dans cette ville une dame qni, malgré son âge respectable, n'avait pasencore tout a fait renoncé à la galanterie. Cagliostro eut occasion de se lier avec elle, et en peu de temps, la dame devint éprise de lui. Il reçut d'elle beaucoup de présents, tant en argent qu'en effets. Cependant ce n'était pas tout ce que cette bonne fortune devait lui rapporter. La dame avait eu dans sa jeunesse un amant qui vivait encore, mais c'était tout ce dont il était capable : le bonhomme se trouvait tout juste encore assez de forces pour être jaloux. Comme il était fort riche, elle désirait le ménager et même l'attacher, par la reconnaissance, à un rival qui était dans toute la vigueur de l'âge. Elle fît part à ce dernier d'un moyen qu'elle avait imaginé dans ce but. Cagliostro l'approuva, et comme le galant décrépit avait déjà la manie de chercher la pierre philosophale, notre aventurier n'eut pas grand'peine à lui persuader qu'il pouvait le rajeunir. Avec son étalage ordinaire de chimie, et quelques opérations d'alambic prestement exécutées, Cagliostro sut l'amuser par la promesse de lui fabriquer de l'or. En attendant, il tirait toujours de lui de bonnes sommes, sous prétexte d'acheter les ingrédients nécessaires à l'œuvre de la transmutation métal- lique. De celte manière, tout le monde était content. La dame et les deux amants vécurent plusieurs mois dans le plus touchant accord. LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 77 Cependant, le temps approchait où les espérances du vieillard concernant la fabrication de l'or, devaient être comblées. Cagliostro vint un jour lui dire qu'il était obligé de faire un voyage, pour chercher une certaine herbe qu\ lui manquait, et sans laquelle il ne pouvait accomplir le grand œuvre. En même temps, il faisait croire à la dame qu'il était obligé de se rendre à Rome en toute hâte, par suite d'une maladie subite de son beau-père. 11 reçut de l'un une bonne voiture de voyage, et de tous deux une bourse bien fournie d'argent. Il partit avec le tout, non pour Rome, mais pour l'Espagne. La voilure fut vendue à Barcelone. Cagliostro et Lorenza passent successivement à Valence, à Alicante et à Cadix. Dans cette dernière ville, ils rencontrent un autre fanatique de chimie, par lequel ils se font remettre nne lettre de change de mille écus, sous le prétexte ordinaire de se procurer des herbes et autres ingrédients nécessaires pour réaliser le grand œuvre. Après ce nouveau coup, ils s'embarquent pour l'Angleterre. A peine de retour à Londres, Cagliostro fit rencontre d'une vieille An- glaise, nommée madame Fry, et d'un certain Scott, qui se livraient à des combinaisons pour gagner à la loterie, et à qui leur manie avait déjà coûté de fortes sommes. Quels bons clients pour lui ! Il leur persuada qu'il arri- vait, par des calculs astronomiques, à la connaissance des bons numéros. Seulement, ces calculs coûtaient cher à établir, et les incantations néces- saires pour attirer les numéros indiqués, coûtaient plus cher encore. Du reste, le résultat était infaillible. CagUostro parlait avec tant d'assurance que nos joueurs le crurent, et mirent sur-le-champ à sa disposition la somme qu'il exigeait pour ses opérations cabalistiques. Il advint, par un hasard heureux, que quelques-uns des numéros choisis et influencés par l'enchanteur, firent gagner à madame Fry un lot de cin- quante mille francs. Le tour de faveur de M. Scott n'était pas encore venu , mais après ce premier succès, qui pouvait douter qu'il n'arrivât, lorsque les calculs astronomiques relatifs à son jeu seraient terminés ? Il ne s'agissait que de persévérer. Le naïf bourgeois persévéra ; il persévéra longuement. Quant à madame Fry, elle ne quittait plus Cagliostro ; elle l'accablait égale- ment et de ses obsessions et de ses témoignages de reconnaissance. Mais Cagliostro la désespérait par son obstination à refuser tous ses cadeaux, n lui déclara enfin que, si elle voulait absolument faire de nouveaux sacri- fices, il valait mieux les consacrer à l'accomplissement d'une grande opération chimique des plus fructueuses, c'est-à-dire à la niultiplication des diamanta et de l'or enfouis dans le sein de la terre. 78 LES MYSTERES DE LA SCIENCE Séduite par les promesses de Gagliostro, madame Fry acheta im magni- fique collier de diamants et une superbe boite d'or. Les cinquante mille francs gagnés à la loterie lui suffisaient à peine à cette acquisition , mais elle ne marchanda pas. Ayant passé les brillants au cou de Lorenza, la vieille An- glaise glissa la boîte dans la poche de la veste de M. le comte, et attendit l'événement, qui devait s'accomplir d'après le programme suivant : La boîte et les diamants seraient enfouis dans de la terre végétale, et y demeureraient pendant un certain temps. Là, les diamants devaient se gonfler et se ramollir. Alors, au moyen d'une certaine poudre consolidante, le savant alchimiste les durcirait de nouveau, et en raison de leur grosseur augmentée, et de leur poids proportionnel à leur grosseur, ils auraient gagné au centuple. La boîte d'or elle-même, objet assurément fort accessoire, devait prendre des proportions quadruples et peser en conséquence. Cette œuvre merveilleuse de la nature se fît trop attendre. Madame Fry perdit patience, probablement parce qu'elle comprenait enfîn qu'elle a\^ait perdu ses diamants. Scott, de son côté, las de nourrir des numéros de loterie rebelles à tous les calculs et à tous les charmes, se joignit à elle pour déférer Gagliostro à la justice. Sur leur dénonciation, il fut emprisonné; mais les actes de cette cause dressés à Londres portent que ses accusateurs ne pouvant produire aucun témoin des remises d'argent qu'ils lui avaient faites, Gagliostro nia effronté- ment avoir rien reçu et se tira d'affaire par le serment dérisoire'. Du reste, il prétendit, devant ses juges, connaître la cabale, et il couronna sa défense en proposant de deviner le premier numéro qui devait sortir à la loterie l'année suivante. Arrêlons-nous à ce moment de l'histoire de notre aventurier, car une véritable révolution va maintenant s'accomplir dans son être et dans son existence. G'est, en effet, pendant ce second séjour à Londres, que le char- latan vulgaire disparaît tout à coup, et fait place au personnage qui va figurer non sans éclat sur la scène du monde. Ici finit le faiseur de dupes et commence l'homme extraordinaire. Son langage, son maintien et ses manières, tout a changé chez lui. Ses discours ne roulent que sur ses voyages en Égypte, à la Mecque, et dans d'autres contrées lointaines, sur les sciences auxquelles il a été initié au pied des Pyramides, sur les secrets de la nature que son génie a pénétrés. Toutefois, il parle peu, et le plus 1. Ces actes sout reproduits d'après l'auteur de la Vie de Balsamo, extraite de sa procédure, dans l'opuscale que nous avons déjà cité et qui a pour titre : Ma correspondance avec le comte de Gagliostro. LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 79 souvent il se renferme dans un mystérieux silence. Quand on l'interroge avec des prières réitérées, il daigne tout au plus consentir à tracer son chiffre, figuré par un serpent qui a une pomme à la bouche, et qui est percé d'une flèche : c'est l'indice que la sagesse humaine doit se taire sur tous les mystères qu'elle a pénétrés. Cette transformation morale qui s'accomplit chez Cagliostro pendant son séjour à Londres, coïncide avec son affiliation à la franc-maçonnerie, et pro- vint sans doute de cette circonstance même. Vers le milieu du dix-huitième siècle, la franc-maçonnerie était devenue en Europe une puissance occulte d'une certaine importance. Nul doute que Cagliostro n'eût compris tout le parti qu'il pouvait tirer, dans le sein de cette association mystique, des con- naissances qu'il avait recueillies pendant son voyage en Orient, la terre classique des prestiges. Quoi qu'il en soit, le nouvel adepte, à peine initié à la franc-maçonnerie, conçut le plan d'une institution rivale et plus véritablement puissante que la franc-maçonnerie traditionnelle : nous voulons parler de la maçonnerie dite égyptienne, dont Cagliostro devait s'instituer bientôt le chef suprême. Mais d'où lui était venue la première idée de cette nouveauté, que, malgré ses assertions, il n'avait certes pas rapportée des Pyramides? Une correspondance anglaise, imprimée chez Treutel, à Strasbourg, en 1788, nous fournit sur ce point un renseignement curieux. Il est dit, en parlant de Cagliostro : <( Initié aux mystères de la maçonnerie, il ne cessa, tant qu'il fut à Londres, de fréquenter les différentes loges. Peu de temps avant de quitter cette ville, il acheta d'un libraire un manuscrit qui paraissait avoir appartenu à un certain Georges Goston, qui lui était absolument inconnu. Il vil qu'il traitait de la maçonnerie égyptienne, mais suivant un système qui avait quelque chose de magique et de superstitieux. Il résolut cependant de former sur ce plan un nouveau rite de la maçonnerie, en écartant, dit-il, tout ce qu'il pourrait y avoir d'impie, c'est-à-dire, la magie et la superstition. Il établit, en effet, ce système, et c'est le rite dont il est le fondateur, qui s'est propagé dans toutes les parties du monde, et qui a tant contribué à l'étonnante célébrité de son auteur. » Telle est la vulgaire origine qu'assignent au rite égyptien ceux qui ne veulent pas croire que Cagliostro en ait reçu la tradition directement des successeurs d'Énoch et d'Élie. Quoi qu'il en soit, à partir de ce temps, Cagliostro entre dans sa carrière de faiseur de miracles. Non seulement il passe pour avoir trouvé l'art de prolonger la vie au moyen de la pierre philosophale, mais on signale que, pour la première fois, il commence à guérir les malades qui réclament ses 80 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE secours. Ce dernier fait est avancé par le familier de l'Inquisition qui a écrit sa vie', et quand ce biographe affirme, on peut le croire, car c'est un histo- rien qui a pris en grippe son héros. Quels étaient les moyens que Joseph Balsamo employait pour opérer ou pour tenter ses cures? Gomme il apparut sur la scène dans le temps même où elle était occupée par Mesmer, c'est-à-dire en 1780, on a voulu faire de lui le rival de Mesmer, et l'on a prétendu que tous deux puisaient leurs prestiges à la même source. Gagliostro, moins restreint dans les appli- cations qu'il savait faire de l'agent commun, plus encyclopédique que Mesmer, aurait, en quelque sorte, généralisé le magnétisme. Gagliostro guérissait aussi bien que Mesmer, mais il guérissait sans passes, sans baguettes de fer, sans manipulations, sans baquet, et tout simplement en touchant, ce qui le rapprochait plus de Gassner et de Greatrakes que de Mesmer. Autre différence : Gagliostro n'exploitait point ses malades, au contraire. Dans toutes les villes où il devait passer, de confortables cliniques étaient préparées par ses agents et à ses frais, et là, tous ceux qui venaient lui demander leur guérison, la recevaient de sa main, avec des secours pour leurs besoins et même pour ceux de leurs familles. Gagliostro était prodigue : il le prouvait par les larges aumônes qu'il semait sur son passage. Du reste > profondément muet sur l'origine de sa fortune, il gardait le même silence sur la nature de son agent, et ne livrait rien à discuter aux savants, aux médecins ni aux académies, 11 procédait avec audace, agissait d'autorité, et produisait partout un étonnement, qui fit, sans aucun doute, une part de son succès. Le roi Louis XVI, qui se moquait de Mesmer, déclarait coupable de lèse- majesté quiconque ferait injure à Gagliostro. Notre sublime charlatan n'eut donc pas, à ce titre, de démêlé avec le lieutenant de police, M. de Sartines. Mais les cures médicales de Gagliostro n'étaient qu'un chef-d'œuvre dans sa carrière de magnétiseur universel, ou tout au plus un moyei calculé pour se mettre en crédit parmi la foule. Sa belle stature et sa haute mine, rele- vées par un costume de la plus bizarre magnificence, sa nombreuse suite et le grand train qu'il menait dans ses voyages, attiraient naturellement sur lui tous les yeux, et disposaient les esprits vulgaires à une admiration ido- lâtre. Sa plus grande force était dans la fascination puissante qu'il exerçait sur tout ce qui approchait de lui. On lui prêtait toutes sortes de sciences et de facultés merveilleuses. 1. Vie de Joseph Balsamo, connu sous le nom de comte de Gagliostro, extraite de la procédure instruite contre lui à Rome en 1790, traduite d'après l'original italien, imprimée à la chambre apostolique, enrichie de notes curieuses et ornée de son portrait. 1 vol. in-8, à Paris et à Stras- bourg, 1791. ENTREVUE DE CAGLIOSTRO ET DE LORENZA AVEC LE COUTE DE SAINT-GERUAIN (PAGE II. LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 83 Voici SOUS quels traits le peint un contemporain, qui assure l'avoir connu particulièrement : « Docteur initié dans l'art cabalistique, dans cette partie de l'art qui fait com- mercer avec les peuples élémentaires, avec les morts et les absents, il est Rose- Croix, il possède toutes les sciences humaines, il est expert dans la transmutation lies métaux, et principalement du métal de l'or; c'est un sylphe bienfaisant, qui traite les pauvres pour rien, vend pour quelque chose l'immortalité aux riches, renferme, par ses courses vagabondes, les espaces immenses des lieux dans le court espace des heures * » Bordes, dans ses Lettres sur la Suisse, qualifie Caglioslro d'homme admirable. «Sa figure, dit-il, annonce l'esprit, décèle le génie; ses yeux de feu lisent au fond des âmes. 11 sait presque toutes les langues de l'Europe et de l'Asie; son éloquence étonne, entraîne, même dans celles qu'il parle le moins bien. » La Gazette de Santé complétait la peinture de ce personnage par quelques Irails plus vulgaires, mais plus caractéristiques : « M. le comte de Gagliostro est possesseur, dit-on, des secrets merveilleux d'un fameux adepte qui a trouvé l'élixir de vie.... Il ne se couche jamais que dans un fauteuil ; il ne fait qu'un repas avec des macaronis. Il apporte la véritable médecine f't chimie égyptienne, et propose cinquante mille écus pour fonder un hôpital égyptien. Il ne communique point avec les gens de l'art ; mais, pour se distinguer d'eux, il guérit gratuitement. On nomme M. le chevalier de I...., qui se dit ressuscité par lui. Obligé de quitter la Russie par la jalousie du premier médecin de l'impératrice, M. le comte de Gagliostro lui proposa un singulier duel ; c'était de composer, chacun de son côté, quatre pilules avec le poison le plus violent possible, (i Je prendrai les vôtres, dit-il au docteur russe, j'avalerai par-dessus une « goutte de mon élixir, et je me guérirai; vous prendrez les miennes, et guérissez- « vous si vous le pouvez. » Un cartel si raisonnable ne fut point accepté. » On pense généralement que les contributions des loges maçonniques étaient la principale source de l'or et de l'argent que Gagliostro semait par- tout sur son passage, aveotant de profusion. Nous croyons que c'est à cette opinion qu'il faut s'arrêter pour expliquer ses richesses dans cette seconde partie de sa carrière. Il voyageait toujours en poste, avec une suite considé- rable. Les livrées de ses laquais, qu'il avait commandées à Paris, avaient coûté plus de vingt louis chacune. Il est certain que Caglioslro possédait un ensemble de qualités et d'apti- tudes qui devaient le recommander aux francs-maçons comme le plus puis- sant propagandiste. Mais ils auraient à lui reprocher le perpétuel abus de 1. Tableau mouvant de Paiis, t. II, p. 307. 84 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE confiance dont il s'est rendu coupable envers ses commettants, puisque, en fait de maçonnerie, il ne propageait partout que la sienne, c'est-à-dire cette franc-maçonnerie égyptienne, dont il s'était fait le grand chef. Il en avait jeté les premières bases à Londres, et, lorsqu'il quitta cette ville, il y laissa déjà plusieurs adeptes, recrutés parmi les frères des loges ordinaires. Lorenza s'était transfigurée en même temps que son époux. Son ambition ses manières devinrent dignes des nouveaux projets de Cagliostro. Elle visa, comme lui, à la gloire des succès grandioses. De même que Cagliostro avait dépouillé le vieil homme, ainsi Lorenza ne fut plus la femme vulgaire, qui, jusque-là, s'était complaisamment prêtée à l'exploitation des bourgeois et des quakers amoureux. Ayant pris congé des Anglais de Londres, Cagliostro et sa femme se montrèrent quelque temps à la Haye; puis ils se rendirent à Venise, où Cagliostro rencontra d'autres Anglais, c'est-à-dire des créanciers, dont quelques-uns faisaient mine de se montrer très exigeants. Il fallut se hâter de mettre au moins une frontière entre soi et ce vestige importun de la vie passée. On part donc inopinément pour l'Allemagne. On ne fait que traverser Vienne, et l'on s'arrête enfin dans le Holstein. D'après certains documents d'une véracité assez suspecte', Cagliostro et sa femme auraient eu, dans le Holstein, une entrevue avec le fameux comte de Saint-Germain, qui, depuis plusieurs années, se reposait là, dans son immortalité, « et faisait en paix le bonheur de trois personnes, qui l'abreu- vaient des meilleurs vins de Champagne et de Hongrie, en reconnaissance du Pactole qu'il avait amené dans leurs terres ^ » La lettre dans laquelle Cagliostro demanda une audience au comte de Saint-Germain, portait qu'il désirait se prosterner devant le dieu des croyants. Le dieu fit répondre qu'il serait visible à deux heures de la nuit. « Ce moment arrivé, Cagliostro et sa femme se revêtirent d'une tunique blanche, coupée par une ceinture aurore, et se présentèrent au château. Le pont-levis se baisse, un homme de six pieds, vêtu d'une longue robe grise, les mène dans un salon mal éclairé. Tout à coup deux grandes portes s'ouvrent, et un temple resplendissant de mille bougies frappe leurs regards. Sur un autel était assis le comte de Saint-Germain ; à ses pieds, deux ministres tenaient deux cassolettes d'or, d'où s'élevaient des parfums doux et modérés. Le dieu avait sur sa poitrine une plaque de diamants, dont à peine on supportait l'éclat. Une grande flgure 1. Mémoires authentiques pour servir à l'histoire du comte de Cagliostro. 178S. 2. Vie de Joseph Balsamo, extraite de la procédure instruite contre lui à Rome en 1790; chap. III, p. 124. LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 83 blanche et diaphane soutenait dans ses mains un vase sur lequel était écrit : Elixir de l'immortalité. Un peu plus loin on apercevait un miroir immense devant lequel se promenait une figure majestueuse, et au-dessus du miroir était écrit : Djpôt des âmes errantes. « Le plus morne silence régnait dans cette enceinte sacrée ; une voix, qui n'en était plus une, fit cependant entendre ces mots : « Qui êtes-vous ? d'où venez-vous ? « que voulez-vous ? » « Alors, le comte de Gagliostro se prosterna la face contre terre, ainsi que la comtesse, et, après une longue pose, il répondit : « Je viens invoquer le dieu des « croyants, le fils de la nature, le père de la vérité ; je viens demander un des quatorze « mdle sept cents secrets qu'il porte dans son sein, je viens me faire son esclave, son « apôtre, son martyr. » « Le dieu ne répondit rien ; mais, après un assez long silence, une voix se fit entendre et dit : « Que se propose la compagne de tes longs voyages ? » « Lorenza répondit : « Obéir et servir. » « Alors les ténèbres succèdent à l'éclat de la lumière, le bruit à la tranquillité, la crainte à. la confiance, le trouble à l'espoir, et une voix aigre et menaçante dit: « Malheur à qui ne peut supporter les épreuves ' ! » On sépara les deux époux, pour leur faire subir respectivement leurs épreuves. Celles de Lorenza ressemblent assez aux tentations qu'elle-même suscita plus tard à ses trente-six adeptes, dans le temple de la rue Verte. Elle fut enfermée dans un cabinet, en tête-à-tête avec un homme maigre, pâle et grimacier, qui se mit à lui conter ses bonnes fortunes, et à lui lire des lettres des plus grands rois. Il finit par lui demander les diamants qui ornaient sa tête ; Lorenza se hâta de les lui donner. Ce fut alors le tour d'un autre homme ; celui-ci était de la plus belle figure, aux yeux très expressifs et à la parole pleine de séduction. Mais Lorenza fut sublime d'insensibilité et de moquerie. Ayant perdu tous ses frais avec elle, ce nouvel examinateur se relira, en lui laissant nn brevet de résistance sur parchemin. Alors, elle fut conduite dans un vaste souterrain, pour être témoin du plus horrible spectacle : des hommes enchaînés, des femmes qu'on frappait du fouet, des bourreaux qui coupaient des têtes, des condamnés qui buvaient la moit dans des coupes empoisonnées, des fers rougis, des poteaux chargés d'écri- teaux infamants. « Nous sommes, dit une voix, les martyrs de nos vertus ; voilà comment les humains, au bonheur desquels nous nous consacrons, récompensent nos talents et nos bienfaits. « Mais ni cette vision, ni ces paroles, ne causèrent le moindre trouble à Lorenza, et ce fut sa dernière épreuve. Celles de Cagliostro furent exclusivement morales; et il s'en tira à son honneur. {. Mémoires aulhenliques pour servir à l'histoire du comte de Cagliostro. 86 LES MYSTÈRES DE LA SCILNGE Ramenés dans le temple, les deux époux furent avertis qu'on allait les admettre aux divins mystères. Là, un homme, revêtu d'un long manteau, prit le premier la parole et dit : « Sachez que le grand secret de notre art est de gouverner les hommes, et que l'unique moyen est de ne jamais leur dire la vérité. Ne vous conduisez pas suivant les règles du bon sens : bravez la raison, el produisez avec cou- rage les plus incroyables absurdités. Souvenez-vous que le premier ressort de la nature, de la politique, de la société, est la reproduction; que la manie des mortels est d'être immortels, de connaître l'avenir, lors même qu'ils ignorent le présent, d'être spirituels, tandis qu'eux et tout ce qui les envi- ronne sont matière. » L'orateur, ayant terminé son discours, s'inclina devant le dieu des croyants et se retira. Dans le même moment, un homme de haute stature, enleva Lorenza, et la porta devant l'immortel comte de Saint-Germain, lequel s'exprima en ces termes : « Appelé dès ma plus tendre jeunesse aux grandes choses, je m'occupai à connaître quelle est la véritable gloire. La politique ne me parut que la science de tromper; la tactique, l'art d'assassiner; la philosophie, l'orgueil- leuse manie de déraisonner; Ja physique, de beaux rêves sur la nature et les égarements continuels de gens transportés dans un pays inconnu; la théologie, la connaissance des misères où conduit l'orgueil humain ; l'his- toire, l'étude triste et monotone des erreurs et des perfidies. Je conclus de là que l'homme d'État était un menteur adroit ; le héros, un illustre fou ; le philosophe, un être bizarre; le physicien, un aveugle à plaindre ; le théolo- gien, un précepteur fanatique, et l'historien, un vendeur de paroles. J'en- tendis parler du dieu de ce temple ; j'épanchai dans son sein mes peines, mes incertitudes, mes désirs. Il s'empara de mon âme, et me fit voir tous les objets sous un autre point de vue. Dès lors, je commençai à lire dans l'avenir; cet univers si borné, si étroit, si désert, s'agrandit. Je vécus non seulement avec ceux qui existaient, mais encore avec ceux qui ont existé. Il me fit connaître les plus belles femmes de l'antiquité : cette Aspasie, cette Leontium, cette Sapho, cette Faustine, celte Sémiramis, cette Irène, dont on a tant parlé. Je trouvai bien doux de tout savoir sans apprendre, de disposer des trésors de la terre sans les mendier auprès des rois, de commanderaux élé- ments plutôt qu'aux hommes. Le ciel me fit naître généreux. J'ai de quoi satis- faire mon penchant. Tout ce qui m'environne est riche, aimant, prédestiné. » Comme nous l'avons dit, on manque de détails précis sur les miracles du comte de Saint-Germain, cet homme extraordinaire qui disait avoir bu "avec LES PRODIGES DE GyVGLIOSTRO 87 Jésus-Christ aux noces deCana, et dont les récits, non moins savants que fabu- leux, étaient enjolivés de circonstances si heureusement trouvées, qu'on l'eût volontiers pris pour un contemporain des choses qu'il racontait. On n'a jamais rien su de certain sur son origine, ni sur la source de ses richesses, qui parais- sent avoir été considérables. On a supposé qu'il était un de ces espions, magni- fiquement dotés, que les cours entretiennent quelquefois dans les cercles aristo- cratiques des diverses capitales. Quoi qu'il en soit, les finances du comte de Saint-Germain n'étaient jamais épuisées, tandis que celles de Cagliostro Tétaient fort souvent, comme on l'a vu. Mieux que le divin Cagliostro, le dieu des croyants sut encore prendre très bien ses mesures pour faire croire à son immortalité. Ce fut dans les jours les plus brillants de sa gloire, après avoir fasciné la haute société de Paris, et vécu dans l intimilé d'une maîtresse du roi (madame de Pompadour), qu'il disparut un jour, sans laisser de traces, voulant cacher sa mort avec autant de soin qu'il avait caché sa naissance. Par malheur, les biographes, gens très curieux par état, ont découvert que le comte de Saint-Germain avait fini ses jours comme un simple mortel, à Sleswig, en 1784. Après leur initiation par le comte de Saint-Germain, initiation vraie ou fausse, car nous n'en avons pour garant qu'une relation qui aurait besoin elle-même d'être garantie, Cagliostro et sa femme passèrent en Courlande, oîi ils établirent des loges maçonniques selon le rite égyptien La beauté de Lorenza fit tourner la tête à plus d'un grand personnage du pays. Elle était d'autant plus désirée que son mari lui faisait alors jouer le rôle de femme respectable. « A Mittau, dit un écrivain que nous avons déjà cité, le nombre des poursuivants devint considérable ; l'or et les bijoux tombaient par mon- ceaux aux pieds de cette nouvelle Pénélope, qui filait et défilait sa toile avec une admirable adresse. » Ce fut alors que, suivant l'historien de l'Inquisition, Cagliostro, puissamment secondé par les charmes de Lorenza, se serait rendu maître des esprits d'une grande partie de la noblesse de Courlande, au point que les plus enthousiastes lui auraient offert de détrôner le duc régnant, pour le mettre à sa place. Il faut mentionner ici, d'après l'historien de l'Inquisition, deux prodiges qui signalèrent le séjour de Cagliostro en Courlande, et dont le premier fit grand bruit en Europe. « . ...Parmi les circonstances qui contribuèrent à sa haute réputation, la plus frappante, sans doute, fut l'événement qui justifia la prédiction qu'il avait faite sur SciefTort, à Dantzick. Cagliostro avait prédit la mort de cet illuminé célèbre. Scieffort se tua, en effet, d'un coup de pistolet. Les maçons, qui étaient en grand 88 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE nombre à Mittau, invitèrent le prophète à leurs loges ; il s'y rendit, et il y présida en qualité de chef et de visiteur. Ces différentes loges suivaient les dogmes et les rites de Scieffort, du Suédois Swedenborg, et de M. Fale, pontife des juifs qui sont tous regardés comme docteurs de la loi chez les illuminés Cagliostro fonda près d'eux une loge d'hommes et de femmes, avec toutes les cérémonies prescrites dans son livre. Il parla, comme vénérable, dans l'assemblée et il parla toujours bien, toujours soutenu, comme à l'ordinaire, de l'inspiration et de l'assistance de Dieu. Mais tout cela n'ayant pas suffi pour éclairer ses auditeurs, il s'engagea à leur donner une preuve réelle de la vérité des maximes qu'il annonçait « Il fit donc venir en loge un petit enfant, fils d'un grand seigneur; il le plaça à genoux devant une table, sur laquelle était une carafe d'eau pure, et, derrière la carafe, quelques bougies allumées : il fit autour de lui un exorcisme, lui imposa la main sur la tête, et tous deux dans cette attitude adressèrent leurs prières à Dieu pour l'heureux accomplissement du travail. Ayant dit alors à l'enfant de regarder sous la carafe, celui-ci s'écria tout à coup qu'il voyait un jardin. Connaissant par là que Dieu le secourait, Cagliostro prit courage, et lui dit de demander à Dieu la grâce de lui faire voir l'ange Michel. « D'abord l'enfant dit : « Je vois quelque chose de blanc, sans distinguer ce que « c'est. » Ensuite, il se mit à sauter et a s'agiter comme un possédé, en criant : « Voilà « que j'aperçois un enfant comme moi, qui me paraît avoir quelque chose d'angé- « lique. » Et il en donna une description conforme à l'idée qu'on se fait des anges. « Toute l'assemblée, et Cagliostro lui-même, restèrent interdits. 11 attribua encore ce succès à la grâce de Dieu, qui, à l'entendre, l'avait toujours assisté et favorisé. Le père de l'enfant désira alors que son fils, avec le concours de la carafe, pût voir ce que faisait en ce moment sa fille aînée, qui était dans une maison de campagne distante de quinze milles de Mittau. L'enfant étant de nouveau exorcisé, ayant les mains du vénérable imposées sur sa tête, et les prières habituelles ayant été adressées au ciel, regarda dans la carafe, et dit qu3 sa sœur, dans ce moment, descendait l'escalier et embrassait un autre de ses frères. Cela parut alors impossible aux assistants, parce que ce même frère était éloigné de plusieurs centaines de milles du lieu où était sa sœur. Cagliostro ne se déconcerta pas; il dit qu'on pouvait envoyer à la campagne pour vérifier le fait, et, tous lui ayant baisé la main, il ferma la loge avec les cérémonies ordinaires. « On envoya, en effet, à la campagne ; tout ce que l'on avait refusé de croire se trouva vrai. Le jeune homme, embrassé par sa sœur, venait d'arriver des pays étrangers. Les hommages, les admirations furent prodigués à Cagliostro et à sa femme. <( Il continua à tenir des assemblées selon son système, et à faire des expériences avec la carafe et l'enfant. Une dame désira que la pupille ou la colombe vit un de ses frères qui était mort encore jeune ; l'enfant le vit en effet. « Il paraissait gai et « content, ce qui me fit penser, dit Cagliostro, qu'il était dans un lieu de bonheur; « et je fus confirmé ensuite dans cette croyance, parce que, dans les informations « que je fis, je sus qu'il avait vécu en bon protestant'. » 1. Vie de Joseph Balsamo, extraite de la procédure instruite contre lui à Rome en n90, ehap. m, p. 124. l'impératrice de RUSSIE CHASSE LORENZA DE SAINT-PÉTERSBOURG (PAGE 93) u. 12 LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 91 Ce récit est important pour nous, car il montre en quoi consistaient sur- tout les prestiges que Cagliostro opérait, et qui lui servaient à émerveiller son monde. La vue des personnes mortes ou vivantes, leur apparition dans des miroirs ou des carafes pleines d'eau, telle était la principale de ses opérations cabalistiques. Ce que Cagliostro montrait alors en Allemagne, il le reproduisit à Paris, où les apparitions dans son miroir magique furent ce qui étonna le plus la ville et la cour. Notre opinion est qu'il avait appris cette pratique dans son voyage en Égypte. Nous avons rapporté, dans le volume précédent les opé- rations au moyen desquelles les sorciers de l'Égypte font apparaître l'image des personnes mortes ou vivantes dans des boules pleines d'eau, ou dans le creux de la main. Ces opérations sont d'une date si ancienne qu'elle se perd dans la nuit des temps. C'est en séjournant à Alexandrie, au Caire, et dans quelques autres villes deTÉgypte, en compagnie de son maître Altotas, que Cagliostro fut, probablement, initié au secret de ce phénomène, alors inconnu en Europe. 11 l'importa d'abord dans les loges maçonniques, pour obtenir le grade supérieur qu'il ambitionnait, et, plus tard, il le produisit devant le public, qui devait rester confondu de surprise à la vue de pareils effets. Plus habile que Mesmer, Cagliostro ne livra à personne l'examen des moyens qu'il employait, et son auréole de thaumaturge ne put dès lors être entamée par les objections des savants, ni les rapports des académies. Cagliostro et Lorenza ayant quitté le Holstein, comblés d'honneurs et chargés de présents, se rendirent à Saint-Pétersbourg. On sait déjà com- ment ils durent sortir de cette capitale, par suite de l'influence immodérée que Lorenza avait prise sur le premier ministre Potemkin ; il nous reste à dire quelques mots des actes de Cagliostro pendant le séjour qu'ils y firent. Le prince Potemkin avait fort bien accueilli le mari, avant de savoir ce que valait la femme. Sans croire que cet étranger fût un homme divin, il pensa d'abord trouver en lui un empirique qui pouvait avoir en chimie quelques connaissances utiles. Mais, après bien des annonces merveilleuses et un fastueux étalage de science alchimique, tout ce que Cagliostro put offrir au ministre, ce fut de composer un nouvel alliage pour les boutons d'uniformes, et il ne put pas même tenir parole. Sur ce point, le savant venait d'être pris en défaut ; le magicien ne trouva guère plus de crédit parmi les grands seigneurs sceptiques de Saint-Péters- bourg. En homme prudent, Cagliostro renonça, dès lors, auprès de la cour 2. Le magnclisme animal, p. 374 92 LES MYSTERES DE LA SCIENCE de Russie, à tout ce qui avait une apparence de sorcellerie, et se donna simplement comme médecin. Il eut bientôt l'occasion de faire, en cette qualité, le chef-d'œuvre d'un art transcendant ou d'une diabolique audace. M. Jules de Saint-Félix raconte comme il suit celte aventure : « L'enfant d'un grand seigneur était dangereusement malade. Il avait à peine un an. Bientôt les médecins déclarèrent qu'ils n'avaient plus d'espoir de le sauver. On parla de Gagliostro au comte et à la comtesse Il fut appelé, l'enfant était à toute extrémité. Gagliostro examina le malade, et promit hardiment de le rendre à la santé, mais à la condition qu'on transporterait chez lui cet enfant presque moribond. Les parents y consentirent avec peine ; mais ils ne voulurent pas renoncer à ce dernier moyen de sauver la vie à leur flls bien aimé. « Au bout de huit jours, Gagliostro vint déclarer à la famille que l'enfant allait mieux, mais il continua à interdire aux parents toute visite. Au bout de quinze jours, il permit au père de voir son enfant quelques instants. Le comte, transporté de joie, après sa visite au malade, offrit à Gagliostro une somme considérable. Celui-ci refusa, déclarant qu'il n'agissait que dans un but d'humanité, et qu'il ren- drait l'enfant de santé parfaite, sans accepter la moindre rémunération. « Cette générosité de conduite, cette noblesse de sentiments excitèrent un enthou- siasme universel à Saint-Pétersbourg. Les détracteurs du comte de Fénix (c'est le nom que Gagliostro avait pris en arrivant en Russie) eurent la bouche close et demeurèrent confus. Partout oii se montrait le célèbre étranger, il était entouré et fêté. Des malades illustres se présentaient chez lui. Il les congédiait avec une rare politesse, avec une aménité charmante, en déclarant qu'ils avaient à Saint-Péters- bourg les plus habiles praticiens à leurs ordres, et qu'il se garderait bien de traiter les clients de ses maîtres, se regardant comme le plus humble de leurs confrères. Mais si des infirmes ou des malades de la classe pauvre venaient réclamer son ministère, il leur prodiguait ses soins, ses médications, les soulageait, les guéris- sait quelquefois, et, de plus, les assistait de sa bourse avec une générosité princière. « Vraiment cet homme était étourdissant. Le médecin avait réhabilité le char- latan ; le bienfaiteur avait racheté l'aventurier. Le peuple commençait à le regarder - comme un être surnaturel, et les hautes classes, forcées de l'admirer, lui rendirent toute leur estime. « La belle Lorenza ne contribuait pas peu au succès de son mari. Aux élixirs, aux spécifiques que distribuait le comte Fénix, elle ajoutait l'aimant de son regard et l'enchantement de ses paroles <( Il faut convenir qu'à cette époque la conduite de Gagliostro était d'une habileté merveilleuse; il avait trouvé le secret infaillible pour réussir. On était à la veille de le prendre au sérieux, lui, sa morale et sa science, et, pour peu qu'il eût joué son jeu avec prudence, pour peu surtout que Lorenza eût voulu y aider, Péters- bourg, la cour, les boyards, l'impératrice même accepteraient ce personnage étrange comme un esprit supérieur, un inspiré d'en haut, un ange incarné qui LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 93 pouvait accomplir des miracles. On était bien près alors de croire à sa longévité ■de vingt siècles, à sa divination, à ses secrets surnaturels, à son élixir de vie, à ses fourneaux redoutables, à son or et à ses diamants. Qui sait? on eût peut-être •accepté la franc-maçonnerie égyptienne, et le grand cophte serait parvenu proba- blement à fonder une loge mère à Saint-Pétersbourg » C'eût été le triomphe suprême de Cagliostro. Lorenza aida de son mieux à le préparer; elle y aida même trop bien, car si l'élève et l'épouse du comte Fénix commençait à comprendre la vie, elle manquait aux principes les plus sacrés delà politique en acceptant les hommages de Potemkin, et osant ainsi toucher aux inclinations de laczarine, autocrate de toutes les Russies, une femme qui n'entendait pas plus le partage dans l'amour que dans l'autorité. Revenons à l'enfant qu'on avait confié à Cagliostro. Il venait de le rendre à ses parents dans le meilleur état de santé, frais, plein d'animation et attaquant avec vivacité le sein de sa nourrice. Cette noble famille était ivre de joie et de bonheur ; elle voulut être magnifique dans sa reconnaissance. Le père offrit cinq mille louis, que Cagliostro refusa d'abord avec une crânerie magnifique. On insista, et il devint moins féroce dans son refus ; on le pressa encore, et il souffrit que la somme fût apportée chez lui. Elle y resta. Mais, quelques jours s'étant écoulés, un horrible soupçon entra, comme un stylet, dans le cœur de la mère. Il lui sembla qu'au lieu de son propre enfant, on lui avait rendu un enfant étranger. Ce ne fut qu'un doute; mais, en pareille matière, un doute n'est-il pas le plus affreux des tourments? La mère ne sut pas si bien le renfermer dans son âme qu'il ne s'ensuivît une sourde rumeur dans le grand monde de Saint-Pétersbourg. La czarine, à qui sa fierté ne permettait pas de s'avouer jalouse, s'arma de ce bruit pour expédier le couple Cagliostro. Elle avait mandé Lorenza à Tzarskoe-Celo. Après l'avoir dûment inter- rogée, retournée, confessée, et ayant tiré d'elle tous les aveux nécessaires sur l'infidélité de Potemkin, elle se leva, et d'une voix qui dissimulait mal son dépit : Partez, dit-elle, je le veux. On vous comptera vingt mille roubles pour votre voyage. Mais si demain vous n'êtes pas sur la route de France, vous et votre mari, je vous préviens que l'ordre de vous arrêter sera donné. On parle d'un enfant substitué à un autre qui aurait disparu .le n'ai pas encore prêté l'oreille à ces rumeurs ; mais prenez garde, Madame, et partez, je vous le conseille...., je vous l'ordonne. » Si Catherine avait eu besoin d'autres raisons pour motiver cet ordre, ces 1. Aventures de Cagliostro, in-18. Paris, 1853, p. 68-71. 94 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE raisons ne lui auraient pas manqué. Voulant utiliser à Saint-Pétersbourg les faux brevets qu'il tenait de son ancien anii, le marquis d'Agliala, Cagliostro s'était annoncé sous le titre de colonel au service de l'Espagne. Mais le chargé d'affaires de la cour de Madrid avait réclamé ministériellement contre ce mensonge, et cela quelques jours avant la fuite des deux époux. Cette fuite, sauf les roubles et l'opulent bagage qu'ils emportaient, fut donc une véritable déroute. Ils passèrent par Varsovie, où, d'après certaines relations, Cagliostro se serait adonné à la transmutation des métaux. Mais, d'après la procédure de l'Inquisition, sa principale industrie, dans cette capitale, aurait consisté à tromper un prince polonais fort riche. Séduit par les opérations de Cagliostro, le prince Poninski voulut se faire initier par lui aux secrets de la magie, et donna plusieurs milliers d'écus pour obtenir de Cagliostro un diable qui obéirait à son commandement. Cagliostro n'ayant pu remplir sa promesse, Poninski, frustré de la pos- session de son diable, exigea, en compensation, celle de la belle Képinska, la dame de ses pensées. Tout ce que put faire le magicien, ce fut de lui en procurer l'image dans son miroir magique. Le prince n'entendait pas se contenter d'une apparition. 11 força, par ses menaces, Cagliostro et sa femme à lui rendre ses présents et à quitter précipitamment Varsovie. Ils se dirigèrent sur Francfort, et, après s'être arrêtés quelques jours dans celte ville, ils partirent pour Strasbourg, où ils firent la pompeuse entrée que nous avons essayé de décrire au commencement de ce volume. VI Dénoùment de l'affaire du collier. — Cagliostro devant ses juges. — Cagliostro quitte la France. Sa mort. Le 30 août 1786, le parlement de Paris se réunit en séance solennelle. Dès les premières heures du matin, les Condé, les Rohan, les Soubise, les Guéménée, tous en habits de deuil, attendaient dans le vestibule, et saluèrent à leur passage les membres de la cour, pour les émouvoir par leur conte- nance. Quarante-neuf membres siégeaient en robes rouges. Les accusés ayant été introduits, on chercha vainement des yeux le prince-cardinal. Par égard pour son nom et ses dignités, les juges avaient voulu l'exempter de paraître sur la sellette. Il restait, pendant l'audience, sous la garde du lieu- tenant de la Bastille, dans le cabinet du greffier en chef. Les interrogatoires commencèrent par les autres accusés. On a dit qiie Cagliostro, dans sa prison de la Bastille, avait, en prodiguant l'argent à ses gardes, obtenu la faculté de concerter ses réponses avec celles de madame de La Motte. C'est une hypothèse peu probable. Cagliostro devait, au con- traire, avoir d'excellentes raisons pour séparer sa cause de celle de cette femme, puisque ses adversaires n'allèrent pas jusqu'à l'accuser d'avoir voulu s'approprier une partie quelconque du prix des diamants volés. On préten- dait seulemedt qu'il avait dù deviner le but financier de l'intrigue amoureuse qui s'était nouée en partie autour de lui, et pour laquelle il avait même donné une consultation ou rendu un oracle. Il y avait certainement dans cette affaire beaucoup de circonstances fort compromettantes pour lui. Il nia tout ce qu'il était possible de nier, en dépit des avocats de madame de La Motte, qui, croyant utile à leur cliente d'agran- dir le rôle que Cagliostro avait joué dans celte intrigue, l'attaquèrent avec beaucoup d'acharnement. Madame de La Motte, elle-même, confrontée avec lui, ne l'épargna guère, mais sans pouvoir l'ébranler. A le voir toujours si calme et si intrépide dans ses dénégations, elle ne 96 LES MYSTERES DE LA SCIENCE se posséda plus, et dans un accès de fureur elle lui jeta un chandelier à la tête, en présence de ses juges. Pour s'expliquer cet incident, il faut noter que la nuit était venu 3 pendant la longue séance des interrogatoires. L'attitude de Cagliostro égaya la séance. Vêtu d'un habit de soie verte brodé d'or, avec ses longs cheveux tressés depuis le haut de la tête, et qui tombaient en petites queues sur les épaules, à la manière des cadenettes qu'on porta plus tard, il avait l'air d'un riche charlatan. Sa première réponse à l'interrogatoire dérida tout de suite les visages : « Qui êtes-vous? » lui demanda le président. « Un noble voyageur, » répondit-il. Alors Cagliostro entama une longue harangue, entremêlée d'italien, d'arabe, de grec, de latin et de français, le tout accompagné d'une pantomime frénétique. La séance avait commencé à sept heures du matin, et la nuit était venue pendant les interrogatoires. Les débats furent clos en ce qui concernait les quatre accusés présents. Ils n'avaient établi aucune charge positive contre • Cagliostro, qui n'avait pas cessé de porter haut la têle, et de se poser comme un personnage tout à fait dépareillé au milieu des gens dont l'accu- sation avait voulu le faire le complice. Dans un moment où il tirait trop grand avantage de son train de vie, de ses dépenses considérables, toujours payées argent comptant, et de ses abondantes aumônes, le président crut devoir le rappeler à la modestie par cette observation sévère : « La réalité de votre fortune ne parait pas douteuse; mais c'est sa source qui est pour nous un mystère. » Les quatre accusés s'étant retirés, la sellette fut enlevée, et remplacée par un fauteuil, sur lequel le prince-cardinal vint majestueusement s'asseoir, après ces paroles du premier président d'Aligre : « M. le cardinal est le maître, s'il le veut, de s'asseoir. » Son interrogatoire, pure affaire de forme, eut plutôt le caractère d'une conversation entre gens de haute compagnie. Après ce dialogue, qui ne fut ni vif ni animé, le premier président prononça la clôture des débats, et le cardinal salué par la cour à sa sortie, comme il l'avait été à son entrée, regagna le cabinet du greffier, pour y attendre le délibéré. Au bout de quelques minutes, la cour entra en séance, et le premier président lut l'arrêt dont voici l'extrait : « La pièce, base du procès, les approuvés et les signatures en marge, sont reconnus frauduleusement apposés et faussement attribués à la reine ; » Le sieur La Motte, contumace, est condamné aux galères à perpétuité; » La dame La Motte sera fouettée, elle sera marquée sur les deux épaules de la. lettre V, et enfermée à l'hôpital à perpétuité; » Rétaux de Villette est banni pour toujours du royaume; CAGLIOiTnO DEVANT L\ CH\MBRE UU PARLEMENT DE PARIS (PAGE 96) 13 LES PRODIGES DE GAGLIOSÏRO 99 » La demoiselle Oliva est mise hors de cour ; » Le sieur Cagliostro est déchargé de l'accusation ; » Le cardinal est déchargé de toute espèce d'accusation. Les termes injurieux répandus contre lui dans les mémoires de la dame La Motte seront supprimés. » Il est permis au cardinal de faire imprimer l'arrêt. » Et c'est ainsi que justice fut faite. On eiàt été mal venu de dire, à propos de cet arrêt : Dat veniam corvis, vexât cenmra colombas. Il n'y avait point de colombes dans l'affaire, pas même de celles à la façon de Cagliostro, excepté peut-être la belle d'Oliva, qu'on prétendait avoir agi sous le charme d'un puissant magnétisme; mais on vient de voir que la cour ne l'avait point maltraitée. Quand à la dame de La Motte, qui certes ne pouvait passer pour une colombe, elle subit sa peine infamante au pied du grand escalier du palais. Le 20 juin, après plusieurs retards apportés à l'exécution, retards qu'une partie du public interprétait dans un sens défavorable à l'innocence de la reine, on fît descendre madame de La Motte, à l'improviste et sous un pré- texte, dans la cour de la Conciergerie, où elle fut garrottée et livrée au bourreau. Elle opposa une résistance inouïe. Elle égratignait, elle mordait, et, la bouche écumante, elle lançait d'atroces injures contre la reine et contre le cardinal. Épuisée et mise en lambeaux par cette lutte forcenée, elle sentit enfin siffler dans sa chair le fer infamant. On l'emporta inanimée, et on l'enferma à l'hôpital de la Salpêtrière, comme l'ordonnait la sentence. Mais au bout d'un an elle séduisait une sœur converse, qui, en lui donnant la clef des champs, lui recommanda la pru- dence, avec un calembour d'autant plus heureux, qu'il n'était pas prémé- dité : « Allez, Madame, lui dit-elle en lui ouvrant la porte de sa prison, et prenez garde de vous faire remarquer. » A peine arrivée à Londres, elle y écrivait de scandaleux mémoires, où elle déversait l'injure sur Marie-Antoinette La fin de cette misérable intrigante fut digne de sa vie : elle fut jetée par une fenêtre, pendant une orgie, par ses compagnons de débauche, occupés à dissiper avec elle les produits de lavante des diamants du collier de la reine. Revenons à Cagliostro. Son acquittement fut accueilli comme un bonheur public, non seulement par ses nombreux sectaires, mais encore par tout le peuple de Paris. Une multitude immense le ramena en triomphe de la Bastille à son hôtel, et porta jusque sous ses fenêtres les démonstrations 1. Les Mémoires justificatif de la comtesse de Valois de La Motte, écrits pa?-' elle-même, ont été réimprimés à Paris en 1887, avec une préface de M. Félix Cagnart (un vol. in-12 clie^ Frison, 15, rue du CroissautV 100 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE d'une joie frénétique. Les cris de Vive Cagliostro! Vive le bienfaiteur de Vhumanité ! retentissaient au milieu de cette foule entiiousiaste, comme dans la plupart des quartiers. Des fêtes furent données à l'occasion de cet événement; plusieurs maisons furent illuminées. L'historien de l'inquisition de Rome ajoute même qu'on sonna les cloches des églises, et que le peuple, rassemblé autour de la maison de Cagliostro, déclara à celui-ci que, pour le c jnserver à Paris, il était prêt à s'arLier contre l'autorité royale. Tout en rabattant de ces exagérations, on ne saurait douter de l'eiïerves- C3nce d'un fanatisme que Cagliostro lui-même crut devoir tempérer. Du haut de la terrasse de sa maison de la rue Saint-Claude, où la multitude l'avait accompagné de son enthousiaste et bruyant cortège, il remercia le peuple de Paris, et il ne parvint à le calmer et à dissiper la foule qu'en lui disant que « dans un autre temps il lui ferait entendre sa voix. » El nous verrons qu'il tint parole. Pour le moment, l'autorité vint en aide à la modestie du triomphateur. Le lendemain de sa délivrance, un ordre du roi enjoignait à Cagliostro de quitter Paris, dans les vingt-quatre heures. 11 se retira au village de Passy, où il fut suivi par un grand nombre de ses sectateurs et adeptes, parmi lesquels étaient plusieurs seigneurs de la cour, qui voulurent lui témoigner leur véné- ration profonde en faisant la garde, deux à deux, dans son appartement. Tant d'honneurs et de respects ne lui faisaient pourtant pas oublier la Bastille ; il était impatient de quitter la France. Après avoir séjourné à Passy environ trois semaines, pendant lesquelles il fit encore de nombreuses réceptions maçonniques, Cagliostro partit pour l'Angleterre, sans avoir lassé l'enthousiasme parisien. Son départ fut un deuil public, même dans les provinces éloignées de la capitale. Au moment où il s'embarquait à Boulogne, cinq mille personnes, à genoux, lui demandaient sa bénédiction. On peut juger de la vénération profonde et de la soumission absolue que lui avaient vouées ses adeptes, par quelques-unes de leurs lettres, tombées e.ilre les mains des agents de l'inquisition. La suivante a été écrite par un disciple qui l'avait quitté depuis peu, et qui espérait le revoir bientôt : « Mon maître éternel, mon tout, il semblait que la mer s'opposât à la séparation que j'étais forcé d'éprouver; nous avons été dix-huit heures en mer, et nous sommes arrivés le 11, dans la ::^atinée. Mon fils a beaucoup souffert. Mais, maître, j'ai eu le bonheur de vous voir cette ami. L'Éternel a réalisé la bénédiction que je reçus hier : ah ! mon maître, après Dieu, Vous faites ma féhcité. Les jeunes et se recommandent toujours à votre bonté; ce sont d'honnêtes gens, et, par le moyen de votre pouvoir, ils seront dignes un jour d'être vos fiJs. LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO 101 « Ah ! maître ! combien je désire d'être au mois de septembre ! Combien je suis heureux quand je puis vous voir, vous entendre, et vous assurer de ma félicité €t de mon respect! Nous partons demain, quel plaisir auront nos frères. « Je n'ai pas reçu la lettre que m'a écrite ; elle était partie ce matin, à quatre heures, et nous sommes arrivés à onze. « Est-il possible que je ne trouve plus à Paris celui qui faisait ma félicité! Mais je me résigne et m'humilie devant Dieu et devant vous. « J'ai écrit à M comme vous l'avez ordonné. Ah ! mon maître! combien il est ■dur pour moi de ne pouvoir plus vous assurer que par lettres de tous nos •sentiments ! Ce mois de septembre viendra; moment heureux! où je pourrai à vos pieds et à ceux de ma maîtresse, vous assurer de la soumission, du respect et de l'obéissance qui animeront toujours celui qui ose se dire : de son maître et , ■•; 3. La Lettre au peuple français c=t datée du 20 juin 1786 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE l.a prophétie ne dit rien des luttes terribles par lesquelles cette révolution, nécessaire et légitime, sera trop souvent ensanglantée; mais sur ce point tout le monde sait que Cazotte, l'illuminé, a complété Cagliostro. Nous allons enfin nous séparer de ce [personnage que nous avons si longtemps suivi. Son pamphlet politique et prophétique termine sa carrière dans l'ordre des choses merveilleuses, carrière si bien remplie de phéno- mènes extraordinaires, que personne ne s'étonnera de la place que nous lui avons accordée dans cet ouvrage. Cagliostro réunit, en effet, presque toutes les variétés de prodiges et de faits merveilleux que nous trouvons dispersés dans la vie des divers thaumaturges, anciens et modernes. Après le charlatan devant lequel s'éclipsent tous ceux qui n'ont eu que ce titre pour briller parmi leurs contemporains, après le grand artiste en fantasma- gorie et en prestiges, nous trouvons le philosophe hermétique, dont l'habileté égala, dit-on, celle de Philalèthe, du Cosmopolite et de Lascaris*; nous trouvons encore l'empirique paracelsiste, qui applique, généralement avec bonheur, certaines préparations médicinales de l'effet le plus puissant; nous trouvons encore, et surtout, l'homme à la forte volonté, le grand magnéti- seur, qui, à la vérité, ne parle d'aucun fluide, ne proclame jamais son art, mais ne le déguise d'ailleurs par aucun appareil, et se contente de produire des résultats, qu'on est d'autant plus forcé d'admirer que la cause en demeure inconnue. Nous insistons sur ce dernier point, parce que c'est là, si nous ne nous trompons, que se manifeste la véritable puissance de Cagliostro. Avec un procédé si simple que personne ne l'aperçoit, il réalise toutes les applica- tions du magnétisme connues de son temps, et quelques autres dont les spirites des États-Unis revendiquent aujourd'hui la découverte. Il guérit les malades par l'imposition des mains, comme un apôtre, ou par un simple attouchement, comme l'exorciste Gassner. Il sait, par une suggestion mentale, communiquer une pensée, un désir, un ordre, et procurer une vision, aussi bien ou mieux que Pnységur ne le fait à ses somnambules magnétiques, et avec cette différence, bien frappante, qu'il opère sur des sujets tout éveillés. Il peut aussi déléguer aux personnes qui se mettent en rapport avec lui, ou qu'il lui plaît à' envelopper de son esprit, le pouvoir de commander à sa place, et ds produire les mêmes phéno- mènes de suggestion par la vertu de la prière, ou par un mouvement de leur volonté. Près de Strasbourg, dans une villa délicieuse qu'il avait fait o/ner et qui a conservé depuis le nom de Cagliosirano^ il lui \ Voyez notre livre : l'Afchimie et alchimùlHS. LEi COLOMBES DE CAGLIOSTHO (PAGE i07) LES PRODIGES DE GAGLIOSTRO 107 arrivait souvent de faire des expériences sans le secours du miroir ni de la carafe. Dans ce cas, il plaçait la pupille derrière un paravent, qui repré- sentait un petit temple. « Il n'agissait pas seul, nous dit l'auteur de la Vie de Cagiiostro, il faisait agir à son gré tous les autres. Il était cependant nécessaire qu'auparavant il leur com- muniquât et qu'il transférât en eux le pouvoir que, disait-il, il avait reçu de Dieu. Ceux qui ont voulu se hasarder aux travaux sans son consentement, et sans avoir reçu son pouvoir, n'ont produit aucun effet. » La fortune de Mesmer était donc faite, ou du moins bien avancée, après son invention des baquets. Mais son ambition avait grandi avec le succès, et \. Histoire du magnélisme, de son régime, de son influence, p. 21 et 22. Vienne, 1784, 2. Précis historique, p. 193. LE MAGNÉTISME ANIMAL 165 il portait, assez haut ses désirs. Ce qu'il voulait, c'était mettre sa décou- verte sous la protectioQ du gouvernement. Cherchant partout quelque avenue par où il pût arriver jusqu'au roi, Mesmer avait déjà circonvenu de Lassonne, premier médecin de Louis XVI et de la reine, membre de l'Académie des sciences et président de la Société royale de médecine. Mais il ne reçut du médecin du roi qu'un accueil fort peu encourageant. Il trouva mieux ce qu'il cherchait dans le docteur Deslon, dont il fit la connaissance à la fin de 1778, alors que. découragé par le double échec qu'il venait d'essuyer devant l'Académie des sciences et la Société royale de mé- decine^ il méditait, ou du moins faisait mine, de vouloir quitter la France. Agé de trente ans à peine, Deslon était déjà docteur régent de la Faculté de médecine, et premier médecin ordinaire du comte d'Artois, l'un des frères du roi. 11 apportait donc à Mesmer, outre l'influence d'une grande considération professionnelle, l'appui d'une clientèle élevée, qui pouvait devenir pour le magnétisme animal un puissant patronage. Deslon s'en- flamma, d'ailleurs, pour la nouvelle découverte, il devint l'élève enthousiaste, le collaborateur assidu de Mesmer, et remplaça près de lui avec avantage le chirurgien Le Roux, quand celui-ci quitta le maître, pour faire à son compte du magnétisme schismalique. Deslon, comme il le dit lui-même, alla frapper aux portes pour Mesmer, il se mit partout en quête de malades et rabattit les clients par centaines autour du baquet. 11 en rapportait de tous les quartiers de Paris : on en recevait même des provinces, où l'on prenait le soin d'aller chercher ceux qui en valaient la peine. L'établissement primitif de la place Vendôme était devenu depuis longtemps trop étroit pour cette affluence. Mesmer et Deslon choisirent donc un autre local entre la rue Montmartre et la rue Jean-Jacques Rousseau, dans le vaste bâtiment qui conserve encore aujourd'hui le nom Aliôtel Bullion. Ce fut là qu'on opéra véritablement en grand. Non seulement on put y recevoir tous ceux qui s'y présentaient quotidiennement, mais il y eut place pour loger et héberger les malades dont les affections réclamaient un traitement suivi avec rigueur, ou sans inconvénient. On prit des pension- naires à dix louis par mois. L'orchestre, les jets d'eau, les arbustes disposés en bosquet et tous les autres agréments accessoires du magnétisme animal, s'augmentèrent, à l'hôtel Bullion, en proportion de cet accroissement de clientèle. Mesmer et Deslon ne se bornaient pas à magnétiser dans cette somptueuse clinique. Chacun opérait encore dans son logement particulier, et acciden- 166 LES MYSTERES DE LA SCIENCE tellement dans les divers lieux où les cures pouvaient avoir un retentisse- ment favorable à leur renommée, Deslon annonçait dans les journaux des consultations données par lui au Temple. Mesmer, pour mettre sa bienfai- sante panacée à la portée des pauvres qui ne pouvaient pas trouver place autour de son baquet gratuit, prépara de ses mains, à l'extrémité de la rue de Bondy, un arbre qui pût le suppléer. Des milliers de malades, dans ce populeux quartier du faubourg Saint-Martin, venaient s'attacher à cet arbre avec une foi robuste et de bonnes cordes, et ils attendaient leur guérison, chacun dans la posture que ses infirmités lui permettaient de prendre. Nous verrons un jour grandir cet arbre enchanté. 11 se révèle ici par de simples guérisons; il fera un jour des miracles. Pour le bien de l'humanité il se multipliera par de nombreuses boutures, à Buzancy, à Beaubourg, à Bayonne, en cent autres lieux. Des milliers de malades viendront chercher la santé sous son ombre, qui couvrira et consommera tout à la fois un des plus grands mystères du magnétisme animal. Pendant plusieurs mois les passants s'arrêtèrent sur le boulevard, devant ïarbi'e magnétisé^ et ce singulier spectacle produisit en faveur du magné- tisme un attrait contre lequel toutes les épigrammes académiques demeu- raient impuissantes. Mais peu à peu iî en résulta aussi ce que l'on pourrait appeler ï épidémie des baquets. Une foule d'amateurs, persuadés qu'ils avaient deviné le secret de Mesmer, ou se fiant à des indiscrétions de valets, se mirent à lui faire ce genre de concurrence, et ne laissèrent pas de trouver des chalands. D'autres moins ambitieux, et n'ayant en vue que leur propre guérison, se faisaient établir dans leurs appartements de petits baquets magnétiques, où ils se régénéraient sans trouble, dans une béatitude solitaire. On cite de respec- tables douairières, d'illutres guerriers, de jeunes et jolies femmes et de vieux procureurs, qui passaient ainsi des journées entières, assis auprès de leur baquet. Mesmer a beau parler avec dédain de ces ridicules contrefacteurs qui se figurent posséder son art, lorsqu'ils en ont à peine une vaine ombre ' ; on voit que cette ombre l'importune ^ 1. Précis historique, note de la page 189. 2. Il a paru vers cette époque (1783) un petit ouvrage satirique : Correspondance de M M..., sur les nouvelles découvertes du baquet octogone, de l'homme baquet, du baquet moral, pour servir de suite aux aphorismes. C'est une critique spirituelle des pratiques médicales de Mesmer. L'au- teur décrit trois espèces nouvelles de baquets propres à la guérison, non seulement des mala- dies, mais aussi des vices et défauts des hommes. La parodie est des plus amusantes. L'ouvrage se termine par ces vers d'Horace, qui signalent son but satirique : Ridiculum acri Fortius ac melius... plerumque secat res. LE MAGNÉTISME ANIMAL 107 Du reste, si la propagande des baquets allait plus loin que Mesmer ne l'eût voulu, elle pouvait tout au plus compromettre ce qu'il appelait son principe, mais non ses intérêts. Tout le produit net des baquets payants de riiùtel Bullion tombait encore dans sa caisse, sans qu'il eût à en retrancher un. louis, même pour Deslon. Aussi accusait-on Mesmer d'exploiter son ami. Cette imputation serait légitime si le zèle de Deslon avait été parfaite- ment désintéressé, mais l'enthousiaste disciple servait sa propre ambition en même temps que la gloire de son maître. Le premier article de leur conven- tion c'était l'engagement, pris par Deslon avec Mesmer, de présenter ce dernier et sa découverte devant la Faculté de médecine, qui, toute saignante encore des entailles quela, Sociélé royale lui avait faites, pouvait être alors assez disposée à prendre en considération une nouveauté que cette dernière avait vouée au ridicule. Ce calcul était fort hasardé. Quoi qu'il en soit, Deslon différait toujours à tenir sa parole. Il représentait à Mesmer que, pour offrir à la Faculté cette revanche dans de bonnes conditions, il fallait arriver devant elle entouré d'œuvres suffisamment probantes. Mesmer, de son côté, ne voyait pas la nécessité d'ajouter d'autres preuves à celles qu'il croyait avoir déjà données. Il invoquait à son appui, un argument familier tiré d'une comparaison assez piquante pour être rapportée ici. « Lorsqu'un voleur, disait Mesmer, est convaiacu de vol, on le pend, lorsq'un assassin est convaincu d'assassinat, on le roue, mais, pour infliger ces terribles peines, on n'exige pas du voleur qu'il vole afin de prouver qu'il sait voler; on n'exige pas de l'assassin qu'il assassine une seconde fois pour prouver de nouveau qu'il sait assassiner; on se contente d'établir par des preuves testimoniales et le corps du délit, que le vol ou l'assassinat ont été commis, et puis, l'on pend ou l'on roue en sûreté de conscience. « Eh bien, il en est de même de moi. Je demande à être traité comme un homme à rouer ou à pendre, et que l'on cherche sérieusement à établir que j'ai guéri, sans rrie demander de guérir de nouveau, pour prouver que je sais dans l'occasion comment m'y prendre pour guérir *. » Voilà une comparaison qui eût charmé Gros-René. Car la comparaison Nous fait distinctement sentir une raison ; Et nous aimons bien mieux, nous autres gens d'étude, Une comparaison qu'une similitude. Cependant Deslon n'était pas complètement touché de cet ingénieux 1. rrCcit JihlorxqXLC, p. l'J8. 168 LES MYSTERES DE LA SCIENCE apologue. Rien ne pouvait remplacer pour lui des faits qu'il n'avait pas vus. Il ne négl'çea donc aucun moyen pour décider Mesmer à recommencer ses preuves, ou, selon son raisonnement juridique, à « tomber en récidive ». C'est dans ce but qu'il se chargea d'amener à son maître quelques savants, avec lesquels il ferait de nouvelles expériences. Il l'engagea, en même temps, à donner ses derniers soins à la rédaction de l'ouvrage dans lequel le public devait trouver la théorie du magnétisme animal, tandis que lui, Deslon, dressant procès-verbal de toutes les expériences qui allaient se faire en présence des savants dont on s'assurait ainsi le témoignage, composerait un second ouvrage, qui serait le complément de celui de Mesmer et la justi- fication de sa doctrine. Cet arrangement plut au maître ; ils se mirent donc à l'œuvre, après de longs pourparlers qui n'avaient cessé qu'à la fin de mars 1779, comme on le voit par une lettre de Mesmer à Deslon Le Mémoire sur la découverte du magnétisme animal parut dans le courant de cette même année. Mais, avant de le publier, Mesmer voulut en faire un hommage particulier à la Faculté de médecine de Paris, par la médiation de plusieurs docteurs. Ces derniers étaient les médecins que Deslon s'était chargé d'endoctriner. Le mémoire qui devait leur être communiqué renfermait, sous leur forme définitive, les assertiojis ou p?'opositions dont nous avons déjà parlé et qui résument toute la doctrine mesmérienne. Il ne sera pas inutile, avant d'aller plus loin, de les mettre sous les yeux du leclcur. PROPOSITIONS « 1° Il existe une influence mutuelle entre les corps célestes, la terre et les corps animés. 2» Un fluide universellement répandu et continué de manière à ne souffrir aucun vide, dont la subtilité ne permet aucune comparaison, et qui, de sa nature, est susceptible de recevoir, propager et communiquer toutes les impressions du mou- vement, est le moyen de cette influence. 3" Cette action réciproque est soumise à des lois mécaniques inconnues jusqu'à présent. 4" Il résulte de cette action des efl"ets alternatifs qui peuvent être considérés comme un flux et un reflux. 5» Ce flux et ce reflux est plus ou moins général, plus ou moins particulier, plus ou moins composé, selon la nature des causes qui le déterminent. 6" C'est par cette opération, la plus universelle de celles que la nature nous offre, 1. Lettre de Mesmer à Deslon, 30 mars 1719. LES TROIS AMIS DE LA VÉRITK (PaGE 173) LE MAGNETISME ANIMAL ni que les relations d'activité s'exercent entre les corps célestes, la terre et ses parties constitutives. 7° Les propriétés de la matière et du corps organisé dépendent de cette opération. 8° Le corps animal éprouve les effets alternatifs de cet agent ; et c'est en l'insi- nuant dans la substance des nerfs, qu'il les affecte immédiatement. 9" Il se manifeste, particulièrement dans le corps humain, des propriétés ana- logues à celles de l'aimant : on y distingue des pôles également divers et opposés, qui peuvent être communiqués, changés, détruits et renforcés; le phénomène même de l'inclination y est observé. 10° La propriété du corps animal qui le rend susceptible de l'inOuence des corps célestes et de l'action réciproque de ceux qui l'environnent, manifestée par son analogie avec l'aimant, m'a déterminé à la nommer magnétisme animal. 11° L'action et la vertu du magnétisme animal, ainsi caractérisées, peuvent être communiquées à d'autres corps animés ou inanimés. Les uns et les autres en sont cependant plus ou moins susceptibles. 12° Cette action et cette vertu peuvent être renforcées et propagées par cc3 mêmes corps. 13' On observe à l'expérience l'écoulement d'une matière dont la subtilité pénètre tous les corps, sans perdre notablement de son activité. 14° Son action a lieu à une distance éloignée, sans le secours d'aucun corps intermédiaire. 15° Elle est augmentée et réfléchie par les glaces, comme la lumière. 16° Elle est communiquée, propagée et augmentée par le son. 17° Celte vertu magnétique peut être accumulée, concentrée et transportée. 18° J'ai dit que les corps animés n'en étaient pas également susceptibles ; il en est même, quoique très rares, qui ont une propriété si opposée, que leur seule présence détruit tous les effets de ce magnétisme dans les autres corps. 19° Cette vertu opposée pénètre aussi tous les corps; elle peut être également communiquée, propagée, accumulée, concentrée et transportée, réfléchie par les glaces et propagée par le son: ce qui constitue non seulement une privation, mais une vertu opposée positive. 20° L'aimant, soit naturel, soit artificiel, est, ainsi que les autres corps, suscep- tible du magnétisme animal, et même delà vertu opposée, sans que, ni dans l'un ni dans l'autre cas, son action sur le fer et l'aiguille souffre aucune altération: ce qui prouve que le principe du magnétisme diffère essentiellement de celui du minéral. 21° Ce système fournira de nouveaux éclaircissements sur la nature du feu et de la lumière, ainsi que dans la théorie de l'attraction, du flux et du reflux, de l'aimant et de l'électricité. 22° Il fera connaître que l'aimant et l'électricité artificielle n'ont, à l'égard des maladies, que des propriétés communes avec une foule d'autres agents que la nature nous offre; et que, s'il est résulté quelques effets utiles de l'administration de ceux-là, ils sont dus au magnétisme animal. 23° On reconnaîtra par les faits, d'après les règles pratiques que j'établirai, que le principe peut guérir médialement les maladies de nerfs, et immédiatement les autres. 172 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE 24" Qu'avec son secours, le médecin est éclairé sur l'usage des médicaments; qu'il perfectionne leur action, et qu'il provoque et dirige les crises salutaires, de manière à s'en rendre le maître. 23° En communiquant sa métliode, je démontrerai, par une théorie nouvelle des maladies, l'utilité universelle du principe que je leur oppose. 26" Avec cette connaissance, le médecin jugera sûrement Torigine, la nature et les progrès des maladies, même des plus compliquées ; il en empêchera l'accrois- sement et parviendra à leur guérîson sans jamais exposer le malade à des effets dangereux ou à des suites fâcheuses, quels que soient l'âge, le tempérament et le sexe. Les femmes, même dans l'état de grossesse etlors des accouchements, jouiront du même avantage. 27" Celte doctrine, enfin, mettra le médecin en état de bien juger du degré de santé de chaque individu, et de le préserver des maladies auxquelles il pourrait être exposé. L'art de guérir parviendra ainsi à sa dernière perfection » Mesmer donnait pour préface à ses assertions l'historique de ses expé- riences et de ses mésaventures à Vienne. Sur ce point, nous avons déjà donné par anticipation quelques détails que nous compléterons dans un autre chapitre. Deslon, ayant réussi à recruter douze médecins de bonne volonté, les réunit chez lui, dans un dîner, pour leur communiquer le mémoire de Mesmer. La lecture devait être assez longue, car on n'entendait en retran- cher ni le préainbule du mémoire, ni l'histoire de Mesmer à Vienne. Mais Deslon juit une précaution excellente contre les défaillances d'attention : il décida que cette lecture aurait lieu avant le dîner. Tout se passa donc convenablement; il n'y eut point de réfractaires, la lecture fut écoutée avec recueillement et le dîner qui la suivit, fut trouvé bon. Pendant le re[)as, la conversation roula naturellement sur les vingt-sept propositions que l'on venait d'entendre. Certains convives osèrent faire la timide remarque que ces propositions étaient entachées de quelque obscurité et de vues peu conformes aux principes admis dans la science ; mais il n'y avait pas là de quoi troubler iMesmer, qui avait passé d'avance condamnation sur ces deux points. Il s'en référait, d'ailleurs, aux faits qu'il s'engageait à produire devant les douze médecins, et il avait, dans ce but, demandé l'autorisation de faire, dans un hôpital de Paris, les expériences propres à justifier sa doctrine. Vers la fin du repas, Mesmer se retira, pour laisser les convives de Deslon délibérer librement entre eux. Mais, dès qu'il fut sorti, leur conscience débridée se donna libre carrière. Le mémoire, dont quelques parties seule- ment avaient semblé obscures avant le dîner, fut déclaré, pendant la diges- 1. Précis historique, p. 83-85. LE MAGNÉTISME ANIMAL 173 lion, totalement inintelligible. Certains crièrent à pleins poumons contre son livre et contre ses propositions, contre sa personne et contre sa découverte. Tout ce qu'on put faire en faveur de l'amphitryon, ce fut d'adopter la propo- sition relative aux expériences à faire dans les hôpitaux-, mais, après l'avoir votée, on se sépara sans prendre jour pour se transporter dans les hôpitaux. Mesmer tira un mauvais augure de cet oubli. Deslon persistait pourtant à espérer dans la parole de ses amis ; mais il dut finir par se rendre à l'évi- dence, après avoir échoué dans les démarches et tentatives multipliées qu'il fit pour réunir de nouveau ses douze confrères. Ils ne s'étaient trouvés dispo- nibles et d'accord qu'une seule fois... pour manger son dîner. Toujours encouragé par son ami, Mesmer livra son mémoire à l'impression, et en fit hommage à la Faculté de médecine. Mais le doyen, qui reçut l'exemplaire, n'en donna pas communication à la Faculté, et laissa même sans réponse la lettre d'envoi. Pour le coup, Deslon lui-même comprit que le préjugé académique exis- tait contre eux à la Faculté de médecine autant qu'ailleurs ; mais il ne se rebuta point. « Le souvenir du passé me décourageait entièrement, dit Mesmer; M. Deslon prétendait, au contraire, que travailler au grand jour était le seul moyen de détruire les sourdes interprétations de travaux trop peu connus. » Restait toujours à trouver, parmi les savants, des témoins et des jages éclairés de ces travaux. Sur ce point, Deslon pensa que lui et son ami avaient peut-être voulu endoctriner trop de monde à la fois ; qu'il fallait maintenant se restreindre, et se contenter de convaincre trois ou quatre médecins assez amis de la vérité pour la professer hautement. Deslon choisit donc et amena à Mesmer, trois docteurs de la Faculté de médecine, Bertrand, Molloët et Sollier de La Rominais. On travailla sous leurs yeux pendant sept mois. Mais ces trois amis de la vérité^ puisque tel est le titre que Mesmer leur donne, devaient apporter bien peu de satisfaction au chef de la doctrine. Rien de ce qui leur fut montré ne put suffire à les convaincre. On leur présenta d'abord un paralytique qui avait perdu toute chaleur et toute sensibilité dans les parties inférieures du corps : en huit jours de traite- ment, elles lui étaient revenues. « Cela ne prouve rien, ditMalloët, car chaleur et sensibilité ne sont pas guérison et peuvent être dues à la nature seule. » Un autre paralytique, traité par Mesmer, avait, au bout de deux mois, recouvré l'usage de ses membres, au point de pouvoir marcher et agir sans secours. « Il n'y a rien à conclure de ce fait, » dit encore Malloët, approuvé par Bertrand et Sollier, ses deux échos. i 174 LES MYSTÈRES DE LA SCIEiNGE On leur amena une jeune personne presque aveugle. Six semaines après son entrée chez Mesmer, elle avait recouvré la vue. « 11 est certain qu'elle voit clair, dit Malloët, mais il n'est pas aussi évident qu'elle n'y avait pas vu auparavant, car personne ne s'est trouvé dans ses yeux pour assurer que cela n'était point un jeu. » Cette impertinence (c'est Mesmer qui nous l'apprend), lui fut dite à bout portant, parlant à sa personne. 11 continua, néanmoins, à traiter les mêmes malades. Pour épargner au lecteur des scènes trop monotones, nous nous en tiendrons au récit de ces premières expériences. Ce seraient partout les mêmes succès, suivant Mesmer, et les mêmes objections de la part des troi> La médecine magnétique se trouvait donc fondée, et on peut déjà voir que, sous le rapport du principe, comme pour ses applications, Mesmer n'aurait eu que bien peu de chose à y ajouter. Le médecin viennois n'est que le plagiaire de Paracelse, lorsqu'il nous dit dans sa dixième proposition : « Cette propriété du corps qui le rend susceptible de l'influence des corps célestes, et de l'action réciproque de ceux qui l'environnent, manifestée par son analogie avec l'aimant, m'a déterminé à la nommer magnétisme animal. » Après Paracelse, on cite, parmi les premiers partisans de cette doctrine, Rumilius, Pharamond, Bettray, le chevalier Digby, gens qui ne jouissaient pas, sauf peut-être le dernier, d'une grande autorité scientifique. Mais il en vint d'autres plus connus et qui furent même célèbres, tels que Grollius, Bartholin, Hanmann, Sennert, Libavius, etc. Loysel Dolé et Gaffard introduisirent en France cette doctrine nouvelle ; 1. Ath. Kircher, Magnes, sive de arte magnetica, p. 679. 2. Recherches et doutes sur le magnétUme animal, p. 89. LE MAGNÉTISME ANIMAL 205 rT:ais l'esprit critique, déjà éveillé dans ce pays, ne permit pas qu'elle jetât de i)rofondes racines. Il en fut autrement de l'autre côté du Rhin. Dès le commencement du dix-septième siècle, Goclen, ou Goclenius, professeur de médecine à Marbourg, publiait un traité de la cure magnétique des plaies ouvrage qui fit un tel bruit en Allemagne que X onguent des armes y poite encore aujourd'hui le nom de Goclenius. Un autre savant, le P. Roberti, jésuite de Saint-Hubert aux Ardennes, publia, pour réfuter l'ouvrage de Goclenius, un traité intitulé Brevis anatome traciatus de curatione magnéticâ Goclenii. Le médecin répondit au jésuite par un nouveau livre, Synarthrosis magnéticâ, qui est une suite à son pre- mier ouvrage. A son tour, le jésuite répliqua par une diatribe pleine de sarcasme et de mordantes plaisanteries, sous ce singulier titre, Goclenius Heaiitontimorumeneos, ce qui veut à peu près dire : Goclenius se repen- tant ou se punissant lui-même. Dans cette polémique, assez longue et fort vive, l'avantage parut rester à Roberti, d'abord parce qu'il était le plus plai- sant dans la forme, ensuite parce qu'au fond, il faisait bonne justice des cures opérées par les talismans, les mumies et Xonguent des armes. Le jésuite admettait, toutefois que, si dépareilles cures pouvaient s'opérer, elles ne pouvaient être que l'œuvre du démon. Cependant Goclenius avait une revanche à prendre. Dans la même année (1618) il voulut répondre, mais il ne sut que se répéter, dans un écrit intitulé Morosophia Roberti [La sotte science de Roberti). Et le jésuite de riposter bien vite par un libelle, la Métamorphose^, où, dès le titre même, il accuse Goclenius de calvinisme, ce qui était déjà de fort mauvaise guerre, car la dispute poussée dans cette voie sentait le fagot. Mais Goclenius ayant encore essayé d'une faible réplique, telum imbelle sine ictu, son impla- cable adversaire acheva de l'anéantir sans pitié, par une lettre intitulée : Goclenius magicien, sérieusement dans le délire^. Goclenius, cette fois, se tint pour battu ; il resta tranquille, mais non converti. En lui semblait définitivement vaincue toute la doctrine paracelsiste, qui n'avait plus, pour se soutenir, que la propagande invisible des frères de la Rose-croix, lorsque, tout à coup, un des plus grands disciples de Paracelse, l'illustre Van-Helmont, entra lui-même dans la lice, et présenta au jésuite triomphant un nouvel adversaire plus digne de lui. Le fameux livre de Van- 1. Tractatus de magneticd curatione vulneris, citra uUam superstitionem et dolorem et remedi applicationem, etc. Marpurgi, 1608. 2. Metamorphosis magnetiae Calvino-Godenianœ , Leodii, 1618. 3. Gocknhis magnus, serio delirans, ej-istola. Duaci, 1319. iu-12. 206 LES MYSTERES DE LA SCIENCE Helmont de la Cure magnétique desplaie^\ quoique très savant, est moins un traité qu'une attaque dirigée contre Robert!. Van-Helmont voulait soutenir la médecine paracelsiste, mais il avait surtout à cœur de venger son maître vilipendé par un jésuite, et mal défendu, ou plutôt trahi par un médecin peu ferré sur la science et mal aguerri à la polémique. Van-Helmont ne ménage pas plus le médecin que le théologien de la société de Jésus. Au premier, qu'il appelle dédaigneusement un jeune homme, il reproche de n'avoir pas distingué la sympathie de la fascination, et d'avoir confondu l'une et l'autre avec le magnétisme. Quant au théologien, il lui apprend bientôt qu'il a trouvé son maître en logique et en sarcasme. « Qu'il montre, dit-il plaisamment, ses lettres de secrétaire des commande- ments de Dieu, pour savoir comment Dieu a révélé à lui,' jésuite, que les cures magnétiques sont l'œuvre du démon ! » C'est l'ignorance, selon Van- Helmont, l'ignorance seule, qui appelle à son secours le diable, dans une question où le diable n'a rien à voir. Celui qui regarde les cures magnétiques comme l'œuvre de Satan, parce qu'elles s'opèrent par des moyens qui lui sont inconnus, devra donc regarder tous les phénomènes de l'aimanf, comme l'effet de la même magie; il devra déclarer que ces phénomènes, qu'il ne sait point expliquer, sont autant de prestiges du diable. N'est-il pas plus sûr d'en chercher l'explication naturelle, et d'admettre le magnétisme, c'est- à-dire cette propriété secrète des corps, qu'on appelle de ce nom, à cause de sa ressemblance avec une des propriétés de l'aimant? Van-Helmont n'adopte pas seulement, et dans toute son étendue, le prir - cipe fondamental de la médecine magnétique ; 'il en admet et en professe toutes les merveilles. La cure des plaies par Vonguent magnétique lui paraît la chose la plus simple et la plus facile à expliquer. L'onguent agit en tirant à soi la qualité hétérogène qui se joint à la solution de continuité qu'il y a dans toutes les plaies, et les préserve d'inflammation et d'ulcération. Et c'est ainsi, ajoute-t-il, que le monde visible est sans cesse gouverné par le monde invisible ! Malgré la science et le génie de Van-Helmont, Roberti, qui croyait sa cause bonne, répondit, la même année, à l'illustre médecin chimiste de Bruxelles, par un ouvrage intitulé : L'imposture magique des cures magné- tiques et de Vonguent des armes, clairement démontrée; modeste réponse à la très dangereuse dissertation a ce /, D. Van-Helmont, de Bruxelles^ médecin pyrotechnique^ . 1. De magnelica vidnerum naturali et légitima curatione, contra Jo an. Roberti, Societ. Jesu. Parisiis, 1621. 2. Curationis magneticx et unguenti armarii magica impostura clare de monstrala. Modesta LE MAGNÉTISME ANIMAL 207 Ce litre se prolongeait, il se prolongeait moins pourtant que ne le fit la dispute, car, en pareille matière, elle était interminable. En 1623, comme elle commençait à languir, Goclenius, qui, depuis sept ans, se reposait dans sa défaite, revint à la charge, non pas de front, mais obli(iuement, sournoi- sement, pour ainsi dire, en ajoutant à son traité De la sympathie et de r antipathie entre les plantes et les animaux^ un court appendice, qui n'est autre chose que la défense de la cure magnétique des plaies. Voici venir un autre champion, du nom de Helimontius. Celui-ci, trouvant, comme Van-Helmont, que Goclenius était insuffisant pour soutenir la doc- trine de l'aimantation animale, vint enrichir cette thèse d'arguments tout nouveaux. Aux preuves trouvées et données jusque-là en faveur de la cure magnétique des plaies, Helmontius ajoutait les analogies. Il rappelait que certaines maladies se guérissent par transplantation^ c'est-à-dire en met- tant, par exemple, du sang d'un hydropique dans une coquille d'œuf, qu'on lient chaudement, et qu'on fait manger avec la viande à un chien affamé, lequel prend ainsi la maladie pour son propre compte. De telles assertions ne répugnaient nullement à la médecine de cette époque. D'autres Alle- mands, tels que Bartholin et Reysellius, se vantaient aussi d'avoir des mumics Urées des astres, dans lesquelles les maladies, surtoutl'hydropisie, se trans- plantaient à merveille. En cela, du reste, Hélimontius ne faisait que copier un autre auteur sympathique et magnétique, Burgraavius, le véritable inventeur de la lampe de vie et de mort, dont la lumière s'affaiblit, se renforce ou s'éteint, ' selon que le corps humain, avec lequel elle sympathise, est malade, bien portant, ou agonisant. De l'Allemagne et de la Flandre, la nouvelle doctrine passa en Ecosse et en Angleterre. Le célèbre Robert Fludd mit au service de la médecine des aimants son érudition, sa science et ses talents variés. Robert Fludd n'admet, dans l'origine des choses, qu'un principe ou élément primitif, d'où émanent tous les autres, qui n'en sont que des modifications ou des métamor- phoses. L'âme est une portion de ce principe universel. Recherchant en quoi consiste la vertu attractive ou magnétique des corps et leur antipathie, il croit en voir la cause dans la manière dont les rayons de cet esprit sont dirigés. Si l'émission se fait du centre à la circonférence, il y a sympathie ; si elle se fait de la circonférence, au centre, il y a antipahie. Robert Fludd pose en principe qu'il y a, pour chaque corps sublunaire, un astre particulier qui lui correspond : celui de l'aimant est l'étoile polaire. responsio ad perniciosam disputalionem J. B. Uelmont, Bruxellensis mediçi pyrolheçhnici, contra eumdem Roherti acerbe consci-iptam.\hnxQm\i , 1621, et Colonife, 1622. 208 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE L'homme a aussi son astre personnel. Considéré comme le microcosme ou monde en abrégé, l'homme est doué d'une vertu magnétique, magnetica virtus microcosmica, qui est soumise aux mêmes lois que celle du grand monde, c'est-à-dire qu'elle rayonne, "ici, du centre à la circonférence; là, de la circonférence au centre. Dans les mouvements de joie et de bien-être, le cœur, se dilatant, envoie ses esprits au dehors ; dans ceux de haine ou d'anti- pathie, il se resserre et les concentre au dedans de l'individu. De même que la terre, l'homme, dit Robert Fludd, a ses pôles, dont les deux principaux, le pôle austral et le pôle boréal, reçoivent ou envoient leurs influences par deux courants ou un double torrent; l'un de ces courants, le méridional, emmène les rayons chauds; et l'autre, le boréal, les rayons froids; ils se tempèrent l'un par l'autre. Le microcosme a un équateur formé par une ligne perpendiculaire qui le divise en deux parties égales. Le foie, et spécialement la vésicule du fiel, est le point central des rayons du pôle austral, dont l'effet est d'attirer les esprits, de produire la gaieté, la chaleur, la vie ; la rate est le point cen- tral des rayons du pôle boréal, dont l'effet est d'attirer les sucs grossiers et terrestres, et de produire des vapeurs noires qui resserrent le cœur, causent des angoisses, la mélancolie, la tristesse, la mort même quelquefois. Robert Fludd distinguait encore un magnétisme positif et un magné- tisme négatifs un magnétisme spirituel et un magnélisw.e corporel. Deux personnes étant en présence, si les rayons qu'elles s'envoient ou leurs éma- nations sont repoussées ou répercutées de la circonférence au centre, c'est qu'il y a antipathie entre elles, et que le magnétisme est négatif ; mais s'il y a attraction de part et d'autre, et rayonnement du centre à la circonférence, il y a sympathie, et le magnétisme est positif. Mais c'est seulement dans ce dernier cas qu'il y a ou peut y avoir communication des maladies parti- culières, aussi bien des affections morales que des affections physiques, d'où le philosophe écossais conclut à l'existence de deux magnétismes distincts, le spirituel ou moral et le corporel. Il reconnaît les effets de ce double ma- gnétisme non seulement entre les animaux, mais entre ceux-ci et les végé- taux, et même les minéraux. Il rapporte une masse d'observations qui, sui- vant lui, tendent à prouver les effets sympathiques ou antipathiques et la transplantation des maladies. C'est dans le livre de Robert Fludd intitulé la Philosophie de Moïse\ qu'on trouve indiquée avec beaucoup de détails la manière dont il faut s'y prendre pour faire passer la fièvre, l'hydropisie ou toute autre maladie, 1. Philosophia mosaïcain qud sapientia et scientia crcationis explicalur, authorc Rob. Flu(id, aliàs de Fluctibus, armifiem, et in medicind doclore Oxonicnsi, in-folio, 1638. II. VAN HELMONT (d'apri's une eslampe de la biljliotlièque ii:itionu!e di' Paris) 27 LE MAGNÉTISME ANIMAL 211 (lu corps d'un homme dans le tronc d'un arbre. Il parait, d'ailleurs, que tous les arbres ne sont pas également bons pour les opérations sympa- thiques; ceux qu'on doit préférer sont le chêne et le saule, mais le premier surtout. Voici la recette : Vous enlevez un morceau de l'écorce, vous y faites un trou avec une tarière, et vous, mettez dans ce trou, de l'urine ou des che- veux de la personne malade ; ensuite vous replacez l'écorce de manière à couvrir le tout, et la maladie passe du corps de la personne dans celui du chêne. Rien n'est plus facile. La Philosophie de Moïse ^ d'où l'on a extrait ce qui précède, est un grand et beau livre qui, dans sa conception première, ne devait être destiné qu'à établir un accord entre l'Écriture sainte et la philosophie naturelle sur le thème de la création, mais qui, par le fait, a pour objet principal la démon- stration et l'apologie de la médecine des aimants. Un chapitre de ce traité, et ce n'est pas le moins curieux, a pour argument le diable, ou, plus parti- culièrement, la manière dont le diable agit dans les corps. Notre savant physicien croyait donc au diable, qui, dès lors comme aujourd'hui, pouvait rendre inutile la vertu magnétique. Du reste, la profession de foi de Robert Fludd sur ce point ne put con- jurer l'anathème qui allait le foudroyer. Le P. Kircher, jésuite comme Roberti, mais, certes, meilleur physicien, que le théologien de Saint-Hubert aux Ardennes, attaqua le livre de Robert Fludd, et déclara nettement qu'une œuvre pareille ne peut être sortie que de l'école du diable'. D'où il résulterait que, dans ce temps-là, le diable faisait école. A part leur croyance à cette immixtion du malin esprit dans la composi- tion des traités scientifiques, les deux nouveaux champions étaient de vrais physiciens, et même des savants positifs. Tous deux ils avaient observé directement la nature, et s'étaient livrés à de nombreuses expériences. Leurs recherches sur les propriétés de l'aimant sont aussi curieuses que multi- pliées ; il est même probable que ce fut une jalousie de métier qui dicta la sentence prononcée par le P. Kircher contre Robert Fludd. Dans son ouvrage, Kircher se propose de rendre à la physique son carac- tère de science naturelle, en la dégageant de tout alliage superstitieux, et surtout en fixant les idées du public au sujet des phénomènes véritablement magnétiques. Il ne veut pas de ce magnétisme qu'on définissait déjà, comme aujourd'hui, « la propriété des corps animés d'être sensibles à l'influence des corps célestes et à l'action réciproque des corps environnants » , propriété dont la preuve principale était alors la cure sympathique des plaies et la^ 1. Ath. Kirchcri Fludd magnes., p. 686. 212 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE transplantation des maladies, comme si ces merveilles n'avaient pas elles- mêmes grandement besoin d'être prouvées. « On voit, dit le P. Kirclier, des hommes qui, ne pouvant produire aucune expé- rience nouvelle et certaine sur les vertus magnétiques, se livrent à. des conjectures fausses et illusoires, et infestent les écoles de toutes sortes de rêveries, de choses inouïes et extraordinaires et de mensonges insoutenables, capables de les couvrir de honte. De là, l'usage de cet infâme onguent magnétique vanté par Goclenius, et d'une infinité d'autres pratiques de même nature, introduites depuis peu de temps dans la médecine'. » La médecine magnétique des écrivains qu'il combat, se basant sur une prétendue analogie entre l'aimant et le corps humain, Kircher rejette abso- lument cette influence, à cause des pratiques ridicules et superstitieuses dont elle était déjà le point de départ. Entre ces pratiques il en cite une des plus singulières et en môme temps des plus perfides à l'encontre du beau sexe, et qui constituait une nouvelle espèce d'épreuves judiciaires sur une matière délicate et sur un problème souvent insoluble. On plaçait une pierre d'aimant sur le corps d'une femme pendant son sommeil ; elle se réveillait, et si elle était fidèle, elle embrassait tendrement son mari; si elle ne Tétait pas, elle prenait la fuite. Kircher, comme nous l'avons dit, avait fait de nombreuses expériences sur l'aimant. Tous les exemples d'antipathie ou de sympathie connus, vrais ou faux, tous les faits d'affinité qu'on observe dans la nature (et il en avait recueilli un nombre considérable), lui paraissaient révéler autant d'espèces de magnétisme. Il énumère et distingue le magnétisme des planètes, celui du soleil, celui de la lune et de la mer, celui des éléments, celui des corps mixtes, celui des corps électriques, celui des corps métalliques, celui des animaux, celui des plantes, que le premier il appelle le magnétisme animal (zwopiaYvYiT'.cpç). Il signale également le magnétisme des médica- ments, celui de la musique, celui de l'imagination et celui de l'amour, qui est encore un magnétisme animal, peut-être le plus animal de tous. Pour lui, la nature tout entière est magnétique. N'ayant pu réunir tous les genres et tous les exemples de magnétisme dans son fameux traité de Arte magne- tica, il le compléta par un supplément, intitulé le Règne magnétique de la nature^, où l'univers est représenté comme un tout, dont les parties sont liées et entraînées par une puissance attractive et répulsive, semblable à celle de l'aimant. 1. Kii'chcri magnes, sive de Arte magnelicà, p. 30. 2. Magncticum nalurœ regnitm, sive de Triplici in naturà rerum maçjnelc, inanimato, animalo, scnsitico. LE MAGNÉTISME ANIMAL 213 Parle magnétisme delà musique, Kiicher explique très bien la puissance de certains instruments pour remuer l'âme, faire vibrer les diverses pas- sions ; et il est très remarquable qu'au nombre des instruments à employer il mentionne positivement V harmonica \ dont il va même jusqu'à donner la description, comme pour ôter à Mesmer le mérite d'avoir rien inventé. Du reste, il explique comme Mesmer, et même plus nettement que lui, l'action de la musique dans le magnétisme. Ce n'est point sur l'âme immédiate- ment que cette action s'exerce, car l'âme, étant immatérielle, ne peut avoir aucun rapport avec le son ou la voix ; c'est par l'intermédiaire de l'agent désigné sous le nom à.' esprit vitale que la puissance de la musique s'exerce sur notre âme. Mais où le savant jésuite est le plus curieux, c'est dans le cha- pitre consacré au magnétisme de l'amour [niagnetismm amoris)^ sujet qui ne paraît nullement embarrasser le bon père, et dont il traite tout au long, non seulement avec complaisance, mais encore avec l'autorité d'an savant à qui rien n'est inconnu. Tout considéré, l'ouvrage de Kircher était le plus étendu et le plus complet qui eût paru encore sur le magnétisme. Nous venons de dire que Kircher trouvait du magnétisme dans presque tous les phénomènes naturels. Il fut pourtant dépassé sur ce point par Wirdig, professeur de médecine à Rostok. Celui-ci anime la nature et les corps bien plus vivement qu'on ne l'avait encore fait. Là où Kircher ne trouvait que le magnétisme, Wirdig voit l'intelligence et la vie. Toute la nature lui semble peuplée d'esprits, qu'il distingue, comme Kircher dis- tinguait les différents genres de magnétisme. Il en reconnaît deux classes : dans la première sont les esprits purs, immatériels, immortels, c'est-à-dire. Dieu, les génies et les âmes ; dans la seconde rentrent les esprits matériels ou les corps les plus subtils. Ces derniers sont particulièrement le sujet de son traité De la médecine nouvelle des esprits ^ Wirdig enseigne qu'il existe un attrait entre les esprits qui sont de même nature, et une aversion, un combat perpétuel, entre ceux qui sont de nature opposée. C'est la doctrine du sympathéisme et de X antipathéisme reproduite en d'autres termes. De ces rapports de sympathie et d'antipathie résulte un mouvement con- tinuel, un flux et un reflux d'esprits, enlin une communication non inter- rompue entre le ciel et la terre, qui constitue l'harmonie universelle. Le magnétisme, suivant la définition même de Wirdig, est le consentement des esprits [consensus spiri(uum). Ce qui le constitue, ce sont les rapports de 1. Page 72i. 2. Nova medicina fpirituum. 214 LES MYSTERES DE LA SCIENCE sympathie et d'antipathie entre les esprits soit aérocélestes, soit terrestres. Entre deux corps animés, ce sentiment, lorsqu'il est animal de part et d'autre, s'appelle sympathie, amitié, amour, attrait des semblables; s'il est nuisible ou désagréable, il reçoit les noms d'antipathie, de haine, d'aver- sion, d'horreur des contraires. Or, tout, dans les vicissitudes des corps sublu- naires, étant rapprochement de semblables ou éloignement de dissemblables, il s'ensuit que le magnétisme, ainsi divisé par Wirdig en sympathéisme, est la grande puissance qui gouverne le monde. La vie se conserve par le magnétisme, tout périt dans le magnétisme*. La sympathie, ou magnétisme sympathique^ dépendant de l'homogénéité des esprits et des corps, existe naturellement entre les individus de môme sexe, de même âge, de même constitution et à fortiori^ entre les parties du même corps. Cette loi étant une fois admise, il n'y eut pas d'histoires si extravagantes qu'on ne pût tenir pour vraies, car elle les expliquait toutes. C'est une chose admirable, suivant Wirdig, que, si l'on attache une partie du cuir chevelu de la tête d'un homme, et qu'on conserve ce fragment de peau, à mesure que cet homme vieillit, grisonne ou devient chauve, le mor- ceau de cuir chevelu présente les mêmes changements. Wirdig n'a garde d'oublier l'histoire suivante, rapportée par Santanelli, Van-Helmont, Cam- panella, Servius et beaucoup d'autres. Un homme de Bruxelles s'étant fait faire un nez artificiel par V opération de Taliacot, qui faisait alors beaucoup de bruit dans le monde scientifique, s'en retourna chez lui, où il continua de vivre bien portant, l'opération ayant parfaitement réussi. Quelques années se passèrent ainsi ; mais, tout à coup, la partie factice de son nez devint froide, pâle, livide, elle se pourrit et finit par tomber. On ne savait à quelle cause attribuer ce changement imprévu, lorsqu'on apprit que le jour même où le nez factice tombait à Bruxelles, un crocheteur de Bologne qui avait fourni et même vendu une portion de peau prise à son bras, pour faire le nez, mourait, dans cette ville où avait eu lieu l'opération. Taliacot, célèbre chirurgien du seizième siècle, était professeur de méde- cine à l'Université de Bologne. On connaît les vers de Voltaire à son sujet : Ainsi Taliacotus, Grand Esculape d'Elrurie, Répara tous les nez perdus. Par une admirable industrie, \. Toliis mundiis constat et posilus est in magnetismo. Omnes sublunarium vicissitudines fiunt per magnetismum. Vita conservatur magnetismo. Inlcritus omnium rerum fiunt per magne- tismum. {Médicina spirituum, lib. I, cap. xxvii.) LE MAGNÉTISME ANIMAL 215 Il VOUS prenait adroitement, Un morceau de cul d'un pauvre homme. L'appliquait au nez proprement. Enfin, il arrivait qu'en somme, Tout juste à la mort du prêteur Tombait le nez de l'emprunteur. Et souvent dans la même bière, Par justice ou par bon accord, On remettait, au gré du mort. Le nez auprès de son derrière. Dans le même siècle où la rhinoplastie, pratiquée par Taliacot et les chirurgiens de son école, donnait lieu à ce miracle, la sympathie produisait un autre fait, moins merveilleux que le premier, mais qui avait l'avantage de se passer à la cour de France et entre personnages du plus illustre rang. C'est un historien de la ville de Paris qui a recueilli l'anecdote suivante. Le mariage du prince de Condé avec Marie de Clèves se célébra au Louvre, le 13 août 1372, c'est-à-dire, quelques jours seulement avant la Saint-Bar- thélemy. Marie de Clèves, âgée de seize ans, delà figure la plus charmante, après avoir dansé assez longtemps, se trouva un peu incommodée par la chaleur du bal et passa dans une garde-robe, où une des femmes de la reine, voyant sa chemise toute trempée, lui en fit prendre une autre. Un moment après, le duc d'Anjou (depuis Henri III), qui avait aussi beaucoup dansé, y entra, pour acccommoder sa chevelure, et il s'essuya le visage avec le premier linge qu'il trouva : c'était la chemise que Marie de Clèves venait de quitter. En entrant dans le bal, il jeta les yeux sur Marie de Clèves, et la regarda avec autant de surprise que s'il ne l'eût jamais vue. Son émotion, son trouble, ses transports et tous les empressements qu'il commença de prodi- guer à la jeune fille, étaient d'autant plus étonnants, que, depuis six mois qu'elle était à la cour, il avait paru assez indifférent pour ces mêmes charmes qui, dans ce moment, faisaient sur son âme une impression si vive et qui dura longtemps. Depuis ce jour, en effet, le duc d'Anjou devint insensible à tout ce qui ne se rapportait pas à sa passion. Son élection à la couronne de Pologne, loin de le flatter, lui parut un exil; et quand il se trouva dans ce royaume, l'absence, au lieu de diminuer son amour, semblait l'augmenter. Il se piquait un doigt toutes les fois qu'il écrivait à cette princesse, et ne lui écrivait jamais que de son sang. Le jour même où il apprit la mort de Charles IX, il dépêcha un courrier à Marie de Clèves, pour l'assurer qu'elle serait bientôt reine de France, et, lorsqu'il fut de retour dans ce pays, il lui confirma sa uromesse et ne pensa plus qu'à l'exécuter. Mais peu de temps 216 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE après, celte princesse fut attaquée d'un mal violent, quil'emporta. Le désespoir de Henri 111 ne peut s'exprimer. Il passa plusieurs jours dans les pleurs et dans les gémissements, et il ne se montra en public que dans le plus grand deuil. Il y avait plus de quatre mois que la princesse était morte et enterrée à l'abbaye de Saint-Germain des Prés, lorsque Henri III, en entrant dans cette abbaye, où le cardinal de Bourbon l'avait invité à un grand souper, ressentit des saisissements de cœur si violents, qu'on fut obligé de transporter ail- leurs le corps de cette princesse. Enfin il ne cessa de l'aimer, quelques efforts qu'il fît pour étouffer cette passion malheureuse'. A quelques années de là, le chevalier Digby donnait, par ses prodiges, une vogue toute nouvelle à la doctrine des sympathies. Il ajoutait tant de foi à cette doctrine, qu'il ne craignait pas d'opérersur lui-mèmeet sur les personnes qui lui étaient les plus chères. Désirant prolonger la vie de sa femme, Venetia Anastasis, la plus belle personne de son siècle, il lui faisait manger des chapons nourris avec des vipères, qu'elle avalait sans répugnance et même avec plaisir. A cette époque même, l'étonnante aventure du baron de Vesins vint for- tifier encore la croyance au sympathéisme. Le récit qu'on va lire est emprunté à l'auteur du Dictionnaire des merveilles de lanature. François le Port de la Porte, baron de Vesins Latour-Landry, était un fils posthume du baron de Vesins qui fut enlevé des bras de sa nourrice et transporté en Hollande. Là, sans ressources et sans crédit, le jeune homme apprit le métier de cordonnier. Devenu habile dans ce métier, il alla chercher de l'ouvrage en Angleterre, et il en trouva chez un cordonnier de Londres. Un Français, M. de Latour-Landry, entra, un jour, dans cette boutique, pour commander une paire de bottes. Le maître dit à son compa- gnon, à qui, par le plus heureux hasard, on avait conservé son propre nom : Yesins, prends la mesure de Monsieur. Ce nom rappelle à l'étranger la catastrophe arrivée au fils du baron de Vesins, son parent ; il considère ce jeune homme, admire son port, sa physionomie, son air aisé et ses manières nobles. Pendant que le garçon cordonnier se met en devoir de prendre la mesure des bottes, quelques gouttes de sang lui tombent du nez. M. Latour-Landry l'examine de plus près, et lui demande quel est son pays. Le jeune homme lui répond qu'on lui a dit qu'il est Français et d'une famille distinguée, mais qu'il n'en sait pas davantage. L'étranger, sans rien témoigner de ses soupçons, dit seulement au maître cordonnier de lui faire apporter ses bottes par l'î com- 1. Saiate-Foix, Essai sur l'histoire de Paris. LE MAGNÉTISME ANIMAL 219 pagnon. Celui-ci les porta effectivement, et comme il les lui faisait essayer, il tomba encore de son nez quelques gouttes de sang. M. de Latour-Landry en fut frappé, et se rappelant que les Vesins naissaient ordinairement avec un seing entre les deux épaules, il fit dépouiller le jeune homme de ses vêtements, et ayant vu cette marque entre ses épaules, il n'hésita plus aie reconnaître pour le baron de Vesins. Il le fit habiller selon sa qualité, et lui ayant donné un équipage convenable, il le ramena à Vesins, où il fut reconnu par sa nourrice. Il le fit rentrer dans ses biens et lui donna sa fille en mariage. Ce fait fut constaté par un monument public, par un hôpital que le nou- veau baron de Vesins fonda, le 7 septembre 1634, sous le titre de Saint- François^ son patron, et qu'il donna à desservir à six frères de la Charité, pour le soulagement de vingt malades. Cette fondation fut confirmée par lettres patentes de Louis XIII au mois d'avril 1637 Parmi tant de philosophes, de médecins et de physiciens qui se sont occupés du magnétisme, au seizième et au dix-septième siècle, il en est un chez lequel Mesmer aurait pu puiser plus abondamment que dans tous les autres le fond et la forme de sa doctrine. On doit même dire que l'Écossais Guillaume Maxwell résume d'avance à lui seul tous les éléments du mesmérisme. D'a- bord il reconnaît un grand principe vital, dont le soleil est le principal foyer, et qui des astres se communique, par l'intermédiaire de la chaleur et de la lumière, aux corps disposés à le recevoir. [SlelUe vitalem spiritiim corpori disposito legant per liicem et calorem^ eidemque iisdem mediis infundunt. Aphorismus 17.) C'est un esprit qui descend du ciel et qui y remonte, par un mouvement perpétuel de flux et de reflux. (A cœlo spiritus perpétua finit, et ad idem refluit. Aph. 38.) C'est l'esprit universel qui maintient toutes les choses dans l'état où elles sont. Tout ce qui est corps et matière ne pos- sède aucune activités'il n'est animé parcetesprit, etqu'il nelui tienne lieu, en quelque sorte, de forme et d'instrument, car les corps servent, pour ainsi dire, de base à l'esprit vital; ils le reçoivent et c'est par lui qu'ils opèrent. L'esprit universel qui descend du ciel, inaltérable et pur comme la lumière, la source de V esprit vital particulier qui existe en toutes choses; cest lui qui le forme, r entretient , le régénère et le multiplie. (Aph. 5, 6, 13, 27.) « Si vous savez employer, dit Maxwel, des corps imprégnés de l'esprit universel, vous en tirerez un grand secours. C'est en cela que consistait tout le secret de la magie. Cet esprit se trouve dans la nature; il existe même partout, libre de toute 1. Dictionnaire des merveilles de la nature, par A. J. S. D. Tome III, pag^s 331-333. 220 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE entrave, et celui qui sait l'unir avec un corps qui lui convient, possède un trésor préférable à touteti les richesses. On peut, par des procédés merveilleux, le commu- niquer à tous les corps, suivant leur disposition, et augmenter ainsi la vertu de toutes choses. » (Aph. 68, 3, 38.) Et il ajoute : « Celui qui sait agir sur l'esprit vital particulier à chaque individu peut guérir, à quelque distance que ce soit, en appelant à son secours l'esprit universel. Celui qui regarde la lumière comme étant l'esprit universel ne s'éloigne pas beaucoup de la vérité; c'est, en effet, ou la lumière elle-même, ou c'est en elle au moins qu'il réside. » (Aph. 69, 78.) Maxwell nous assure que d'habiles magiciens ont plusieurs manœuvres, plus admirables les unes que les autres, pour extraire l'esprit universel de la lumière. Mais il n'indique, du reste, aucune de ces manipulations. « C'est, dit-il, un des grands secrets des philosophes, de savoir employer l'esprit universel pour porter à une fermentation naturelle l'esprit vital particulier à chaque chose, et de pouvoir également par des opérations répétées, calmer les troubles et le tumulte qui peuvent en résulter. Si vous voulez opérer de grands effets, ajoutez au corps une plus grande quantité de cet esprit, ou, s'il est engourdi, sachez le ranimer. Celui qui pourra employer cet esprit imprégné de la vertu d'un corps et le communiquer à un autre corps disposé à éprouver des changements, aura le pouvoir d'opérer des choses étonnantes et merveilleuses. » (Aph. 52, 7.) Le système de Maxwell, comme celui de Mesmer, est tout physique. Comme Mesmer encore, Maxwell n'a connu que du magnétisme simple, c'est- à-dire non accompagné de somnambulisme. Libavius, disciple de Maxwell, ne fait que reproduire ses doctrines. 11 reconnaît aussi que les magiciens n'opéraient qu'en réfléchissant l'esprit universel : « En réfléchissant cet esprit, principe du magnétisme, comme on réfléchit la lumière dans une glace, on peut en diriger l'action sur un individu. » Il reste bien une difficulté qu'aucun magnétiste, pas même Maxwell, n'a encore levée à la satisfaction des profanes. V esprit principe doit être difficile à saisir. Il est évident qu'avec lui on peut tout et quelques autres choses encore, mais comment s'en emparer? Voici toute la réponse que nous trou- vons à cette question, bien prévue par Maxwell, mais éludée par lui, au moyen d'un tour de phrase qui semble plus fait pour nous mystifier que pour nous instruire. (( C'est perdre son temps, dit-il, que de chercher cet esprit salutaire autre part aue sur le sommet des plus hautes montagnes. » LE MAGNÉTISME ANIMAL 221 Quant à rapplication ou à l'administration de V esprit, il n'est pas moins cnigmatique. <( C'est ici, dit-il, qu'on peut sentir toute l'excellence de la médecine magnétique, dont les secours peuvent être accumulés sans qu'on ait à craindre d'occasionner des suites fâcheuses, ou de troubler la nature Dans la médecine ordinaire, on emploie des remèdes internes et qui ne sont pas toujours exempts de mauvaises qualités. Dans la médecine magnétique, au contraire, on ne fait usage que de secours extérieurs, et qui sont toujours pris dans la classe de ceux qui fortifient '. -> En cela, du moins, mais en cela seulement, Mesmer l'emporte sur tous ses prédécesseurs, car il a enseigné, dogmatiquement analysé, synthétisé et surtout exercé sous les yeux du public, l'art de saisir et de diriger X esprit universel. A sa théorie il a joint une pratique consistant en procédés positifs, sensibles, qu'il a déterminés, classés, subordonnés et codifiés pour ainsi dire. Telle fut l'importante innovation qui fît sa vogue et sa fortune. Mais il laissa dans l'ombre, avec sa théorie, la manière de s'emparer et de produire au dehors l'insaisissable agent qui produisait ces phénomènes. Maxwell, persuadé d'ailleurs que toute maladie provenait de la diminution ou de l'épuisement de l'esprit vital, n'hésitait pas à regarder le magnétisme comme la médecine universelle. « Qu'il puisse y avoir, dit-il, un remède universel, c'est ce dont on ne peut douter; car, en le fortifiant, on rend l'esprit vital particulier capable de guérir toutes sortes de maladies La médecine universelle n'est autre chose que l'esprit vital augmenté, multiplié dans un sujet convenable. » (Aph. 93, 94.) Il attribuait également à l'esprit vital dûment administré les pouvoirs de prévenir les maladies, de conserver la santé et de prolonger la vie. « Celui, dit-il, qui pourra fortifier l'esprit vital particulier au moyen de l'esprit imiversel, pourrait aussi prolonger la vie jusqu'à un âge très avancé, si l'influence des astres ne s'y opposait [nisi stellœ reluctarentur) Celui qui connaît l'esprit universel et qui sait en faire usage peut éloigner toute corruption, et conserver à l'esprit vital son empire sur le corps. » (Aph. 70, 92.) Enfin Maxwell, comme la plupart des magnétistes de la même période, croyait posséder l'art d'agir, non seulement sur l'état physique des individus, mais encore sur leurs dispositions morales, qu'il se flattait de pouvoir mo- difier de plusieurs manières. En homme d'honneur et de délicatesse, il se faisait un devoir de mettre en garde les parties intéressées contre l'abus que 1. Medicina magnetica, p. 199, 58. 222 LES MYSTERES DE LA SCIENCE l'on pourrait faire d'un secret très propre à procurer un empire absolu sur l'esprit et sur le cœur des femmes. « 11 n'est pas prudent, disait-il, de traiter ces objets, h cause des dangers (ces dangers sont indiqués avec plus de précision dans le texte latin) qui peuvent en résulter. Si même on s'expliquait ouvertement sur ce point, les pères ne pourraient plus être sûrs de leurs filles, les maris de leurs épouses, ni les femmes répondre d'elles-mêmes ^ » Comme Maxwell ne prescrit ni geste ni manipulations pour diriger et faire agir le magnétisme animal, il est à présumer que la méthode des magné- liseurs de son temps ne consistait pas dans l'attouchement et les passes. Comme, d'un antre côté, ils croyaient tous qu'il s'exhalait du corps humain une certaine quantité d'esprits, ou, pour mieux diro, une porlion même de l'esprit vital dont elles étaient animées et qui les liait ensemble par une correspondance mutuelle, une sorte d'enchaînement {conçut enaiio), il est vraisemblable que les magnétiseurs de cette époque ne savaient diriger l'esprit vital qu'en préparant et en établissant cette correspondance par ce qu'ils appelaient des mumies, par des talismans, des sachets, des boîtes magiquées, etc., et que, par conséquent, toute la médecine magnétique, soit naturelle, soit morale, consistait alors dans le sympathéisme. Ce sera encore là une différence, nous ne voulons pas dire un avantage, qui séparera Mesmer de ses prédécesseurs. Parmi ceux-ci, un seul s'éloigna tout à fait de Mesmer par la doctrine, et c'est précisément le seul qui s'en rapproche par la pratique ; nous voulons parler de Valentin Greatrakes, le plus grand thaumaturge du dix-septième siècle. Irlandais d'assez bonne maison, Valentin Greatrakes s'était voué dès sa jeunesse à la carrière des armes. Un jour, — c'était en l'année 1662, d'après le récit qu'il a donné lui-môme de sa vie, — Greatrakes apprit, par une secrète révélation, qu'il possédait le don de guérir les écrouelles. Sa modestie dut souffrir en se voyant, lui, simple chevalier, mis de plain-pied au niveau des rois de France et d'Angleterre. Quoi qu'il en soit, il eut foi dans une inspiration venue d'en haut; ayant rencontré deux ou trois individus atteints d'écrouelles, il les toucha et les guérit. Cela se passait en Irlande. Quelques années après, une fièvre épidémique se déclara dans sa province. Greatrakes fut averti, par une seconde inspiration, 1. Non satis tutum ds his agere propter perictilum. Ansam prœbere polest luxnriosœ libidinis cxplendse vel maximam. Imo, si hœc conclusio claré expUcarelur [qiiod averlat Detis) paires de filiabus, mariti de v -ioribus, imo fœminx de semetipsis, certx esse nequirent. (Gap. xiii, Conclus. 12.) LE MAGNÉTISME ANIMAL 223 qu'il pouvait aussi guérir ce genre de maladie; il essaya, et guérit, ou crut avoir guéri, ceux qui lui furent amenés. Les révélations ne tardèrent pas à se succéder, et avec elles les pouvoirs de Greatrakes. Au mois d'avril 1665, la voix intérieure lui suggéra qu'il avait le don de guérir les plaies, les ulcères, et bientôt l'hydropisie, les convulsions et une infinité d'autres maladies. Tous ces succès lui attirèrent la jalousie du clergé, qui lui interdit le droit de con- tinuer ses cures. Mais il était trop tard, la réputation de Greatrakes était faite. Il passa pendant la même année en Angleterre, où sa marche fut une procession triomphale. Dans tous les comtés qu'il traversait, les magistrats des villes et des bourgs accouraient à sa rencontre, pour le prier de venir toucher leurs malades, car c'était là son unique manière de guérir. Par ces attouchements il déplaçait les douleurs, les faisait doucement passer d'une partie du corps à une autre, et les conduisait ainsi jusqu'aux extrémités, après quoi elles se trouvaient dissipées, {au moins pour le moment. Le roi d'Angleterre, informé de ces cures extraordinaires, que la voix publique racontait partout, en y ajoutant de miraculeuses circonstances, fit ordonner à Greatrakes, par le comte d'Attinglon, secrétaire d'État, de se rendre à White-Hall. On n'était pas fort superstitieux à la cour de Charles II. Sans être bien convaincu des miracles du toucheur, on lui laissa toute liberté d'en faire, et les clients ne lui manquèrent pas : car il n'exigeait aucune rétribution des malades, donnant pour rien, comme le veut l'Évangile, ce qu'il avait reçu pour rien. Le duc de Buckingham, l'homme le plus sceptique des trois royaumes, aiïecté d'une douleur àl'épaule, voulut être touché par Greatrakes, et, dit-on, il s'en trouva bien. Saint-Évremond, alors exilé à Londres, nous apprend, dans sa pièce intitulée le Prophète irlandais^ que l'ambassadeur de France, M. de Comminges, ayant fait venir Greatrakes à son hôtel, pour satisfaire plusieurs personnes qui voulaient voir quelques-uns de ses miracles, la cohue des infirmes et des curieux fut si grande qu'on eut beaucoup de peine à contenir le monde et à régler les rangs». Saint-Évremond, esprit satirique, a exercé sa verve caustique aux dépens de ce bon Valenlin Greatrakes, qui pourtant, d'après les plus honorables témoignages, n'était ni un charlatan ni un personnage ridicule. C'était, au contraire, un homme simple et pieux, que personne en Angleterre n'a pu sérieusement taxer de mauvaise foi. Pechlin, dans ses Observatmis médi- cales \ rapporte ce qu'ont écrit sur ce toucheur, trois hommes graves et com- 1. L'Antimagnélisme, p. 173. 2. ./. N. Pechlini Observalionum medicarum lihri très. Hiimburgi, 4691. 224 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE patents, dont les attestations doivent paraître d'un tout autre poids que les plaisanteries, plus ou moins spirituelles, de Saint-Évremond. C'est d'abord le savant Georges Rust, doyen de Conmor, puis évêque de Dromor en Irlande, qui s'exprime ainsi : « Par l'application de sa main Greatrakes faisait fuir la douleur et la chassait aux extrémités. L'effet était quelquefois très rapide, et j'ai vu queJques personnes guéries comme par enchantement... Ces guérisons ne m'induisaient point à croire qu'il y eût quelque chose de surnaturel. Lui-même ne le pensait pas, et sa manière de guérir prouve qu'il n'y avait ni miracle, ni influence divine. 11 parait qu'il s'échappait de son corps une influence balsamique et salutaire. Plusieurs maladies ne cédaient qu'à des attouchements réitérés; quelques-unes même résistaient à ses soins. Greatrakes croit que la faculté qu'il possède est un don de Dieu. Il était quelquefois étonné de sa puissance et allait jusqu'à douter si ce n'était pas une illusion. Mais enfln, s'étant persuadé que Dieu lui avait accordé une faveur parti- culière, il se dévoua uniquement au soin des malades. » « J'ai été frappé, dit le célèbre docteur Faireclow, de sa douceur, de sa bonté pour les malheureux, et des effets que sa main produit. Il n'emploie aucune cérémonie étrangère. Lorsqu'il a guéri quelqu'un, il ne s'en glorifie pas ; il se borne à lui dire : « Que Dieu vous conserve la santé ; » et, si on lui témoigne de la reconnaissance, il répond sérieusement qu'il faut remercier Dieu seul... Il se plaît surtout à donner ses soins aux matelots et aux soldats malades par suite des blessures qu'ils ont reçues ou des fatigues qu'ils ont éprouvées à la guerre. » Enfin, voici ce que rapporte un autre savant médecin, Astélius : « J'ai vu, dit-il, Greatrakes soulager à l'instant les plus vives douleurs par l'application de sa main. Je l'ai vu faire descendre une douleur de l'épaule jusqu'aux pieds, d'où elle sortait enfin par les orteils. Une chose remarquable, c'est que, lorsqu'il chassait ainsi le mal qu'il était obligé de discontinuer, la douleur restait fixée dans l'endroit où il s'arrêtait, ei ne cessait que lorsque, par de nouveaux attouchements, il l'avait conduite jusqu'aux extrémités. (Juand les douleurs étaient fixées dans la tête ou dans les viscères, et qu'il les déplaçait, elles produisaient quelquefois des crises effrayantes, et qui faisaient craindre pour la vie du malade, mais peu à peu elles passaient dans les membres, et il les enlevait entièrement. J'ai vu un enfant de douze ans, tellement couvert de tumeurs scrofu- leuses qu'il ne pouvait faire aucun mouvement : Greatrakes fit résoudre la plupart de ces tumeurs par la seule application de la main ; il ouvrit avec la lancette celles qui étaient les plus considérables et il guérit les plaies en les touchant, et en les mouillant quelquefois de sa salive. » Astélius fait d'abord remarquer, comme RQStet Faireclow, qu'il n'y avait rien de miraculeux dans les guérisons opérées par Greatrakes, qu'elles n'étaient pas toujours complètes, et une, même quelques-unes, ne réussis- saient pas. LES EXORCISMES DE GASSiNER (f AGE 230) LE MAGNÉTISME ANIMAL 227 De ce qui précède, ilrésulle que Valentin Greatrakes exorcisait en quelque sorte les maladies, et par là autant que par la simplicité de ses attou- chements, il se rapproche de Gassner, un véritable exorciste, lui, dans toute l'étendue du mot, et qui se donnait franchement pour tel. C'est donc le moment d'ajouter quelques détails à ce que nous avons dit, en commençant, de Gassner, ce prêtre, contemporain, compatriote et rival de Mesmer en Allemagne. Ce fut, comme Greatrakes, par une sorte d'inspiration que Gassner se crut appelé à opérer des guérisons. Selon le précepte de la charité bien ordonnée, il commença par lui-même. Valétudiniaire depuis cinq ou six ans, ayant consulté inutilement beaucoup de médecins, et essayé sans succès d'une foule de remèdes, il lui vint à l'esprit qu'une maladie si obstinée pouvait bien tenir à quelque cause surnaturelle, en un mot, qu'il était possédé du démon. A tout hasard, il somma le diable, au nom de .lésus-Christ, d'avoir à sortir de son corps; et le diable sortit. Gassner atteste qu'il fut si radicalement guéri, que pendant seize ans il n'eut besoin d'aucun autre remède, spirituel ou autre. Ce succès le fit réfléchir; la guérison des maladies du corps en général n'élait-elle point l'effet de l'exorcisme? Ni les savants théologiens qu'il con- sulta, ni les gros livres qu'il interrogea sur la matière, ne lui ayant paru contraires à cette opinion, il demeura convaincu qu'il y a beaucoup de maladies suscitées et entretenues par l'esprit malin. Les essais que fit Gassner sur quelques malades de sa paroisse eurent tant de succès, que sa renommée se répandit bientôt dans toute la Souabe, la Suisse et le Tyrol. Appelé de tous côtés, il dut quitter sa petite cure de Closterie, où chaque année il recevait de quatre à cinq cents malades. Portant ses secours en divers lieux, il fit un assez long séjour à Elwagen, et alla enfin se fixer à Ratisbonne, sous la protection du prince-évêque de cette ville. C'est là que l'affluence des malades fut si grande que, d'après certaines relations, on aurait vu à un certain moment jusqu'à dix mille clients campés sous des lentes autour de Ratisbonne. Comme nous l'avons dit, Gassner se déclarait exorciste et rien de plus ; il ne se prévalait que du droit commun de tous les ecclésiastiques de l'ordre mineur, à qui l'Église confère le pouvoir de guérir, non les maladies naturelles, mais les possessions démoniaques. On admettait alors de plain-pied la division des maladies en ces deux classes; mais comme, en pratique, c'était Gassner lui-même qui établissait la distinction, il était naturellement porté à mettre les plus nombreuses au bilan du diable, et à s'en altribuer la cure, laissant le reste aux médecins. 228 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE dont il se moquait d'ailleurs beaucoup, comme ayant, depuis Hippocrate, la simplicité d'étudier les caractères et le traitement des différentes maladies. Fidèle à ce principe, Gassner n'entreprenait jamais une cure sans avoir commencé par un exorcisme d'essai [exorcismiis probatorius)^ afin de reconnaître si la maladie était produite par la nature ou par le démon. Selon lui, ce genre d'épreuve n'était pas toujours infaillible. Quelquefois, par une perfidie de l'esprit malin, les caractères de la maladie sont si peu prononcés qu'il peut y avoir équivoque. Alors, de toute l'énergie de la foi qui l'animait, il forçait le démon à manifester le mal par des symptômes d'une extrême véhémence. Il pouvait même l'obliger à produire chez le sujet une crise dansante^ ou sautante^ ou larmoyante^ et cela jusqu'à ce qu'il plût à l'exorciste d'ordonner à Satan de fuir. « Gassner, dit l'auteur de l'Antimagnélisme, est pour l'ordinaire assis, ayant une fenêtre à sa gauche, un crucifix à droite, le visage tourné vers les malades et les assistants. 11 porte une étole rouge à son cou, ainsi qu'une chaîne d'argent à laquelle pend une croix, dans laquelle il dit qu'il a un morceau de la vraie croix. 11 a une ceinture noire. Tel est son appareil ordinaire. Il reste ainsi orné quelquefois toute la journée dans sa chambre. Il fait mettre le malade à genoux devant lui. Il lui demande d'abord de quel pays il est et quelle est sa maladie. Il l'exhorte ensuite à la foi en Jésus-Christ. Il touche la partie malade et ordonne à la maladie de se montrer. Quelquefois il frotte ses mains à sa ceinture ou à son mouchoir, et secoue ensuite la tète des malades ou la leur frotte rudement ainsi que la nuque. Il pose aussi très souvent l'extrémité de sa ceinture sur les parties malades *. » Après ces préliminaires, supposé qu'ils eussent eu le résultat le plus généralement attendu, Gassner procédait à l'exorcisme véritable, c'est-à-dire à l'expulsion du démon qui produisait la maladie. Mais il était rare qu'il réussît du premier coup. Il lui fallait plusieurs heures, et quelquefois même plusieurs jours pour y parvenir. Le docteur de Haën, premier médecin de l'impératrice-reine de Hongrie, dans son traité De miraculis, a consacré à Gassner un long chapitre, où il résume tout ce que ce toucheur a raconté lui-même de ses cures, et ce qui est attesté dans le procès-verbal qu'on en fit dresser à l'évêché de Ratis- bonne^ On se rendait des pays les plus éloignés à la consultation et aux traitements de Gassner, puisque, dans le nombre de ceux qu'il a guéris ou U Pag. 204. 2. Procès-verbal des opérations merveilleuses, suivies d" guérison, qui se sont faites en vertu du sacré nom de Jésus, par le ministère du sieur Gassner, prêtre séculier et conseiller ecclésiastique de S. A. le prince-évéque de Ratisbonne et d'Ellwangen. A Sehilliiigsfort, chez Germain-Dauiel Lobe- gots, imprimeur de la cour Je S. A. S. -Mgr le prince régnant de UoUeulokt et de W il lom bourg, 1775. LE MAGNÉTISME ANIMAL 229 exorcisés, nous voyons figurer un sieur Charlemagne, laboureur à Bobigny, près Pantin, lequel atteste lai-même sa guérison avec tout le détail de ce qu'il a éprouvé sous la main du célèbre toucheur. Parmi ces cures, les partisans de Gassner font valoir surtout celle de la jeune Émilie, fille d'un officier de la maison d'un grand prince d'Allemagne. Il ne sera pas inutile de donner le récit de cette opération, qui est considérée comme le triomphe de Gassner, et qui aura l'avantage de nous faire connaître ses procédés dans toute leur étendue. Agée de dix-neuf ans, cette jeune Allemande éprouvait des convulsions, dont les accès duraient souvent des heures entières, et qui se renouvelaient plusieurs fois dans la même journée. Il y avait deux ans et demi que le mal darait. Un médecin de Strasbourg, à qui le père d'Emilie l'avait confiée, lui avait procuré un grand soulagement; elle se croyait même guérie, sauf quelques maux de tête et d'estomac, et un certain abattement dans l'esprit, qui donnait encore des inquiétudes. Gassner était alors à EUwangen ; Émilie se mit en marche pour cette ville, éloignée de cinquante lieues de son domicile. Durant tout le voyage elle était gaie et bien portante. Arrivée à EUwangen, elle assista pendant deux jours aux opérations de Gassner, qui lui était alors tout à fait inconnu, et elle le vit exorciser, sans éprouver la moindre émo- tion. Il lui prit cependant envie de lui parler. Elle lui raconta ce qu'elle avait longtemps éprouvé, et comment le médecin de Strasbourg l'avait guérie. Mais Gassner, protestant contre cette prétendue guérison, apprit à Émilie que sa maladie était maintenant d'autant plus dangereuse, qu'elle se dissi- mulait, mais que, par la vertu de ses exorcismes, il saurait bien la forcer de reparaître. Et Gassner de se mettre à l'œuvre sur-le-champ, il ordonne à la maladie ou plutôt au démon de se montrer au bras droit, au bras gauche, au pied droit, au pied gauche, dans tout le corps; et il est fait selon son comman- dement. Il commande à Émilie de pousser des cris, de tourner les yeux, d'éprouver les plus fortes attaques de sa maladie; et durant une minute la jeune Émilie est en proie à des convulsions. Tout se termina dès que Gassner eut prononcé le mot cesset. C'était la première fois que l'exorciste parlait au diable en latin, car jusque-là tous les ordres avaient été donnés en langue allemande. Du reste, ce diable, plus savant que ceux des Ursulines de Loudun, entendait le latin à merveille, comme pour faire honneur, ont dit les mécréants, à l'instruction qu'Émilie avait reçue dans sa noble famille. Cette crise terminée par le cesset avait été violente, mais sans douleur. A 230 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE partir de ce moment, on vit la malade se calmer, se lever, sourire aux assistants, assurant qu'elle se trouvait entièrement soulagée. Ce n'était pourtant là que l'exorcisme probatoire. Gassner devait le recommencer avant l'exorcisme de la guérison. Il voulut que celle-ci fût opérée avec la plus grande publicité. Malgré la répugnance d'Emilie, qui persistait à ne pas se croire malade, il fallut se rendre à son désir. Il fut donc convenu qu'on choisirait une société de vingt personnes notables, qui pourraient rendre, et qui rendirent effectivement témoignage des opérations. Le même jour, à huit heures du soir, les personnes choisies se réunirent avec Bollinger, chirurgien-accoucheur, qui venait de la part du baron de Kuveringen, commissaire du prince d'Ellwangen. Gassner commença par exhorter Emilie à mettre sa confiance en Dieu et Jésus-Christ, dont4a puis- sance, bien supérieure à celle du démon, serait le seul agent de sa guérison future. Il la fit ensuite asseoir sur une chaise vis-à-vis de lui, et lui adressa ces paroles : <( Prsecipio iibi, in nomine Jesu, ut minister Christi et Ecdesiœ^ veniat agitatio brachiorum qiiam antecedenter habuisti; » Émilie com- mença à trembler des mains. « Agitentur brachia tali paroxysmo qualem antecedenter habuisti ; » elle retomba vers la chaise, et toute défaillante, elle tendit les deux bras. « Cesset paroxijsmus soudain, elle se leva de sa chaise, et parut saine et de bonne humeur. « Paroxysmiis veniat iterum vehementius, ut antè fuit et quidem per totum corpus; » l'accès recommença. Le chirurgien, Bollinger, lâta le poub à Émilie, et le trouva accéléré et intermittent. Les pieds se levèrent jusqu'à la hauteur de la table; les doigts et les bras se raidirent; tous les muscles et tendons se retirèrent, de telle sorte que deux hommes forts se trouvèrent hors d'état de pouvoir lui plier les bras, disant qu'il était plus facile de les. rompre que de les plier. Les yeux étaient ouverts, mais contournés, et la tète si lourde qu'on ne pouvait la remuer sans remuer tous le corps. L'exor- tiste ayant continué : « Cesset paroxysmus in momento; » Émilie reprit aussitôt sa santé et sa bonne humeur, et répondit à la demande comment elle se trouvait : « Les autres pleurent, je ne pleure point. » Interrogée encore si elle avait beau- coup souffert, elle dit — réponse nécessairement conforme à ses souhaits antérieurs et aux commandements de Gassner — qu'elle avait ressenti des douleurs aux premiers moments, mais qu'ensuite elles avaient cessé. Sur quoi Gassner commençant de nouveau : « Ycniat morbus sine dolore, cum summâ agitatione per totum LE MAGNÉTISME ANIMAL 231 corpus; » au mot corpus^ la crise revint : les pieds, les bras, e cou, tout devint raide. « Cesset; » tout se rétablit, et Émilie confessa n'avoir éprouvé aucune douleur. « Veniat paroxysmus cum doloribus; in nomine Jcsu^ moveatur totum corpus; » le corps retomba et se raidit. « Tollantur pedes; » Émilie poussa si fortement contre la table, qu'elle renversa une image de laiton de la hauteur d'un demi-pied qui était dessus. Pouls accéléré et intermittent pendant cet accès. « Redeat ad se ; » elle revint à elle-même, en avouant avoir ressenti les plus vives douleurs dans l'estomac, dans le bras et le pied gauches. > Tous les corps, suivant Mesmer, sont pénétrés de cette matière première, créée par l'Être suprême, mise en mouvement par sa toute-puissance, et de laquelle dépendent l'existence, la forme et le mouvement régulier des astres. Dans l'homme, les nerfs lui paraissent les conducteurs immédiats du fluide universel ; et puisque l'homme, par sa volonté, commande à ses nerfs, il possède la faculté de concentrer, de modifier et de diriger ce fluide par lequel tous les corps de la nature influent les uns sur les autres. Mais ce fluide non concentré, non dirigé, abandonné à l'impulsion que Dieu lui a donnée en le créant, a-t-il une forme constante d'action ou de mouvement? en d'autres termes, suit-il une loi qu'il nous soit possible de reconnaître? Mesmer lui en reconnaît deux. Ses fausses notions sur l'aimant lui faisant 1. Loc. cit. 250 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE admettre deux torrents magnétiques qui courent en sens opposé, non de l'équateur vers les pôles, comme le veulent quelques physiciens qui admet- tent aussi un double courant, mais d'un pôle à l'autre. Il transporte cette hypothèse dans tous les êtres de la nature animée et inanimée, et trouve enfin une explication dont il croit devoir être content. « Chaque corpSj dit-il, a ses pôles et ses surfaces; le fluide universel, dont le double torrent pénètre ce corps par chaque pôle, observe toujours la même direction, tant que celle-ci n'est point variée par un courant plus violent que le premier. Voilà ce qui constitue le renforcement du magnétisme minéral, aussi bien que celui du magnétisme animal » Ces variations qui surviennent dans la direction des courants, doivent créer accidentellement de nouveaux pôles. Aussi Mesmer en admet-il plu- sieurs. La cause qui produit ces phénomènes et le renforcement pour le magnétisme minéral, il ne la fait pas connaître; mais pour le magnétisme animal, il est manifeste que c'est l'intervention de l'homme, ou ce qu'il appelle l'action du magnétisme. Tels sont les seuls éléments de théorie que Mesmer eût encore livrés au public, et il n'y ajouta pas un seul trait depuis. On a dit, pour l'excuser, qu'il ne voulait pas livrer aux savants une découverte qui devait faire sa for- lune, et que, dès lors, c'est à dessein qu'il restait obscur. Mais cette raison, qui pouvait être bonne à son début à Paris en 1780, ne l'était plus en 1783. Mesmer venait de recevoir de l'argent pour prix do sa théorie, il devait s'exé- cuter. Il fallait qu'il l'exposât dans toute son étendue et toute sa profondeur à ses actionnaires, ou qu'il leur fournît des éléments nets, clairs, positifs et concordants, à l'aide desquels ils pussent la faire formuler. Des rédacteurs, et même des écrivains très experts étaient tout prêts, mais leur zèle demeura sans emploi. Indépendamment des quatre rédacteurs, Bergasse était parvenu à faire nommer dans la société un comité d'instruction^ qui devait s'occuper de réduire les paroles de Mesmer au petit nombre de vérités qu'elles renfer- maient, en laissant de côté plusieurs points sur lesquels Bergasse avait déjà osé proposer quelques doutes. C'était chercher si la théorie promise et toujours attendue avait des bases réelles. Mais les doutes de Bergasse, irritant Mesmer, qui communiqua sa mauvaise humeur à plusieurs enthou- siastes dont il s'était entouré, on fit si bien que le comité d'instruction ne fonctionna pas plus que le corps des rédacteurs. Pour tout renseignement, Mesmer paraissait vouloir s'en tenir à cette 1. Loc. cit. Cil U UT DE G LU ELI. N (D'apiL'S un niodaillon do la Bibliothcquo nationale cic F'aris.) 33 LE MAGNÉTISME ANIMAL 259 déclaration, qui avait déjà figuré dans son Précis historique: « Le magné- tisme animal doit être considéré dans mes mains comme un sixième sens artificiel. Les sens ne se définissent ni ne se décrivent : ils se sentent. On essayerait en vain d'expliquer à un aveugle de naissance la théorie des couleurs. Il faut les lui faire voir, c'est-à-dire sentir. Il en est de même du magnétisme animal. Il doit en premier lieu se transmettre parle sentiment. Le sentiment seul petit rendre la théorie infaillible \ » Tout ce qu'on avait pu tirer de lui, dans les premières séances, c'étaient quelques dictées recueillies par des élèves et rédigées par eux en cahiers, que Mesmer se réservait, in petto, de désavouer d'une manière plus ou moins désobligeante, toutes les fois qu'il aurait intérêt à le faire. Tel est l'affront que Galard de Montjoie essuya le premier, pour ses publications dans le Journal de Paris. On voit, dans l'écrit publié par cet adepte, que Mesmer, avant de parler de sa méthode particulière, et sans doute pour en parler le moins possible, avait commencé par faire étalage d'une grande érudition, empruntée à des livres d'astrologie depuis longtemps décriés. 11 avait le droit, et il en abusait, de faire remonter, non pas jus- qu'au déluge, mais jusqu'au soleil et à la lune les sources de son fluide. Dans ce vaste champ qu"il parcourait, on trouvait beaucoup d'idées ramassées en chemin, et çà et là, selon Bergasse, quelques grands aperçus isolés, mais de corps de doctrine ou de théorie, point. Il était évident que, sur le chapitre de la théorie, les actionnaires à cent louis étaient volés ou victimes d'une cruelle mystification. Mais il leur res- tait la pratique, et, sur ce point, il faut le reconnaître, ils en eurent pour leur argent. La plupart d'entre eux auraient sans doute, et à bon droit, rede- mandé le prix de leur souscription, sans l'enseignement pratique qui, suivant les statuts, devait être joint à l'exposé de la théorie, et qui, par le fait, en tint lieu à peu près exclusivement. Or, la pratique réussissait à tout le monde. Il est bien remarquable qu'aucun des élèves de Mesmer, même dans l'amertume des divisions qui éclatèrent souvent entre eux et lui, ne lui fit jamais le moindre reproche sur ce point. Tous conviennent d'une manière unanime avoir appris à magnétiser et à produire des effets sensibles, quel- quefois même extraordinairement heureux, en imitant les procédés du maître . Il les avait répartis entre les différentes salles de son vaste établissement. Là, chacun s'attachant à un ou à plusieurs malades, faisait sur eux les gestes et les mouvements indiqués, s'étonnant de ^trouver en soi une puissance i. Précis historique, p. 24-25. 2G0 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE qu'il n'y soupçonnait point. Les plus instruits des élèves aidaient à former les nouveaux venus, sous la haute inspection de Mesmer. Chaque jour on lui rendait comp-te, par écrit, des effets produits et des succès obtenus. Mesmer lui-même, circulant de salle en salle, magnétisait sans relâche, tant pour donner l'exemple à ses élèves que pour soulager les nombreux malades qui venaient réclamer ses soins. Une cure qu'il entreprit à cette première époque de son enseignement, devait faire beaucoup de bruit. Court de Gébelin, l'auteur du Monde primitif, était un vieux savant, dont quarante années de travaux assidus et de veilles avaient épuisé les forces et réduit le corps au plus déplorable état. Atteint d'hydropisie, il avait une des jambes enflée et volumineuse ; l'autre, au contraire, avait beaucoup perdu de son volume. Un ami engagea Mesmer à aller rendre visite à ce savant, bien digne d'intérêt. Quand le docteur magnétisant entra chez Court de Gébelin, le malade venait de se lever. « Voilà une jambe bien enflée, dit Mesmer ; à quoi l'attiibuez-vous? — 11 n'est pas étonnant, répondit Court de Gébelin, qu'ayant été cinq années au lit, ma jambe se soit enflée. — Fort bien, mais l'autre se dessèche. — Oui, et à vue d'œil. — Ce n'est donc pas le séjour au lit qui en est cause ; les deux jambes auraient éprouvé le même effet. — Cela est raisonnable. Mais à quoi donc l'attribuez-vous vous-même, monsieur Mesmer? dit Court de Gébelin. — A des obstructions qui s'opposent à la distribution naturelle des humeurs et des sucs nourriciers. » Les obstructions étaient le grand cheval de bataille de la médecine de Mesmer. « Des obstructions ! répondit le malade, je ne serais pas étonné, en effet, d'en avoir, travaillant depuis l'âge de sept ans; d'ailleurs, il y a déjà long- temps qu'on m'a dit que j'en avais; mais comme je me portais bien, je n'y ai fait aucune attention. » Mesmer lui parla alors de son traitement magnétique comme souverain contre les obstructions. Mais le malade s'excusa poliment. « Le lendemain, dit Court de GébeJin, mon ami me livre un nouveau combat, m'oblige de m'habiller et de m'emballer sous son escorte, dans une brouette, ne pouvant monter en voiture. Je vais donc chez M. Mesmer, le soulier en pantoufle, la culotte lâche sur le genou, et le visage jaune comme un coing. Cliacnn est LE MAGNETISME ANIMAL 261 étonné de me voir en cet état. M. Mesmer me félicite de mon courage; et moi, qui n'éprouve dans cette séance ni froid ni chaud, ni émotion ni commotion, de rire et de dire : « Que me fera tout cela ? » Mais le lendemain matin je puis chausser mon soulier, mettre deux boutons à ma culotte à côté du genou ; dans deux ou trois jours je n'ai plus de douleur, plus de suif... Au bout de quinze jours, la bile est en fusion comme de l'eau... Bientôt mes pieds, glacés depuis vingt-cinq ans, sont gonflés, moites, chauds; tous les calus, tous les cors aux pieds ont disparu; la peau est rajeunie : j'ai des pieds de quinze ans ; j'en suis d'autant plus réjoui que je ne m'y attendais pas. u Tels sont les effets du magnétisme animal à mon égard, aussi lui suisije bien dévoué Quant à la théorie de Mesmer, elle est vaste et sublime, tenant à l'univers entier ; et, ce qui m'en plaît, ramenant comme moi tout à la nature, qu'il ne fait qu'imiter '. » On ne peut mettre en doute la guérison de Court de Gébelin, puisqu'il porte sa reconnaissance jusqu'à comprendre la théorie du magnétisme animal. Dans son enthousiasme, il se crut même appelé à l'expliquer au public, toute affaire cessante. En effet les souscripteurs à son grand ouvrage du Monde primitif reçurent, à cette époque, à la place de la livraison qui leur était due, une longue brochure, contenant la plus pompeuse apologie de la doctrine mesmérienne. Peu s'en faut qu'il ne prenne le parti de recom- mencer tout à nouveau son volumineux labeur où, pendant plus d'un demi- siècle, il s'est évertué à expliquer les mystères de l'antiquité, sans con- naître le magnétisme, qui lui en eût donné le sens, et dont il retrouve maintenant des traces dans tous les âges. « Les effets merveilleux du magnétisme, dit-il, devinrent une source de vains préjugés, lorsqu'on en eut oublié l'origine, et qu'ils ne furent connus que par une tradition affaiblie et dégradée. Cet agent devient donc actuellement une clef, au moyen de laquelle on retrouve l'origine de ces préjugés dont la cause étaij inconnue, et qui ne pouvait être, comme on le croyait mal à propos, l'effet de la ?-imple ignorance, d'une sotte crédulité, ou d'une vaine superstition. L'ignorance n'enfante rien ; la superstition ne crée pas, elle abuse et corrompt. » Après avoir ainsi établi que le magnétisme se recommande par son anti- quité, Court de Gébelin passe à l'éloge de ses résultats, et là, plus mesmé- rien que Mesmer lui-même, il trouve dans le fluide universel des échappées et des merveilles que personne n'y avait encore vues. Le magnétisme doit perfectionner les esprits, épurer les caractères, en calmant les nerfs, remplis de ce merveilleux fluide qui constitue le magnétisme animal. 1. Leitre de M. Court de Gébelin à M. Morel, secrétaire de ^Académie de Dijon, 28 mai 1183. 262 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Court de Gébelin, ce bonhomme, tout à l'heure si naïf et si calme dans le récit de sa maladie et de sa guérison, devint un apôtre si féroce du ma- gnétisme que, dans des lettres répandues dans tout Paris, il ne parlait de rien que d' exterminer la race des médecins, et ne se montrait pas plus doux pour les apothicaires. Quoique plus contestable que celle de Court de Gébelin, la guérison du P. Hervier, prédicateur célèbre, fit encore plus de bruit dans le monde. Nous aurons à y revenir plus loin. C'est par ces cures retentissantes que Mesmer, imposant à ses amis et à ses ennemis, faisait pâlir l'astre naissant de son rival Deslon, et refoulait dans la poussière cette tourbe de concurrents, toujours obscurs, quoique toujours envieux, qui, se flattant d'avoir deviné ou de lui avoir dérobé son secret, magnétisaient, éleetrisaient, électro-magnétisaient dans tous les coins de la grande ville Il n'y avait qu'un fluide dans l'univers, et c'était celui du magnétisme animal ; le magnétisme animal n'avait qu'un révélateur, qu'un prophète, et c'était Mesmer ; qu'un temple, et c'était l'hôtel de la rue du Coq-Héron, où X ordre de V Harmonie avait établi son Grand-Orient. Pour rendre ces lieux dignes de leur haute destination, on y avait cons- truit une loge sur le modèle de celles de la franc-maçonnerie. L'emblème était un autel ardent, un ciel étoilé, avec la lune en son plein. Sur la bor- dure d'un vaste médaillon où tout cela était représenté, on lisait la devise de l'ordre maçonnique et du magnétisme animal : Omnia in pondère et mensurâ ^. Tel était le sanctuaire ouvert aux fortunés mortels qui pouvaient apporter au grand prêtre une offrande de cent louis. Mesmer n'avait rien négligé non plus pour augmenter l'attrait des salles de traitement. Indépendamment de Xharmonica, qui, sous sa main, rendait toujours des sons d'une douceur ineffable, il avait introduit, dans l'hôtel de la rue Coq-Héron, d'autres ri- chesses musicales empruntées à Deslon. Il y faisait exécuter de mélodieuses symphonies, mais toujours en ré mineur et par des instruments à vent, les instruments à corde produisant, selon lui, des efïets contraires au magné- tisme. Pour calmer l'exaltation des nerfs chez ses malades, il avait fait établir dans le même lieu des douches d'eau froide, qui furent plus d'une fois appliquées. Pour entretenir l'enhtousiasme de ses élèves et du public, à qui ses 1. Ou coQiptait les magnétisants à l'aimant, les magnélisants à l'électricité, les magnétisants à la poudre noire (ceux qui mettaieut de la limaille de fer dans le baquet); les magnétisants au, soufre, les magnétisants au hasard, etc. 2. Histoire du magnétisme en France, de son origine, de son influence. Vienne, 1784; in- 8. LE MAGNÉTISME ANIMAL 263 élèves redisaient ses miracles, Mesmer aimait à faire éclater sa prodigieuse faculté magnétique par des efforts étranges qui faisaient plus de bruit que ses guérisons. u M. Mesmer, dit Thouret, se trouvant un jour avec MM. Camp et d'E auprès du grand bassin de Meudon, leur proposa de passer alternalivement de l'autre côté du bassin, tandis qu'il resterait à sa place. Il leur fit plonger une canne dans l'eau, et y plongea la sienne. A celte distance, M. Camp resoenlit une allaque d'asihme, et M. d'E la douleur au foie à laquelle il était sujet. On a vu des per- sonnes ne pouvoir soutenir cette expérience sans tomber en défaillance. « Un autre jour M. Mesmer se promenait dans les bois d'une terre au delà d'Orléans. Deux demoiselles, profitant de la liberté de la campagne, devancèrent la compagnie pour courir gaiement après lui. Il êe mita fuir; mais bientôt, revenant sur ses pas, il leur présenta sa canne, en leur défendant d'aller plus loin. Aussitôt leur genoux ployèrent sous elles : il leur fut impossible d'avancer. « Un soir M. Mesmer descendit avec six personnes dans le jardin de Mgr le prince de Soubise. 11 prépara un arbre, et peu de temps après madame la marquise de *** et mademoiselle de R et L tombèrent sans connaissance. Madame la duchesse de G se tenait à l'arbre sans pouvoir le quitter. M. le comte de M fut obligé de s'asseoir sur un banc faute de pouvoir se tenir sur ses jambes. Je ne me rappelle pas quel effet éprouva M. Aug.***, homme très vigoureux; mais il fut terrible. Alors M. Mesmer appela son domestique pour enlever les corps; mais je ne sais par quelles dispositions celui-ci, quoique fort accoutumé à ces sortes de scènes, se trouva hors d'état d'agir. Il fallut attendre assez longtemps pour que chacun pût retourner chez soi'. » * La mort du chansonnier Watelet fit une grande impression sur l'esprit du public parisien. Watelet, épicurien moitié artiste, moitié grand seigneur, s'était moqué de Mesmer. Ce dernier, en réponse à ses attaques, lui prédit qu'il ne passe- rait pas l'automne. On était alors au milieu de septembre 1785. Watelet, bien que malade de la poitrine, brava la prédiction du magnétiseur, et déposa chez le concierge de l'hôtel Mesmer cette épigramme : Docteur, tu me dis mort; j'ignore ton dessein, Mais je dois admirer ta profonde science : Tu ne prédirais pas avec plus d'assurance Quand tu serais mon médecin. Or, quelques semaines après cette bravade, Watelet mourait bel et bien. 1. Thouret : Recherches et doutes sur le magnétisme animal, pages 65-67. Les mêmes faits sout racontés dans le Journal de Paris, 1781, n" 44. Nous avons déjà rapporté (pages 23-23 d'après le Dictionnaire des merveilles de ta nature, par M. A. J. S. D. (In-8, Paris, 1781), les résultats extraordinaires d'un essai qui fut tenté en sa pré- sence par Mesmer sur le gouverneur des enfants d'une maison oii il se trouvait. 264 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Tous les admirateurs de Mesmer assistèrent à l'enterrement du chan- sonnier. L'histoire de la petite Marguerite est encore plus singulière. Elle nous offre, pour la première fois, un phénomène somnambulique, qui paraît, d'ailleurs, avoir complètement échappé à Mesmer. Marguerite était une jeune fille de treize ans que le docteur avait prise comme domestique, ou peut-être simplement comme sujet à étudier. Le magnétisme animal la faisait tomber en léthargie, et elle agissait alors commue dans l'état de veille; elle pouvait s'habiller, marcher , faire toutes sortes d'exercices, à la manière des somnambules naturels. Si on lui présentait la pointe d'une baguette magnétisée, elle s'élançait dessus pour la saisir; elle était attirée par Mesmer comme le fer par un aimant, et le suivait partout, même à travers une porte Un jour, elle tomba en crise pour avoir regardé un cadran qui était dans la cour de la maison occupée par Mesmer. Celui-ci voulut bien confiera ses adeptes qu'il avait magnétisé ce cadran. Il aurait ajouté, dit-on, qu'il se faisait fort de magnétiser la lune. Il n'y avait pas de prodiges dont les enthousiastes de Mesmer ne fussent disposés à le croire capable. Qnelques-uns même, trouvant qu'il n'avait pas dit son dernier mot, rêvaient à des applications plus gigantesques du magnétisme. Voici, par exemple, le projet extraordinaire conçu par un de ces élèves, qui ne plaisante pas, comme on pourrait le croire aujourd'hui. Ce projet était adressé, sous forme de lettre, au rédacteur du Mercure de France. « Monsieur, au milieu des jouissances sans nombre de cette capitale, par l'adop- tion du magnétisme, ou plutôt des magnétiseurs, permettez-vous à un nouvel adepte, bien et dûment initié, d'élever la voix? C'est pour vous proposer, Monsieur, et par vous à tout Paris, un moyen nouveau d'étendre ces mêmes jouissances en répandant à la fois sur tous ses habitants le véritable magnétisme... Mon seul but est d'établir, pour Paris exclusivement, un magnétisme plus grand et infiniment plus puissant que tous ceux dont a parlé jusqu'ici... Ils ne sont que de faibles essais, des jeux d'enfants, auprès du magnétisme de Chaillot : c'est ainsi, Monsieur, quo j'appelle celui que je veux mettre en usage, et vous allez voir pourquoi. Des troi> ou quatre grands baquets qui sont établis sur la montagne de Chaillot, pour la distribution des eaux de la Seine à Paris, partent des canaux qui vont aboutir dans tous les quartiers et à toutes les maisons de cette immense ville. On ne me contes- tera pas saris doute (et j'en ai acquis la preuve certaine moyennant cent louis), qu'il ne soit très conforme aux lois de la physique, et plus encore aux principes reçus du magnétisme, que les grands baquets de Chaillot sont de vrais réceptacles, et les canauK qui en snrlont les meilleurs conducteurs de ce fluide universel. Cela 1. Charles Moiiliiiit', Lellre sur le magnétisme. LE MAGNÉTISME ANIMAL 267 posé, le reste va de lui-même. II ne s'agit plus que d'ajouter à la souscriplion annuelle de cinquante livres ouverte par M. Perrier, pareille somme de cinquante livres une fois payée pour chaque maison, et l'on y recevra tous les matins avec le muid d'eau, la quantité que l'on voudra pour la journée. Vous saurez, Monsieur, qu'il est tout aussi facile de magnétiser deux ou trois cent mille muids d'eau que celle d'une simple bouteille ou d'un petit baquet : tout comme de magnétiser à la fuis une forêt entière ne coûterait pas plus que de magnétiser un seul arbre du Luxembourg. Personne n'ignore que ces petits tours de physique se sont déjà répétés plusieurs fois sur les bassins et sur les arbres dans quelques jardins de cette capitale Quant au détail de mon projet, il y aura désormais dans chaque maison, pour y recevoir les écoulements du magnétisme, des cabinets de santé, garnis de pointes, de chaînes, etc., préparés pour les crises, comme il y a des cabinets de bains avec des tuyaux, des robinets. On établira pour le peuple des hospices et des hôpitaux magnétiques, qui seront sans cesse alimentés de ce fluide salutaire, comme en Russie, par exemple, on établit des salles publiques de bains vaporaux, toujours entretenus au même degré de chaleur. Si ce plan est adopté, on n'entendra plus murmurer que les avantages de la sublime découverte du magnétisme animal ne sont encore profitables qu'à un petit nombre d'individus privilégiés Un autre bienfait qui résultera de la propagation de mon magné- tisme aqueux, ce sera de me fournir les moyens d'étabhr gratis un nouveau magnétisme que j'appelle aérien, et dont le foyer ou baquet sera disposé dans les iDurs de Sainte-Geneviève. Par ce dernier établissement, je ne pourrai à la vérité magnétiser que le quart de Paris à la fois ; mais chaque quart aura son tour dans l'espace de vingt-quatre heures, en suivant alternativement les quatre points cardinaux. » VII Ouverture des cours de magnétisme dans la Société de V harmonie. — Bergasse publie ses Considérations sur le magnétisme animal. — Défection de Bertholet; sa déclaration contre l'existence de l'agent mesmérien. — Le magnétisme prôné parle P. Hervier, qui le prêche publiquement dans la cathédrale de Bordeaux. Cependant le succès de la souscription axait grandi, et la Société de r harmonie prenait un accroissement rapide. Elle avait reçu, avant Tannée 1783, quarante-huit membres, parmi lesquels on comptait dix-huit gentils- hommes presque tous d'un rang très élevé, deux chevaliers de Malte, un avocat, quatre médecins, deux chirurgiens, sept à huit banquiers ou négo- ciants, deux ecclésiastiques et trois moines. Avec de pareils sociétaires, qui n'étaient pas tous jeunes et prompts à l'enthousiasme, Mesmer ne pouvait guère se dispenser de présenter une doctrine, réelle ou spécieuse, du magnétisme. Jusque-là il était fondé à dire que sa doctrine avait été défigurée par ceux qui avaient entrepris de l'exposer. Galard de Montjoie, renié par Mesmer, n'avait pas, en effet, exac- tement traduit les leçons du maître ; mais, de l'aveu de Bergasse, ce que le maître avait dit ne valait guère mieux. Il devenait donc urgent de songer à un enseignement sérieux de la théorie magnétique. Mesmer comprenait lui-même cette nécessité. Il se prêta enfin, sur les avis pressants de Bergasse, à l'institution d'un certain nombre de cours, qui se feraient chez lui, plusieurs fois par semaine, et dans lesquels on essaye- rait de passer sincèrement des préliminaires à la question, de la haute science et de l'érudition échappatoire à l'exposition positive de la théorie. Ces cours furent confiés aux élèves les plus intelligents et les mieux exercés dans l'art de la parole. Bergasse se trouva naturellement en tète du lableciu de ces professeurs de magnétisme. Mesmer avait plus d'un motif de lui décerner cet honneur. Il devait une LE MAGNETISME ANIMAL 269 certaine reconnaissance à Bergasse pour le service que ce dernier venait de lui rendre, en désavouant ou redressant en son nom, la publication de Galard de Montjoie. En outre, l'écrit de Bergasse avait produit dans le monde lettré une sensation qui fit comprendre à Mesmer tout le parti qu'il pouvait tirer d'un pareil talent pour l'enchaînement et la systématisation de ses idées. En cela le docteur avait spéculé plus heureusement encore qu'il ne le croyait. Quinze jours, en effet, ne s'étaient pas écoulés, que Bergasse lui présentait une liste de cinquante personnes, la plupart d'un rang distingué, qui demandaient à être admises au nombre de ses élèves, en payant le prix de la souscription. Par ce succès inespéré, la Société de l'harmonie allait se trouver au complet. Avec ces cinquante aspirants ajoutés aux quarante-huit membres dont la société se composait déjà, on aurait presque atteint le chiffre de cent souscripteurs demandés par Mesmer pour le droit de posséder et de propager sa doctrine. Il devenait dès lors inutile, et à certains égards incon- venant, d'exiger des membres nouveaux l'engagement individuel qu'on avait jusqu'alors fait souscrire à chaque élève relativement au secret à garder. On pouvait, tout au moins, enrayer la clause des cent cinquante mille francs de dommages-intérêts, et réduire l'engagement à une simple parole d'honneur. Quoique cette proposition, faite par le marquis de Puységur, eût l'assen- timent de tout le monde, Mesmer ne voulut pas y adhérer : il demeura ferme sur la lettre des conditions telles qu'elles avaient été arrêtées avec les douze premiers fondateurs de la société. Son avide ténacité sur ce point occasionna nn débat assez vif, qui fit ajourner l'admission des cinquante aspirants. Les cours d'enseignement magnétique avaient commencé. Tous n'étaient pas professés avec éclat et de manière à manifester aux yeux la vérité du magnétisme animal ; mais les bonnes dispositions de la plupart des élèves suppléaient à ce défaut, et d'ailleurs, les leçons de Bergasse magnétisaient tous les auditeurs qui, sous le charme de sa parole éloquente et lucide, se trouvaient toujours assez instruits. Le brillant interprète ne put encore réussir dans celte occasion à s'assurer la reconnaissance de Mesmer, mais, en revanche, il y gagna pour lui-même de se mettre en état d'écrire, peu de temps après, ses Considératiom sur le magnétisme animal\ ouvrage remarquable, et qui est encore aujourd'hui un des plus dignes d'être lus sur cette matière. Pendant que son éloquent apôtre prêchait à des convertis la vérité de la I. Coniidérations sur le magnétisme animal, ou sur la théorie du monde et des êtres organisés , par M. Bergasse. In-8, 149 pages. La Haye, 1784. 270 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE doctrine, Mesmer ne parlait que très rarement dans les cours, et ce n'était que pour dire quelques mois. Son accent germanique et son inexpérience de la langue française le rendaient muet, et lui donnaient la contenance, singulièrement originale, d'un génie révélateur qui n'a ses organes que dans ses doigts. Peut-être pensail-il qu'il y avait pour lui une dignité magistrale à ne rien dire et à se contenter de sanctionner par sa présence ce qui se prêchait en son nom. Socrate, lisant un jour les Dialogues de Platon, son disciple, dans lesquels il retrouvait son esprit et non son style, s'écria : « Quels beaux discours ce jeune homme m'a fait tenir! » Mesmer n'était pas susceptible de ce mouvement expansif du philosophe grec ; mais il aurait pu rendre à Bergasse la même justice. Jamais il n'avait encore vu son magnétisme animal rayonner de si haut et de si loin, que dans la savante exposition présentée par son habile interprète dans l'ouvrage dont nous avons cité le titre. Il ne sera pas inutile, d'ailleurs, d'en rapporter quelques passages, pour donner au moins une idée de la doctrine magnétique telle qu'elle s'est produite dans les cours de la première Société de l'harmonie. Bergasse commence par poser un principe de physique qu'il considère comme évident, mais qui n'est qu'une hypothèse pure, en opposition avec les faits qu'enseignent d'une part l'astronomie, d'autre part la physique. Ce principe, c'est qu'il existe entre tous les corps, entre les grands corps célestes séparés par des distances incommensurables, comme entre les corps placés près de nous et sans aucune distance appréciable, un fluide auquel il faut rapporter la gravitation, comme aussi tous les phénomènes d'attraction, de répulsion, et en général d'acfion, qui se passent dans ja nature. Rien n'autorise à considérer comme vrai ce principe scolastique, et qui sert de point de départ au raisonnement de Bergasse. L'auteur poursuit en ces termes : « Maintenant, qu'est-ce que prétend M. Mesmer? « Qu'il existe entre tous les corps qui se meuvent dans l'espace une action réci- proque, la plus générale de toutes les actions de la nature. « Que cette action constitue Vinfluence ou le magnélisme universel de tous les êtres entre eux. « Que ce magnétisme universel est exercé au moyen d'un milieu qui reçoit et communique les impressions de tous les êtres. « Que ce milieu ne peut être et n'est, en effet, qu'un fluide cminemment suhtil. « Que le magnétisme universel, parce qu'il est la plus générale de toutes les actions de la nature, est nécessairement l'action par laquelle la nature moilifie toutes les propriétés, entretient, dispose, développe et conserve tous les êtres. LE MAGNETISME ANIMAL 27j « Qu'il n'est aucun être qui puisse se soustraire à i'aclion du magnétisme uni- versel, parce qu'il n'est aucun être, dans l'univers, indépendant des lois auxquelles l'univers est soumis. « Que tous les êtres obéissent de la même manière au magnétisme universel, qu'ils ont tous une même propriété pour y obéir, que cette propriété s'exerce au moyen de pôles semblables à ceux de l'aimant par les effets qu'ils produisent. « Que tous les êtres obéissant au magnétisme universel agissent les uns sur les autres avec d'autant plus d'énergie, qu'ils sont plus analogues entre eux. » Il n'y avait qu'un malheur pour la validité de cet argument, c'est qu'an moment où l'auteur de Mesmer blessé publiait sa diatribe, Court de Gébelin mourait, ou était en Irain de mourir. La mort de Court de Gébelin était une apostrophe et un argument bien plus terribles que le précédent contre le mesmérisme. C'est ce que prouvè- rent d'autres assaillants, qui entrèrent en lice avec des armes nouvelles et tout aussi contondantes. Un journal annonça en ces termes, la mort de l'auteur du Monde primitif: « M. Court de Gébelin vient de mourir, guéri par le magnétisme animal.» L'épigramme était charmante et elle fit fortune. En voici une autre composée pour l'épitaphe du mort. Ci-gît ce pauvre Gébelin Qui savait grec, hébreu, latin. Admirez tous son héroïsme, 11 fut martyr du magnétisme. Après les plaisants, venaient les chroniqueurs sérieux ; « M. Court de Gébelin, dit Desbois de Rochefort, est attaqué d'une maladie iocurable : il se livre au mesmérisme. Dès les premières applications, il se sent mieux; bientôt il s'annonce guéri à toute l'Europe, dans une brochure remplie d'un enthousisme fanatique. M. Mesmer et ses partisans s'en glorifièrent de toutes parts, et M. de Gébelin meurt au baquet même, d'une suppuration rénale, que l'ou- verture de son cadavre a démontrée. » Ceux qui avouaient ainsi la maladie et la déclaraient même incurable, n'osaient pas présenter Court de Gébelin comme un martyr du magnétisme ; mais d'après eux, les magnétiseurs lui avaient fait tout le mal possible, excepté de l'avoir tué. C'était à qui ornerait le récit de sa mort des circon- stances les plus accusatrices à leur charge, et à la charge de Mesmer person- nellement. On racontait que ce savant et malheureux vieillard, au moment de 1. Mesmer blessé, en Répmse à la lettre du P. Hervier. Londres, 1784. LE CONSEILLER D ÉPREMESIL A_LA PREMIÈRE REPRÉïENTATH- N UES D jCfeurS mudcmeS (PAGE II. 36 LE MAGNÉTISME ANIMAL 283 sa rechute, s'était fait transporter chez Mesmer, mais qu'en le voyant dans un état si désespéré, ce dernier l'aurait prié de quitter le chef-lieu du magnétisme, de peur que, s'il venait à y mourir, la médecine nouvelle ne fût décriée par ce malheur. On ajoutait même qu'ayant refusé de sortir, Court de Gébelin, magnétisé à mort par Mesmer, avait expiré près du baquet. Suivant une autre version, le vieux savant, à qui des chagrins, autant que ses infirmités, avaient rendu la vie insupportable, aurait, au contraire, montré la plus grande répugnance à retourner au baquet, et il aurait répondu aux instantes prières de ses amis, qui le suppliaient de s'y rendre : Je crains de n'y pas pouvoir mourir ! La vérité est que Mesmer, sans aucun espoir de le sauver celte fois, le reçut avec humanité, et l'établit dans une chambre séparée ; le malade ne fut pas même en état d'en sortir pour se rendre à la salle des traitements. Court de Gébelin mourut le 12 mai 1784. Ce fut Mesmer lui-même qui lit ouvrir son corps, le lend emain. Les cinq médecins qui procédèrent à l'au- topsie, reconnurent. et constatèrent, dans un procès-verbal signé d'eux, que les reins étaient complètement désorganisés, maladie qui n'avait aucun rapport avec les affections pour lesquelles Mesmer l'avait traité. On continua à dresser un volumineux recueil des échecs de la nouvelle médecine, et il y en avait beaucoup. On énuméra les cas de rechutes, fort nombreux encore, et quelques autres cures terminées, un peu plus tôt, un peu plus tard, par des catastrophes, qui prouvaient trop bien, hélas! que le magnétisme animal était un pauvre moyen de guérison. Les exagérations effrontées de certains mesmériens, celles des malades eux-mêmes, avaient donné beau jeu à ce genre d'attaque, qui était de bonne guerre. Citons quelques pages empruntées à cette polémique : « Madame la marquise de Fleury, une des premières clientes de M. Mesmer, avait la vision très i'aible, quand elle fut chez lui; M. Mesmer promit qu'il la guéri- rait : ce fut en la laissant devenir aveugle, au bout d'un mois ou deux de stage ctiez lui. Cependant M. Mesmer promet toujours sa guérison, et elle meurt' aussi au baquet, après avoir publié parluut avec M. Mesmer et ses partisans qu'elle était guérie. « Madame Leblanc, femme d'un huissier-priseur, était attaquée d'un ulcère à la matrice ; elle resta pendant près de trois ans entre les mains de M. Mesmer, avec la confiance la plus aveugle ; la veille de sa mort, elle dit encore qu'elle est guérie, et elle meurt il y a à peu près quinze jours. « Madame Poissonnier, femme d'un médecin de Paris ^, attaquée d'une affectioa 1. La marquise de Fleury, qui avait suivi .Mesmer à Spa, ne mourut pas du magaétism; animai, elle en devint seulement paralytique suivant l'auteur de V Anti-mag nëtisjne , 2. Le même qui fera partie de la commission des cinq membres de la Société royale de méde- cin': chargée de l'examen du magnétisme animal. 284 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE cancéreuse, court chez M. Mesmer; bientôt on publie qu'elle allait mieux, elle en était elle-même persuadée, et cependant elle meurt des suites de son cancer. « Madame la duchesse de Chaulnes avait été recommandée très expressément à Mesmer par la reine ; elle était très persuadée de la doctrine mesmérienne, elle publiait partout son mieux-être, sa guérison, que d'autres traitements n'avaient pu amener. Cependant elle est morte d'une hydropisie ascite, occasionnée et entretenue par l'engorgement des viscères du bas-ventre ; son imagination avait été entièrement trompée ; ce qu'elle disait, elle le croyait » Voilà le ton des historiens : celui des pamphlétaires est plus animé, « Mais quel coup pour le magnétisme! On apprend que M.Cochin, que la femme du directeur de la manufacture des glaces, madame de Nauroy, M. Monginot le fds, l'espérance de sa famille, viennent de mourir, dûment magnétisés. Mademoiselle de Courcelles, M. Leschevin, madame de La Bretèche, sontdans le même cas... « M. de Bourzeis, médecin, publie toutes les circonstances de la maladie et de la fin de M. de Ruzay, attaqué d'une hydropisie de poitrine, et que M. Mesmer faisait saigner, baignait et magnétisait, après l'avoir brouillé avec son médecin, qui était son ami, mais auquel la porte fut défendue, parce qu'il avait osé proposer à M. Mesmer, qui en répondait corps pour corps, une infusion d'hysope. et sensibles, que beaucoup de malades guérissent sans avoir éprouvé la moindre sen- sation, et que, parmi les personnes susceptibles de l'action momentanée, les effets varient à l'infini. Ces observations auraient ramené MM. les commissaires au pian que je leur avais proposé. S'ils s'y étaient refusés, convaincu d'avance de l'insuffi- sance de l'examen qu'ils projetaient, j'aurais cru inutile et même dangereux de leur soumettre celui de mes procédés et de ma théorie. Leur nouveau plan le - a conduits d'erreurs en erreurs ^. >» C'est dans ces termes que Deslon protesta vainement et après coup, pour n'avoir pas su prendre un parti, quand il en était temps. Il n'avait su ni se meltre d'accord, ni rompre tout à fait avec les commissaires. Mais du 1. Rapport de Baillij, p. 7; éJit. ia-i". 2. Observations sur les deux Rapports de MM. les comrnissaires, par M. Deslon, in-i» 31 pages, 1784. 300 LES MYSTERES DE LA SCIENCE moment que ces derniers eurent changé la marche primitive, il n'y eut plus d'intelligence entre eux et lui. Il continua ses traitements, ils se livrèrent à leurs observations, sans rien se communiquer désormais. Leurs expériences même furent souvent faites à l'insu de Deslon. Après avoir observé les effets du magnétisme sur les autres, les commis- saires voulurent l'étudier sur eux-mêmes, et en être en quelque sorte les premiers sujets. Ils se firent donc magnétiser tous dans une chambre séparée, et à un baquet particulier qui leur fut réservé par Deslon. Aucun d'eux ne sentit rien, ou du moins n'éprouva aucune sensation que l'on fût en droit de rapporter à l'action du magnétisme. « Quelques-uns des commissaires, dit le rapport, sont d'une constitution moins forte et sont sujets à des incommodités : un de ceux-ci a éprouvé une légère douleur à la suite de la forte pression qu'on y avait exercée. Cette douleur a subsisté tout le jour et le lendemain; elle a été accompagnée d'un sentiment de fatigue et de malaise. Un second a ressenti, dans l'après-midi d'un des jours où il a été touché, un léger agacement dans les nerfs, auquel il est fort sujet. Un troi- sième, doué d'une plus grande sensibilité et surtout d'une mobilité extrême dans les nerfs, a éprouvé plus de douleurs et des agacements plus marqués ; mais ces petits accidents sont la suite des variations perpétuelles et ordinaires de l'état de santé et par conséquent, étrangers au magnétisme ou résultant de la pression exercée sur l'estomac. » Les commissaires constatent ensuite la différence des effets observés entre les traitements publics et leur traitement spécial. Autant le magnétisme animal était fougueux dans la multitude, autant il paraissait rassis et serein avec les savants de l'Académie et de la Faculté : il y avait chez Deslon baquet et baquet. « Le calme et le silence dans l'un, le mouvement et l'agitation dans l'autre; là, des effets multipliés, des crises violentes, l'état habituel du corps et de l'esprit inter- rompu et troublé, la nature exaltée; ici, le corps sans douleur, l'esprit sans trouble, la nature conservant et son équilibre et son cours ordinaire; en un mot, l'absence de tous les effets ; on ne retrouve plus cette grande puissance qui étonne au traite- ment public ; le. magnétisme sans énergie parait dépouillé de toute action sensible. » La commission passe à de nouvelles épreuves ; elle veut les faire sur des personnes réellement malades. On prit sept individus de la classe du peuple, avec lesquels on se rendit à Passy, chez un des commissaires, l'illustre Franklin, que ses incommodités avaient empêché d'assister aux expériences faites à Paris. Sur ces sept malades, trois éprouvèrent des effets ; les quatre autres ne sentirent rien. La commission, ayant besoin de s'éclairer davantage, prit enfin le parti LE MAGNÉTISME ANIMAL 301 (l'opérer sur quelques malades placés dans d'autres circonstances, « des malades choisis dans la société, qui ne pussent être soupçonnés d'aucun intérêt, et dont l'intelligence fût capable de discuter leurs propres sensations ■et d'en rendre compte. » Quatre de ces malades distingués furent soumis aux épreuves. Pour leur faire honneur, on les admit au baquet spécialement consacré aux commis- saires. Sur les quatres malades, deux ressentirent quelque chose. « Madame de M***, attaquée de maux de nerfs, fut magnétisée pendant une heure dix-neuf minutes sans interruption, et souvent par l'application des mains ; elle a été plusieurs fois sur Ie»point de s'endormir; elle a éprouvé seulement de l'a- gitation et du malaise. M. M***, qui avait une tumeur froide sur toute l'arti- culation du genou, sentait de la douleur à la rotule. Pendant qu'on le magnétisait il n'a rien éprouvé dans tout le corps excepté au moment où l'on a promené le doigt devant le genou malade. Alors il y eut à la rotule une assez vive sensation de chaleur. » Après ces deux expériences, Frankin fut magnétisé lui-même, et de la main de Deslon. La séance eut lieu à Passy, rue Newton, où habitait Fran- klin. il y avait rue Newton, une assemblée nombreuse ; fut magnétist. qui voulut l'être. Des malades, qui avaient accompagné Deslon, ressentirent les mêmes effets qu'au traitement public. Mais ni Franklin ni son secrétaire, ni ses deux nièces, quoique l'une fut convalescente, n'éprouvèrent la moindre sensation. Les commissaires avaient donc fait trois expériences, non compris celles pratiquées à Paris, sur leurs personnes mêmes. De ces trois expériences, la dernière avait eu un résultat absolument négatif, relativement à l'existence du magnétisme. La commission jugea avec raison que la seconde donnait un résultat presque semblable, la chaleur que M. M*** avait ressentie à la rotule, étant un effet trop léger et trop fugitif, et le mouvement vaporeux éprouvé par Madame de M***, pouvant tenir à la trop grande attention avec laquelle elle aurait pensé à ses maux de nerfs. Ainsi, les commissaires n'avaient observé jusque-là aucun effet qui ne pût être selon eux attribué à l'attouchement, à la pression sur l'épigastre, et principalement à l'imagination des malades. Ayant cru constater de cette manière que Vimagination jouait le plus grand rôle dans les traitements magnétiques, ils s'occupèrent de trouver des preuves plus positives de cette explication, et dès lors toutes leurs recherches furent dirigées dans ce sens: « Il en est résulté, disent-ils, un autre plan d'expériences » Ayant entendu parler des expériences qu'un docteur en médecine, Jumelin, avait faites 1. Rapport de Bailty. 302 LES MYSTERES DE LA SCIENCE chez le doyen de la faculté, ils le tirent prier de se réunir avec eux dans la maison de Majault, l'un des commissaires. Jumelin n'était élève ni de Mesmer, ni de Deslon. Sur ce qu'il avait en- tendu dire du magnétisme animal, il s'était mis lui-même à magnétiser d'après des principes qu'il avait conçus et avec des procédés qu'il n'avait empruntés à, personne. C'était un magnétiseur au hasard, comme il y en avait beaucoup d'antres, et il l'avouait avec bonne foi. Tout en opérant ainsi au hasard, Jumelin Délaissait pas de produire des effets, et même des cures. C'est ainsi que Figaro, s'improvisant médecin, avait guéri quantité d'Auver- gnats et de Catalans. Chez ce nouveau magnétiseur, les expériences et les observations mirent bien en évidence l'influence de l'imagination sur les effets du magnétisme. Une femme magnétisée sur le front, mais sans être touchée, déclara qu'elle sentait de la chaleur quand le docteur Jumelin promenait sa main et pré- sentait les cinq extrémités de ses doigts sur tout son visage : elle dit qu'elle sentait alors comme une flamme qui se promenait. Magnétisée à l'estomac, elle dit y sentir de la chaleur ; magnétisée sur le dos, elle y accusait la même sensation. Tout alla bien jusqu'au moment où les commissaires proposèrent de lui bander les yeux, afin d'observer ses sensations, pendant qu'on opére- rait à son insu. Alors il n'y eut plus de correspondance entre les phéno- mènes accusés et les endroits où l'on dirigeait le magnétisme. Le sujet pré- tendait ressentir de la chaleur à la tête, de la douleur dans l'œil droit, dans l'œil et dans l'oreille gauche, pendant qu'on la magnétisait dans le dos et sur l'estomac. Le domestique du docteur Jumelin ne sut pas mieux apprécier les sensations qu'il éprouvait lorsqu'on le magnétisa les yeux bandés. Bien plus, la seule persuasion qu'il était magnétisé, lorsque personne au contraire n'agissait sur lui d'aucune manière, produisit chez cet homme une chaleur presque générale, des mouvements dans le bas-ventre, des pesanteurs et de l'assoupissement. La commission conclut que l'imagination était ici la cause de tout. « Il n'y a eu de différence, dit le rapport,, que celle des imaginations plus ou moins sensibles. » Les commissaires avaient cependant pu constater que la pratique du ma- gnétisme produisait quelquefois dans le corps animé des modifications plus marquées et des dérangements plus considérables que ceux dont on vient de parler. Il fallait rechercher si les grands effets observés dans les traitements publics, si les convulsions notamment, pouvaient aussi reconnaître pour cause la seule imagination. Le plan de plusieurs expériences ayant été arrêté dans cette vue, on retourna vers Deslon, et on lui en proposa une LE MAGNÉTISME ANIMAL dont il annonça le succès, à la condition d'opérer sur un sujet fort sensible. 11 fut chargé de le choisir lui-même. L'expérience fut faite dans le jardin de la maison de Franklin, rue Newton, à Passy, en présence de Franklin. « M. Deslon a amené avec lui ua jeune homme d'environ douze ans ; on a marqué, dans le verger du jardin, un abricotier bien isolé et propre à conserver le magnétisme qu'on lui aurait imprimé. On y a mené M. Deslon seul, pour qu'il le magnétisât, le jeune homme étant resté dans la maison avec une personne qui ne Ta pas quitté. On aurait désiré que M. Deslon ne fût pas présent à l'expérience, mais il a déclaré qu'elle pourrait manquer s'il ne dirigeait pas sa canne et ses regards sur cet arbre pour en augmenter l'action. On a pris le parti d'éloigner M. Deslon le plus possible et déplacer des commissaires entreluiet le jeune homme, afin de s'assurer qu'il ne ferait point de signal et de pouvoir répondre qu'il n'y avait point eu d'intelligence. Ces précautions, dans une expérience qui doit être authentique, sont indispensables sans être ofTensantes. « On a ensuite amené le jeune homme, les yeux bandés, et on l'a présenté successivement à quatre arbres qui n'étaient point magnétisés, en les lui faisant embrasser chacun pendant deux minutes, suivant ce qui avait été réglé par M. Deslon lui-même. « M. Deslon présent et à une assez grande distance, dirigeait sa canne sur l'arbre réellement magnétisé. « Au premier arbre, le jeune homme interrogé au bout d"une minute, a déclaré qu'il suait à grosses gouttes ; il a toussé, craché et il a dit sentir une petite douleur sur la tête ; la distance à l'arbre magnétisé était environ de vingt-sept pieds. « Au troisième arbre, l'étourdissement redouble, ainsi que le mal de tête; il dit qu'il croit approcher de l'arbre magnétisé : il en était alors environ à trente-huit pieds. « Enfin, au quatrième arbre non magnétisé, et à vingt-quatre pieds environ de distance de l'arbre qui l'avait été, le jeune homme est tombé en crise; il a perdu connaissance, ses membres se sont raidis, et on l'a porté sur un gazon voisin, où M. Deslon lui a donné des secours et l'a fait revenir. » Les commissaires conclurent que l'imagination seule était ici en jeu.' Les commissaires pensèrent qu'après l'imagination, l'imitation avait aussi une grande part dans la production des phénomènes magnétiques : « Attou- chement, imagination, imitation, disent-ils, telles sont donc les vraies causes des effets attribués à cet agent nouveau connu sous le nom de ma- gnétisme animal. Le rapport conclut en ces termes : « Les commissaires ayant reconnu que le fluide magnétique animal ne psut être aperçu par aucun de nos sens; qu'il n'a eu aucune action ni sur eux-mêmes, ni sur les malades qu'ils lui ont soumis; s'étant assurés que les pressions et les attouche- 304 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE ments occasionnent des changements rarement favorables dans l'économie animale,, et des ébranlcîVients toujours fâcheux dans l'imagination; ayant enfin démontré, par des expériences décisives, que l'imagination sans magnétisme produit des con- vulsions, et que le magnétisme sans l'imagination ne produit rien, ils ont conclu, d'une voix unanime, sur la question de l'existence et de l'utilité du magnétisme, que rien ne prouve l'existence du fluide magnétique animal; que ce fluide, sans existence, est, par conséquent, sans ulilité: que les violents effets que l'on observe au traitement public appartiennent à l'attouchement, à l'imagination mise en. action, et à celte imitation machinale qui nous porte malgré nous à répéter ce qui frappe nos sens. Et, en même temps, ils se croient obligés d'ajouter, comme une observation importante, que les attouchements, l'action répétée de l'imagination,, pour produire des crises, peuvent être nuisibles ; que le spectacle de ces crises est également dangereux, à cause de cette imitation dont la nature semble nous avoir- fait une loi; et que, par conséquent, tout traitement public où les moyens du magnétisme sont employés, ne peut avoir, à la longue, que des effets funestes. « A Paris ce 11 août HSi. « Signé : B. FRAMaiN, Majault, Le Roy, Salun, Bailly, d'Arcet,. DE BORY, GUILLOTIN, LaVOISIER. Telle est la conclusion du rapport de la commission de l'Aacdémie des sciences et de la Faculté de médecine, qui est dû, comme on le sait, à la plume de Bailly. Les dernières lignes de cet important travail semblaient un appel à quelque mesure du pouvoir contre les traitements publics par le magné- tisme. Mais le gouvernement, content d'avoir fait tout ce qu'il devait pour éclairer l'opinion publique sur la nouvelle doctrine, ne voulut pas aller plus loin. Pendant quelques jours, les magnétiseurs se crurent me- nacés d'un réquisitoire du procureur général; ce n'était pourtant qu'une fausse alarme. Le parlement, qui n'avait pas admis la requête des médecins magnétisants contre l'arrêt de la Faculté de médecine qui les rayait du tableau des docteurs-régents, fit savoir qu'il n'admettrait pas davantage- une accusation contre les magnétiseurs. I^e célèbre rapport que nous venons d'analyser, était fait pour le public ; il ne disait pas le dernier mot des commissaires sur ce qu'ils avaient observé. Le même jour, en effet, ils en signaient un autre, tout particulier, pour le roi. Ce rapport secret, qui fut remis à Louis XVI par Bailly lui- même, accuse avec bien plus d'énergie les elïets de la magnétisation et le pouvoir des magnétiseurs sur ceux qui sont soumis à leur influence. Voici ce document curieux, qui n'a été imprimé que longtemps après le premier rapport, et dont le texte ne se trouve encore que dans quelques- uns des écrits qui ont été publiés sur le magnétisme animal. « Les commissaires chargés par le roi de l'examen du magnétisme animal, en LE MAGNÉTISME ANIMAL 307 rédigeant le rapport qui doit être présenté à Sa Majesté, et qui doit peut-être devenir public, ont cru qu'il était de leur prudence de supprimer une observation qui ne doit pas être divulguée ; mais ils n'ont pas dû la dissimuler au ministre de Sa Majesté; ce ministre les a chargés d'en rédiger une note, destinée à être mise sous les yeux du roi, et réservée à Sa Majesté seule. «Cette observation importante concerne les mœurs; les commissaires ont reconnu que les principales causes des effets attribués au magnétisme animal sont l'attouchement, l'imagination, l'imitation, et ils ont observé qu'il y avait toujours beaucoup plus de femmes que d'hommes en crise ; cette différence a pour première cause les différentes organisations des deux sexes ; les femmes ont, en général, les nerfs plus mobiles : leur im.agination est plus vive, plus exaltée. Il est facile de la frapper, de la mettre en mouvement. Cette grande mobilité des nerfs, en leur donnant des sens plus délicats et plus exquis, les rend plus susceptibles des impres- sions de l'attouchement. En les touchant dans une partie quelconque, on pourrait dire qu'on les touche h la fois partout; cette grande mobilité des nefs fait qu'elles sont plus disposées à l'imitation ; les femmes, comme on l'a déjà fait remarquer, sont semblables à des cordes sonores parfaitement tendues et à l'unisson; il suffit d'en mettre une en mouvement, toutes les autres à l'instant le partagent : c'est ce que les commissaires ont observé plusieurs fois; dès qu'une femme tombe en crise, les autres ne tardent pas d'y tomber. Celte organisation fait comprendre pourquoi les femmes ont des crises plus fréquentes, plus longues, plus violentes que les hommes, et c'est à leur sensibilité de nerfs qu'est dû le plus grand nombre de leurs crises. Il en est quelque-unes qui appartiennent à une cause cachée, mais naturelle, à une cause certaine des émotions dont les femmes sont plus ou moins susceptibles, et qui, par une influence éloignée, en accumulant ces émotions, en les portant à leur plus haut degré, peut contribuer à produire un état convulsif, qu'on confond avec les autres crises ; cette cause est l'empire que la nature a donné à un sexe sur l'autre pour l'attacher et l'émouvoir : ce sont toujours des hommes qui magnétisent des femmes; les rela- tions établies ne sont sans doute alors que celles d'un malade à l'égard de son médecin ; mais ce médecin est un homme ; quel que soit l'état de maladie, il ne nous dépouille point de notre sexe, il ne nous dérobe pas entièrement au pouvoir de l'autre; la maladie en peut affaiblir les impressions sans jamais les anéantir. D'ailleurs, la plupart des femmes qui vont au magnétisme ne sont pas réellement malades; beaucoup y viennent par oisiveté et par amusement ; d'autres, qui nnt que!([ucs incommodités, n'en conservent pas moins leur fraîcheur et leur force; leurs sens sont tout entiers ; leur jeunesse a toute sa sensibilité ; elles ont assez de larmes pour agir sur le médecin, elles ont assez de santé pour que le médecin agisse sur elles: alors le danger est réciproque. La proximité, longtemps continuée, l'attouchement indispensable, la chaleur individuelle communiquée, les regards confondus, sont les voies connues de la nature, et les moyens qu'elle a préparés de tout temps pour opérer immanquablement la communication des sensations et des affections. « L'homme qui magnétise a ordinairement les genoux de la femme renfermés dans les siens ; lesgenouxet toutes les parties inférieures du corps sont par consé- 308 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE quent en contact. La main est appliquée sur les hypocondres, et quelquefois plus bas sur les ovaires ; le tact est donc exercé à la fois sur une infinité de parties, et *îans le voisinage des parties les plus sensibles du corps. « Souvent l'homme, ayant sa main gauche ainsi appliquée, passe la droite derrière le corps de la femme : le mouvement de l'un et de l'autre est de se pencher mutuellement pour favoriser ce double attouchement. La proximité devient la plus grande possible, le visage touche presque le visage, les haleines se respirent, toutes les impressions physiques se partagent instantanément, et l'at- traction réciproque des sexes doit agir avec, dans toute sa force. Il n'est pas extra- ordinaire que les sens s'allument; l'imagination qui agit en même temps, répand un certain désordre dans toute la machine ; elle surprend le jugement, elle écarte l'attention, les femmes ne peuvent se rendre compte de ce qu'elles éprouvent, elles ignorent l'état où elles sont. « Les médecins commissaires, présents et attentifs au traitement, ont observé avec soin ce qui s'y passe. Quand cette espèce de crise se prépare, le visage s'enflamme par degrés, l'oeil devient ardent, et c'est le signe par lequel la nature an- nonce le désir. On voit la femme baisser la téte, porter la main au front et aux yeux pour les couvrir ; sa pudeur habituelle veille à son insu et lui inspire le soin de se cacher. Cependant la crise continue et l'œil se trouble : c'est un signe non équivoque du désordre total des sens. Ce désordre peut n'être point aperçu par celle qui l'éprouve, mais il n'a point échappé au regard observateur des médecins. Dès que ce signe a été manifeste, les paupières deviennent humides, la respiration est courte, entrecoupée ; la poitrine s'élève et s'abaisse rapidement; les convulsions s'é- tablissent, ainsi que les mouvements précipités et brusques, ou des membres ou du corps tout entier. Chez les femmes vives et sensibles, le dernier*degré, le terme de la plus douce des émotions est souvent une convulsion ; à cet état succèdent la lan- gueur, l'abattement, une sorte de sommeil des sens, qui est un repos nécessaire après une forte agitation. « La preuve que cet état de convulsion, quelque extraordinaire qu'il paraisse à ceux qui l'observent, n'a rien de pénible, n'a rien que de naturel pour celles qui l'éprouvent, c'est que, dès qu'il a cessé, il n'en reste aucune trace fâcheuse. Le souvenir n'en est pas désagréable, les femmes s'en trouvent mieux et n'ont point de répugnance à le sentir de nouveau. Comme les émotions éprouvées sont les germes des afîections et des penchants, on sent pourquoi celui qui magnétise inspire tant d'attachement, attachement qui doit être plus marqué et plus vif chez les femmes que chez les hommes, tant que l'exercice du magnétisme n'est confié qu'à des hommes. Beaucoup de femmes n'ont point, sans doute, éprouvé ces effet?, d'autres ont ignoré cette cause des effets qu'elles ont éprouvés ; plus elles sont honnêtes, moins elles ont dû la soupçonner. On assure que plusieurs s'en sont aperçues et se sont retirées du traitement magnétique ; mais celles qui l'ignorent ont besoin d'être préservées. « Le traitement magnétique ne peut être que dangereux pour les mœurs. En se pro- posant de guérir des maladies qui demandent unlong traitement, on excite des émo- tions agréables et chères, des émotions que l'on regrette, que l'on cherche à retrouver, parce qu'elles ont un charme naturel pour nous, et que, physiquement, elles contri- LE MAGNÉTISME ANIMAL 309 buent h notre bonheur ; mais moralement, elles n'en sont pas moins condamnables, et elles sont d'autant plus dangereuses qu'il est plus facile d'en prendre la douce ha- bitude. Un état éprouvé presque en public, au milieu d'autres femmes qui semblent l'éprouver également, n'offre rien d'alarmant ; on y reste, on y revient, et l'on ne s'aperçoit du danger que lorsqu'il n'est plus temps. Exposées à ce danger, les femmes fortes s'en éloignent, les faibles peuvent y perdre leurs mœurs et leur santé. « M. Deslon ne l'ignore pas : M. le lieutenant de police lui a fait quelques questions à cet égard, en présence des commissaires, dans une assemblée tenue chez M. Deslon même, le 9 mai dernier. M. Lenoir lui dit : « Je vous demande, en qualité de lieu- tenant général de police, si, lorsqu'une femme est magnétisée, ou en crise, il ne serait pas facile d'en abuser. » M. Deslon a répondu affirmativement, et il faut rendre cette justice à ce médecin, qu'il a toujours insisté pour que ses confrères, voués à l'honnêteté par leur état, eussent seuls le droit et le privilège d'exercer le magnétisme. On peut dire encore que, quoiqu'il ait chez lui une chambre destinée primitivement aux crises, il ne se permet pas d'en faire usage; mais, malgré cette décence observée, le danger n'en subsiste pas moins, dès que le médecin peut, s'il le veut, abuser de sa malade. Les occasions renaissent tous les jours, à tous moments ; il y est exposé pendant deux ou trois heures ; qui peut répondre qu'il sera le maître de ne pas vouloir? Et même en lui supposant une vertu plus qu'humaine, lorsqu'il a en tête des émotions qui établissent des besoins, la loi impérieuse de la nature appellera quelqu'un à son refus, et il répond du mal qu'il n'aura pas commis, mais qu'il aura fait commettre. « Il y a encore un moyen d'exciter des convulsions, moyen dont les commis- saires n'ont point eu de preuves directes et positives, mais qu'ils n'ont pu s'em- pécher de soupçonner; c'est une crise simulée, qui donne ce signal ou qui en détermine un grand nombre d'autres par l'imitation. Ce moyen est au moins nécessaire pour hâter, pour entretenir les crises, crises d'autant plus utiles au magnétisme que, sans elles, il ne se soutiendrait pas « 11 n'y a point de guérisons réelles, les traitements sont fort longs et infruc- tueux. Il y a tel malade qui va au traitement depuis dix-huit mois ou deux ans sans aucun soulagement; à la longue on s'ennuierait d'y être, on se lasserait d"y venir. Les crises font spectacle, elles occupent, elles intéressent ; d'ailleurs, pour des yeux peu attentifs, elles sont des effets du magnétisme, des preuves de l'exis- tence de cet agent, qui n'est réellement que le pouvoir de l'imagination. « Les commissaires, en commençant leur rapport, n'ont annoncé que l'examen du magnétisme pratiqué par M. Deslon, parce que l'ordre du roi, l'objet de leur commission ne les conduisait que chez M. Deslon; mais il est évident que leurs observations, leurs expériences et leurs avis portent sur le magnétisme en général- Aï. Mesmer ne manquera pas de dire que les commissaires n'ont examiné ni sa méthode, ni ses procédés, ni les effets qu'elle produit. Les commissaires, sans doute, sont trop prudents pour prononcer sur ce qu'ils n'ont pas examiné, sur ce qu'ils ne connaîtraient pas; mais cependant ils doivent faire observer que les prin. cipes de M. Deslon sont les mêmes que ceux des vingt-sept propositions que M. Mesmer a fait imprimer en 1779. 0 Si M. Mesmer annonce une théorie plus vaste, elle n'en sera que plus absurde. 310 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE les influences célestes sont une vieille chimère dont on a reconnu il y a longtemps la fausseté; toute cette théorie peut être jugée d'avance, par cela seuL qu'elle a nécessairement pour base le magnélisme, et elle ne peut avoir aucune réalité, puisque le fluide animal n'existe pas. Cette théorie brillante n'existe, comme le magnétisme, que dans l'imagination ; la méthode de magnétiser de M. Deslon est la même que celle de M. Mesmer. M. Deslon a été disciple de M. Mesmer; ensuite, lorsqu'ils se sont rapprochés, l'un et l'autre ont traité indistinctement les malades, et, par conséquent en suivant les mimes procédés, la méthode que M. Deslon suit aujourd'hui ne peut donc être que celle de M. Mesmer. « Les eff'ets se correspondent également; il y a des crises aussi violentes, aussi mullipliées et annoncées par des symptômes semblables chez M. Deslon et chez M. Mesmer. Que peut prétendre M. Mesmer en assignant une différence inconnue et inappréciable, lorsque les principes, la pratique et les effets sont les mêmes ! D'ail- leurs quand cette différence serait réelle, qu'en peut-on inférer pour l'utilité du traitement contre les moyens détaillés dans notre rapport et dans cette note mise sous les yeux de Sa Majesté? « La voix publique annonce qu'il n'y a pas plus de guérisons chez M. Mesmer que chez M. Deslon; rien n'em^pêche que chez lui, comme chez M. Deslon, les convulsions ne deviennent habituelles, et qu'elles ne se répandent en épidémie dans les villes, qu'elles ne s'étendent aux générations futures; ces pratiques et ces assemblées ont également les plus graves inconvénients pour les mœurs. « Les expériences des commissaires, qui montrent que tous ces effets appar- tiennent aux attouchements, à l'imagination, à l'imitation, en expliquant les effets obtenus par M. Deslon, expliquent également les effets produits par M. Mesmer. On peut donc raisonnablement conclure que, quel que soit le mystère du magnétisme de M. Mesmer, ce magnétisme ne doit pas être plus réel que celui de M. Deslon, et que les procédés de l'un ne sont ni plus utiles ni moins dangereux que ceux de l'autre. tt Signé : Franklin, Bory, Lavoisier, Bailly, Majault, Sallin, d'Arcet, Gliillotin, Le Roy. « Fait à Paris, le 11 août 1184. » Le travail des commissaires de la Société Royale de médecine, qui parut cinq jours après celui des commissaires de l'Académie des sciences et de la Faculté, .contient le même jugement, mais moins bien motivé : c'est le dispositif de Bailly, moins les considérants philosophiques. Voici les conclusions da rapport de la Société Royale de médecine : « 11 suit de la première partie de notre rapport : « Que le prétendu magnélisme animal, tel qu'on l'a annoncé de nos jours, est un système ancien, vanté dans le siècle précédent, et tombé dans l'oubli. « Que les partisans du magnétisme animal, soit ceux qui ont proposé ce système, soit ceux qui l'ont renouvelé parmi nous, n'ont pu autrefois, et ne peuvent encore aujourd'hui fournir aucune preuve de l'existence de l'agent inconnu ou du fluide LE MAGNÉTISME ANIMAL 311 auxquels ils attribuent des propriétés et des effets, et que, par conséquent, l'exis- tence de cet agent est gratuitement supposée. « Que ce que l'on a nommé le magnétisme animal, réduit à sa valeur, d'après l'examen et l'analyse des faits, est l'art de faire tomber en convulsions, par l'attou- chement des régions du corps les plus irritables et par les frictions que l'on exécute sur ces parties, les personnes très sensibles, après les avoir disposées à cet effet par des causes multipliées et concomitantes que l'on peut varier à volonté, et dont plusieurs sont seules capables de provoquer les convulsions les plus fortes dans certains cas et dans certains sujets « Nous pensons : « Que la théorie du niagnélisme animal est un système absolument dénué de preuves; « Que ce prétendu moyen de guérir, réduit à l'irritation des régions sensibles, à l'imitation et aux effets de l'imagination ; est au moins inutile pour ceux dans les- quels il ne s'ensuit ni évacuations ni convulsions, et qu'il peut souvent devenir dan- gereux en provoquant et en portant à un trop baut degré la tension des fibres dans ceux dont les nerfs sont très sensibles ; « Qu'il est très nuisible à ceux en qui il produit les effets que l'on a impro- prement appelé des crises, qu'il est d'autant plus dangereux que les prétendues crises sont plus fortes, ou les convulsions plus violentes, .et les évacuai! ms plm abondantes, et qu'il y a un grand nombre de dispositions dans lesquelles ces suites peuvent être funestes; « Que les traitements faits en public par les procédés du magnétisme animal joignent à tous les inconvénients indiqués ci-dessus celui d'exposer un grand nombre de personnes, bien constituées d'ailleurs, à contracter une habitude spas- modique et convulsive qui peut devenir la source des plus grands maux ; « Que ces conclusions doivent s'étendre à tout ce que l'on présente en ce moment au public sous la dénomination du magnétisme animal, puisque l'appareil et les effets en étant partout les mêmes, les inconvénients et les dangers auxquels il expose méritent partout la même attention. « A Paris, ce 16 août 1184. « Signé : Poissonnier, Caille, Mauduyt, Andry. » Les presses de l'imprimerie royale se fatiguèrent à multiplier les rap- ports des deux commissions : ils furent tirés et distribués à quatre-vingt mille exemplaires. On vit paraître presque aussitôt, tant à Paris que dans les provinces, un grand nombre d'écrits, dans lesquels ort discutait ces rapports avec plus ou moins de vivacité et de talent. Dans un de ces écrits [Doutes d'un pro- i-'incial)^ œuvre d'un procureur général, Servan, Mesmer persécuté est comparé à Socrale et à M. de La Clialotais. La brochure de Servan \ parut un moment devoir contre-balancer l'effet 1. Doutes d'un provincial proposés à MM. les médecins commissaires chargés par le roi d: l'examen du magnétisme animal, 1784, 312 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE du rapport des commissaires royaux. Grimm écrivait, en novembre 1784 : « Il n'y a pas de cause désespérée ; celle du magnétisme semblait devoir succom- ber sous les attaques réitirées de la médecine, de la philosophie, de l'expérience et du bon sens. Eh bien ! M. Servan, ci-devant procureur général à Grenoble, vient de prouver, qu'avec de l'esprit on revient de tout, même du ridicule. » Le magistrat de Grenoble avait, disait-il, rencontré dans sa longue carrière « des hommes habitués à réfléchir sans rire, et d'autres hommes qui ne demandent qu'à rire sans réfléchir, » C'est aux premiers que Bailly avait songé en composant son rapport, c'est aux autres que s'adressait la brochure de Servan. Les Doutes dun provincial, que l'on relit encore aujourd'hui avec plaisir, sont une défense spirituelle de la doctrine de Mesmer. L'auteur attaque la conduite des commissaires ; il leur reproche d'être allés chercher le magné- tisme chez Deslon, et non chez le premier inventeur. Il prend à parti la mé- decine en général, et décoche contre ses systèmes plus d'un Irait envenimé. « Les médecins m'ont tué, s'écrie Servan ; ce qu'il leur a plu de me laisser de vie ne vaut pas la peine, en vérité, que je cherche un terme plus doux. Depuis vingt ans, je suis toujours plus malade par les remèdes qu'on m'administre que par mes maux... Le magnétisme animal, fût-il une chimère, devrait être toléré; il serait encore utile aux hommes, en sauvant plusieurs d'entre eux des dangers incontes- tables de la médecine vulgaire. » Servan dirigeait mal ses traits en voulant en accabler la médecine. La question n'était point entre la médecine et le mesmérisme ; il s'agissait seulement de décider de la réalité de l'agent magnétique et de ses effets. En attaquant la médecine, le magistrat de Grenoble faisait de l'esprit sur un sujet qui a toujours facilement inspiré la verve des gens satiriques, mais ceux de ses arguments qui touchaient à la véritable question, c'est-à-dire, au ma- gnétisme, portaient juste. On a prétendu qu'une autre brochure, beaucoup moins sérieuse et rela- tive au même objet. Questions du jeune Rhuharbini de Purgandis, est également de Servan, qui désavouait pourtant cet opuscule. Le ton de Rhu- harbini de Purgandis est, en effet, beaucoup plus vif que celui du Provincial. Il déclare que le rapport de l'Académie des sciences sera pour ses auteurs une cause éternelle de honte, comme le furent les Monades pour Leibnitz, les Tourbillons pour Descartes, et pour Newton le Commentaire sur r apo- calypse. Le rapport de la Société Royale, moins imposant aux yeux du public que 40 LE MAGNÉTISME ANIMAL 315 celui de FAcadémie des sciences et de la Faculté, reçut, dès le premier jour, un coup fâcheux. On vient de remarquer, sans doute, qu'il est signé de quatre membres seulement, au lieu de cinq dont se composait la commission nommée par le roi. Le cinquième membre, Laurent de Jussieu, avait refusé de joindre sa signature à celle de ses collègues, et un mois après, le 12 sep- tembre, il publia un rapport particulier de ce qu'il avait vu. Laurent de Jussieu n'avait pas reconnu, il est vrai, la réalité du fluide magnétique animal, mais il ne s'était pas trouvé satisfait des opinions que l'on substi- tuait aux hypothèses de Mesmer et de ses disciples. L'attouchement, les frictions, les pressions, l'imagination, l'imitation, ne lui semblaient pas expliquer suffisamment plusieurs des phénomènes qu'il avait observés chez Deslon. Il n'avait pas, non plus, approuvé le plan d'examen adopté par les autres commissaires, et ne s'y était pas astreint personnellement. Si Laurent de Jussieu ne faisait aucune part à l'imagination et à l'imi- tation, il soutiendrait une mauvaise cause. Il les admet donc aussi, mais il se refuse à y trouver l'explication de tous les phénomènes qu'il a reconnus, et il note avec une pleine conviction, quoique avec beaucoup de précaution et de réserve, ceux qui, suivant lui, ne doivent pas leur être attribués. « Ces faits, dit-il, sont peu nombreux et peu varies, parce que je n'ai pu citer que ceux qui étaient bien vérifiés, et sur lesquels je n" avais aucun doute. Ils suffiront pour faire admettre la possibilité ou l'existence d'un fluide ou agent qui se porte de l'tiomme à son semblable, et exerce parfois sur ce dernier une action sensible. « De cette réunion de faits et de conséquences particulières il résulte que le corps humain est soumis à l'influence de différentes causes, les unes internes et morales, telles que l'imagination; les autres externes et physiques, comme le frottement, le contact et l'action d'un fluide émané d'un corps semblable. Ces der- nières causes, mieux examinées, se réduiront à une seule, plus simple et plus uni- verselle, qui est l'action générale des corps élémentaires ou composés dont nous sommes entourés. Elle est uniforme et souvent sensible, mais toujours manifestée par ses effets. Si l'on réfléchit sur celle du fluide contesté, sur l'identité des effets qu'il produit avec ceux qui dépendent du frottement et du contact, on n'hési- tera pas à reconnaître dans ces trois cas une action différemment exercée. Celle du frottement, vive et rapprochée, imprimera une sensation plus forte, plus sûre et plus générale. L'action du contact sera plus adoucie mais différente, selon l'état des organes. Celle du fluide dirigé de plus loin, doit être généralement peu sensible, et n'affecter que certains êtres plus susceptibles des moindres impressions. Mais comment s'opère cette triple action? Quel est le principe qui s'insinue ainsi dans les corps ? Le frottement et le contact y portent la chaleur. Celte chaleur serait-elle le fluide dont l'existence est si débattue? » 316 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Cette question posée, Laurent de Jussieu la résout par l' affirmative, sans s'opposer d'ailleurs à ce qu'on mette à la place de la chaleur un autre fluide, pourvu qu'il y en ait un. De Jussieu, ayant ainsi pris une position à part, tint ferme contre les protestations de ses collègues et contre les menaces du ministre Brelenil, et publia son rapport. Aujourd'hui, les magnétiseurs revendiquent ce savant célèbre comme un de leurs adhérents; mais les anti-magnétistes le leur disputent avec énergie Non contente d'exprimer l'opinion de ses propres membres, \^Soc\éléroyale de médecine voulut rendre public le sentiment des médecins de la France entière sur le compte de la nouvelle découverte. Elle avait reçu sur cette question, une foule de renseignements et de mémoires de la part de ses correspondants. Chaussier, de Dijon, qui devint plus tard un des plus célèbres professeurs de la Faculté de Paris, Le Pecq de la Clôture, Piijol de Castres, Duvernois de Clermont, et la plupart des sociétés savantes provinciales, lui avaient adressé le résultat de leurs préventions contre la médecine magné- tisante. Presque toute l'Europe savante avait pris part à celte sorte d'enquête : car il était venu des mémoires de Malte, de Turin, de Londres, d'Amsterdam, et l'Amérique même avait apporté son tribut en ce genre. La Société royale de médecine ne voulut pas laisser sans emploi tant de documents utiles à sa cause. Le 22 octobre 1784, elle chargea Thouret de lui faire faire connaître les résultats de l'ensemble de celte vaste corres- pondance. Selon le rapport de Thouret, deux raisons principales avaient porté presque tous les médecins de la France et de l'étranger à rejeter la pratique du magnétisme animal. En premier lieu, la non-existence de cet agent (on aurait pu se borner à cette raison) ; d'autre part, le danger des pratiques et manipulations magnétiques. Il nous semble que la seconde raison détruisait la première, mais il ne s'agit pas ici de logique. Le rapport de l'Académie des sciences qui avait déjà commis la même erreur de raisonnement, l'avait dissimulée avec plus d'habileté. Thouret, en transmettant l'acccord presque unanime des médecins français à condamner la nouvelle doctrine, faisait remarquer que le magné- tisme n'avait gagné de prosélytes que dans les parties de la France où les lettres et les sciences se trouvaient dans un état manifeste d'alanguissement 1. « Meusoage insigne; insulte gratuite à la mémoire d'un bomiiie de bien. 11 est temps de rétablir les faits et de montrer eu quoi une dissendence, peu importante au fond, a séparé de Jussieu de ses confrères. » (Burdiu et Dubois (d'Amiens), Histoire académique du magnétisme animal, p. 143.) LE MAGNÉTISME ANIMAL 317 et d'abandon. Le magnétisme animal s'était introduit à Marseille, disait Thouret, mais il n'avait pu pénétrer à Montpellier, où il existait une Uni- versité de médecine. (Notons pourtant qu'il y pénétra plus tard, vers 1828 ; car des savants illustres de cette Faculté, les professeurs Lordat et Risueno d'Amador, ainsi que Kiinholtz, agrégé, ne cachaient point, dans leurs leçons et leurs écrits, leur prédilection pour ces idées.) On avait fait da magnétisme dans les petites villes et les bicoques de la Bretagne; mais à Rennes, le baquet magique n'avait pas été dressé. A Loudun, « chose mémorable, ajoute Thouret, et qui prouve que le souvenir des erreurs passées n'est pas toujours inutile, la méthode ne peut prendre. On s'y rappelait vivement que naguère, lors des fameuses possessions des convulsionnaires, des scènes à peu près semblables s'étaient terminées d'une manière tragique. » Les différentes sociétés médicales réparties dans les provinces de la France, s'étaient donc trouvées d'accord avec la Société royale de méde- cine de Paris pour repousser et condamner la doctrine du magnétisme animal, et cette dernière pouvait s'enorgueillir de cette harmonie de vues. « La Société royale de médecine, dit Thouret en terminant son rapport, ne s'était pas encore trouvée dans le cas de réunir sur le même objet les avis des diffé- rents corps de médecins du royaume ; l'événement actuel lui en offrait l'occasion, et le gouvernement avait jugé qu'il était de sa sagesse d"éclairer la nation sur cette doctrine ; elle ne pouvait trop s'empresser d'entrer dans ses vues, en lui présentant sur cet objet le résultat de sa correspondance. » Le 15 décembre 1784, le secrétaire de la Société royale^ Vicq-d'Azyr, adressa au ministre, le rapport de Thouret. Dans leur Histoire académique du magnétisme animal^ Burdin et Dubois (d'Amiens), citent avec complaisance ce rapport de Thouret, et insistent sur les diverses parties de la correspondance résumée dans ce travalL Ils en tirent un argument de plus contre le magnétisme. Nous ne voyons rien pourtant dans cette opinion générale des médecins français à rencontre du magnétisme animal, qui mérite d'être exalté. Il était tout naturel que le corps des médecins du royaume partageât à cet égard les préventions des praticiens de Paris. Une Académie d'un juste renom s'était prononcée contre ce nouveau système, qui attaquait d'ailleurs directement les intérêts professionnels des médecins ; il était, dès lors, tout simple que, dans les provinces comme à Paris, les praticiens se trouvassent d'accord pour la proscrire. Le public de Paris s'était déjà tant amusé du magnétisme animal avant les rapports, qu'il ne pouvait manquer de dire encore son mot après le 318 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE jugement académique. Voici une des plus jolies parmi les nombreuses épigrammes qui virent alors le jour : Le magnétisme est aux abois; La Faculté, l'Académie L'ont condamné tout d'une voix, Et l'ont couvert d'ignominie. Après ce jugement, bien sage et bien légal, Si quelque esprit original Persiste encore dans son délire, 11 sera permis de lui dire : Crois au magnétisme... animal! Dans les vers qui vont suivre, « un homme sensé », ou se disant tel, expliqua ainsi le véritable secret du docteur allemand : Qu'on dise que le soufre a dans son phlogisîique Des ressorts pour lancer la vertu magnétique, Qu'on cherche à la trouver dans l'électricité, Dans le phosphore ou bien dans le fer aimanté, Que t'importe, Mesmer, un effort inutile ; Pour trouver ton secret il faudrait être habile ; Tu le tiens enfermé dans la tête des gens, Et les vapeurs des fous sont tes premiers agents. Voici un impromptu également dirigé contre les magnétiseurs; mais le - trait satirique qui le termine allait au front d'un de leurs ennemis les plus acharnés. Le docteur Millin de La Gourvault, dont il s'agit, un des vieux de la Faculté qui avait le plus insisté pour faire signer le formulaire, avait une très jolie femme, fortement soupçonnée d'infidélité. L'impromptu lui dit son fait assez gaillardement : Du novateur Mesmer les sectateurs ardents, De l'art s'imaginant avoir franchi les bornes, En Faculté montraient les dents. Ils ont été bien sots, ces docteurs imprudents. Quand Millin, enhardi, leur a montré les cornes. Pour se consoler de ces traits satiriques, les partisans de Mesmer reli- saient, sur le ton héroïque, ces vers que Pallissot avait composés, pour être mis au bas du portrait du docteur allemand : Le voilà ce mortel dont le siècle s'honore. Par qui sont replongés au séjour infernal Tous les fléaux vengeurs que déchaîna Pandore. LE MAGNÉTISME ANIMAL 319 Dans son arl bienfaisant il n'a point de rival, Et la Grèce l'eût pris pour le Dieu d'Épidaure. Eofin Bergasse, répondant par la violence aux épigrammes antimesmé- riennes, disait, à la même époque, dans son ouvrage, déjà cité : « Les adversaires du magnétisme animal sont des hommes qu'il faudra bien vouer unjour à l'exécration de tous les siècles, et au mépris vengeur de la postérité. » La guerre, on le voit, était ardente, des deux côtés. En vers, comme en prose, on était implacable. Nous ajouterons que la caricature, c'est-à-dire la satire par le crayon, Tint joindre ses traits à la satire par le vers épigrammatique. Nous repro- duisons (page 313), une gravure de l'époque qui représente les Mesmériens mis en fuite au seul aspect du rapport de Bailiy. X Les dernières années de Mesmer. Le prince Henri de Prusse, frère du grand Frédéric, étant venu, vers ce temps-là, visiter la France, y fut accueilli avec autant de courtoisie et de cordiale admiration que s'il n'eût pas été un des héros de la guerre de sept ans, dans laquelle les Prussiens avaient battu, presque en toutes rencontres, les troupes de Louis XV. Ce prince, véritable héros de roman à la façon de Werther et de Saint-Preux, était promptement devenu populaire en France. On ne pouvait donc manquer de lui faire les honneurs de la plus curieuse nouveauté du jour. La chose eut lieu à Lyon. Le 9 août 1784, un vieux cheval, de peu d'imagination, pensionnaire engourdi de l'École vétérinaire, eut l'honneur d'être magnétisé devant Son Altesse, en grande solennité. Les magistrats de la ville assistaient en costume, à cette opération i?i ajiima vili, que des médecins, le docteur Orelut en tête, ne dédaignaient pas de diriger. Le succès fut, d'ailleurs, complet. Le cheval, magnétisé sans attouchement, éprouva une sensation qui se manifestait par ses mouvements et par une longue toux, qui fut excitée aussitôt qu'on dirigea l'action magnétique sur le larynx; d'où l'on reconnut, au dire du magnétiseur, que l'animal était affecté d'une maladie de cet organe. Dans l'intérêt de la science, le trépas de la pauvre bête fut avancé, et le scalpel fit toucher du doigt la lésion prévue. Mais cette épreuve ne pouvait suffire au prince de Prusse, qui désira en voir d'autres, et chez des magnétiseurs d'une école différente. Le maréchal de Biron le conduisit à Beaubourg, où il put admirer les exercices philan- thropiiiucs d'un officier français en semestre, le comte Lissart du Rouvre. Comme Prussien, le prince Henri aimait toutes les innovations militaires; les exercices magnétiques que le comte du Rouvre pratiquait à Beaubourg sur les hommes de son régiment, devaient particulièrement l'intéresser, m. LE MAGNÉTISME ANIMAL 32:j comme se liant à la perfectibilité ou à ramélioration du soldat. Il assista donc à ces magnétisations, dans le château de Beaubourg. Mais ce n'était pas tout ce qu'on lui réservait dans celte résidence. Mesmer, que l'on avait prévenu, s'y rendit en personne, avec sa plus puis- sante baguette, et il offrit au prince de le magnétiser de sa main de maître. Toutefois, le royal sujet ne ressentit aucunement l'influence du grand magnétiseur. Pour prendre une revanche, Mesmer voulut alors le rendre témoin de la magnétisation d'un arbre. Mais le prince s'étanl mis en rapport avec une des ficelles, attachées à cet arbre, n'éprouva non plus aucun effet. Il résista, en un mot, aux plus grands courants du fluide que put mettre en action le chef de la doctrine. Grande surprise des assistants, grande humiliation de Mesmer, qui vit dans cet échec le déclin de sa puissance. La doctrine magnétique restait debout, sans doute, mais ce n'était plus lui qui régnait par cette doctrine. 11 se sentait renversé par les développements du nouveau principe qu'il avait apporté à la physiologie contemporaine. II avait la douleur de trouver dans sa propre école des facultés supérieures aux siennes. A Lyon, ses élèves avaient fait horripiler une vieille rosse enrhumée et pleine de vers, et lui, Mesmer, ne pouvait faire vibrer la moindre fibre chez l'héroïque conquérant de la Bohême. N'était-il pas visible que son empire touchait à sa fin? Pour le consoler de cet échec, les partisans de Mesmer se rappelèrent alors, fort à propos, une opinion qu'il avait émise autrefois, savoir, qu'il existe des natures anti-magnétiques ; et la cour de Versailles, abondant dans cette explication, lui fournit bientôt une excuse splendide. On disait, en effet, à la cour, pour expliqua- l'épreuve manquée sur le prince de Prusse, que les rois et les personnes issues de leur sang étaient mis à l'abi i du fluide, en vertu de la nature privilégiée de leur organisation. Celte expli- cation trouvée, on résolut de la confirmer par un essai démonstratif. La princesse de Lamballe, l'inséparable amie de la reine Marie-Antoinette, avait, comme on le sait, du sang royal dans les veines. Pour tenter l'épreuve, elle court chez Mesmer, où son apparition dans la salle des crises causa un grand émoi ; car la présence dans ce lieu d'un témoin bien portant, était une inconvenance et une dérogation à tous les usages. Mais la princesse de Lamballe, dont le crédit valait celui de la reine, ne s'effraya pas pour si peu. Elle parcourut toutes les pièces de l'hôtel, passa par toutes les opérations magnétiques et en sortit triomphante. L'opinion qu'elle venait soumettre à cette épreuve, concernant le privib'ge du sang royal de se rendre réfractairc aux effets magnétiques, en sortit triomphante au même degré. 324 LES MYSTERES DE LA SCIENCE Cependant Mesmer ne pouvait être consolé par ces royales balivernes. Il comprenait que son temps était fini. 11 se sentait détrôné, moins par le rapport de Bailly, que par le progrès. Avant de disparaître de la scène, Mesmer se donna le plaisir de guerroyer un peu contre ses amis et ses ennemis. Sa dernière querelle avec Deslon est des plus bizarres par les dits et les contredits des deux parties. Deslon, pendant que les commissaires de l'Académie des sciences se trou- vaient chez lui, s'était donné pour le vrai disciple de Mesmer, possédant le fort et le faible de ses procédés et de sa doctrine ; Mesmer, au contraire, avait soutenu alors, et fait répéter partout, que Deslon ne savait rien, et ne pouvait, par conséquent, rien démontrer aux commissaires du roi. Mais après la publication des rapports académiques, le langage changea de part et d'autre. Deslon se hâta de publier qu'il avait une doctrine à lui, différente de celle de Mesmer. Celui-ci, au contraire, prétendit l'avoir instruit à fond de ses principes, et l'accusa d'en avoir violé le secret en formant des élèves. Et il prit si bien au sérieux cette plaisanterie, qu'il intenta à Deslon une demande judiciaire en cinquante mille écus de dommages-intérêts. Deslon, il est vrai, ne courut jamais grand risque d'avoir à lui payer cette somme'. Une guerre plus importante et plus fructueuse pour Mesmer, fut celle qu'il fit à ses actionnaires, dans le sein de la Société de F harmonie. Il avait, d'ailleurs, préparé cette affaire de longue main. On se souvient de l'engagement qu'il avait fait prendre aux premiers souscripteurs, de garder le secret du magnétisme jusqu'à ce que le nombre des sociétaires se fût élevé à cent, et que, par conséquent, il eût touché deux cent quarante mille livres. Ce nombre de souscripteurs avait été atteint et même dépassé; mais par négligence ou par d'autres causes, les premiers souscripteurs n'avaient pas été dégagés d'une manière authentique. Mesmer vint un jour leur signifier qu'ils ne l'étaient pas. Il prétendit même, d'une manière plus générale, qu'en initiant au secret de sa doctrine les membres de la Société de rharmo?îie, il n'avait confié à aucun d'eux le droit de la répandre, privilège qu'il se réservait exclusivement et à perpétuité. Or, non seulement ses souscripteurs n'avaient jamais pris un tel engagement, mais le contraire était clairement énoncé dans le prospectus et dans l'acte de souscription. La Société de t harmonie devait se croire à bon droit propriétaire d'une décou- verte, acquise par elle « non seulement à ia France, dit Bergasse, mais à l'humanité entière ». Le seul tort des fondateurs de la Société de Vhar- 1. Oàservalions sur les deux Rapports, pur Ucsloû, nS5. LE MAGNÉTISME ANIMAL 325 monte était d'avoir prolongé, par égard pour Mesmer, au delà des cent actions la condition des cent louis imposée aux nouveaux élèves. On avait ainsi excédé de cent mille francs le montant de la souscription stipulée pour acquérir le droit de publier sa découverte. Battu par l'évidence, Mesmer ne se rendit pas pour cela. Il exigeait que l'on continuât, comme par le passé, de percevoir, à son profit, une somme de cent louis des nouveaux élèves qui seraient reçus dans la société. Cepen- dant, sur l'opposition unanime du comité, il réduisit sa prétention à cinquante louis, enfin à vingt-cinq. Il voulait, de plus, qu'on exigeât une souscription des élèves qu'on ferait dans les provinces, et que la moitié de ces sommes lui fût réservée, l'autre moitié étant employée à des établisse- ments de bienfaisance. On comprend quelle immense fortune il aurait acquise par ce moyen, si les provinces lui avaient apporté, en proportion, le môme tribut que la capitale. Mais le comité lui résista fermement, et rejeta ses prétentions. Il ne permit pas que Mesmer s'enrichît indéfiniment, par la vente d'une décou- verte dont il avait déjà reçu le prix. Mesmer cria alors, en tous lieux, qu'il était victime de la souscription. Rappelant que le gouvernement lui avait offert trente mille livres de rentes viagères, pour la publication de sa découverte, il affirma qu'il n'avait pas gagné cette fortune avec ses souscripteurs, et que jusqu'à ce qu'elle lui fût acquise, il maintenait son droit de former des élèves à prix d'argent. « Eh bien, dit alors le comte de Puységur, dans une séance du comité, nous examinerons si le capital que vous avez reçu n'est pas plus que suf- fisant pour vous compléter une rente viagère de trente mille livres. Vous êtes ici au milieu de vos amis et de vos défenseurs ; dites-nous ce qui vous manque pour compléter vos trente mille livres ; nous allons nous occuper des moyens de vous les parfaire. Laissez-nous le choix de ces moyens ; mais plus d'élèves à prix d argent; mais que l'engagement que nous avons contracté en votre nom et au nôtre, soit rempli ; que le public soit éclairé sur le mérite et sur l'usage de votre découverte, et que des hommes qui croient être les bienfaiteurs de l'humanité ne jouent pas, à côté de vous, le rôle, peu honorable, de vos gens d'affaires et d' exacteurs du genre humain '. » Tout le comité applaudit à ces paroles généreuses. Et sans même examiner le compte de ce que Mesmer avait reçu, on lui proposa, séance tenante, un supplément de vingt mille écus... qu'il accepta. 1. Bergasse, Réflexions sur un écrit du sieur Mesmer. Loiulrcs, •ilH5 326 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Tout n'était pas fini. On devait croire que Mesmer serait content ; il parut l'être, et ne l'était pas. « Il médita, dit Bergasse, de former une assemblée d'hommes à son choix, qui éliraient d'autres syndics plus favorables à ses nouveaux projets de fortune... Un jour, les membres du comité reçurent des billets d'invitation, pour assister à une assemblée générale de la société, convoquée au nom du docteur Mesmer seulement. Le comité protesta contre la tenue de l'assemblée par un arrêté qui fut imprimé dans le jour... L'assemblée eut lieu, cassa le comité et s'ajourna à quelques jours de là pour en nommer un autre... Le jour de l'élection arriva. D'Eprémesnil seul se rendit à cette réunion, pour faire une dernière tentative. On ne l'écouta qu'avec la plus grande impatience, et à peine se fut-il retiré, qu'on procéda à l'élection des nouveaux officiers... « Ce n'est pas tout : l'assemblée se tenait à côté du lieu destiné aux séances du comité; on délibéra sur-le-champ que le nouveau secrétaire de la Société se trans- porterait dans ce lieu, et qu'à l'aide du valet du docteur Mesmer, il s'emparerait de tous les papiers du comité, sans employer aucune forme, sans appeler aucun des membres de ce comité, intéressé cependant à ce qu'on en fit tout au moins la description devant lui. La délibération fut exécutée à l'instant même. « Dans une troisième assemblée, Mesmer a fait exclure tous ses bienfaiteurs à la fois du sein de la Société... On imagine bien que le comité destitué n'a pas cessé de se considérer comme le représentant de la Société qui lui avait confié l'exercice de son autorité... ' » Après avoir épuisé tous les moyens de conciliation, le comité se fit pré- senter par le banquier Kornmann l'état des sommes versées entre les mains de Mesmer. Il résulte de cet état, qui a été publié depuis ^: 1° Que M. Kornmann a remis à M. Mesmer deux cent quatre-vingt-onze mille ^ huit cent quarante livres, ci 291 840 liv. 2° Que trois personnes ont payé directement à M. Mesmer, cha- cune, deux mille quatre cents livres, ci 2 400 3° Que cinq autres personnes, assurément solvables, ont donné à M. Mesmer des billets de la même somme, ci 12 000 4° Que la société de Bordeaux a envoyé à M. Mesmer quatre mille huit cents livres, ci. ... , . 4 800 5" Celle de Saint-Étienne, douze cents livres^ ci. 1 200 Il faut ajouter vingt-quatre mille livres en lettres de change envoyées par la société de Saint-Domingue, ci. . ^. . . . 24 000 Plus deux mille sept cent vingt-quatre livres, produit du dernier cours de M. Mesmer, ci. .... ' . . , 2 724 Total 343 764 liv. 1. Bergasse, Réflexions sur un écrit du sieur RIesmer. 2. Petit imprimé de huit pages, intitulé : SoJnmes versées entre les mains de M. Mesmer pour avoir le droit de publier sa découverte. LE MAGNÉTISME ANIMAL 327 La guerre intestine, dont nous venons de retracer les principaux événe- ments, avait éclaté au mois de novembre 1784, et s'était prolongée jusque vers le milieu de 1785. Ce fut dans le courant de cette année 1785 que Mesmer quitta la France, souvent calomnié par les adversaires de sa doctrine, mais surtout maudit par ses protecteurs et ses partisans, qui, toutefois, dans un intérêt de secte facile à comprendre, se sont toujours entendus pour le proclamer grand homme. Dans sa retraite, il fut assailli d'une grêle de satires, tant en paroles qu'en actions. Entre ces dernières, la plus piquante est celle où l'on se servit contre lui de l'invention , alors toute récente, des montgolfières. A Paris une figure aérostatique, appelée le Yendan(jem\ partit d'une fenêtre des Tuileries, la tête chargée d'une espèce de cuvier, sur lequel on lisait, en lettres couleur de feu: Adieu baquet; vendanges sont faites. En sortant de France, Mesmer se rendit d'abord en Angleterre. II n'y fil qu'un séjour de quelques sem.aines, qu'il employa exclusivement à rédiger des libelles contre ses anciens amis. Il avait pourtant emporté de quoi se souvenir d'eux pour longtemps ! On a été surpris qu'il se fût abstenu de faire à Londres du magnétisme animal. Quelques-uns en ont fait honneur au génie anglais, moins complai- sant, disent-ils, et moins généreux pour les thaumaturges, que l'esprit badaud des riches Parisiens. Mais d'abord, cette raison est démontrée fausse par l'histoire, et puis il en était une autre, plus naturelle. Les Anglais ont prouvé qu'ils n'étaient pas moins prompts que tout autre peuph; à s'enthousiasmer pour les thaumaturges, quand ils avaient le bon- heur d'en posséder chez eux. Or, précisément à cette époque, ils en pos- sédaient un des plus fameux, et qui devait leur suffire. Lorsque saint Jean- Baptiste est sur le Jourdain, il n'est pas nécessaire de lui envoyer une doublure. Voici ce qu'on lisait dans le Courrier de l'Europe du vendredi 30 juin 1780, sur l'homme extraordinaire qui brillait à Londres, pendant que Mesmer florissait à Paris : (( Un médecin d'Edimbourg, le sieur Graaham, vient de construire un appareil de médecine restaurante dans une maison à laquelle il donne le nom de Temple, de la santé, qui lui a coulé cent mille écus, dans la vue de mêler l'utile à l'agréable, et de joindre la magnificence à l'art de guérir. Les personnages les plus distingués et les plus inslruils, avouent qu'ils n'ont jamais rien vu de com- parable à l'élégance qui régne dans ce temple, où l'on entend la symphonie la plus agréable, où la lumière réfléchie produit l'effet le plus brillant, et où l'on respire les parfums les plus exquis. 328 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE « Ce médecin donne pour une guinée un avis imprimé, dans lequel il promet de remédier à la stérilité dans un sexe, et à l'impuissance dans l'autre Ceux qui voudront entrer dans ce sanctuaire, que je nomme le sanctum sancto- rum, disait le docteur Graaham dans ses écrits, auront soin de l'en prévenir par un mot de lettre, auquel ils joindront un billet de banque de cinquante livres sterling. » L'Écossais Graaham gagna des sommes immenses à Londres, mais il manquait de cet esprit d'ordre et de calcul qui caractérisait au plus haut degré le docteur allemand. 11 ne possédait pas, comme Mesmer, l'art de solidifier son fluide et de le fixer en rentes viagères. Pendant le cours de ses prospérités électro-magnétiques, Graaham mena un si bon train qu'il alla finir sa vie dans la prison de Londres, oîi ses créanciers le firent ren- fermer. Les prouesses de Graaham avaient détourné les Anglais de s'oc- cuper des merveilles du magnétisme animal, auquel, d'ailleurs, ils ne devaient pas manquer de revenir plus tard. Ayant quitté l'Angleterre, Mesmer voyagea en Italie, en Allemagne, et fît, à de longs intervalles, quelques apparitions en France, mais presque toujours incognito. - Il fut aperçu à Paris, dans une des plus fatales journées de la tourmente révolutionnaire : le jour de l'exécution de l'infortuné Bailly. Pendant qu'on conduisait à l'échafaud cette grande victime, par cette triste journée d'hiver et celte froide pluie dont on se sent encore glacé au souvenir de la passion du maire de Paris, un homme se trouva sur son pas- sage, et seul, au milieu d'une populace ivre de fureur ou muette d'efïroi, il se découvrit et s'inclina respectueusement devant celui qui marchait au supplice. Cet homme était Mesmer. Il saluait celui qui avait été son adversaire et qui n'était plus qu'un martyr ! Virey, dans son article Magnétisme^ du Dictionnaire des sciences mé- dicales ',dit avoir vu Mesmer à Paris, en 1793. Ce fut sans doute lorsqu'il y vint pour surveiller la publication de son second mémoire sur ses décou- vertes, pour la rédaction duquel il avait emprunté la plume élégante de P. J. Bachelier d'Agis, qui, quinze années auparavant, lui avait déjà rendu le même service pour son premier mémoire. Mesmer se fixa définitivement en Suisse, sur les bords du lac de Constance. Il y passa, dans une paix opulente, les dernières années de sa vie, et mourut à. Mespurg, le 15 mars 1815. f était âgé de 81 ans, étant né en 1734 1. 1818, t. XXIX. LE MAGNÉTISME ANIMAL 331 à Weiler, près de Stein, sur le Rhin. Ceux qui n'ont vu en lui qu'un charlatan ou un ignorant, oubliaient qu'il avait fait de sérieuses études médicales, sous Wan Swieten et de Haen, et que si ses idées avaient pris quelque tour mystique ou excentrique, il avait cela de commun avec bien des médecins de son temps et de son pays. 0n doit au médecin de Vienne la découverte et surtout la vulgarisation, comme on dit aujourd'hui, de l'étrange influence physique et morale que l'homme peut exercer sur l'homme, à distance et sans contact, phénomène qui restera probablement à jamais un des mystères de la science et de la nature, en dépit des recherches entreprises de nos jours pour l'expliquer. A ce titre on ne peut parler qu'avec respect de ce novateur, qui eut le sort commun de tous ceux qui apportent à la société une idée non soupçonnée encore. La fin du dix-neuvième siècle devait, d'ailleurs, faire comprendre et réhabiliter Antoine Mesmer, tant persécuté par les médecins et les corps académiques à la fin du dix-huitième siècle. L'hypnotisme est venu restaurer le magnétisme animal, avec lequel il est permis de l'identifier. Charcot a rdevé la statue de Mesmer. XI Découverte du somnambulisme artificiel. — Le marquis de Puységur. — Le somnambule Victor. — L'arbi-e de Buzancy et l'arbre de Beaubourg. — Exploits du somnambule Victor. Mesmer n'avait pas encore quitté la France que le magnétisme animal entrait dans une phase toute nouvelle, à peine entrevue par le fondateur de la doctrine. En 1785, le marquis de Puységur découvre le somnambulisme artificiel, et ouvre ainsi au magnétisme un horizon inattendu. Dans les récits qui précèdent, il a été à peine question de l'état de somnambulisme artificiel, qui peut être provoqué par des passes et manipulations diverses. C'est que cet état singulier de l'économie animale était resté presque inaperçu jusqu'au moment où nous venons de conduire cette histoire. Ce n'est que trois mois avant la publication du rapport de Bailly, que le somnambulisme magnétique fut découvert par le marquis de Puységur, et vint révolutionner la pratique, comme les effets, du magnétisme animal. Avant la transformation dont nous avons maintenant à parler, le magné- tisme, entre les mains de Mesnier et de ses élèves, n'avait comporté que les crises, comme résultais. On avait bien remarqué que le regard seul du maitre ou l'imposition de ses mains suffisaient pour faire tomber en crise des sujets impressionnables et familiarisés dès longtemps avec le fluide; on avait bien vu Jumelin, dans les traitements auxquels assistèrent les commissaires de l'Académie des sciences, produire les effets crisiaques sans avoir recours à l'outillage du docteur allemand ; mais ces accidents secondaires n'avaient servi de texte à aucune induction importante. Parla découverte du somnam- bulisme artificiel, ces incidents vont devenir le fait principal du magnétisme régénéré. Grâce à cette observation inattendue, le baquet mesmérien sera bientôt relégué dans le bric-à-brac historique. La salle des crises, ce lieu de mystères tout à la fois délicieux et terribles, sera fermée à jamais, et n'apparaîtra plus dans l'histoire que comme le limbe nuageux des premiers LE MAGNÉTISME ANIMAL 333 temps de la doctrine à son aurore. Enfin, ces potions tartrisées, ces boissons laxatives, adjuvant indispensable de la médecine mesmérienne, que les grandes dames habituées de la place Vendôme avalaient avec une répugnance si naturelle, ne seront plus invoquées que comme un souvenir ignoble. Tout va changer de face. De simples passes à distance et la seule impression du regard et de la volonté, vont remplacer le primitif baquet. Au lieu des crises un sommeil tranquille, au lieu des convulsions un état calme et paisible. Et pendant ce sommeil, artificiellement provoqué, les facultés intellectuelles recevront un degré notable d'exaltation. Un vif sentiment de confiance, ou plutôt une obéissance absolue aux pensées, aux désirs du magnétiseur, se développera dans l'âme du sujet. Cette obéissance se traduira par les efïorl« de l'individu magnétisé pour franchir, par la pensée, les lieux et les distances, pour rejeter les liens de son enveloppe matérielle, et tenter de pénétrer l'avenir, précieuse faculté de divination, que des magnétiseurs, dans des intentions trop vulgaires, auront le tort de limiter à la vue intérieure des organes sains ou malades, transformant ainsi en simples médecins consultants ou en faiseurs de tours, des sujets qui ne demanderaient pas mieux que de rendre des oracles, à l'imitation de ceux des anciens. Entrons dans le récit de celte nouvelle période de l'histoire du magnétisme animal. Tous ceux des initiés de Mesmer qui, en imitant ses procédés, avaient produit assez d'effets pour se croire suffisamment instruits, allèrent après son départ de France porter le magnétisme dans nos diverses provinces. La propagande fut si rapide, qu'en moins de trois mois il y eut des traitements magnétiques à Versailles, à Amiens, à Auxerre, à Dijon, à Saint-Etienne, à Lyon, à Valence, à Marseille, à Bayonne, à Bordeaux, à Brest, etc. Le Bailli des Barres et le médecin Amie en établirent à Malte. Cette pratique passa même, avec la Fayette, en Amérique, où les colons l'adoptèrent avec fa- veur et les nègres avec frénésie. « Dans la Dominique, dit un auteur alle- mand, les esclaves nègres ont une telle fureur pour le bala (nom qu'ils donnent au magnétisme), que les autorités ont été obligées de rendre une loi prohibitive à ce sujet'. » Le capitaine du génie Tardy de Montravel, se rendit célèbre, peu de temps après, par lès cures merveilleuses qu'il opéra dans sa garnison à Valence. Cet officier vantait, en ces termes, les merveilles du somnambu- lisme artificiel, alors de découverte toute récente 1. Metzger. Programme sur le somnambulisme magnétiqu-;. 334 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE « L'âme plane, comme l'aigle, au haut des nues, pendant le sommeil des sens extérieurs. Dominant alors sur les opérations de la matière, elle embrasse d'un vaste coup d'œil toutes les possibilités physiques, qu'elle n'eût parcourues dans l'état de veille que successivement; mais sa vue est toujours bornée dans la sphère des sens, dont elle n'a pu se dégager entièrement. Si quelques motifs viennent déterminer plus particulièrement son attention vers une des portions de l'ensemble, elle voit alors cette portion dans le plus grand détail, tandis que le reste devient vague et confus. » En général, les militaires furent, entre tous les adeptes de la nouvelle doctrine, ceux qui se dévouèrent avec le plus de chaleur à sa propagation tt à sa pratique. Il y avait alors, dans presque chaque régiment, un certain nombre d'officiers magnétiseurs. Ils opéraient sur leurs soldats, qui se prêtaient avec beaucoup de complaisance à leurs expériences, les uns parce qu'ils croyaient s'en trouver bien, les autres parce qu'elles les divertissaient et les mettaient chaque jour dans des rapports d'intimité avec leurs chefs. La magnétisation, avec tous ses charmes, semblait ainsi être devenue le principal exercice de la vie militaire : c'était l'âge d'or du troupier. Mais à part le capitaine Tardy de Montravel, dont nous venons de parler, aucun officier magnétiseur ne prit à cœur sa nouvelle fonction comme MM. de Puy- ségur dans les différentes armes où ils servaient. Le plus jeune des trois, Ghastenet de Puységar, était officier de marine. Il avait, pendant quelque temps, suivi les cours de Mesmer, sans trop de foi d'abord, et peut-être même dans l'intention de s'en moquer. Ayant néanmoins été guéri, par le magnétisme, d'une maladie dont il était atteint depuis plusieurs mois, il prit quelque confiance dans celte découverte, et tenta lui-même sur d'autres personnes quelques expériences, qui réussirent. Quand il fut de retour à Brest, où l'appelait son service militaire, un médecin de cette ville, qui avait entendu parler de^la nouvelle méthode, vint le prier d'en faire l'essai sur une dame, pour laquelle on avait épuisé en vain toutes les ressources de l'art. M. de Ghastenet la guérit. Getle cure s'annonça même par des phénomènes surprenants, et fut accompagnée de circonstances qui n'avaient point encore été observées. G'est là, du moins, ce qui est constaté dans un certificat * signé par le premier et le second médecin de la marine, docteurs-régents de la Faculté de Paris, et par les chirurgiens-majors de la marine présents à l'opération. Dès ce moment, le magnétisme animal monta à bord de la flotte du roi, le Frédéric- Guillaume, que commandait M. de Ghastenet. Aidé des autres 1. Lettre à M. le C. C**. D. P. à M. le P. E, D. S. in -12, SO pages. Les premières iniUales sont celles du comte de Ghastenet de Puységur. LE MAGNÉTISME ANIMAL 335 officiers, instruits par ses leçons, il fit de son vaisseau un immense baquet, où les mâts, les voiles, les cordages, tout était magnétisé. L'équipage entier était sous l'influence des officiers, qui ordonnaient, à la baguette, des manœuvres, toujours obéies. On n'avait jamais inventé un moyen de disci- pline aussi efficace ni aussi doux. Le spasme magnétique avait remplacé le mal de mer pour les passagers. Atteints de tous côtés par le flaide, ils se démenaient sur le pont, dansaient et sautaient comme des torpilles. Le lournal d'une navigation de quatre mois, du Frédénc-Guillaume, dans la mer du Nord, constate de nombreuses guérisons opérées par ces moyens. Le comte Maxime de Puységur, mestre de camp en second du régiment de Languedoc et élève de Mesmer, comme le précédent, se signala à Bayonne, par des exploits magnétiques encore plus éclatants, quoique moins pitto- resques. Pendant un exercice qu'il commandait, un de ses officiers tomba, frappé d'un coup de sang. Tous les secours qui lui furent administrés ayant été inutiles, M. de Puységur le magnétisa sur le champ de manœuvre et en présence des troupes formées en carré. Le succès fut complet. « Un autre accident arrivé le même jour, dit Deleuze, ayant encore obligé M. de Puységur à employer le même moyen, il fut sollicité d'entre- prendre la guérison des malades du régiment. » Cet accident, auquel Deleuze même se contente de faire une vague allusion, est raconté tou* au long dans le rapport adressé par M. Maxime de Puységur lui-même à l'abbé de Poulouzat, et enrichi des notes de Duval d'Épré- mesnil, conseiller au parlement de Paris. La victime n'était autre qu'un petit chien, que le mestre de camp magnétiseur eut le bonheur de rendre à la vie et à sa maîtresse éplorée. Il n'est pas permis à l'historien, qui écrit longtemps après les événements, de supprimer, comme ridicule, ce qui ne Tétait alors pour personne : M. de Puységur ne fut pas moins admiré à Bayonne pour la cure de cet intéressant petit chien, que pour celles des soixante malades, qui ont reconnu, par certificats, lui devoir la santé *. Ne pouvant recevoir chez lui tous les malades de Bayonne et des environs qui se rendaient à son traitement, le comte Maxime de Puységur les magné- tisait sous les arbres du bastion de Saint-Étienne. L'hiver venu, les PP. Au- guslins, en reconnaissance de ce qu'il avait guéri le P. Bory, un de leurs religieux, âgé de soixante-quinze ans et paralysé de la moitié du corps, lui cédèrent une salle de leur couvent, oîi les élèves qu'il avait formés continuè- rent les traitements après son départ. Le maire de la ville, un médecin, un chirurgien, un apothicaire et le 1. Rapport des cures opérées à Bayonne, par le magnétisme animal, adressé à M. l'abhé de Poulou zni, conseiller-clerc au parlement de Bordeaux, par M. le cornte Maxime de Puységur, Bayoane, 1184- 336 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE chirurgien-major du régiment de Languedoc, ont certifié tout ce qui est contenu dans le rapport du comte de Pnységur. Avant de quitter Bayonne, ce dernier déposa chez un notaire la somme de six cents francs, pour sub- venir aux dépenses de l'enquête que seraient obligés de faire ceux qui voudraient contester les faits. C'était là un défi noblement porté; il ne fut sans doute jamais relevé, car nous ne trouvons nulle part que personne ait réclamé l'argent déposé par le comte Maxime de Puységur. Arrivons maintenant à l'aîné des trois frères, au marquis de Puységur, le nom le plus radieux, après celui de Mesmer, dans l'histoire du magnétisme animal. Transportons-nous à sa terré de Buzancy, près de Soissons ; là nous assisterons au plus intéressant des spectacles. Des groupes de paysans sont assemblés autour de leur seigneur, non pour se plaindre à lui des exactions d'un intendant impitoyable, non pour lui demander le dégrèvement de quel- que redevance onéreuse, ou pour le prier d'être l'arbitre de leurs difïérends. Il n'y a point de plaintes, point d'accusations, point de procès, sous les délicieux ombrages du parc de Buzancy. Toute cette population ne respire qu'un seul sentiment : la confiance et la foi dans le maître qui dissipe leurs maux, et qui n'a qu'à les toucher pour les renvoyer guéris. Pour ceux dont l'état demande une magnétisation prolongée, il y a au château de bons lits, du pain, d'excel- lents bouillons et des soins délicats. Tel est le séduisant tableau que la féodalité, dans ses derniers jours, présentait à Buzancy et dans quelques autres manoirs. Un médecin qui soigne et magnétise gratis de pauvres paysans, qui leur fournit des bouillons et du pain, doit promptement réunir nombreuse clien- tèle. Bientôt les paysans de tous les villages d'alentour, attirés par le fluide et les consommés réconfortants du marquis de Puységur, arrivèrent en si grand nombre, qu'il ne put suffire à les toucher tous individuellement. Ce l'ut alors qu'il se rappela, fort à propos, une des plus heureuses inventions de Mesmer, c'est-à-dire celle de Y arbre magiiéiisé^ qui avait si bien fonc- tionné à Paris sur le boulevard du Temple. Au milieu de la place publique de Buzancy s'élevait un vieil orme, à l'ombre duquel, de génération en génération, les jeunes filles et les jeunes garçons du village venaient danser les dimanches et les jours de fêtes ; « arbre antique, arbre immense au pied duquel coulait une fontaine de l'eau la plus limpide, arbre respecté par les anciens du lieu » Comme le mar- quis de Puységur, exténué pour avoir magnétisé un si grand nombre de ses vassaux, se sentait hors d'état de continuer un si fatigant exercice, il prit cet arbre pour son substitut. Après l'avoir dûment magnélisé, il le mil en son 1. llelatioo de M. Gloquet, receveur de gabelle. II. 43 LE MAGNÉTISME ANIMAL 339 lieu et place, il en fit son aller ego, et le chargea de suffire à ses nombreux clients. Autour du tronc de l'orme séculaire, le marquis enroula une corde dont l'extrémité servit à relier entre eux les malades assis sur des bancs disposés en cercles autour de l'arbre. Ceux qui arrivaient après la formation de la chaîne, montaient sur des chaises, et saisissant l'extrémité des basses branches, recevaient à même les émanations du fluide salutaire. Ce qu'il y avait de plus caractéristique pour les malades de cette heu- reuse chaîne, c'est qu'ils n'avaient pas de convulsions, comme au baquet de Mesmer, ou du moins tout ce qui pouvait y ressembler était passager et à peine sensible. L'état de cri&e y était commun ; mais c'était « un état calme et tranquille qui n'ofïrait aux regards sensibles que le tableau du bonheur et du travail paisible de la nature pour rappeler la santé '. » Dès les premiers jours de son traitement général par l'arbre de Buzancy, J. de Chastenet, marquis de Puységur fit une découverte qui donna une portée inouïe et un caractère tout nouveau à la science magnétique. On en peut déjà prendre quelque idée par l'extrait suivant d'une lettre que le marquis écrivait à son frère Chastenet, le 17 mai 1784 : « Je continue à faire usage de l'heureux pouvoir que je tiens de M. Mesmer, et je le bénis tous les jours, car je suis bien utile, el j'opère bien des effets salu- taires sur tous les malades des environs. Ils affluent autour de mon arbre : il y en avait ce matin plus de cent trente. C'est une procession perpétuelle dans le pays; j'y passe deux heures tous les matins : mon arbre est le meilleur baquet possible; il n'y a pas une feuille qui ne communique de la santé ; chacun y éprouve plus ou moins de bons effets ; vous serez charmé de voir le tableau d'humanité que cela représente. Je n'ai qu'un regret, c'est de ne pouvoir pas toucher tout le monde ; mais mon homme, ou pour mieux dire, mon intelligence me tranquillise. Il m'apprend la conduite que je dois tenir : suivant lui, il n'est pas nécessaire que je touche tout le monde, un regard, un geste, une volonté, c'en est assez; et c'est un paysan, le plus borné du pays, qui m'apprend cela. Quand il est en crise, je ne connais rien de plus profond, de plus prudent et de plus clairvoyant : j'en ai plusieurs autres, tant hommes que femmes, qui approchent de son état, mais aucune ne l'égale, et cela me fâche; car mardi prochain, adieu mon conseil, cet homme n'aura plus besoin d étre louché ; et, certes, aucune curiosité ne m'en- gagera à me servir de lui sans le but de sa santé et de son bien. Si vous voulez le voir et l'entendre, arrivez donc au plus tard dimanche. » L'homme dont il s'agit était un paysan, nommé Victor, âgé de vingt-trois ans. Victor était atteint depuis quatre jours d'une fluxion de poitrine qui le forçait à garder le lit, lorsque M. de Puységur alla le voir, le 4 mai, à huit 1. Mémoire pour servir à l'établissement du magnét'ime animal, par M, J. de Chastenet, marqiiit de Puységur, p. 89 et 90. Paris, iu-8, édit. (1820). 340 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE heures du soir. En ce moment, la fièvre venait de s'affaiblir. Après avoir fait lever le jeune Victor, il le magnétisa. Quelle fut sa surprise lorsqu'au bout de quelques minutes, il vit le malade s'endormir paisible dans ses bras, sans convulsions ni douleurs ! « Je poussai la crise dit-ii, ce qui lui occasionna des vertiges : il parlait, il s'occupait tout haut de ses aflfaires. Lorsque je jugeais ses idées devoir l'affecter d'une manière désagréable, je les arrêtais et cherchais à lui en inspirer de plus gaies; il ne me fallait pas pour cela faire : de grands efforts : alors je le voyais content, imaginant tirer à un prix, danser à une fête, etc. Je nourrissais en lui ces idées, et, par là, je le forçais à se donner beaucoup de mouvement sur sa chaise, comme pour danser sur un air, qu'en chantant mentalement, je lui faisais répéter tout haut ; par ce moyen, j'occasionnai dès ce jour-là au malade une sueur abon- dante. Après une heure de crise, je l'apaisai, et sortis de la chambre. On lui donna à boire; et lui ayant fait porter du pain et du bouillon, je lui fis manger dès le soir même une soupe, ce qu'il n'avait pu faire depuis cinq jours; toute la nuit il ne fit qu'un somme; et, le lendemain, ne se souvenant plus de ma visite du soir, il m'apprit le meilleur état de sa santé... » On a déjà vu plus haut que Victor servait au marquis de médecin con- sultant. Dans l'état somnambulique, ce paysan connaissait et dictait ce qui convenait, non seulement à lui-même, mais aux autres malades grâce au rapport établi entre lui et son magnétiseur. Les effets de ce rapport, tels que les décrit M. de Puységur, sont des plus extraordinaires. « Ce n'est plus, dit-il, un paysan niais, sachant à peine répondre une phrase, c'est un être que je ne sais pas nommer, je n'ai pas besoin de liii parler ; je pense devant lui, et il m'entend, me répond. Vient-il quelqu'un dans sa chambre, il le voit si je ueua?, lui parle, lui dit les choses que je î;eMaf qu'il lui dise, non pas tou- jours telles que je les lui dicte, mais telles que la vérité l'exige. Quand il veut dire plus que je ne crois prudent qu'on en entende, aloT?, f arrête ses idées, ses phrases au milieu d'un mot, et^'e change son idée totalement. Vous jugez qu'il est impossible que cet homme ne soit pas singulièrement pénétré de reconnaissance des soins que madame de P**' et moi lui portons; jamais il n'oserait nous en faire part dans son état habituel, mais sitôt qu'il est en crise magnétique, son cœur s'épanche; il vou- drait, dit-il, que l'on pût l'ouvrir; pour voir comme il est rempli d'amitié et de reconnaissance : nous ne pouvons retenir des larmes d'admiration et de sensibilité en entendant la voix de la nature s'exprimer avec tant de franchise ; je me plais à le laisser sur ce chapitre parce que le sentiment qui l'anime alors ne peut être que salutaire. » Les guérisons, les soulagements procurés par le marquis de Puységur aux 1. Lettre sur la Société de l'Harmonie, du 8 mai 1784. LE MAGNÉTISME ANIMAL 341 populations de Buzancy et des villages voisins, ne sont pas attestées par de moindres témoignages que tous les autres bienfaits de cet excellent seigneur. Comme il opérait, on peut le dire, en plein soleil, tout le monde pouvait voir et sa pratique et ses succès. M. Cloquet, receveur des gabelles, à Soissons, qui avait passé un mois à Buzancy, chez M. de Puységur, publia un compte rendu de ce qu'il avait observé. Son opuscule', qui est le premier écrit où les merveilles du somnambulisme soient racontées, est cité dans les ouvrages qui traitent du magnétisme. Nous n'en extrairons qu'un passage, qui rend justice au caractère des nobles hôtes de Buzancy et à la modération qu'ils savaient allier à leur enthousiasme pour la médecine nouvelle. « MM. de Puységur, dit M. Cloquet, n'ont point la prétention de guérir toutes les maladies ; ils regardent le magnétisme comme un principe rénovateur, quelque- fois suffisant pour rendre du ton à un viscère offensé, et pour donner au sang et aux humeurs un mouvement salutaire; ils le regardent comme un indicateur des maladies dont le siège échappe au sentiment du malade et à l'observation des médecins ; mais ils déclarent que la médecine doit concourir avec le magnétisme et seconder ses effets. « Pendant que j'observais ce spectacle intéressant, j'ai entendu prononcer le mot de charlatanisme, et je me suis dit : il est possible que deux jeunes gens légers, inconséquents, arrangent, pour une seule fois, une scène convenue d'illu- sions, de tours d'adresse, et fassent des tours d'adresse dont ils riront ; mais on ne me persuadera jamais que deux hommes de la cour, qui ont été élevés avec le plus grand soin par un père instruit, et qui, dans l'âge des jouissances, viennent pen- dant la belle saison se délasser dans leur terre, abandonnent pendant un mois leurs affaires et leurs plaisirs pour se livrer à l'ennui de dire et faire toute la journée des choses de l'inutilité et de la fausseté desquelles ils seraient intérieure- ment convaincus. Cette continuité de mensonges et de fatigues répugne à la nature et à leur caractère... Quel serait l'intérêt qui les ferait agir? Il n'est besoin que de les voir au milieu de leurs malades pour être persuadé de la satisfaction qu'ils éprouvent à faire un usage utile de la doctrine qui leur a été révélée. « Interrogez les malheureux qui sont venus implorer le secours du seigneur du Buzancy, ils vous diront tous : il nous a guéris, il nous a consolés, il nous a assistés : c'est notre père, notre libérateur, notre ami. » Une lettre du marquis de Puységur à Bergasse, imprimée à la suite de la relation de Cloquet, contient le récit de soixante-deux guérisons opérées à Buzancy, pendant les mois de mai et juin 1784. Dix cas de somnambulisme avaient été observés. Le traitement n'avait guère duré que six semaines. Trois cents autres malades s'étaient inscrits ; mais M. de Puységur étant 1. Détail des cures opérées à Buzancy, prés Soissons, par le magnétisme animal. In-8, 44 pages, Soissons, l"!8i. 342 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE obligé d'aller rejoindre son régiment à Strasbourg, le traitement de Buzancy fut inteirompu à la fin de juin. Les arbres magnétisés firent bientôt des merveilles en divers lieux. Le marquis Tissart du Rouvre en prépara un, vers le même temps, dans sa terre de Beaubourg, en Brie, à six lieues de Paris. Cet arbre marqua même un progrès sur celui de Buzancy. Il servait de pivot à des milliers de cordes et de ficelles qui, partant de son tronc, allaient, en rayonnant de tous côtés, atteindre au loin dans les campagne. Les malades pouvaient en saisir les extrémités à une grande distance, et s'épargnaient ainsi, en partie, les fatigues du pèlerinage. Tout un service organisé, de nombreux domestiques transformés en infirmiers, veillaient attentivement sur cette foule, relevaient ceux qui tombaient en crise ou qui avaient besoin d'assistance, et les trans- portaient au château, où les attendaient les soins les mieux entendus et les meilleurs consommés. A cause de sa proximité de la capitale, l'arbre de Beaubourg fut visité par une multitude de curieux, parmi lesquels on put compter plusieurs grands personnages. Sa vogue fut très favorable à la propagande de la médecine nouvelle. Tous les contemporains s'accordent à dire que ce fut autour de cet arbre de bénédiction qu'il se fit le plus grand bien ; non que le jeune seigneur de Beaubourg fût plus richement pourvu de fluide et de vertu hospitalière que le seigneur de Buzancy, mais parce que, n'étant tenu alors à aucun service public, il put continuer sans interruption l'œuvre magnético- philanthropique à laquelle il s'était voué. Au surplus, le départ du marquis de Puységur pour Strasbourg ne fut pas un échec pour la cause magnétique. M. de Puységur arriva dans cette ville, moins comme un officier du roi qui comme un apôtre de la doctrine nou- velle. Il magnétisa dans son régiment, magnétisa dans les autres corps de la garnison, initia plusieurs militaires à sa pratique, et jeta, dès cette époque, les fondements de la Société de r harmonie de Strasbourg, la plus célèbre et la plus nombreuse des sociétés de magnétisme qui ait existé en France et dans toute l'Europe. Dans le même temps, son frère, le comte Maxime de Puységur, en quittant Bayonne, allait fonder à Bordeaux la Société de la Guyenne, laquelle se composa tout de suite de soixante membres, qui, par leur état, devaient être des plus éclairés de la province. On y comptait, en efïet, des conseillers au Parlement et un assez grand nombre de médecins et gens d'église, les deux classes que les témérités du P. Hervier avaient le plus aliénées, dans la ville de Bordeaux, à la cause du magnétisme animal. A Lyon, une Société de r harmonie s'établit également, et il y eut cela LE MAGNÉTISME ANIMAL 343 de particulier que le traitement qu'elle ouvrit était placé sous l'inspection des magistrats et sous la direction de quatre médecins ou chirurgiens, les docteurs Faissole, Grandchamp, Bonnefoy, elOrelut. Nantes, Dijon, Grenoble, Bergerac, Villefranche et un grand nombre d'autres villes da midi et du centre de la France, où il n'y eut pas d'abord de sociétés établies, eurent, dans celte même année 1784, des traitements magnétiques. Plus de cent médecins ou chirurgiens en avaient organisé dans les provinces, et un plus grand nombre encore en suivaient la pratique, pour s'instruire. Pendant ce temps, la Société de Paris, la métropole de Xharmonie, continuait à recevoir de l'argent pour Mesmer et des élèves pour le nouveau cours professé par Bergasse. Après le départ de Mesmer, les Sociétés de l'harmonie continuèrent donc à se multiplier en France et dans divers pays de l'Europe, pour y propager la doctrine magnétique, augmentée désormais de l'appendice merveilleux que le marquis de Puységur y avait ajouté. On peut dire que, dès ce moment, Je somnambulisme artificiel devint le fait capital du magnétisme. On se demande si le phénomène du somnambulisme artificiel avait pu échapper à Mesmer. Nous avons déjà vu que ce phénomène était apparu d'une manière assez manifeste chez Deslon, sous les yeux des commissaires de la Société royale de médecine. Il n'y a certes guère d'apparence qu'il ne se fût jamais montré dans les traitements de Mesmer, où tant de malades avaient été magnétisés par tant de mains diverses, et cela pendant six années. Il est difficile, par exemple, de ne pas reconnaître ce phénomène dans ce passage du rapport de Bailly : « On voit des malades se rechercher exclusivement, et en se précipitant l'un vers l'autre, se sourire, se parler avec alTection et adoucir mutuellement leurs crises. » Aussi la plupart des contemporains et ceux qui ont écrit d'après leur tradition, n'hésitent-ils pas à affirmer que l'état somnambulique avait été observé chez Mesmer. L'auteur anonyme d'un opuscule imprimé en 1785, écrit avec une sagesse et une modération qui justifient son titre, va même plus loin, et se prononce en termes plus positifs, à cet égard, que tous les autres écrivains : « Dans le nombre des expériences faites par les commissaires, dit cet anonyme, j'aurais désiré qu'ils eussent porté leurs observations sur un de ces aiimnambulcs rendus tels par l'action magnétique, et qu'ils l'eussent soumis aux I preuves suivantes : après lui avoir mis sur les yeux le bandeau dont ils se sont ïervis dans leurs expériences, lui présenter plusieurs personnes dont les maux auraient été connus et lui demander de les indiquer. Si ce médecin d'une espèce 344 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE nouvelle eût découvert le siège des maux par le seul contact, je doute qu'il eût été possible de dire que l'attouchement aurait produit le mal, et que l'imagination et l'imitation y fussent pour quelque chose. Cette expérience est décisive : elle s'est faite sous mes yeux au traitement de Mesmer, et depuis, elle a été répétée à Lyon plusieurs fois avec succès *. » Et quelques lignes plus bas : « La difficulté d'expliquer ce phénomène, et tous ceux qu'offrent les catalep- tiques par le magnétisme, est sans doute une des causes qui ont empêché les com- missaires de s'en occuper. » Un des deux traitements ouverts chez Mesmer était dirigé par le docteur Aubry. Il y avait là une fille âgée de vingt-cinq ans, nommée Marguerite, dont nous avons déjà dit un mot, qui ne voulait pas être magnétisée par d'autres que par le docteur Aubry, et qui tombait souvent en somnam- bulisme. On raconte qu'étant venue au traitement, un jour que le docteur ne s'y trouvait pas, elle fut magnétisée en son absence. Personne ne put la réveiller entièrement, et ne sut lui dire où était le docteur Aubry. Elle sortit de la salle, sans être accompagnée, descendit dans la rue, vers le faubourg Saint-Jacques, entra à l'hôtel Gluny, monta au second étage, sonna, entra, et alla tout droit vers le cabinet du maître de l'appartement. Là se trouvait, en effet, le docteur, qui fut bien étonné de voir sa somnambule en crise, les yeux fermés. « Mais qui vous a dit que j'étais ici ? s'écrie-l-il. « — Personne, répond-elle ; je suis allée au traitement et ne vous ai pas trouvé; j'ai été magnétisée, on n'a pas su me réveiller; j'ai vu que vous étiez ici, et je suis venue ^ » Mais s'il est avéré que Mesmer avait rencontré le somnambulisme, il n'est pas moins constant qu'il ne s'en était pas rendu compte, qu'il ne « l'avait point montré, qu'il n'avait pas analysé le phénomène le plus étonnant, celui qui devait fournir des preuves d'un autre ordre, exciter un nouvel enthou- siasme Un autre point est resté assez longtemps douteux dans l'histoire du magnétisme animal, à savoir, si Mesmer, sa théorie et ses manipulations à part, avait un secret qu'il aurait toujours caché, ou si lui-même ignorait la véritable source de sa puissante action sur les malades. Deleuze affirme que Mesmer avait conscience du rôle souverain que joue la volonté dans l'action 1 ■ lU-flexions impartiales sur le magnétisme animal. 2. Aubin-Gautbier, Histoire du somnambulisme, t. II, p. 217. 3. Deleuze, 1. 1, p, 17. ( LE MARQUIS DE PUVSÉGUK (D'aiii-ès une estampe de la Bibliothèque uatiouale d; Paris.) II. 44 LE MAGNÉTISME ANIMAL 347 magnétique, mais que n'ayant pas jugé à propos de dire à ses élèves une chose si simple et qui aurait rendu tout autre enseignement inutile, il y avait suppléé en excitant leur enthousiasme. L'assertion de Deuleuze a pour elle l'autorité du marquis de Puységur. « Ce moyen si simple, dit Deleuze, échappera toujours à l'intelligence. Il n'y a qu'un homme à ma connaissance qui ait découvert le mécanisme des procédés de Mesmer, et cet homme est mon frère, officier de marine, connu sous le nom de Chastenet Il découvrit d'abord, à travers le chaos des premiers baquets, la cause principe de leurs effets. Dès le lendemain, il alla en faire part à M. Mesmer. Ce dernier, en s'efforçant de cacher sa surprise, lui témoigna beaucoup de déplaisance, et encore plus d'inquiétude des suites fâcheuses qui pourraient résulter, tant pour lui que pour sa doctrine, des interprétations trop prématurées que l'on en pourrait faire. Mon frère, en approuvant ces motifs, lui promit de garder le secret le plus inviolable sur tout ce qu'il avait découvert et aperçu; et sa parole fut par lui si religieusement gardée, que, malgré l'intimité de nos affec- tions réciproques, il ne m'en avait pas même fait la confidence lorsque quinze mois après, il partit pour Saint-Domingue*. » On peut trouver assez singulière la conduite de notre officier de marine dans cette circonstance. Il découvre le véritable mécanisme des procédés de Mesmer, il s'aperçoit que le grand magnétiseur n'a d'autre secret que sa volonté, que par conséquent il n'y a ici ni système scientifique, ni théorie, ni invention, en d'autres termes, il prend l'inventeur la main dans le sac, et ce qu'il a de plus pressé à faire, c'est d'aller révéler à Mesmer lui-même qu'il a surpris son secret. Quelle confiance dans l'inventeur, quelle indulgence chez notre jeune officier! et comment ne comprenait-il pas que garder par devers lui un secret si heureusement dérobé, ne point le produire au dehors, c'était faire tort à l'humanité souffrante et peut-être à la morale ? Quoi qu'il en soit de cette histoire, grâce à l'inexplicable discrétion de son frère, le marquis de Puységur eut donc le mérite de découvrir à son tour le même secret. Comme nous l'avons vu, il fut le premier à constater la puissance de la volonté chez le magnétiseur, ainsi que le phénomène du somnambulisme artificiel chez l'individa magnétisé, et il fit, dès lors, connaître en tous lieux les ressources que les magnétiseurs pourraient tirer désormais de cet état. Aussi dans toutes les nouvelles Sociétés de F har- monie qui s'établirent, le somnambulisme fut-il admis et pratiqué en mémo temps que le magnétisme. Le marquis de Puységur eut un moment la velléité de suivre les errements {. Du Maijhélisme animal., efc, page 141. - 348 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE de Mesmer, c'est-à-dire de faire école. Gomme il était sur le point d'aller rejoindre son régiment à Strasbourg, le comte de Lutzebourg lui fit connaître le désir qu'avait une société, dont ils faisaient partie l'un et l'autre, d'être instruite des principes du magnétisme animal. Le marquis se montra em- pressé de la satisfaire ; mais se rappelant « qu'on ne peut être curieux de savoir l'explication d'une chose à la réalité de laquelle on ne croit pas\ » il exigea que M. de Lutzebourg et ses amis s'avouassent convaincus de l'exis- tence du magnétisme, avant de consentir à leur communiquer les cahiers de Mesmer. 11 faut convenir que ces cahiers étaient de l'histoire bien ancienne. Quoi qu'il en soit, pour amener ses disciples à l'état de conviction indispensable, le marquis de Puységur s'engagea à rester tous les matins chez lui pendant six semaines, pour magnétiser sous leurs yeux les malades qu'ils lui présen- teraient. Les expériences produisirent des effets, et les assistants en obtinrent quel- ques-uns en répétant ce qu'ils voyaient faire au marquis de Puységur. Au bout d'un mois, ceux qui avaient suivi son traitement avec assiduité, se déclarèrent tous convaincus. Aussitôt, le marquis entama la théorie et commença le cours d'explications tel qu'il avait été professé chez Mesmer, sans oublier les corps célestes, la cohésion, l'élasticité, la gravité, le feu, rintension et la rémission de la matière, le flux et le reflux de la mer, les marées du corps humain, la struc- ture du macrocosme et du microcosme les courants magnétiques, les sept pôles, etc., etc. Et ces messieurs de se regarder, comme des gens qui se croiraient l'objet d'une mystification scientifique. < Tout ce système de matérialisme est peut-être fort beau, lui dirent-ils enfin, mais vous ne pensez pas à tout cela quand vous magnétisez; et votre valet de chambre, Ribault, n'a sûrement jamais entendu parler de matière cahotique, ni d'agrégation d'atomes, etc.. Que faisait-il, que pensait-il, lorsqu'à Buzancy il obtenait autant de somnambules que vous? Nous n'en voulons pas savoir plus que lui... » Le marquis, pour éprouver mieux leur certitude, différa de quelques jours la réponse toute simple qui devait compléter l'initiation. Dans l'in- tervalle, il leur exposa le système des magnétiseurs spiritualistes, et particu- lièrement celui du chevalier de Barbarin. Enfin, il voulut bien leur dire que la volonté était le principal de tous les moyens dont ils avaient vu l'ap. plication. 1. C'est la raison qui donaait toujours Mesmer. LE MAGNÉTISME ANIMAL 349 — Quoi ! ce n'est que cela ? s'écrièrent-ils tous avec étonnement. — Je ne sais rien de plus; c'est tout ce que m'ont appris Victor, Joli et Viclet. — Comment, il ne s'agit que de mettre la main sur un malade et de vouloir le guérir, pour obtenir les effets étonnants que nous vous avons vu produire? — Pas davantage. Encore une fois, je ne sais rien de plus. Toute la doctrine du magnétisme est renfermée dans les deux mots : Croyez et veuillez^ que j'ai écrits à la tète de mes premiers mémoires. » C'est une vérité que divers magnétiseurs de bonne foi, et notamment Deleuze, ont proclamée plus tard. Deleuze écrivait, en énonçant les qualités morales que doit avoir le magnétiseur : Volonté active vers le bien; Croyance ferme en sa puissajice; Confiance entière en r employant. Ce sont les trois vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité, transportées dans le magnétisme animal. A la suite de cette dernière séance, on décida l'établissement d'une société de magnétisme à Strasbourg. Ce fut le marquis de Puységur qui en proposa les statuts. Le 25 août 1785, elle fut constituée sous le titre de Société des amis réunis de Strasbourg . Le lendemain, elle s'installait dans un local convenable et commençait ses travaux. Les premiers fondateurs n'étaient guère plus de vingt; mais leur nombre s'accrut rapidement, grâce aux bons résultats des expériences du début. Un an après, la société comptait plus de deux cents membres, parmi lesquels figuraient un grand nombre de médecins et des hommes très éclairés. Les sociétés de Metz et de Nancy furent établies dans le même temps et de la même manière par le marquis de Puységur. Il semblerait que la volonté étant reconnue pour l'agent principal, unique même, du magnétisme animal, on eût dû rejeter comme inutile désormais l'intervention de tout fluide. Ce fut le contraire qui arriva ; le fluide devint plus que jamais l'article fondamental du symbole des magné- liseurs. Les somnambules les plus clairvoyants en attestaient l'existence et la réalité. « Ils voient, disent-ils, un fluide lumineux et brillant environner leur magné- tiseur et sortir avec plus de force de sa tête et de ses mains. Ils reconnaissent que l'homme peut le produire à volonté, le diriger et en imprégner diverses sub- stances. Plusieurs le voient, non seulement pendant qu'ils sont en somnambulisme, mais encore quelques minutes après qu'on les a réveillés; il a pour eux une 350 LES MYSTERES DE LA SCIENCE odeur qui lui est très agréable, et il communique un goût particulier à l'eau et aux aliments'. » Ces renseignements que Deleuze assure avoir obtenus de tous les som- nambules qu'il a consultés, et que les magnétiseurs des différents pays ont également recueillis presque dans les mêmes termes, répondent trop bien aux notions que Mesmer avaient données de son agent invisible, pour ne pas nous paraître un peu suspects. Mais les magnétiseurs n'en jugèrent pas ainsi ; ils ne permirent plus qu'on doutât du fluide, car, à leurs yeux, la découverte de Puységur servait de preuve et comme d'illustration à ce point important de la doctrine mesmérienne. La découverte de Puységur sauva donc ce point essentiel des idées de Mesmer. Les descriptions qui ont été faites du phénomène du somnambulisme offrent des détails vraiment incroyables, et pourtant attestés par des milliers de témoins honorables, désintéressés, étrangers de caste et de pays, inconnus les uns aux autres, et qu'il serait absurde de vouloir accuser de connivence et de collusion. Les plus extraordinaires de ces faits s'étaient révélés tout d'abord au marquis de Puységur ; on les a vus se reproduire constamment et l'en y a peu ajouté dans la suite. Voici comment Deleuze, en laissant à l'écart tout ce qui n'a pas été suffisamment observé, résume les facultés des somnambules. « Lorsque le magnétisme produit le somnambulisme, l'être qui se trouve dans cet état acquiert une extension prodigieuse dans la faculté de sentir. Plusieurs de ses organes extérieurs, ordinairement ceux de la vue et de l'ouïe, sont assoupis, et toutes les sensations qui en dépendent s'opèrent intérieurement. Il y a dans cet état un nombre infini de nuances et de variétés; mais, pour en bien juger, il faut l'examiner dans son plus grand éloignement de l'état de veille, en passant sous silence tout ce que l'expérience n'a pas constaté. « Le somnambule a les yeux fermés et ne voit pas par les yeux, il n'entend point par les oreilles, mais il voit et entend mieux que l'homme éveillé. « Il ne voit et n'entend que ceux avec lesquels il est en rapport. Il ne voit que ce qu'il regarde, et il ne regarde ordinairement que les objets sur lesquels on dirige son attention. « Il est soumis à la volonté de son magnétiseur, pour tout ce qui ne peut nuire, et pour tout ce qui ne contrarie point en lui les idées de justice et de vérité. « Il sent la volonté de son magnétiseur. « Il aperçoit le fluide magnétique. « Il voit, ou plutôt il sent l'intérieur de son corps et celui des autres; mais il n'y remarque ordinairement que les parties qui ne sont pas dans l'état naturel et qui troublent l'harmonie. 1. Deleuze, Histoire critique du magétisme animai, t. I, p. 86. LE MAGNÉTISME ANIMAL 351 « Il retrouve dans sa mémoire le souvenir des choses qu'il avait oubliées pendanf. la veille. « 11 a des prévisions et des pressensations qui peuvent être erronées dans plu- sieurs circonstances, et qui sont limitées dans leur étendue. « 11 s'énonce avec une facilité surprenante. « Il n'est point exempt de vanité. « 11 se perfectionne de lui-même, pendant un certain temps, s'il est conduit avec sagesse. « 11 s'égare s'il est mal dirigé. « Lorsqu'il est rentré dans l'état naturel, il perd absolument le souvenir de toutes les sensations et de toutes les idées qu'il a eues dans l'état de somnambulisme; tellement que ces deux états sont aussi étrangers l'un à l'autre que si le somnam- bule et l'homme éveillé étaient deux êtres différents'. » Deleuze vient de faire allusion à une secte de magnétiseurs qui se rattache aux Swedenborgistes, dont il a été parlé au commencement de cette histoire, et qui avait déjà eu un représentant à Vienne, dans la personne de l'exorciste Gassner. Cette secte, arrivée en France par une filière qu'il n'est pas facile de suivre, se trouva établie à Lyon dès l'année 1784. Elle y reconnaissait pour chef le chevalier de Barbarin. Ce dernier n'était pas disciple de Mesmer, et on ne l'avait jamais vu autour de l'arbre de Buzancy. Il pouvait donc se vanter d'avoir une doctrine, une méthode, un principe à lui. A. la vérité, un autre Barbarin, son frère, avait eu quelques rapports avec le marquis de Puységur ; mais il était allé en Hollande fonder une Société de r harmonie, qui, entre autres expériences, avait magnétisé une vache avec une telle puissance que la pauvre bête en était devenue enragée. Le Barbarin de Lyon, qui n'agissait que par un pouvoir tout spirituel, n'avait pas eu ce frère pour initiateur. Son principe, son unique agent, était l'âme. Il ne s'était pas joint à Orelut et aux autres magnétiseurs de Lyon, qui avaient fait tousser le vieux cheval de l'école vétérinaire; par la même raison, il ne pouvait avoir rien de commun avec les auteurs de l'attentat magnétique commis sur la vache d'Ostende. Le marquis de Puységur a parlé tout à l'heure d'une séance dans laquelle il exposa au comte de Lutzebourg et à ses amis, la doctrine des Barbarinisles. Il aurait bien dû, tandis qu'il y était, nous dire avec quelques détails en quoi consistait cette doctrine. L'auteur anonyme des Réflexions impartiales sur le magnétisme animal, qui en parle aussi, se contente de nous apprendre qu'elle lui a paru « mieux liée » que celle de Mesmer. Cela pouvait tenir à ce qu'elle était moins compliquée ; elle n'était pas même embarrassée d'un fluide. 1. Hisloire critique du magnétisme animal, t. I, p. 18o-i80. 3o2 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE On conçoit, du reste, que, pour mettre l'âme en mouvement, on n'avait besoin ni de manipulations ni de baguettes de fer, ni de baquets. La seule force d^action employée chez les spiritualistes de l'école de Barbarin était la prière. Par là ils portaient des impressions ressenties à la distance de plus d'une lieue ; ils magnétisaient une personne à son issu, sans être mis en rapport avec elle, à la condition toutefois de la connaître et de l'avoir vue. On peut ranger parmi les sectateurs de Barbarin l'auteur du Magnétiseur amoureux *, ouvrage plus sérieux que ne le dit son titre, et que le ministre Breteuil fit mettre au pilon en 1787, par un zèle de morale qui aurait pu trouver à cette époque une autre application mieux justifiée. Dans ce roman, qui sert de cadre à une métaphysique ingénieuse, l'âme est considérée comme le principe de la vie, du mouvement et de la pensée : c'est l'agent du magnétisme, agent direct, immédiat, par conséquent, sans fluide. « L'âme, par la force de sa volonté, peut porter son action sur un autre être organisé : il suffît pour cela qu'elle pense fortement à lui. Alors le mouvement qu'elle imprime s'unit au mouvement imprimé par l'âme de celui sur qui elle veut agir ; elle le fortifie ou le modère, en le rendant plus régulier. C'est là tout le magnétisme : il consiste dans une concentration énergique sur le malade, avec une volonté décidée de le guérir. Les procédés aident cette action, mais ils ne sont pas nécessaires ; ils servent à fixer et à diriger l'attention. « Pour que l'âme d'un individu agisse sur celle d'un autre, il faut que les deux âmes s'unissent en quelque sorte, qu'elles concourent au même but, qu'elles aient des affections connues. Or, quelle est l'affection la plus marquée d'un malade? Celle d'être guéri. Il faut donc que j'aie la volonté de guérir un malade pour agir efficacement sur lui. Avec une autre intention, je le tourmenterais inutilement, et ne produirais aucun effet » Depuis que le somnambulisme avait prouvé que les théories du magné- tisme animal étaient illusoires, et que les procédés étaient indifférents ou même inutiles, ce n'était plus par là qu'on devait distinguer les sectes de magnétiseurs. Il n'y aura plus désormais que deux grandes sectes : les fluidistes^ comprenant tous ceux qui admettent un fluide quelconque comme agent immédiat de la magnétisation, et les spiritualistes^ assez divers aussi, mais qui se rencontrent tous dans la prétention commune d'agir sur les malades, soit directement par une puissance toute morale, l'âme, soit par l'entremise d'être surnaturels, les esprits, le démon. On verra, à la fin de cette histoire, cette dernière secte de magnétiseurs spiritistes reparaître de nos jours et prendre quelque importance. l. Charles Villars, du régiment de Metz, du corps ro^ al de l'artillerie, membre de la Société de l'harmonie. i. Le Magnétiseur amoureux. LE SOMNAMBULE VICTOR El LE MARQUIS DE PUYSÉGUR CHEZ M"' UE MONTESSON. (PAGE 357) LE MAGNÉTISME ANIMAL 355 Comme nous l'avons fait remarquer, les magnétiseurs qui ont pratiqué le somnambulisme avec Puységur continuèrent de s'appeler Mesmériens, ne voulant pas se séparer du chef de la doctrine magnétique. Cependant Mesmer se sépara d'eux sur ce point, d'une manière ouverte. Il est assez remarquable qu'il n'ait jamais voulu accepter le somnambulisme comme un fait important dans la doctrine magnétique. Son éloignement sur ce point ne peut guère s'expliquer que par cette circonstance qu'il n'avait été pour rien dans la découverte du somnambulisme magnétique. Quoi qu'il en soit, Mesmer déclarait hautement que le magnétisme animal était indépendant de l'accident du somnambulisme, phénomène dangereux et suspect, selon lui, propre à faire perdre de vue l'action curative pour le fait merveilleux, et à favoriser les spéculations du charlatanisme. Sur le premier point, tous les somnambulistes, à commencer par le mar- quis de Puységur, lui firent une concession très sage, mais qui ne l'a point satisfait, en exprimant le vœu que l'exercice du magnétisme fût exclusive- ment réservé aux médecins, ou, tout au moins, qu'un médecin assistât toujours aux opérations du magnétisme. Quant au charlatanisme, Mesmer devait se rappeler qu'on n'avait pas attendu jusque-là pour en soupçonner et en taxer hautement sa découverte, que même le charlatanisme s'y était mêlé dans de fortes proportions ; mais il avait raison de craindre que le somnambulisme ne servît à le développer sur une échelle incommensurable. M. de Puységur en vit personnellement, dès les premiers temps de sa découverte du somnambulisme, une preuve assez plaisante. Nous le laisse- rons raconter cette anecdote. « Un paysan de Garré-d'Etompe, en Bourgogne, avait passé par l'état de crise magnétique pour arriver à la guérison parfaite d'une maladie grave. Dans le temps de ses crises, il avait les sensations très délicates, et tous les malades avaient une très grande confiance en lui; il découvrait parfaitement la cause du mal, et s'en- tendait assez bien à ordonner les remèdes simples et salutaires. « Un jour, passant auprès d'un cabaret de village, je demandai la cause d'une foule de monde que j'y voyais rassemblé. On me répondit que c'étaient des malades qui venaient consulter le Bourguignon. « J'imaginais, d'après cela, qu'il était en crise magnétique. Je m'approche ; mais quelle est ma suprise de le voir, les yeux bien ouverts, toucher à droite et à gauche tous ces pauvres gens et leur ordonner des remèdes à tort et à travers ! Heureusement, j'étais arrivé à temps pour désabuser tout le monde. Je déclarai, devant tous, qu'il ne fallait ajouter aucune foi à tout ce qu'il avait pu dire dans cet état ; que passé le temps de sa crise il était aussi ignorant que moi et les autres hommes dans la connaissance des maladies, et je mis mon rusé paj'san dans une confusion extrême. Je lui fais les reproches les plus vifs de la tromperie qu'il vient de faire. Il m'en demande pardon et m'avoue que, persécuté par beaucoup de 336 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE monde qui venait lui demander de leur répéter ce qu'il leur avait dit dans sa crise, il n'avait pas voulu rester court, d'autant qu'on lui promettait de le payer pour ses consultations *. » Il ne suffisait pas d'expulser les charlatans. M. de Puységar, malgré sa position, son caractère et les antécédents d'une vie pleine d'honneur, se voyait souvent dans la nécessité de prouver qu'il n'était pas un charlatan lui-même, et il avait alors trop souvent la cruelle humiliation de s'apercevoir que la preuve n'était pas trouvée suffisante. Voici notamment ce qui lui arriva dans la société de madame de Montesson, chez qui, sur la demande pressante de cette dernière, il avait amené Victor, un des somnambules les plus clairvoyants qu'il eût éprouvés à Buzancy. L'indocile Bertholel figure encore, comme trouble-fête, dans cette histoire. « Réfléchissant, dit-il, que j'avais sous la main une occasion toute naturelle de satisfaire madame de Montesson... je vais chercher Victor et le lui amène dans l'état magnétique. Depuis onze heures du soir jusqu'à une heure du matin, je lui fis voir et exécuter elle-même toutes les expériences magnétiques dont je l'avais souvent entretenue. Madame la marquise de Montesson put se convaincre aussi par elle-même de tous ces efl'ets. « A l'égard du marquis de Valence, qui voulut aussi répéter les mêmes expé- riences, je ne fus pas longtemps à m'apercevoir que le doute extrême où il était apportait une telle incertitude dans ses volontés et ses mouvements, que le sujet magnétique n'éprouvait que des contradictions, sans aucune détermination positive. Après avoir essayé plusieurs fois sans succès, il me dit, avec un ménagement affecté, qu'apparemment il n'était pas propre à répéter les expériences magné- tiques. Je fis mon possible pour lui inspirer une confiance dans ses moyens. — Croyez pour un moment, lui disais-je, et agissez avec l'envie de vous en persuader; je ne vous demande ensuite qu'une volonté constante, point de gestes, et vous verrez que cet être magnétique, totalement passif, répondra sans balancer à toutes vos indications; hormis tout ce qui blesserait sa conscience et la vôtre, il ne doit se refuser à rien. M. de Valence se refusait à répéter les expériences; je l'en presse de nouveau, en lui indiquant de mon mieux les moyens de réussir. Il cède, et ses seconds essais ne le satisfont pas davantage. — J'en suis bien fâché, lui disais-je, mais c'est votre faute. Ces dames, pendant plus d'une heure, ava''^nt réussi dans presque toutes leurs expériences ; un peu plus de confiance en moi vous eût fait obtenir les mêmes résultats. « Quoi qu'il en soit, il me sembla que l'opinion de M. de Valence avait apporté des doutes dans l'esprit des dames; elles crurent s'être fait illusion à elles-mêmes,, et le rôle que je jouais devenait des plus désagréables. Mgr le duc d'Orléans était témoin de cette scène ; et, en changeant d'opinion sur mon compte, je devenais un homme méprisable, venu pour suborner la crédulité du plus honnête homme 1. Mémoires pour servir à l'histoire et à l'établissement du magnétisme animal, page 178, uote. LE MAGNÉTISME ANIMAL 337 du monde... J'avais l'âme ulcérée, et, sentant trop tard mon inconséquence, je m'en allai après avoir mis mon somnambule dans l'état naturel. « On lui avait fait des questions sur l'époque de sa guérison totale, auxquelles avait répondu que le samedi suivant elle s'opérerait par un saignement de nez, et que ce ne serait que le lendemain qu'il en pourrait assigner Vheure. « Madame de Montesson, avant de sortir, me dit que peut-être ce serait encore la nuit que s'opérerait cette prédiction. Je sentis vivement cette ironie; mais, sans le faire paraître, je lui répondis que j'aurais l'honneur de l'en instruire le lende- main matin. « En effet, le vendredi 28, j'écrivis à madame de Montesson un billet dont je n'ai pas conservé de copie, dans lequel je lui mandais que Victor, qu'elle avait vu la veille, assurait que le lendemain samedi, entre midi et une heure, sa guérison aurait lieu ; qu'il saignerait du nez, de la narine droite seulement, sans qu'une goutte de sang sortît de la narine gauche, et qu'aussitôt cet écoulement de nez fini, il cracherait encore un peu de sang et d'eau; que si elle désirait être témoin de ce fait, je lui enverrais le lendemain mon malade. Sa réponse verbale fut de le lui mener à l'heure indiquée. « Le samedi je me rendis à onze heures et demie au rendez-vous donné \x veille. Victor arriva un moment après. Il me fut aisé de voir, à l'air dont on me recevait, que l'on n'avait nulle confiance en moi. Ma position était très embarrassante, mais je m'étais trop avancé pour reculer. D'ailleurs, sûr comme je l'étais de l'accom- plissement de la prédiction, je devais m'attendre qu'à un fait de cette espèce on n'aurait plus de doutes à m'opposer. « Je mets donc Victor dans l'état magnétique, et j'attends en silence l'événement annoncé. Lui-même alors répète qu'à midi et demi son saignement de nez aura lieu. Le froid le plus glacial était dans tous les maintiens, et à moins de me dire en face que j étais un charlatan, on ne pouvait pas garder u i silence plus mortifiant pour moi. Je souffrais tout ce qu'on peut dire. Néanmoins ^e demande à madame de Montesson quelles sont les objections qu'elle pourra faire après l'événement, afin de les lever, s'il est possible, d'avance ; je lui dis que, s'il y a dans la maison un chirurgien, je consens que mon malade soit visité. Madame de Montesson m'indique M. Bertholet, son chirurgien ordinaire et la visite a lieu. Le chirurgien dit d'abord qu'il aperçoit de la pommade dans le nez ; un moment après, il en tire un peu d'ordure, qu'il dit être un corps graisseux. J'étais sur les épines d'une enquête aussi injurieuse, au point de ne pouvoir pas même rire de pitié de la décision de ce chirurgien. Je force mon malade à tout supporter ; on lui fait ouvrir la bouche' et, enfin, à l'exception du corps graisseux, on ne découvre rien. « A midi et demi enfin Victor annonce que le sang va sortir. Je le fais coucher par terre, on apporte une assiette, et après de légers efforts, le sang sort par la narine indiquée. J'entends dire autour de moi que ce sang était d'une singulière nature ; que pour un abcès rendu, sa couleur était bien pure. Le chirurgien appuie celle opinion, et moi je réponds que je ne sais pas comment le sang devait être; 1. C'est le même qui s'adonna ensuite à la chimie, où il devait laisser les grands et profonds travaux résumés dans sa Siatiqiie chimique. 358 LES MYSTÈEES DE LA SCIENCE que probablement il ne peut être autrement qu'il n'est, puisque c'est la nature seule qui s'en débarrasse. « Après le saignement de nez, les crachats mêlés de sang arrivent en petite quantité, comme le malade l'avait annoncé, et la prédicLion a enfin son plein effet. De midi et demi à une heure, tout était terminé. « Il semblerait qu'après un tel fait, il n'y avait plus qu'à chercher la cause qui l'avait produit, et que sa réalité était bien constatée. Mais point du tout, je vois régner la même défiance; on met l'éloignement le plus grand à le questionner, enfin je demeure confondu de l'air embarrassé et peu satisfait de tous les témoins de cette scène. Peu à peu le salon se vide. Madame de Montesson, occupée d'un dessin, ne dit pas un mot, jette à peine les yeux sur moi ; on eût dit que je lui inspi- rais la pitié la plus grande. Je me disposais à me retirer avec toute la confusion apparente d'un joueur de gobelets maladroit qui a manqué ses tours, quand madame de Montesson me dit que Victor, qui était toujours dans l'état magnétique, lui avait demandé un entretien secret. « Je me retire dans l'autre chambre, et je n'eusse jamais rien su de cette con- versation, sans l'accident nouveau de Victor... » Le marquis de Valence demanda aussi un entretien secret avec le somnam- bule. Celui-ci étant guéri, comme c'était l'intérêt principal de M. de Paységur, il ne s'inquiéta pas autrement de ses conversations, qui furent fort longues ; mais il ne revit plus Victor de la journée, ni le lendemain, qui était un dimanche, ni le lundi dans la matinée : c'était précisément le jour où Victor devait partir. Le marquis, qui le faisait chercher, apprit par ses autres domestiques qu'il n'avait pas reparu depuis la veille. Enfin, sur les quatre heures, Victor rentra à la maison, mais dans quel état ! Le marquis le ques- tionne, sans pouvoir en tirer rien de satisfaisant. Le voyant souffrant, défait, tremblant de tous ses membres, il le remit en état de somnambulisme pour lui éclaircir les idées et lui faire dire la vérité. Alors Victor lui raconta ce qui s'était passé dans les deux entretiens secrets dont on a parlé. Ni madame de Montesson, ni personne de chez elle, n'avait cru à la sincérité de ce qui était arrivé. On l'avait accusé de mensonge et de supercherie, de s'être fait saigner du nez exprès ; on avait voulu lui faire ouvrir les yeux, en employant pour cela toutes sortes de moyens, sans avoir égard à ses pro- testations que, dans cet état, il ne pouvait mentir. Enfin les contrariétés et les tribulations qu'il avait souffertes dans celte inquisition à huis clos, étaient la cause de son mal actuel. Il s'était désolé toute la journée, ne sachant d'où venaient ces nouvelles souffrances. « Vous en êtes cause en partie, dit-il au marquis. Que ne me mettiez- vous dans la situation où je suis en sortant de chez madame de Montesson ; vous aurais tout conté, et vous eussiez pu m'épargner les souffrances qu'il faut que j'endure ? » LE MAGNETISME ANIMAL Wi9 Il va sans dire que M. de Piiységiir le tira encore d'affaire. Mais il ne termine pas son iiistoire sans en donner Taffabulation pour la gouverne des magnétiseurs : « Victor, tovjours en somnambulisme. — C'est un hasard que les choses se passent ainsi; car, si je fusse parti le lundi, comme vous me l'aviez ordonné, mon mal m'eût pris en chemin, et je serais certainement mort du devenu fou; on eût dit que le magnétisme en était la cause, et cependant ce neùt été que votre faute. « Le marquis. — C'est une instruction pour l'avenir ; je ne ferai plus une pareille école. « Victor. — Sans doute, mais il est malheureux pour moi d'être votre sujet d'expérience * » \, Mémoire pour servir à l'histoire et à l'établissement du >nagnétis>?ie animal, p. 199-21t. Ml ],ef=. docteurs électriques. — Le docteur Pétetin, de Lyon, découvre la catalepsie artificielle provoquée par le magnétisme animal. Le marquis de Puységur ne croyait point au magnétisme spécial de Mesmer. 11 rapportait tout à ce qu'il nommait Vélectricité animale. Seu- lement il consentait quelquefois à la nommer fluide électro-magnétique humain ' pour essayer de l'accorder avec son électricité animale., nom donné quelquefois au fluide électrique par ceux qui l'appliquaient à la guérison de certaines maladies. Beaucoup de physiciens avaient essayé d'établir une théorie de ces deux fluides, et tout récemment, 6ara et de Saussure avaient déterminé avec une grande précision leurs oppositions et leurs rapports \ 11 était presque généralement reconnu que le fluide fourni par une machine électrique peut pénétrer dans le corps des animaux, le parcourir dans toutes ses parties, en exciter les mouvements, pro- voquer les évacuations, et selon qu'il était employé avec plus ou moins d'à-propos et d'intensité, produire des effets bons ou mauvais. En médecine, on accordait donc à l'électricité un rôle qui se rapprochait beaucoup de celui que les Mesmériens faisaient jouer à leur fluide magné- tique. Les résultats que l'on obtenait de l'emploi du fluide électrique en médecine, n'étaient pas contestés parles savants des académies ; ilê ne sem- blaient pas répugner davantage aux lois de la physique de cette époque que ceux de l'aimant, alors poursuivis, et prônés partout, et que l'abbé Le Noble avait tout récemment mis en lumière, dans un ouvrage qui avait mérité l'appro- bation de la Faculté de médecine de Paris. La notion des fluides, que la physique de nos jours relègue, non sans raison, au rang des vieilleries, brillait dans les écoles, au commencement de notre siècle. La science offi-cielle admettait de 1. Mémoire pour servir à l'histoire et à l'établissement du magnétisme animal, 3« édition, 1820. Introduction, p. xviij. 2. Journal de Paris, année 1784. .E DOCTEL K I'LTEÏI.\ DE LYON DÉCOUVRE LÛTAT CATALYPKQUE CHEZ LES SOM.N AMBULES MAG.NÉTIQUEi. (P. 3 II. 46 LE MAGNÉTISME ANIMAL 363 plein saut l'existence générale des fluides, et ne se montrait hostile qu'au fluide magnétique animal. 11 s'en suivit que beaucoup de physiciens timides, de médecins circonspects, qui n'avaient pas osé aller jusqu'au fluide proscrit, s'en étaient tenus à l'un des fluides hautement approuvés par la science de cette époque, c'est-à-dire au fluide électrique. Au moment dont nous parlons, les praticiens qui s'adonnaient à l'emploi médical de l'électricité, étaient très nombreux en France. On les appelait les magnétiseurs éleclriques^ titre que l'on peut leur conserver, non seulement parce qu'ils faisaient des cures au moyen de l'électricité, mais parce qu'ils employaient aussi des gestes et divers appareils d'application, et surtout parce que l'un d'eux, le plus célèbre, allait bientôt observer, dans sa pratique, une partie des merveilles du somnambulisme magnétique. Les docteurs électriques formeront donc la troisième grande classe des magnétiseurs de la fin du xviii^ siècle. Le docteur Pétetin, président perpétuel de la Société de médecine de Lyoîi, et auteur de divers ouvrages sur l'électricité, le galvanisme et les cas rares en médecine, avait observé, dès l'année 1787, chez des femmes cataleptiques, certains phénomènes étranges, mais qu'il ne voulut pas attribuer au magnétisme, parce qu'il ne croyait pas, comme nous l'avons dit, au fluide de Mesmer. Pétetin reconnaissait d'ailleurs que « l'imposition des mains, l'application du conducteur de fer sur l'estomac, l'usage du baquet et des arbres magnétisés, excitaient des mouvements convulsifs, le somnambulisme et tous les phénomènes qui l'accompagnent' ». L'observation suivante fut la première où le docteur Pétetin crut constater que les fonctions des sens peuvent être transportées à l'estomac. Il fur appelé un jour pour donner ses soins à une très jeune dame, d'un tempérament sanguin et d'une constitution robuste. Quand il arriva, la malade avait entièrement perdu l'usage de ses sens. Pouls insensible, respi- ration nulle, face décolorée, corps froid, épigastre météorisé. « La physio- nomie exprimait l'étonnement ; le globe de l'œil, couvert par les paupières, exécutait un demi-mouvement de rotation d'un angle à l'autre. » On l'avait cru morte, mais sur ces dernières apparences Pétetin en jugea autrement. Elle revint peu à peu au sentiment. Le docteur ayant alors soulevé un de ses bras, le bras garda la position qu'il lui avait donnée, et il en fut ainsi des autres membres. C'était la catalepsie. Bientôt la malade se mit à chanter, d'abord faiblement, puis un peu plus fort, une ariette d'une exécution difficile, et qu'elle modulait avec beaucoup 1. Pétetiu, Mémoire sur la catalepsie, 1'» partie, p. 56. 364 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE (le goût. Pendant une heure et demie que dura ce chant, elle était insensihle au bruit, aux piqûres et à tous les efforts que ses parents employaient pour se faire entendre d'elle. Enfin elle s'arrêta, fort oppressée. Après une abondante expectoration de sang rouge et écumeux, accompagnée de convulsions et de délire, la malade, revenue à elle-même, dit qu'elle se trouvait soulagée. Pétetin l'avait fait plonger dans un bain à la glace. Au bout de vingt-deux minutes, elle y éprouva un frisson; on se hâta de la retirer du bain et de la coucher. Dès qu'elle fut placée dans son lit, les convulsions reprirent et furent suivies d'un nouvel accès de catalepsie. Elle se remit alors à chanter, comme le matin, bien que, pour l'arrêter, on la plaçât dans les positions les plus pénibles. Pétetin prit le parti de la renverser sur son oreiller; mais, dans le mouvement qu'il cherchait à lui imprimer, le fauteuil sur lequel il était assis s'étant dérobé sous lui, il tomba à moitié penché sur le lit en s'écriant : « Il est bien malheureux que je ne puisse empêcher cette femme de chanter. — Eh ! monsieur le docteur^ ne vous fâchez pas^ je ne chanterai plus, » répondit-elle. Cependant elle ne tarda pas à recommencer, reprenant son ariette au point où elle l'avait laissée, sans que les cris poussés à ses oreilles pussent l'interrompre. Pétetin réfléchissant sur ce qu'il avait entendu une fois, c'est-à-dire pendant sa chute accidentelle contre le corps de la malade, eut l'idée de se replacer dans la position où il s'était trouvé en ce moment par rapport à elle. 11 souleva donc ses couvertures et, s'approchant de son estomac, il s'écriait d'une voix assez forte : « Madame, chanterez-vous toujours? — Ak! quel mal vous m'avez fait! dit-elle, Je vous en conjure, parlez plus bas. )> Le docteur lui ayant demandé comment elle avait entendu, elle lui répondit : « Comme tout le monde. — Cependant je vous parle sur l'estomac. — Est-il possible? » Alors elle le pria de lui faire des questions aux oreilles, mais elle ne répondit pas, quoique, pour donner plus d'intensité à sa voix, il se servît d'un entonnoir. Revenant à l'estomac, il lui demanda si elle avait entendu : « Non, dit-elle, suis bien malheureuse! « Mais, quelque temps après, elle n'entendit plus même par l'estomac, et se mit à chanter, comme auparavant. Pétetin alors s'avisa de placer un doigt sur l'épigastre de la malade, de réunir ceux de son autre main et de s'en servir comme d'un conducteur en parlant dessus. Aussitôt la malade interrompit ses chants, et le docteur lui ayant demandé pourquoi sa figure exprimait l'étonnement, elle lui répondit : LE MAGNÉTISME ANIMAL 365 « Je chante pour me distraire d'un spectacle qui m'épouvante. Je vois mon intérieur^ les formes bizarres des organes enveloppés d'un réseau lumineux. Ma figure doit exprimer ce que j'éprouve, l'étonnement et la crainte. Un médecin qui aurait un quart d'heure ma maladie serait heureux, sans doute, puisque la nature lui dévoilerait tous ces mystères, et s'il aimait son état, il ne demanderait pas comme moi une prompte guérison» « Voyez votre cœur, lui ditPétetin. » « Le voilà, dit la malade. Il bat en deux temps, et des deux côtés à la fois. Quand la partie supérieure se resserre, l'inférieure s'enfle et se resserre ; bientôt après, le sang en sort tout lumineux et passe par deux gros vaisseaux qui sont peu éloignés l'un de l'autre'. » Pétetin variant son expérience, au lieu de parler sur l'extrémité de ses propres doigts, se servit de ceux de la malade, et elle entendit très bien. Seulement, si il éloignait d'une ligne le doigt qui était en conteict avec l'épigastre, elle n'entendait plus. Répétées sur les orteils, ces deux expé- riences eurent les mêmes résultats. Le docteur ne doutait donc plus de la translation du sens de l'ouïe à l'épigastre et au bout des doigts et des orteils. 11 voulut voir s'il en serait de même du sens du goût. Dans ce but, ayant renfermé dans du papier un morceau de pain au lait, il le plaça sur l'estomac de la malade, en ayant la précaution de le couvrir parfaitement de sa main. Cela ne fut pas plutôt fait qu'elle se mit à mâcher, et dit : « Oh! que ce pain au lait est délicieux! — Pourquoi faites-vous ce mouvement de la bouche? — Parce que je mange du pain au lait. — Où le savourez-vous ? — Belle question! dans la bouche. » Lorsque Pétetin, voulant compléter l'expérience, plaça sous les doigts réunis de la malade des pâtisseries et divers autres mets solides, elle n'ac- cusa aucune sensation ; mais quand il y apporta des liquides, tels que du vinaigre, du vin, du lait, du bouillon froid, elle les désigna les uns après les autres, quoique ses doigts ne fissent que les effleurer, et ëlle témoigna, suivant leur nature, de la satisfaction ou du déplaisir. Enfin, il ouvrit sa tabatière et l'approcha par degrés du bout des doigts de la cataleptique, qui secoua la tête sur son oreiller, et dit avec humeur : « Otez-moi ce tabac^ il me fait le plus grand mal. » A une séance précédente, elle avait indiqué un accès pour le cinquième 1. Électricité animale 366 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE jour et en avait précisé l'heure. L'accès arriva au jour et à l'heure indiqués. Le docteur entra, et soulevant avec précaution les couvertures, il lui posa une carte sur l'épigastre. La physionomie de la malade changea aussitôt, et prit une expression d'étonnement, d'attention et de douleur : « Quelle maladie ai-je donc? je vois la dame de pique. » Le docteur retira aussitôt cette carte, et la montra à tous les spectateurs stupéfaits. Une seconde carte, ayant été placée,, avec les mêmes précautions : « C'est, dit-elle, le dix de cœur. » Enfin à une troisième : « Salut au roi de trèfle. » Pétetin, parlant à la cataleptique sur le bout des doigts, lui demanda où elle avait vu ces cartes : « Dans l'estomac, répondit-elle. — Avez-vous distingué leur couleur? — Certainement, elles étaient lumineuses , et m'ont paru plus grandes qu'elles ne le sont ordinairement; mais je vous prie de me donner un peu de relâche; cette manière-là me fatigue beaucoup. » Le mari de Madame *** n'y tint pas ; il tira sa montre, et la lui posa sur l'estomac. Après quelques minutes d'attention, la cataleptique dit: « C'est la montre de mon mari; il est dix heures sept minutes. » Cela était exact Un jour le docteur, en sortant, au lieu de prendre son manteau placé dans une pièce voisine, met celui d'une autre personne : la cataleptique s'en aperçoit, et envoie après lui sa belle-sœur, pour l'avertir de sa méprise. Un autre jour, voulant faire une expérience, il place une lettre sur sa poi- trine et garde son manteau. Mais, à peine tombée en catalepsie, Madame *** lui dit : « Eh! depuis quand, docteur, la mode est-elle venue de porter ses lettres sur sa poitrinel » Pétetin voulut nier, mais elle insista, détermi- nant la grandeur exacte de la lettre, et désignant avec l'index la place qu'elle occupait. Le docteur, retirant cette lettre, l'appliqua, fermée, sur les doigts de la cataleptique, qui lui dit alors : aSi fe n'étais pas discrète, Je pour- rais en révéler le contenu ; mais pour vous prouver que je F ai bien lue, il n'y a que deux lignes et demie très minutées; » ce qui était vrai. Un des assistants, ami de la famille, témoin pour la première fois de ces expériences, tire une bourse de sa poche, la met sur la poitrine du docteur, après avoir croisé son manteau, et Petétin se retourne du côté de la malade : — « Ne vous gênez pas, dit-elle, vous avez sur la poitrine la bourse de M.B....II y a tant de louis d'un côté, et tant d'argent blanc de l'autre. » Et à l'instant elle procéda à l'inventaire de toutes les poches, en disant à sa belle-sœur: «Que ce qu'elle avait de plus précieux était une lettre. » C'était 1. Pétetin, Électricité animale ; Foissac, Rapports et discussions sur le magnétisme ; Aubin Gauthier, Histoire du somnambulisme magnétique. LE MAGNÉTISME ANIMAL 367 la vérité, et cette dame en fut d'autant plus surprise qu'elle venait de rece- voir la lettre en question par le courrier du soir, et n'en avait encore parlé à personne \ Un matin que le docteur était venu faire une visite plus tard qu'à l'ordinaire, il trouva la malade dans son accès et s'annonça en lui parlant sur le bout des doigts : « Vous êtes paresseux ce matin, monsieur le docteur, lui dit-elle. — Cela est vrai ; si vous en saviez la cause — Je la vois: vous avez la migraine depuis quatre heures; elle ne cessera qu'à six heures du soir. Vous avez raison de ne rien faire pour cette maladie, tontes les puissances humaines ne peuvent f empêcher d'avoir son cours. — Pourriez-vous me dire de quel côté est la douleur? — Sur Voeil droit, la tempe et les dents; je vous préviens qu'elle passera à Vœil gauche, que vous souffrirez beaucoup entre trois et quatre heures, et qu'à six heures vous aurez la tête parfaitement libre. — Si vous voulez que je vous croie, il faut que vous me disiez ce que je tiens dans la main. — Je vois à travers votre main une médaille antique ^ » Si, comme Pétetin l'affirme, le pronostic sur sa migraine s'accomplit à la lettre, on sera d'autant plus étonné qu'il ne se soit pas avisé de tirer un autre parti de la lucidité de sa cataleptique. Quoiqu'il n'ignorât aucun des dons merveilleux du somnambulisme ^ il ne dit nulle part que, dans le cours de ses expériences, il ait demandé à Madame *** de se prescrire à elle-même un traitement. Cependant elle dépérissait de jour en jour. Elle ne dormait guère plus de deux heures par nuit; on ne pouvait la nourrir que d'eau de poulet, de lait^et de glace pilée ; elle rejetait tout autre aliment. Le docteur, prévenu de l'idée que l'excitation du cerveau et des nerfs avait pour cause l'accumulation d'une électricité surabondante, imagina de faire de très fortes aspirations au-devant du nez de la malade, pour soutirer cet excès d'élec- tricité ; mais ce moyen fut sans effet. Alors posant une main sur le front, et l'autre sur l'épigaslre, il fit une aspiration nouvelle. xMadame *** ouvrit les yeux, mais éteints et fixes. A une seconde aspiration ils reprirent leur éclat ; en quelques instants, l'accès, qui devait durer deux heures, fut dissipé. Dans les visites suivantes, le docteur remplaça l'aspiration par l'expiration, et dans l'espace de huit jours, tous les accidents de cette maladie extraordi- naire avaient disparu, grâce à ce moyen si simple, « dont les effets, dit Pétetin, sont aussi évidents que la cause en est cachée. » 11 ajoute qu'à mesure que la guérison avançait, les facultés de sa cata- 1. Loc. cit. 2. Mémoire sttr la catalepsie, l^'^ partie, p. 23. 368 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE leplique acquirent une puissance nouvelle. « Non seulement, elle prévoyait ce qui devait lui arriver, et pouvait disserter avec une grande justesse sur des points fort obscurs de métaphysique et de physiologie; mais formait-on une pensée, sans la manifester par la parole, elle en était instruite aussitôt et exécutait ce qu'on avait l'intention de lui commander, comme si la déter- mination fût venue d'elle-même; quelquefois elle priait de suspendre l'ordre mental ou de le révoquer, lorsque ce qu'on lui prescrivait était au-dessus de ses forces ou qu'elle était fatiguée '. » Arrêtons-nous un instant pour faire remarquer que tous les phénomènes de catalepsie, d'insensibilité, de suggestion que les hypnotiseurs de nos jours nous convient à admirer, étaient connus et étudiés, dès l'année 1787, par le médecin lyonnais dont nous racontons les expériences intéressantes sur une malade névrosique. Pétetin fit sur une autre cataleptique. Madame de Saint-Paul, un grand nombre d'expériences, dont il voulut rendre témoins plusieurs de ses con- frères et d'autres personnes éclairées, telles que MM. Eynard, Golladon, de Genève, Domenjon, Dolomieu, le frère du naturaliste, et Jacquier, adminis- trateur des hôpitaux de Lyon. Le plus incrédule de tous, Eynard, arriva un jour chez cette dame, et la trouva dans un de ses accès, seule avec une garde-malade. 11 portait sur lui plusieurs dessins qu'il avait faits par l'électricité. Il approcha de l'épigastre de la malade le portrait de Louis XIV, el lui demanda si elle le reconnaissait. Elle fit un mouvement de tête affirmatif. « Est-ce François 1" ? » Signe négatif. « Louis XV ? » Même réponse. Après plusieurs autres noms, il prononça celui de Louis XIV; elle répondit: « Oui ». Comme on avait assuré à M. Eynard que les cataleptiques savaient lire dans la pensée des personnes qui sont en rapport avec eux, il lui demanda encore, pour vérifier le fait, si elle connaissait l'auteur de ce dessin. Signe affirmatif. Il chercha à l'égarer en désignant plusieurs personnes, mais elle ne répondit « oui » que lorsqu'il se fut nommé lui-même. Il eut beau soutenir qu'il ne savait pas dessiner, la malade haussa les épaules; plus il niait, plus elle manifestait son impatience par des gestes caractéristiques. Inter- rogée enfin avec quoi il avait fait ce portrait, elle lui montra de la main une machine électrique qui était auprès de son lit, et dont Pétetin se servait pour elle. Il serait trop long de rapporter ici toutes les autres expériences curieuses, dont les résultats frappèrent d'étonnement les médecins de Lyon amenés à 1. Foissac, Rapports et discussions sur le magnétisme animal, p. 309. J. p. DELEL'ZE 'après une estampe de la Bibliolbèque nationale de Paris.) 47 LE MAGNÉTISME ANIMAL 371 Pétetin Mais voici une dernière observation trop singulière pour être laissée (le côté. La demoiselle qui en fait le sujet avait été traitée par le célèbre Tissot, de Lausanne, qui a tracé son histoire dans la Médecine du peuple. i< A la suite d'une émeute populaire, cette demoiselle, alors âgée de 18 ans, tomba dans une violente attaque de nerfs, qui fut suivie de la perte de connais- sance et d'un spasme tétanique général, avec renversement du tronc en arrière. La glace pilée en frictions, l'eau glacée injectée par les narines firent cesser chaque fois le tétanos. Pétetin essaya de se faire entendre de la malade en lui parlant par l'estomac. A chaque question, il s'opéra un changement dans sa figure ; bientôt il s'échappa de sa bouche des sons inarticulés; enfin elle parla^, » Le 29 mai 1790, jour où les Lyonnais insurgés par suite des excès de quelques partisans de la Révolution, chassèrent de la ville les autorités du gouvernement constitutionnel, la malade, dont la santé s'était améliorée jusque-là, tomba en convulsions au premier coup de canon qui fut tiré. La catalepsie et le tétanos se déclarèrent de nouveau. Dans cet état, elle voit, de son lit, Pétetin signalant son courage au milieu des batteries, et le lendemain, elle le blâme de s'être exposé avec si peu de ménagement. La malade, s'abandonnant au désespoir, cherchait tous les moyens de se donner la mort. Quand elle ne trouvait pas sous ses mains des objets dont elle pût se servir pour se blesser, elle avalait les épingles qu'elle pouvait saisir. 11 fallut la plus grande vigilance pour la garantir de ses propres fureurs. Arriva bientôt la contre-partie des événements du 29 mai. Le siège de Lyon sembla porter le dernier coup à la malade. Un dernier accès de cata- lepsie se prolongea au delà du sixième jour. On la croyait déjà morte, on remarquait toutefois qu'à chaque volée de coups de canon, elle éprouvait une sorte de tressaillement. Pétetin lui parla à l'épigastre, pour savoir si elle entendait; mais il ne put surprendre d'autre signe d'intelligence qu'une légère accélération dans la respiration, et quelques mouvements dans les muscles des sourcils et des lèvres, Pétetin eut recours à l'électricité. « Le septième jour de l'accès, il fit porter chez Mademoiselle*** tout ce qui était nécessaire pour l'électriser. Il isola son lit ; et après un quart d'heure d'électrisation au bain, il mit un des pieds de la malade à découvert, et en lira une étincelle : à l'instant même elle ouvrit les yeux et reconnut tout le monde. « L'électricité fit de tels prodiges que les forces et le moral de Mademoiselle*** se rétablirent de jour en jour. Pendant le cours de ses accès, dont elle annonçait 1. Voyez : Vbieiia, Electricité animale, p. 127; Foissac, Rapports et discussions sur le magnétisme animal, p- 310 à 312 et suiv. 2. Foissac, Rapports et discussions, etc., p. 312. 372 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE avec exactitude l'invasion et la durée, elle prédit la sanglante journée du 29 sep- tembre, la reddition de la ville le 7 octobre, l'entrée des troupes républicaines le 8, et les proscriptions sanglantes ordonnées par le Comité de Salut public*. » Pétetin faisait à l'imagination une part importante dans les effets produits par les magnétiseurs ; mais il en attribuait un très grand*nombre au fluide électrique, qui, partant du cerveau, se dirigeait, par les rameaux des nerfs vagues, vers l'estomac, et y exerçait son action. Quoiqu'il en soit de la théorie qu'il invoquait, et qui était conforme aux idées scientifiques de son temps, le docteur Pétetin avait mis en lumière, dès l'année 1787, les phénomènes de catalepsie, d'insensibilité physique, de suggestion, et on peut ajouter de transposition des sens, qui sont le propre de l'état de somnambulisme magnétique, aujourd'hui baptisé du nom {)l hypnotisme. Ainsi, au moment où la révolution éclata en France, elle y trouva tous les esprits disputant plus que jamais sur la nouveauté que Mesmer y avait introduite dix ans auparavant. A Lyon, les trois écoles magnétiques étaient représentées avec splendeur : celle du magnétisme animal proprement dit, par les docteurs Orelut et Bonnefoy ; celle du spiritualisme, par le chevalier de Barbarin; et celle de l'électricité animale, par le docteur Pétetin. Il ne fallut rien moins que le canon révolutionnaire pour imposer silence, dans cette ville, aux discussions magnétiques. Mais alors tout ce bruit tomba, à Lyon comme ailleurs, non par l'oubli du magnétisme, mais par la dis- persion forcée de ses partisans. La question du magnétisme était en ce moment arrivée à un état de grande complication. Ni les médecins ni le public n'étaient en mesure d'en débrouiller les difficultés. 1. hoc. cit. Xlll Le magnétisme animal stationnaire pendant la Révolution et sous l'Empire. — Se progrès en France è, l'époque de la Restauration. — Ses succès dans les autres parties de l'Europe. — Le marquis de Puységur. — Le P. Hervier. — L'abbé Faria. — Deleuze et son Histoire critique. — Le magnétisme reconnu et professé dans plusieurs universités étrangères. — Expériences de Georget, de Foissac, de Dupotet, à l'Hôtel-Dieu de Paris. — L'Académie de médecine entreprend l'examen public du magnétisme animal. — Rapport de Husson. — Conclusions de ce rapport. Une fois en possession du somnambulisme artificiel, qui lui avait apporté un élément tout nouveau d'études, il semble que le magnétisme animal aurait dû marcher rapidement dans la voie du progrès. On constate pour- tant urilrès long repos, à cette période de son histoire, c'est-à-dire depuis la révolution de 1789 jusqu'aux premières années de la Restauration. C'est que le goût du surnaturel et des sciences occultes se manifeste surtout, chez les peuples, à leurs périodes d'alanguissement et d'ennui. U faut à une nation beaucoup de loisirs, un désœuvrement profond, une absence complète de toute grande préoccupation publique, pour s'aban- donner à l'amusement stérile du merveilleux. Les baquets mesmériens et les étranges voluptés de la crise magnétique, convenaient bien à cette société fatiguée, désœuvrée, voulant des distractions à tout prix, à ces grands seigneurs blasés, à ces vaporeuses marquises de la fin du dix- huitième siècle. Mais tout changea à partir de 1789. Au milieu des eni- vrements sublimes, des longs orages et des égarements funestes de notre [)remière Révolution, pendant l'immortelle épopée de notre premier Empire, il n'y eut plus de place pour les prodiges des magnétiseurs, ni de leur som- 374 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE nambules. Toutefois, remarqaons-lebien, le flambeau des sciences positives, loin de s'àteindre, brilla, à cette grande époque, d'un éclat plus radieux, plus vivifiant que jamais. Seul, l'autel des sciences occute; demeurait dans l'ombre et s'éteignait dans l'abandon. C'est, nous le répétons, que le goût du surnaturel ne s'éveille chez les peuples que dans leurs périodes d'inaction, tandis que les progrès des sciences puisent dans les grands mouvements de l'exaltation nationale une impulsion nouvelle et plus active encore. Voilà l'explication, qui a été vainement cherchée par quelques écrivains, du long abandon dans lequel le magnétisme animal fut laissé, en France, pendant la Révolution et sous le premier Empire. Ce ne fut qu'à la fin de cette grande période de notre histoire, à l'époque du rétablissement général de la paix en Europe, que le magnétisme animal retrouva parmi nous ses acolytes et ses dévots. On a dit que le magnétisme fut rapporté en France parles émigrés, et cette remarque a sa justesse. Dans ces fourgons des armées étrangères, qui nous ramenaient Louis XVIII et sa vieille cour, il y avait peut-être, caché au fond de quelque obscur caisson, le baquet vermoulu de Mesmer, ou une branche séchée de l'arbre de Buzancy. Fort peu connu du peuple, car il coûtait trop cher, le mesmé- risme avait été, au siècle dernier, l'apanage du monde élégant. Les émigrés, qui rentraient en France sans avoir rien oublié, n'auraient pas été peut-être bien éloignés de demander à Paris les baquets de l'hôtel Bullion, et de recommencer l'innocente guerre des Mesmériens et des Desioniens. Le reproche adressé à la Restauration, de nous avoir ramené à la fois le magnétisme et les jésuites, servit de thème au libéralisme des journaux de cette époque. Un critique assez oublié aujourd'hui, quoique peut- être à tort, Hoffmann, exerça, dans le Journal des Débats, sa verve sur cette matière. Citons seulement, comme spécimen, ces quelques lignes du critique : « Quand on a vu reparaître, disait Hoffmann, une légion de tartufes, on devait bien imaginer que tous les enchanteurs, les nécromans et les baladins mystiques viendraient prendre leur place à la curée de la sottise. Si une odieuse corporation, condamnée par tous les rois chrétiens, par les cours de justice et par le Saint-Père, se remontre avec audace et signale déjà son retour en dépouillant les familles, faut-il s'étonner de voir accueillir une autre société, qui du moins n'a été con- damnée que par le bon sens? (Condamnation éternelle, et qui ne pourra s'effacer ! c'est nous qui disons cela.) Oh! certes les endormeurs magnétiques sont infini- ment préférables aux endormeurs de Montrouge. Les premiers n'escroquent pas des testaments, ils ne menacent ni la vie, ni l'indépendance des rois, et ils bornent LE MAGNlLTlSME ANIMAL 375 leur ambition à serrer les pouces, a palper les épaules, le^ bras, les genoux et l'épigaslre des jolies femmes. Ces derniers mots sont ofiiciels. » Quoi qu'il en soit de ces remarques du libéralisme de 1815, il est certain què, dès les premiers mois de cette année, on voit déjà Paris reporter son attention sur le magnétisme animal, depuis si longtemps délaissé. A cette époque, beaucoup de magnétiseurs du dernier siècle existaient encore. Plusieurs se recherchèrent, ets'étant réunis à Paris, y formèrent une société nouvelle, sous la présidence du marquis de Paységur. La vie de ce digne potentat de la secte, pendant les terribles crises poli- tiques que la France avait traversées, offre une période qui mérite d'être racontée. Le marquis de Puységur, qui d'abord avait embrassé avec une ardeur généreuse les principes de la Révolution française, recula bientôt devant les excès auxquels elle aboutit vers la fin de 1792. S'étant démis de son grade de général, il se retira dans sa terre de Buzancy; et, résolu de ne prendre aucune part aux luttes des partis, il avait le droit d'y espérer une vie tranquille. L'émigration de ses deux frères vint tromper ce calcul. Accusé de correspondre avec eux, il fut arrêté et renfermé dans les prisons de Soissons, où on le retint pendant deux ans, avec sa femme et ses enfants. Rendu à la liberté, il continua à se tenir éloigné de la scène politique, ne craignant pas cependant de se compromettre par sa fidélité envers ses amis, auquels sa maison servit plus d'une fois d'asile. Le marquis de Puységur ne montra plus d'autre ambition que celle de reprendre les paisibles travaux de son apostolat magnétique. Sa femme Taidait, avec un zèle pieux, dans les soins qu'il rendait aux malades. Il ne se bornait pas à la pratique du magnétisme. Persuadé que le plus grand bien à faire à la cause de ce système, serait de convaincre les savants et les lettrés de la réalité de l'agent magnétique, il publia, dans ce but, plusieurs ouvrages, il fit réimprimer ses premiers mémoires, qui n'avaient été tirés, en 1785, que pour le petit nombre de personnes connues pour s'occuper sérieusement du magnétisme animal. En même temps, il donnait des bulletins de ses principales cures. Celle qu'il opéra, en 1812, sur un jeune garçon nommé Hibert, dont le somnambulisme déréglé avait, pendant quelques jours, présenté le caractère de la folie, est une des plus curieuses et des plus instructives. C'est dans ces occupations que le marquis de Puységur vécut sous le Consulat et l'Empire. L'année 1814 arriva. A cette époque de nos désastres, le pays qu'il habitait fut un des plus cruellement éprouvés par le fléau de 376 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE l'invasion étrangère. Le marquis se préparait à quitter Buzancy, pour se soustraire aux fureurs des Cosaques, lorsqu'une de ses vieilles somnambules, la Maréchale, qu'il consultait depuis 1784, le détourna de son projet, l'assurant que ni lui ni sa famille n'auraient à souffrir aucune violence. Il resta donc. La vérité est que son nom, connu dans toute l'Earope, lui valut la protec- tion du général Czernichef, qui le fît épargner autant qu'il était possible. M. de Puységur voulut lui témoigner sa reconnaissance, et courut, à cette occasion, le plus grand danger. « Quand l'armée ennemie, dit M. Foissac, continua sa marctie sur Paris, M. de Puységur crut devoir remercier M. de Czernichef de ses bons offices par un billet obligeant, auquel il joignit un panier de vins. Le porteur tomba entre les mains des postes français. Le nom de celui à qui il était adressé excita la défiance ; on l'envoya au quartier général; et l'empereur, voyant ce billet signé marquis de Puységur, crut que ce dernier était de connivence avec l'homme qui était par- venu à surprendre ses plans de campagne, et donna l'ordre de le faire arrêter et fusiller sur-le-champ. Heureusement cet ordre n'eut point de suite, le message étant tombé au pouvoir des ennemis *. » Le même écrivain raconte ainsi la mort de cet excellent homme, arrivée en 1825: « Cette même année, malgré son âge et quelques infirmités, il voulut assister au sacre de Charles X, et suivant le privilège de sa famille, pendant que le roi était à Reims, camper dans le parc, sur les bords de la Veste. L'humidité de ce lieu lui donna la fièvre : le surlendemain du sacre, il tomba malade à S»issons. Une vive inflammation se déclara au cerveau, et il demeura vingt-quatre heures sans connaissance ; bientôt le mal se porta aux intestins et il survint un abcès gangré- neux aux organes du bas-ventre. Les secours réunis de la médecine et du magné- tisme adoucirent ses souffrances et prolongèrent ses jours. « Au bout de six semaines, il témoigna le désir de retourner à Ruzancy; mais, comme il était trop faible pour supporter la voiture, madame de Puységur fit demander quelques hommes de bonne volonté pour le transporter. Tout le village, hommes et femmes, vinrent le chercher, chacun se disputant l'honneur de rendre ce s:!rvice à celui qui avait été si longtemps l'appui, le bienfaiteur, le père de tous les malheureux. Il rendit le dernier soupir le l"' août 1825, à l'âge de soixante- quatorze ans*. » Les deux frères du marquis de Puységur étaient morts quelques années auparavant, se faisant oublier à dessein, dans leur retraite, pour se livrer plus entièrement aux devoirs d'une vocation qui était devenue commune à tous les membres de cette famille. 1. ï'oissac, Rapforis et discussions sur le rr.agnétisme animal. LE MAGNÉTISME ANIMAL 379 Le P. Hervier, celle lerrible puissance du magnélisme, qui le cédait à peine à Mesmer dans son action sur les malades et les sujets, prolongea également sa vie jusqu'aux premières années de la Restauration. « La duchesse d'A..., dit André Delrieu, avait recueilli ce moine dans le parc de son château, en Brie ; il avait persuadé à la duchesse que sa vie dépendait des arbres de son parc, qu'il préparait continuellement, et avec lesquels il était toujours en rapport. Cette dame croyait le P. Herviernécessaire à son existence; elle le regardait comme le magnétisme providentiel de sa haute futaie, et, à co titre, jugeait le parc trop heureux de posséder toujours dans son ermitage un si vénérable thaumaturge. <> A peine mort, le P. Hervier avait déjà un successeur encore plus puis- sant que lui peut-être. C'était un autre prêtre, l'abbé Faria'. Ce qu'il y a de bizarre dans ce nouvel apôtre, c'est que, tout en magné- tisant à outrance, il fait schisme avec tous ses confrères. L'abbé Faria méprise orgueilleusement les méthodes et procédés de ses prédécesseurs, quels qu'ils soient. Il n'a qu'une insultante pitié pour tous les fluidistes, pauvres hères qui ont besoin d'un agent, magnétisme, électricité, calorique, fluide nerveux, etc., pour manifester leur puissance sur l'homme. Il ne veut pas même de la volonté du magnétiseur, ce puissant moteur dans lequel les Puységuristes voient Xalpha et \ oméga de tout leur art. La volonté qu'il exige, c'est celle du sujet. « Ce qu'il y a de positif, dit l'abbé Faria, c'est qu'il est démontré par l'expérience qu'on endort les éphialtes et somnam- bules avec la volonté du magnétiseur, sans sa volonté, et même avec une volonté contraire. » Point de procédés, point de fluides, point de volonté ; mais alors par quelle puissance l'abbé Faria exerce-t-il donc son action? Ce n'est point par l'âme, car il ne veut pas plus être spiritualiste qu'il n'ose s'avouer flui- diste. Il trouve la cause du somnambulisme, ou, comme il l'appelle, du sommeil lucide, ainsi que de tous les phénomènes magnétiques, dans l'in- dividu qui les éprouve, et jamais ailleurs. Qu'il eût tort ou raison, l'abbé Faria était si foudroyant pour les somnam- bules, qu'ils l'avaient appelé \ ennemi de leur repos. Il se vante d'avoir fait tomber cinq mille personnes dans cet état, et pour certains sujets son nom seul a suffi. En voulant se distinguer de ceux qu'il appelait des charlatans, l'abbé Faria n'a réussi qu'à se faire à lui-même la réputation méritée du plus grand charlatan de cette catégorie. Ses séances magnétiques étaient des 1. C'est cet abbé Faria qu'Alexandre Dumas a pris pour per onna^e principal dans les pre- miers volumes de son roman de Monte Christo. 380 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE représentations payées. Sa pratique était de faire placer dans un fauteuil la personne qui voulait se soumettre à son action, et de l'engager à fermer les yeux en se recueillant. Puis, tout à coup, d'une voix forte et impérative,. il s'écriait : « Dormez ! » Presque toujours l'ordre était obéi. C'était le phénomène de la suggestion mis en pratique cinquante années avant que ce phénomène fût reconnu et scientifiquement admis. L'abbé Faria, qui avait longtemps habité les Indes, était un homme grand, sec, noir, et parlant fort mal le français, ce qui n'empêchait pas ses cours payants d'être fort suivis. Comme Mesmer, il tirait tous ses effets de ses doigts. Par l'imposition de ses mains il faisait passer dans l'esprit de ses sectateurs toutes les impressions qu'il désirait. Des verres d'eau sur lesquels il étendait ses doigts, devenaient de délicieux breuvages, du vin de Cham- pagne, du vin de Chypre ou de Tokai. Il eût changé en nectar les eaux de la Seine. La foi du sujet suffisait à ces miracles renouvelés des noces de Cana. Paris s'occupa quelque temps des cours de l'abbé Faria et de ses pres- tiges ; mais les épigrammes et les plaisanteries des journaux coupèrent court à ces merveilles d'un autre âge. Quand les quolibets de la critique parisienne eurent enlevé son auréole à ce thaumaturge, l'abbé Faria se trouva heureux d'aller cacher sa défaite dans un pensionnat de demoiselles, de leur servir d'aumônier et de leur dire la messe. Ces doigts incomparables qui avaient opéré tant de mér- veilles, et qui, s'il faut en croire ce personnage, auraient suffi à faire tomber à la renverse, malgré la distance, l'empereur de la Chine, ne furent con- sacrés qu'à donner des bénédictions à de jeunes écolières. Le marquis de Puységur avait, de son vivant, trouvé un digne successeur qui, par l'âge, aurait pu être son émule dès le commencement de la pro- pagande magnétique, mais qui, n'ayant pu recevoir directement l'initiation de Mesmer, ne s'était montré que beaucoup plus tard sur la scène. Nous voulons parler du savant naturaliste, J. P. Deleuze, bibliothécaire au Jardin des Plantes, que ses sages écrits, sur un sujet si controversé et en apparence si usé, ont fait surnommer X Hippocrate du magnétisme animal. Le plus important de ses ouvrages, résultat de vingt-cinq ans d'obser- vations, de recherches, de méditations et de pratique, V Histoire critique du magnétisme atiimal, qui parut en 1813, produisit une impression sérieuse. On avait fait passer Mesmer pour un charlatan; on avait plaint l'honnête marquis de Puységur de s'être laissé jouer pendant quarante ans, par des somnambules, trop bien réconfortés et soignés dans son château; on ne pouvait pas se débarrasser à si bon marché d'un savant modeste, LE MAGNÉTISME ANIMAL 381 connu par sa prudence et ses talents littéraires, et recommandable par les diverses fonctions qu'il remplissait au Jardin des Plantes. Nous venons de parler de sa prudence : elle fut si grande que plus d'un adepte du magnétisme lui en faisait un crime. Deleuze, en effet, cherchait à ne blesser aucun système régnant, à ménager autant que possible les préjugés académiques; et dans ce but, il débarrassait la question magné- tique de beaucoup de merveilles, auxquelles, néanmoins, il croyait pour sa part, et il s'efforçait de concilier les autres avec les principes de la science établie. « Lorsque je publiai, dit-il, la première édition de mon Histoire critique du magnétisme animal, en 1813, je me suis imposé une grande réserve sur toutes les questions délicates et problématiques, me contentant d'exposer les faits, que tout le monde peut vérifier, et les principes absolument nécessaires pour se diriger dans l'application du magnétisme. Je voulais me concilier les naturalistes et les physi- ciens, en montrant la concordance des phénomènes que j'annonçais, et des lois qui les régissent, avec les phénomènes et les lois dont ils reconnaissent la vérité. Celte réserve ne m'a pas beaucoup servi. La plupart des hommes versés dans la physique et la physiologie, ont fait peu d'attention aux preuves que j'avais rassemblées, et ils ont été aussi éloignés d'examiner une modification particulière dans V ordre des choses qu'ils admettent, qu'ils l'auraient été d' adopter un système subversif de leurs doctrines. Je serais moins timide aujourd'liui '. » Par sa réserve Deleuze a servi plus qu'il ne le croyait la cause du magnétisme, mais il n'a pas assez vécu pour avoir la satisfaction de s'en convaincre. Les mêmes errements de prudence ont été suivis par l'auteur du Magné- tisme éclairé, M. Guvillier d'Hénin, secrétaire de la nouvelle société que le marquis de Puységur avait fondée et présidée à Paris après 1815. Ainsi, àl'époque où nous sommes parvenus, le magnétisme animal, tout en grandissant par les phénomènes, se simpliQait, se purifiait, chaque jour. On avait laissé de côté toutes les théories fausses ou hypothétiques, et on déclarait ne pas tenir essentiellement à celles qu'on leur substituait. Les baquets et tout ce qui sentait le charlatanisme transcendant de Mesmer, avait disparu, même dans les provinces. Plus de traitements publics, partant plus de crises provoquées par l'imitation ; plus d'aides vigoureux, ou de moines au fluide luxuriant, appliqués à magnétiser des femmes jeunes, nerveuses et jolies. Les femmes, instruites à se magnétiser entre elles, déclaraient s'en trouver assez bien ; el ainsi tombait l'imputation d'immo- 1. Mém:>ire sur la faculté de prévision, ouvrage posthume de Deleuze, publié eu 1834, avec dea notes de M. Mialle. 382 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE ralité, le plus foudroyant, et en même temps le plus sournois des anathèmes du rapport secret de Bailly. A tant de sacrifices, tous les magnétiseurs n'avaient pas voulu joindre celui du fluide. Cependant que de concessions faites sur ce point capital ! La plupart tenaient pour le fluide universel de Mesmer, mais ils n'étaient plus exclusifs. A ceux qui ne pouvaient s'accommoder du fluide de Mesmer, ils permettaient d'en prendre un autre, soit l'électricité animale de Pétetin, soit la chaleur animale de Laurent de Jussieu, soit un autre fluide quelconque, électro-magnétique, électro-nerveux, nerveux, humain, etc., pourvu qu'il y eût fluide, car c'était par là que la grande école des magnétiseurs physiciens voulait rester séparée des spirkualistes. Ces spiritualistes ou mystiques étaient les seuls hérétiques, comme l'abbé Faria était le seul athée dans la grande famille des magnétisants. Puisque nous parlons des spiritualistes, disons, en passant, qu'après la Restauration, ils se retrouvèrent en France, comme toutes les autres sectes magnétiques, et comme elles, un peu transformés. Il semble, par exemple, que la société, qui s'établit alors à Paris, sous la présidence de la duchesse de Bourbon, empruntait son mysticisme aux Svs^edenborgistes, qui, dès l'apparition du magnétisme en France, avaient établi à Stockholm une société qui devint promptement célèbre. Bientôt les spiritualistes apparurent dans le Dauphiné, à Lyon, et dans plusieurs villes du midi de la France. On a peu de renseignements sur leurs pratiques, mais nous pouvons nous en faire une idée par un fragment de procès-verbal adressé par le directeur de la société d'Avignon au marquis de Mirville, qui fut plus tard le chef ou l'organe le plus important des spiri- tualistes en France. On trouve ce procès-verbal dans l'ouvrage de M. de Mirville sur les Esprits et leurs manifestations fluidiques \ Nous rapporterons une partie de cette pièce curieuse. « Le directeur fait à haute voix, les sociétaires étant réunis tous à genoux, la prière suivante et générale : « Dieu Tout-Puissant, Dieu bon, qui remplissez et gouvernez l'immensité des mondes que vous avez crées, que votre saint nom soit loué, que votre volonté soit faite. Que tout ce qui reçut votre souffle immortel respecte et suivre votre sainte loi ; conservez-moi la santé de l'esprit, afin que je ne cesse de vous glorifier, et celle du corps pour travailler, secourir les miens, aider mon prochain, et servir ma patrie. Je suis homme et faible, donnez-moi la force d'éviter le mal; si je succombe, donnez-moi le repentir, ne punissez point à cause de moi mes ennemis auxquels je pardonne, etc., etc. 1. 3e éditio:i, p iges 314 ctsuiv. LE MAGNÉTISME ANIMAL 383 « On récite ensuite le Veni Creator et le psaume LVII, Exsurgat Deus et dissi pentur inimici ejus, etc., afin d'éloigner l'adversaire. » « Jusqu'ici, tout paraît irréprochable; c'est le droit de réunion catholique opérée dans toute sa plénitude et toute sa pureté. « Mais c'est maintenant que la scène va se modifier un peu, et que l'on va faire entrer une sorte de manœuvre mesmérien, armé d'un tube en verre destiné à déverser le fluide magnétique sur la personne que l'on veut endormir. Avant de souffler dans son tube, le magnétisme gagé doit répéter à part la prière suivante : « Anges de lumière, Vierge céleste, esprits immortels, ministres des volontés de mon Dieu, venez, à moi, je vous implore ; secourez-moi ; gardez mon inexpérience, et préservez-moi des pièges tendus par le méchant sur la route ténébreuse. Et toi, que le ciel a commis plus spécialement à ma garde, ange tutélaire, mon guide fidèle, conduis-moi et soutiens-moi dans ce pénible voyage à travers les déserts, etc. « Alors le magnétisme dirige son action sur les personnes qu'il faut magnétiser; mais à son tour celui-ci fait la prière suivante : « 0 toi, par qui tout a été fait, et par qui tout sera détruit pour retourner à la source première, principe émané du sein de l'Éterael, ami de l'univers, divine lumière, c'est toi, (la lumière) que j invoque à mon a ''de; oui, viens, fluide créateur, viens pénétrer mes sens amortis... Et vous, augustes messagers du Très-Haut! anges de lumières, esprits célestes ! vous tous, ministres des volontés de mon Dieu I venez à moi, j'implore votre assistance; hâtez- vous, venez m'éclairer et me guider, porter à Dieu ma prière; il connaît mes désirs; je veux soulager mes frères, les fortifier, les maintenir ou les rendre justes devant lui. Augustes messagers du Très- Haut, je vous implore... Et vous. Fils unique, égal au Père, qui régnez avec le Saint-Esprit, en l'unité d'un seul Dieu dans tous les siècles. Amen. « Ensuite prière de la somnambule ou du voyant, lorsqu'il voit la lumière ; après quoi l'on attend qu'il parle, et la séance commence. Si c'est pour cas de maladie, le malade prend rapport, etc. Si la séance n'a d'autre but que de corroborer la fin et l'instruction des fidèles, on écoute les avis salutaires qu'il plaît à Dieu de donner par la médiation des messagers de sa volonté... » ^ Les spiritualistes d'Avignon étaient beaucoup moins purs que les élèves du chevalier de Barbarin. A l'âme, les spiritualistes d'Avignon avaient sub- stitué, comme agent, la lumière spiritualisée, appelée par leurs prières, il est vrai, et mobilisée par des anges. Le président de la S )ciété spiritualiste d'Avignon choisit un jour, pour remplir les fonctions de secrétaire, un médecin distingué du voisinage, homme éclairé, membre de plusieurs sociétés savantes, honorable sous tous les rapports, mais malheureusement imbu (c'est lui qui nous l'apprend) des doctrines du matérialisme le plus complet. Le médecin hésite et accepte par curiosité. Il se présente au secrétariat, le sourire sur les lèvres, le mépris au fond du cœur, et rougissant probablement, à part lui, de se trouver en si pauvre et si folle compagnie. Néanmoins, il promet d'examiner et d'enre- gistrer fidèlement tout ce qui va se passer sous ses yeux. Une première / 384 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE séance l'étonné, une seconde le confond, une troisième le bouleverse, et voilà que sa complaisance d'un moment va décider de toute sa vie; voilà qu'une suite de faits évidents le convertissent, et le font passer en peu de temps et successidement du mépris voltairien à la foi mesmérienne, de la foi mesmérienne à la foi catholique, et de la foi catholique au spiri- tualisme illuminé, qui, pendant vingt ans, le rend le partisan dévoué de cette doctrine. Pendant que le magnétisme prenait de l'importance, par suite des sages concessions faites par ses partisans, il recevait, à l'étranger, plus d'un encouragement parti de haut, et se voyait officiellement installé dans quelques chaires de l'enseignement public. En Russie, dès l'année 1815, l'empereur Alexandre, alors endoctriné par madame de Krûdner, avait nommé une commission, pour examiner le magnétisme. Celte commission déclara, dans son rapport, que le magné- tisme est un agent très important, mais qui, en raison même de son impor- tance, ne doit être mis en œuvre que par des médecins instruits. L'empereur rendit sur cette matière un ukase, dans le sens du vœu des commissaires. En 1817, le roi de Danemark publie une ordonnance confirmative d'un décret du Collège de santé qui admet le magnétisme dans la pratique médicale, avec les mêmes conditions et réserves qu'en Russie. Pendant cette même année, le roi de Suède établit, par un règlement, que les candidats au grade de docteur en médecine, à Stockholm, auront à soutenir des thèses sur le magnétisme. C'est encore dans cette année 1817, que le roi de Prusse signe l'ordon- nance du 7 février, par 'laquelle les médecins reçus sont seuls autorisés à pratiquer le magnétisme. Enfin, en 1818, l'Académie des sciences de Berlin, celle qui s'était bornée à répondre à Mesmer qu'il était dans l'erreur, proposait un prix de 3,300 francs pour le meilleur mémoire sur le magnétisme animal. En France, le gouvernement s'abstenait sur cette question. Les acadé- mies se remparaient du rapport de Bailly ; ce qui n'empêchait pas le magnétisme de grandir et de trouver quelques défenseurs parmi les plus illustres savants. Laplace, Cuvier, Arago, qui avaient observé les faits, par eux-même,s ne pouvaient se décider à ne voir que le néant dans des asser- tions qui réunissaient tant de témoignages honorables, venus de toutes les parties de l'Europe. Ils avaient déclaré qu'il n'était guère possible de ne pas reconnaître une puissance autre que l'imagination dans les effets produits à LE MAGNÉTISME ANIMAL 387 distance par les magnétiseurs. Ceux mêmes qui, par engagement ou de parti pris, se croyaient obligés de combattre le magnétisme, en parlaient de telle façon qu'on pouvait se demander s'ils n'avaient point voulu lui venir en aide, en fournissant aux magnétiseurs des arguments et des aperçus nouveaux. C'est ce qu'on a pu soupçonner de Virey, à l'occasion d'un long et très remarquable article qu'il publia, en 1818, sur le magnétisme, dans le Dic- tionnaire des sciences médicales. En effet, huit ans après, on trouve Virey au nombre des membres de l'Académie de médecine qui opinent pour un nouvel examen du magnétisme animal. Les écrits et les cours publics sur le magnétisme se multipliaient. Un jeune docteur, plein d'enthousiasme, Alexandre Bertrand, ancien élève de TEcole polytechnique, avait ouvert, dès le début de sa carrière médicale, un cours sur le magnétisme, qui eut un grand retentissement. Les écrits qu'il publiait dans le même esprit, concouraient au même but'. Un autre jeune médecin, Georget, plaidait également la cause de cette doctrine, et l'exa- minait sérieusement, dans sa Physiologie dit système nerveux. Mais l'importance du magnétisme animal se manifestait encore plus par les faits et les observations que par les écrits et même par les cours publics. Les expériences faites en 1820, à l'Hôtel-Dieu, par Dupotet, et les années suivantes, dans divers hôpitaux de Paris, parRobouam, Georget, Foissac, etc., expériences auxquelles assistaient un grand nombre de médecins, avaient eu des résultats à faire tomber à la renverse les plus robustes adversaires du magnétisme. « Étes-vous convaincu? dit un jour Dupotet à Récamier, après une de ces expériences? — Non, répondit Récamier, mais je suis ébranlé. » Les anciennes convictions de l'Académie de médecine devaient être ébranlées de même. Le 11 octobre 1825, une lettre adressée par le docteur Foissac à l'Aca- démie de médecine de Paris, vint proposer à ce corps savant de soumettre à un examen sérieux le magnétisme animal. « Mes somnambules, disait le docteur Foissac dans sa lettre, ne s'écartent jamais des principes avoués de la saine médecine. Je vais plus loin, leurs inspirations tiennent du géne d'Hippociale. » Une commission fut nommée pour faire un rapport sur la question de savoir s'il convenait que l'Académie s'occupât du magnétisme animal. Le \ 3 décembre suivant, la commision, par l'organe de son rapporteur, Husson, médecin de l'Hôlel-Dieu, se prononça pour Tafllrmative. 1. M. .1. Bertraad, l'un des deux secrétaires perp Huels de l'Académie^des scieaces de Paris, est le lîls du docteur Alexandre Bertrand. 388 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Husson faisait remarquer que, quand même le magnétisme serait resté stationnaire depuis 1784, on n'aurait pas le droit de le regarder comme ayant été définitivement jugé par le rapport de Bailly et celui de la Société royale de médecine, car on peut toujours faire appel d'un jugement à un tribunal nouveau. Puisque, autrefois, des corps savants ont déclaré impos- sible le fait de la circulation du sang, puisque l'inoculation de la vaccine a été considérée comme une pratique criminelle, l'émétique interdit par le Parlement, à la sollicitation de la Faculté de Paris, les antiques perruques proclamées infiniment plus salubres que la chevelure naturelle, etc., il doit être permis, disait Husson, de chercher à reviser, après un certain temps, les jugements des corporations académiques. Mais le magnétisme, ajoutait-il, est bien loin d'être resté stationnaire, depuis le rapport de Bailly. Après l'année 1784, un fait tout nouveau et dont les commissaires de l'Académie des sciences n'ont pu tenir compte, a surgi : c'est le somnambulisme magnétique. De nos jours, le magnétisme commence à être pris au sérieux par les médecins qui l'ont repoussé si longtemps. A Berlin, une clinique magnétique est établie, avec l'autorisation du gouvernement; à Francfort, à Stockhlom, le magnétisme a pris domicile dans la médecine; pourquoi resterait-on, en France, en arrière des peuples du Nord, pour l'étude d'un fait physiologique nouveau ? La commission nommée par l'Académie de médecine, pour examiner s'il y avait lieu, ou non, de procéder à l'examen du magnétisme animal, for- mulait en ces termes sa conclusion : <( La commission pense : « 1» Que le jugement porté en 1784 par les commissaires chargés par le roi d'examiner le magnétisme animal, ne doit, en aucune manière, vous dispenser de l'examiner de nouveau, parce que, dans les sciences, un jugement quelconque n'est point une chose absolue, irrévocable ; << 1" Parce que les expériences d'après lesquelles ce jugement a été porté, parais- sentavoir é.té faites sans ensemble, sans le concours simultané et nécessaire de tous les commissaires, et avec les dispositions morales qui devaient, d'après les prin- cipes du fait qu'ils étaient chargés d'examiner, les faire complètement échouer; « 3° Que le magnétisme ainsi jugé en 1784, diffère entièrement par la théorie, les procédés et les résultats, de celui que des observateurs exacts, probes, attentifs, que des médecins éclairés, laborieux, opiniâtres, ont étudié dans ces dernières années; « 4° Qu'il est de l'honneur de la médecine française de ne pas rester en arrière des médecins allemands, dans l'étude des phénomènes que les partisans éclairés et impartiaux dumagnétisirte annoncent être produits par ce nouvel agent; « 5° Qu'en considérant le magnétisme comme un remède secret, il est du devoir de l'Académie de l'étudier, de l'expérimenter, afin d'en enlever l'usage et la pra- LE MAGNÉTISME ANIMAL 380 tique aux gens tout à fait étrangers à l'art, qui abusent de ce moyen et en font un objet de lucre et de spéculation. <( D'après toutes ces considérations, votre commission est d'avis que la section doit adopter la proposition de M. Foissac, et charger une commission spéciale de s'occuper de l'étude et de l'exauien du magnétisme animal. <( Signé : Adelon, Pariset, Marc, Burdin aîné, Husson, rapporteur. » La proposition faite par les commissaires, de se livrer à une étude sérieuse du magnétisme animal, fut discutée longuement et avec beaucoup de passion, pendant plusieurs séances. Ce ne fut que dans celle du 28 février 1826, que l'Académie, à une majorité de trente-cinq voix contre vingt-cinq, nomma une commission permanente^ composée de neuf membres, pour se livrer à l'étude et à l'examen du magnétisme animal, et rédiger ensuite un rapport sur cette question. M. Foissac se mit immédiatement aux ordres de la commission, qui se réunit chez lui dans les premiers temps, et plus tard partout où il y avait des phénomènes à observer ou des faits à constater. On suscita à ce jeune médecin mille entraves, de toute nature, jusqu'à l'empêcher, par exemple, de faire dans les hospices les expériences qu'il croyait le plus propres à éclairer et à convaincre les commissaires. La commission se plaint elle- même, dans son rapport, de « nombreux et puissants obstacles qui ne tardèrent pas à arrêter ses travaux. » Il en résulta que ce rapport, dont la rédaction fut confiée à la plume de Husson, ne put être prêt que quatre années après, c'est-à-dire en 1830, et présenté à l'Académie en 1831 . Le rapport de Husson fut lu à l'Académie de médecine dans les séances du 21 et du 28 juin 1831. Il sera bon de s'étendre un peu sur ce travail, composé dans le but avoué de réhabiliter et de défendre le magnétisme, ce qui était une nouveauté piquante au milieu d'une assemblée de médecins. Husson reconnaît que les effets produits par le magnétisme animal sont insignifiants ou nuls, dans un certain nombre de cas, et qu'on peut rap- porter quelques influences plus positives à l'imagination, à la monotonie des passes, ou à l'ennui. Mais après cette concession faite pour désintéresser les adversaires du magnétisme, et à côté de ces résultats négatifs, il signale plusieurs faits certains, dont aucune cause alors connue ne saurait fournir l'explication. Le phénomène du somnambulisme, par exemple, a été parfaitement cons- taté par la commission. Dans cet état de sommeil artificiellement provoqué, on peut chatouiller, pincer, piquer le sujet avec des épingles, sans qu'il en ait conscience. Les bruits violents, l'odeur irritante de l'ammoniaque ou de 390 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE l'acide chlorhydrique, ne sont point perçus. Le rapporteur racontait ici avec détail ce qui arriva en 1829 à M. Jules Cloquet, qui opéra une femme, Madame Plantain, d'un cancer au sein, sans que, dans le cours de cette opération, qui dura douze minutes, la malade donnât le moindre signe de sensibilité. La pénétration mutuelle des pensées entre le magnétiseur et son sujet, sans moyen matériel de communication, ne paraît pas, non plus, devoir être mise sérieusement en doute. Le rapporteur, abordant le phénomène de la clairvoyance dans l'état magnétique, exposait des faits favorables et d'autres contraires à la vision exercée par les somnambules à travers les corps opaques. Mais ses conclu- sions sur ce point étaient assez confuses. 11 ne sera pas, du reste, inutile de reproduire ici textuellement les con- clusions qui terminent le rapport de Husson. Ce travail est très souvent in- voqué parles magnétiseurs, dont il fait l'orgueil et la joie. Il est, d'ailleurs, assez curieux en lui-même, comme représentant l'opinion de quelques médecins au sujet du magnétisme à l'époque que nous considérons. Si longtemps repoussé, d'un accord unanime, par les médecins, le magnétisme animal avait réussi, après cinquante ans d'efforts, à conquérir quelques hommes voués à la pratique de l'art de guérir. Le temps n'était plus où le secrétaire de la Société royale de médecine pouvait produire devant ses collègues les adhésions envoyées par les médecins de la France entière, pour souscrire et applaudir à la condamnation officielle du magnétisme animal. L'ennemi était dans la place ! Voici donc les conclusions qui terminent le rapport du docteur Husson, présenté en 1831 à l'Académie de médecine: « 1° Le contact des pouces et des mains, les frictions ou certains gestes que l'on fait, à peu de distance du corps, et appelés passes, sont les moyens employés pour se mettre en rapport, ou, en d'autres termes, pour transmettre l'action du magné- tiseur au magnétisé. « 2° Les moj'ens qui sont extérieurs et visibles ne sont pas toujours nécessaires, puisque, dans plusieurs occasions, la volonté, ia fixité du regard, ont suffi pour produire les phénomènes magnétiques, même à l'insu des magnétisés. « 3" Le magnétisme animal a agi sur des personnes de sexe et d'âge différents. « 4" Le temps nécessaire pour transmettre et faire éprouver l'action magné- tique, a varié depuis une demi-heure jusqu'à une minute. » 5° Le magnétisme n'agit pas en général sur les personnes bien portantes. » Q" Il n'agit pas non plus sur tous les malades. « 7° Il se déclare quelquefois, pendant qu'on magnétise, des effets insignifiants et fugaces que nous n'attribuons pas au magnétisme seul, tels qu'un peu d'oppres- sion, de chaleur ou de froid, et quelques autres phénomènes nerveux dont on peu-t LE MAGNETISME ANIMAL 391 se rendre compte sans l'intervention d'un agent particulier; savoir : par l'espérance ou la crainte, la prévention et l'attente d'une chose inconnue et nouvelle, l'ennui qui résulte de la monotonie des gestes, le silence et le repos observés dans les expériences, enfin par l'imagination, qui exerce un si grand empire sur certains esprits et sur certaines organisations. << 8° Un certain nombre des effets observés nous ont paru dépendre du magné- tisme seul, et ne se sont pas reproduits sans lui. Ce sont des phénomènes pliysiolo- giques et thérapeutiques bien constatés. « 9° Les effets réels produits par le magnétisme sont très variés; il agite les uns, calme les autres. Le plus ordinairement il cause l'accélération momentanée de la respiration et de la circulation, des mouvements convulsifs fibrillaires passagers, ressemblant à des secousses électriques, un engourdissement plus ou moins pro- fond, de l'assoupissement, de la somnolence, et dans un petit nombre de cas ce que les magnétiseurs appellent somnambulisme. « 10'^ L'existence d'un caractère unique, propre à faire reconnaître dans tous les cas l'état de somnambulisme, n'a pas été constatée. « 11° Cependant on peut conclure avec certitude que cet état existe, quand il donne lieu au développement des facultés nouvelles qui ont été désignées sous les noms de clairvoyance, d'intuition, de prévision intérieure, ou qu'il produit de grands changements dans l'état psychologique, comme Vinsensiùditc, un accrois- sement subit et considérable de forces, et quand cet effet ne peut être rapporté à une autre cause. « 12° Comme parmi les effets attribués au somnambulisme, il en est qui peuvent être simulés, le somnambulisme lui-même peut être quelquefois siuiulc et fuurnir au charlatanisme des moyens de déception. Aussi dans l'observation de ces phéno- mènes, qui se présentent encore comme des faits isolés qu'on ne peut rattacher à aucune théorie, ce n'est que par l'examen le plus attentif, les précautions les plus sévères, et par des épreuves nombreuses et variées qu'on peut échapper à l'illusion. « 13° Le sommeil provoqué avec plus ou moins de promptitude et établi à un degré plus ou moins profond, est un effet réel, mais non constant du magnétisme. « 14° Il nous est démontré qu'il a été provoqué dans des circonstances où les magnétisés n'ont pu voir et ont ignoré les moyens employés pour le déterminer. <( 15° Lorsqu'on a fait tomber une fois une personne dans le sommeil magné- tique, on n'a pas toujours besoin de recourir au contact et aux passes pour la magnétiser de nouveau. Le regard du magnétiseur, sa volonté seule, ont sur elle la même influence. Dans ce cas, on peut non seulement agir sur le magnétisé, mais encore le mettre complètement en somnambulisme, et l'en faire sortir à son insu, hors de sa vue, à une certaine distance, et au travers des portes fermées. « 16° Il s'opère ordinairement des changements plus ou moins remarquables dans les perceptions et les facultés des individus qui tombent en somnambulisme par l'effet du magnétisme. » a Quelques-uns, au milieu du bruit de conversations confuses, n'entendent que la voix de leur magnétiseur ; plusieurs répondent d'une manière précise aux questions que celui-ci, ou que des personnes avec lesquelles on les a mis en rap- port, leur adressent ; d'autres entretiennent des conversations avec toutes les per- 392 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE sonnes qui les entourent : toutefois il est rare qu'ils entendent ce qui se passe autour d'eux. La plupart du temps, ils sont complètement étrangers au bruit extérieur et inopiné fait à leurs oreilles, tel que le retentissement de vases de cuivre vivement frappés près d'eux, la chute d'un meuble, etc. a « è Les yeux sont fermés, les paupières cèdent difficilement aux efforts qu'on fait avec la main pour les ouvrir, cette opération, qui n'est pas sans douleur, laisse voir le globe de l'œil convulsé et porté vers le haut, et quelquefois vers le bas de l'orbite. « c Quelquefois l'odorat est comme anéanti. On peut leur faire respirer l'acide muriatique ou l'ammoniaque, sans qu'ils en soient incommodés, sans même qu'ils s'en doutent. Le contraire a lieu dans certains cas : et ils sont sensibles aux odeurs. « d La plupart des somnambules que nous avons vus étaient complètement insensibles. On a pu leur chatouiller les pieds, les narines et l'angle des yeux par l'approche d'une plume, leur pincer la peau de manière à l'ecchymoser, la piquer sous l'ongle avec des épingles enfoncées à l'improviste à une assez grande pro- fondeur, sans qu'ils s'en soient aperçus. Enfin on en a vu une qui a été insensible à une des opérations les plus douloureuses de la chirurgie, et dont la figure, ni le pouls, ni la respiration, n'ont pas dénoté la plus légère émotion. « 17° Le magnétisme a la même intensité, il est aussi promptement ressenti à mie distance de six pieds que de six pouces ; et les phénomènes qu'il développe sont les mêmes dans les deux cas. « 18° L'action à distance ne paraît pouvoir s'exercer avec succès que sur des individus qui ont été déjà soumis au magnétisme. « 19» Nous n'avons pas vu qu'une personne magnétisée pour la première fois tombât en somnambulisme. Ce n'a été quelquefois qu'à la huitième ou dixième séance que le somnambulisme s'est déclaré. « 20° Nous avons vu constamment le sommeil ordinaire, qui est le repos des organes des sens, des facultés intellectuelles et des mouvements volontaires, pré- céder et terminer l'état de somnambulisme. « 21" Pendant qu'ils sont en somnambulisme, les magnétisés que nous avons observés conservent l'exercice des facultés qu'ils ont pendant la veille. Leur mémoire même paraît plus lidèle et plus étendue, puisqu'ils se souviennent de ce qui s'est passé pendant tout le temps et toutes les fois qu'ils ont été en somnambulisme. « 22° A leur réveil, ils disent avoir oublié totalement toutes les circonstances de l'état de somnambulisme, et ne s'en ressouvenir jamais. Nous ne pouvons avoir à cet égard d'autre garantie que leurs déclarations. « 23° Les forces musculaires des somnambules sont quelquefois engourdies et paralysées. D'autres fois les mouvements ne sont que gênés, et les somnambules marchent en chancelant à la manière des hommes ivres, et sans éviter, quelquefois aussi en évitant, les obstacles qu'ils rencontrent sur leur passage. Il y a des som- uambules qui conservent intact l'exercice de leurs mouvements ; on en voit même qui sont plus forts et plus agiles que dans l'état de veille. « 24° Nous avons vu deux somnambules distinguer, les yeux fermés, les objets que l'on a placés devant eux ; ils ont désigné, sans les toucher, la couleur et la valeur des cartes; ils ont lu des mots tracés à la main, eu quelques lignes de livres LE DOCTEUli OUDET FAIT l'kXTRACTIOiN d'uNK DEMT, SUPPORTÉE SANS DOULEUR, A U.NE FEUSIE MAGNÉTISÉE (P. 398j II- 50 LE MAGNÉTISME ANIMAL 395 que l'on a ouverts au hasard. Ce phénomène a lieu alors même qu'avec les doigts on fermait exactement l'ouverture des paupières. « 25° Nous avons rencontré chez deux somnambules la faculté de prédire des actes de l'organisme plus ou moins éloignés, plus ou moins compliqués. L'un d'eux a annoncé plusieurs jours, plusieurs mois d'avance, le jour, l'heure et la minute de l'invasion et du retour d'accès épileptiques; l'autre a indiqué l'époque de sa gué- rison. Leurs prévisions se sont réalisées avec une exactitude remarquable. Elles ne nous ont paru s'appliquer qu'à des actes ou à des lésions de leur organisme. « 26° Nous n'avons rencontré qu'une seule somnambule qui ait indiqué les symp- tômes de la maladie de trois personnes avec lesquelles on l'avait mise en rapport. Nous avions cependant fait des recherches sur un assez grand nombre. « 27° Pour établir avec quelque justesse les rapports du magnétisme avec la thé- rapeutique, il faudrait en avoir observé les effets sur un grand nombre d'individus^ et en avoir fait longtemps et tous les jours des expériences sur les mêmes malades- Gela n'ayant pas eu lieu, la commission a dû se borner à dire ce qu'elle a vu dans un trop petit nombre de cas pour oser rien prononcer. « 28" Quelques-uns des malades magnétisés n'ont ressenti aucun bien. D'autres ont éprouvé un soulagement plus ou moins marqué, savoir : l'un, la suspension de douleurs habituelles, l'autre, le retour des forces; un troisième, un retard de plu- sieurs mois dans l'apparition des accès épileptiques, et un quatrième, la guérison complète d'une paralysie grave et ancienne. « 29° Considéré comme agent de phénomènes physiologiques, ou comme moyen thérapeutique, le magnétisme devrait trouver sa place dans le cadre des connais- sances médicales, et par conséquent, les médecins devraient seuls en faire et en surveiller l'emploi, ainsi que cela se pratique dans les pays du Nord. « 30° La commission n'a pu vérifier, parce qu'elle n'en a pas eu l'occasion, d'autres facultés que les magnétiseurs avaient annoncé exister chez les somnam- bules. Mais elle a recueilli et elle communique des faits assez importants pour qu'elle pense que l'Académie devrait encourager les recherches sur le magnétisme comme une branche très curieuse de physiologie et d'histoire naturelle. « Ont signé : Bourdois de la Motte, président; Fouquieb, Guéneau de Mussy, GuERSENT, Itard, J.-J. Leroux, Marc, Toillaye, Husson, rapporteur. « Nota. MM. Double &i Magendie , n'ayant point assisté aux expériences, n'ont pas cru devoir signer le rapport. » La lecture de ce rapport causa beaucoup de surprise à l'Académie, qui ne comptait dans son sein que bien peu de partisans du magnétisme. Le docteur Boisseau, l'ardent émule de Broussais, naturellement peu enclin à adopter tant de faits opposés aux doctrines régnantes, demanda une seconde lecture de ce travail. « Puisqu'on nous entretient de miracles, dit-il, nous ne pouvons trop bien connaître les faits, pour réfuter ces miracles. » Un autre membre ayant demandé l'impression du rapport, Castel s'y opposa de toutes ses forces, alléguant que si la plupart de ces faits étaient vrais, « ils détruiraient la moitié des connaissances physiologiques. « 396 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Dans l'incertitude et le trouble de l'Assemblée, Roux proposa un moyen terme, c'était défaire autographier le rapport. Cet avis prévalut. Le rapport de Husson fui donc autographié et non imprimé, nuance typographique par laquelle l'Académie de médecine exprimait un dernier reste de fidélité aux préventions traditionnelles des corps savants contre le magnétisme. Les magnétiseurs ont dit et ils répètent souvent encore que ce rapport fut adopté par l'Académie. M. Foissac prétend qu'on doit le garder « comme l'expression de l'opinion générale de l'Académie royale de médecine'. » Le rôcit que nous allons donner de la suite des relations de l'Académie avec los partisans du magnétisme animal, montrera combien cette appréciation est mal fondée. La vérité est que le rapport de Husson ne fut point soumis à la discussion de l'Académie de médecine, et qu'il demeure ainsi l'expression unique des opinions du rapporteur. On ne saurait mettre en doute, d'après ce qui se passa plus tard, que le travail de l'honorable médecin de l'Hôtel-Dieu n'eut été repoussé par l'Académie, si on l'eût soumis à l'épreuve du débat public» Mais personne, l'auteur lui-même, ne voulait d'un tel débat, qui aurait excité tout une suite d'orages. Ce travail alla donc s'ensevelir dans les cartons de l'Académie de méde- cine. On X enterra^ selon une expression de notre époque. Il ne devait être exhumé que plusieurs années après, par les magnétiseurs, pour la gloire de la doctrine. 1. Rapports et discussions de l'Académie 7'Oijale de médecine sur le magnétisme animol, io-8, (833, p. 209. \ XIV L'Académie de médecine reprend l'examen du magnétisme animal. — Rapport de Dubois (d'Amiens). — Proposition de Burdin, prix de 3000 francs offert au som- nambule qui pourra lire sans le secours des yeux. • — Suite de ce défi. — Made- moiselle Pigeaire. — Autres prétendants aux prix Burdin. — Triomphe des antimagnétistes à l'Académie de médecine. Six ans après ce qui vient d'être raconté, c'est-à-dire en 1837, le magné- tisme animal comparut de nouveau à la barre de l'Académie de médecine de Paris, et ce fut pour y recevoir un rude assaut. Vers la fin de l'année 1836, les journaux avaient parlé d'une dent arrachée sans douleur sur une personne plongée dans le sommeil magnétique. Or, le dentiste qui avait fait cette extraction, était membre de l'Académie de méde- cine : c'était le docteur Oudet. Les fougueux adversaires du magnétisme animal trouvaient inconvenant qu'un membre de l'Académie de médecine eût prêté le secours de son art à un magnétiseur. C'était pousser bien loin l'intolérance scientifique. Quoi qu'il en soit, une interpellation fut annoncée, et cette interpellation fut faite par Capuron, dans la séance du 24 janvier 1837. Oudet y répondit en lisant le récit du fait incriminé, composé par le magné- tiseur Hamard. Voici ce récit, tel qu'on le trouve dans le Bulletin de V Académie de médecine : « Madame B..., dit M. Hamard, a vingt-cinq ans et un caractère très impression- nable ; elle appréhende vivement la moindre douleur et souffre de l'action de causes à peine appréciables pour d'autres. C'est ainsi qu'elle ne peut pas entendre craquer les doigts de quelqu'un sans éprouver des palpitations, et une sorte de défaillance. Plusieurs fois j'avais produit en elle le somnambulisme, et constaté son insensi- bilité dans cet état, quand, le 17 du mois dernier, elle se plaignit à moi d'un mal de dents qui, disait-elle, la torturait depuis quelques jours. L'extraction de la dent malade était l'unique remède à ses souffrances, mais l'idée d'une opération la tour- 398 LES MYSTERES DE LA SCIENCE mentait au point qu'elle en éprouvait presque des convulsions. Je la conduisis à M. le docteur Oudet, qui, étant prévenu de l'état particulier de celte dame, la rassura sur la nécessité qu'elle redoutait et je convins secrètement avec mon estimable confrère qu'il la trouverait chez moi en somnambulisme. « Le 14 novembre, à l'heure indiquée, M. Oudet la vit paisiblement assise dans un fauteuil, et livrée depuis une heure au sommeil magnétique. Pour explorer la sensibibilité je la piquai fortement à plusieurs reprises avec une épingle; je lui plongeai un doigt pendant quelques secondes dans la flamme d'une chandelle, elle ne donna absolument aucun signe de douleur. Durant ces épreuves, ma- dame B... répondait âmes questions avec l'indolence ordinaire à son état. M. Oudet déploya sa trousse, le cliquetis de ses instruments ne parut causer aucune sen- sation; ma somnambule se croyait seule avec moi. Je la priai de me laisser voir sa dent malade (c'était une grosse molaire), elle ouvrit la bouche sans défiance, en disant : elle ne me fait plus de mal. M. Oudet plaça son instrument; au moment de l'avulsion, la tête sembla fuir un peu la main de l'opérateur, et nous enten- dîmes un léger cri. Ces deux signes de douleur eurent la rapidité de l'éclair : le pouls de la patiente était calme. Son visage n'indiquait pas la moindre émotion; ses mains étaient demeurées immobiles, sur ses genoux. Je me hâtai de lui adresser cette question : « Avez-vous souffert? » Elle me répondit tranquillement : « Pour- quoi soufïrir? » Elle ignorait ce qu'on venait de faire. Je lui offris un verre d'eau, en l'engageant à se laver la bouche; elle ne comprit pas ma recommandation, ne but ni ne cracha. « Pendant une demi-heure que je prolongeai encore son sommeil, je la fis beau- coup parler, mais je ne pus découvriren elle aucune marque de douleur. Éveillée, elle ne se douta de rien et ne se plaignait point d'abord : vingt minutes après elle porta sa main à sa bouche en disant : « Voilà ma dent qui va recommencer à me tour- menter. » Je lui appris enfin, à sa grande satisfaction, ce que j'avais fait pour lui épargner des terreurs et de la souffrance. » Après cette lecture faite par Oudet, différentes remarques furent présen- tées par des membres de l'Académie de médecine, pour atténuer la portée du fait dans lequel l'honorable dentiste avait été témoin et acteur à la fois. On rappela divers cas dans lesquels une insensibilité complète s'était mani- festée chez des opérés, par le seule effet de leur constitution, et sans que le magnétisme animal fût intervenu le moins du monde. Roux, chirurgien do l'Hôtel-Dieu, raconta qu'il avait fait subir une opération douloureuse et peu avouable, à une dame masquée, qui s'était rendue, pour cela, dans une mai- son étrangère. La mystérieuse malade, pour ne pas trahir son incognito, ne poussa pas un cri dans le cours de cette opération, qui dura cependant près d'un quart d'heure. Capuron affirma avoir vu une Allemande opérée par Dubois d'un cancer au sein, et qui ne proféra pas une plainte, dans l'opéra- tion. Le môme académicien avait vu, en 1822, un homme supporter, sans cesser de rire et de causer, une opération grave. Amusât raconta un fait LE MAGNÉTISME ANIMAL ?M analogue, et certes les chirurgiens n'auraient pas été embarrassés de grossir cette liste de personnes ayant supporté sans sourciller de grandes opérations chirurgicales : les annales de la médecine militaire sont riches en cas de. ce genre. On concluait de tout cela que le fait rapporté par Oudet, comme aussi le fait observé par J. Cloquet, et dont nous avons parlé à propos du rapport de Husson, c'est-à-dire l'amputation d'un sein supportée sans douleur, pou- vaient très bien s'expliquer sans recourir au magnétisme. La discussion s'animant, on alla plus loin, et l'on mit en question la vérité de plusieurs témoignages qui semblaient acquis à la cause du magné- tisme animal. Le docteur Bousquet s'exprima en ces termes : « Messieurs, tout le monde a la prétention de bien voir, tout le monde croit avoir bien vu, et vous savez combien un homme est fort lorsqu'il peut dire : .T'ai vu. C'est sans doute un grand avantage ; toutefois l'illusion est à côté de la réalité. Le D"' Georget croyait avoir bien vu ; il y paraît assez à la manière dont il parle du magné- tisme dans son ouvrage sur le système nerveux. Cependant on sait aujour- d'hui qu'il a été trompé par des misérables qui s'en vantent. Je tiens cela de M. Londe, le collaborateur du D' Georget et le témoin de toutes ses expé- riences. Ainsi, messieurs, le D' Georget est mort plein de foi dans le magné- tisme; son ouvrage reste, et l'auteur n'est pas là pour effacer les erreuis qu'il contient. » Ségalas déclara qu'ayant lui-même tenu les mains sur les yeux du jeuno homme dont avait parlé Husson dans son rapport, et cela pour l'empêcher de voir, il ne répondait pas qu'il eût complètement fermé les yeux. « Les yeux, ajouta-t-il, étaient agités de mouvements convulsifs; il a pu agiter les paupières et saisir quelques caractères, d'autant plus qu'il lisait lente- ment, en face d'une grande croisée, et qu'il a fait des fautes. » Pendant la même séance, Rochoux proposa de soumettre à la discussion le rapport de Husson. 11 paraît que c'était là une des malices habituelles de cet académicien, resté célèbre par sa verve caustique. Il ne se pas- sait guère d'année sans que Rochoux proposât de faire discuter par l'Aca- démie le rapport magnétique de Husson : c'était là son delenda Carthago. Chervin et Émery insistèrent, cette fois, sur la proposition de Rochoux, en faisant remarquer que les usages exigeaient que tout rapport fait à l'Aca- démie fût discuté. Mais Husson resta, comme à l'ordinaire, sourd à cet appel. Notons enfin que, pendant cette même séance de l'Académie de médecine (31 janvier 1837), le professeur Moreau fit une proposition dont la loyauté ne pouvait être contestée. « M. Moreau, est-il dit dans le Bulletin de T Aca- démie de médecine, est si désireux de connaître la vérité, qu'il propose à 40f) LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE tous les membres de l'Académie de se soumettre au magnétisme ; que s'il en est un seul sur qui le magnétisme produise des elïets, il est prêt cà se rendre; jusque-là il doutera'. » Les choses en étaient là, lorsque, pendant la séance suivante de l'Aca- démie, une lettre fut adressée au président par un jeune magnétiseur, nommé Berna. Elle était ainsi conçue : « Monsieur le président, « Malgré le rapport de la commission de 1826, et ses conclusions unanimement favorables au magnétisme, l'Académie se trouve encore divisée sur cette impor- tante question. « Une telle divergence d'opinions entre des hommes également éclairés se conçoit sans peine. Les uns ont vu, ce sont ceux qui croient ; les autres n'ont point vu, ce sont ceux qui nient; pour ceux-ci l'autorité n'est rien en pareille matière, ils ne veulent s'en rapporter qu'au témoignage de leurs propres sens. « Cette expérience personnelle, je viens la leur offrir, monsieur le président. Je propose de faire voir, sur des personnes que j'ai actuellement à ma disposition, des faits concluants en faveur du magnétisme. Ce moyen me semble plus rapide et plus sûr que celui qui consisterait à magnétiser successivement plusieurs membres de l'Académie, comme on a proposé de le faire. « Ma croyance au magnétisme n'est pas le fruit de l'enthousiasme ou d'un examen superficiel, mais de plusieurs années d'expériences et de méditation. Con- vaincu, d'ailleurs, que ces faits, quelque merveilleux qu'ils paraissent d'abord, n'ont rien, lorsqu'on y réfléchit, de contradictoire à la physiologie bien comprise, qu'il viennent l'éclairer, au contraire, et fournir à la thérapeutique de précieuses ressources, j'ai pensé qu'en appelant sur eux l'attention des médecins, dans un cours public, je servirais la science et la médecine. Je ne crois pas moins la servir encore aujourd'hui, en offrant à l'Académie les moyens de s'éclairer de nou- veau sur ce sujet, si elle le trouve convenable. , qu'en bien des circonstances les meilleurs somnambules perdent toute lucidité, < t que, comme le commun des mortels, ils ne peuvent plus voir par l'occiput, par l'estomac, pas même à travers un bandeau, admettons tout cela, si l'on veut; mai; que conclure à l'égard de cette femme, dans ses descriptions minutieuses d'objets autres que ceux qu'on lui présentait? Que conclure d'une somnambule qui décrit un valet de trèfle sur une carte blanche? Qui, dans un jeton d'académie, voit une montre d'or à cadran blanc et à lettres noires, et qui, si l'on eût insisté, aurait peut-être fini par nous dire l'heure que marquait cette montre?... « Que si maintenant, messieurs, vous demandez quelle conclusion dernière et générale nous devons inférer de l'ensemble de toutes les expériences faites sous nos yeux, nous vous dirons que M. Berna s'est fait, sans aucun doute, illusion à lui-même, lorsque, le 12 février de cette année il a écrit à l'Académie royale de médecine, qu'il se fait fort de nous donner l'expérience personnelle qui nous manquait (ce sont ses expressions) ; lorsqu'il s'offrait à faire voir à vos délégués des faits conc/wan^s; lorsqu'il affirmait que ces faits seraient dénature à éclairer la physiologie et la thérapeutique. Ces faits vous sont tous connus; vous savez comme nuus qu'ils ne sont rien moins que concluants en faveur de la doc- trine du magnétisme animal, et qu'ils ne peuvent avoir rien de commun, soit avec la physiologie, soit avec la thérapeutique. « Aurions-nous trouvé autre chose dans des faits plus nombreux, plus variés et fournis par d'autres magnétiseurs? C'est ce que nous ne chercherons pas à décider; mais ce qu'il y a de bien avéré, c'est que, s'il existe encore en effet aujour- d'hui d'autres magnétiseurs, ils n'ont pas osé se produire au grand jour, ils n'ont pas osé accepter la sanction ou la réprobation académique. <. Paris, n juillet 1837. « Signé : MM. Roux, président, Bouillaud, H. Cloquet, Emery, Pelletier, Ca- vENTOu, Cornât, Oudet, Dubois (d'Amiens), rapporteur. » Berna prolesta contre la partialité de ce rapport. De son côté, Husson, l'auteur du fameux rapport enterré de 1831, se trouvait trop directement atteint par les conclusions de ce nouveau travail, pour ne pas le prendre à partie. Il le fit avec énergie, avec toute l'énergie, nous devons le dire, d'un homme qui avait sérieusement étudié un système qui lui semblait mériter l'attention des savants, comme révélant des phénomènes importants au point de vue de la physiologie, et qui n'avait exprimé, dans son rapport, que des conclusions fondées sur des études longues et réfléchies. C'est ce que Husson développa dans une lecture faite à l'Académie de médecine, le 22 août 1837 : Opinion de M. Husson sur le rapport de M. Dubois {(r Amiens) relatif au mafjnélisrii.e animal. LE MAGNÉTISME ANIMAL 407 Husson frappait d'abord assez rudement sur le rapporleur, qu'il consi- dérait comme un adversaire personnel. « Convenait-il, disait Husson, d'accorder, sur celte matière, le rôle de rapporteur à un médecin qui, dès 1833, avait écrit contre le magnétisme animal, et s'était "déclaré en état d'hostilité contre les magnétiseurs. » Dubois (d'Amiens) concluait bien à tort, disait Husson, du particulier au général; il aurait dù intituler son travail : Résultat des expériences magnétiques faites sio' deux somnambules, et se garder de tirer de deux faits particuliers une conclusion générale. Si les expériences tentées sur les deux somnambules de Berna avaient échoué, cet insuccès ne constatait rien qui ne fût déjà connu. Dans le rapport de l'Aca- démie des sciences de 1784, dans son propre travail de 1831, on avait eu le soin d'établir que toutes les expériences de ce genre ne réussissaient point. On sait que rien n'est plus mobile, plus variable que les effets magnétiques, et c'est cette mobilité, cette inconstance, qui éloigne tant de personnes de s'en occuper et de l'étudier. Quels sont les faits en médecine pratique, en thérapeutique, en physiologie, qui soient toujours fixes et immuables?... N'est-il pas étrange aussi qu'on ait passé sous silence les faits positifs constatés dans le précédent rapport? '( Ils vous paraissent extraordinaires, disait Husson, mais devez-vous en conclure qu'ils n'ont pas eu Ueu? La portée de l'intelligence humaine est-elle donc la mesure de la réalité de tous les faits extraordinaires dont nous sommes environnés? Nous croyons, nous, à vos expériences sans en avoir été témoins; et vous, vous taisez les nôtres uniquement parce qu'elles contrarient vos idées conçues » Cependant la vive argumentation de Husson ne trouva aucun écho favo- rable dans le sein de l'Académie. « Je crois, disait Husson, en terminant sa lecture, que la seule conclusion que l'on puisse tirer de ce rapport, c'est que, dans les expériences faites par M. Berna devant la commission, elle n'a vu aucun des phénomènes que ce médecin lui avait annoncé devoir être produits. C'est la seule que je propose à l'Académie d'adopter, en passant à l'ordre du jour sur le reste du rapport » La proposition de passer à l'ordre du jour ne fut appuyée par personne. L'Académie, au contraire, adopta, après discussion, les conclusions du rapport de Frédéric Dubois. Au milieu des débats assez confus que soulevait, au sein de l'Académie de médecine, le rapport de Dubois (d'Amiens), une proposition émanée d'un membre de cette compagnie, le docteur Burdin, surgit, et vint poser de la 1. Burdin et Dubois (d'Amiens), Histoire académique du magnétisme animal, page 538. 2. Ibid., page 558. 408 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE manière la plus nette, une question, jusque-là, trop flottante parmi les incertitudes et les hasards d'une discussion publique. On avait beaucoup disserté sur la question de la clairvoyance des somnambules à travers les corps opaques, et fait de ce phénomène la pierre angulaire de l'édifice magnétique. Burdin alla droit au cœur de la question, en proposant, sur sa propre fortune, un prix de trois mille francs au somnambule ou à la personne quelconque qui pourrait lire sans le secours des yeux. C'est dans la séance du 5 septembre 1837 que le docteur Burdin, mon- tant à la tribune, fit, en ces termes, cette proposition à l'Académie: « Messieurs, dit Burdin, il a été fait mention dans le rapport de M. Dubois (d'A- miens), d'expériences relatives à la transposition du sens de la vue. Les essais n'ont été tentés que pendant une seule séance, sous plusieurs formes, il est vrai, et à plu, sieurs reprises, et enfin discontinuées seulement lorsqu'il a été bien démontré qu'on ne pouvait rien obtenir, mais sur un seul sujet. Les résultats ont donc été négatifs. Telle a été la conclusion de nos collègues, et elle particulière, comme elle l'est aux faits dont ils ont été témoins ; mais n'y aurait-il pas moyen d'obtenir une conclusion plus générale? « Ma conviction personnelle, comme médecin, comme physiologiste, est que toute conclusion sera toujours négative. Toutefois, afin de mettre un terme à des doutes qui pourraient rester dans l'esprit de quelques personnes, j'ai une proposition décisive à vous faire, proposition toute dans l'intérêt de la science, qui m'engage personnellement, il est vrai, mais qui placera la question sur un terrain bien limitc- sans issue, sans subterfuges, dans le cercle de Popilius, pour ainsi dire. « Voici, Messieurs, ma proposition : j'accorde un prix de trois mille francs à la personne qui aura la faculté de lire sans le secours des yeux et de la lumière. « Il est bien entendu qu'il ne peut être ici question de ces procédés à l'aide desquels un sens peut en suppléer un autre; par exemple de ces lectures faites par les aveugles, au moyen du toucher, sur des caractères en relief. J'entends que les objets à distinguer, à, discerner, à voir enfin, seront placés médiatement ou immé- diatement sur des régions autres que celle des yeux. « Si l'on accepte ma proposition, j'y mets les conditions suivantes : « 1° La somme sera préalablement déposée par moi chez un notaire, d'où elle ne pourra être retirée qu'après que la question aura été décidée; « 2" Les expériences devant prouver ou infirmer le fait seront déterminées, diri- gées et jugées par trois membres de l'Académie des sciences, et trois membres de votre société, nommés au scrutin secret. « Gomme les magnétiseurs prétendent qu'à chaque fois on ne peut reproduire ce phénomène, sans que pour cela sa réalité puisse être contestée en certains cas, le nombre des expériences, des essais, sera préalablement déterminé par MM. les commissaires. » Cette proposition, bien accueillie par l'Académie de médecine, fut envoyée au conseil d'administration. <( c'est madame VITOU QUI E.NTRE, » DIT-ELLK TRANQUILLEMENT (l'AGE 413) H. 52 LE MAGNETISME ANIMAL 4H Dans la séance suivante, le 12 septembre i837, ce conseil proposa à l'Académie : « 1° D'accepter le dépôt fait par M. Burdin, cliez un notaire, de la somme de trois mille francs destinée à être donnée en prime à qui donnera la preuve de fait qu'on peut lire sans le secours des yeux, de la lumière et du toucher; « 2° De faire surveiller les épreuves par une commission de sept membres, pris uniquement dans le sein de l'Académie ; « 3° De limiter à deux années le temps de ces épreuves, à moins que le prix n'ait été mérité plus tôt. » Cette proposition fut immédiatement adoptée par TAcadémie. La commission qui fut nommée, dans la séance suivante, pour la mise à exécution du programme posé par Burdin, se composait des docteurs Fré- déric Dubois, Double, Cbomel, Husson, Louis, Gérardin et Moreau. Elle se réunit pour la première fois, le 27 janvier 1838. En réponse à son défi, l'Académie de médecine n'avait reçu qu'un bien petit nombre de communications. La proposition faite par Burdin n'avait trouvé que deux personnes acceptant réellement le programme proposé. Toutes les autres, le docteur Biermann, médecin du roi de Hanovre, le docteur Bergeron, médecin à Brou (Eure-et-Loir), le docteur Marc Despines, inspecteur des eaux d'Aix-en-Savoie, et Ricard, magnétiseur à Bordeaux, après avoir écrit ci l'Académie, à l'occasion du programme pro- posé, ne donnèrent aucune suite à leur lettre. Cependant, l'un d'eux, lîicard, avait l'écrit que « plus de mille magnétiseurs pourraient montrer des somnambules ayant la faculté de voir sans le secours des yeux, » et le docteur Marc Despines avait affirmé qu'il avait « eu le bonheur de traiter, pour sa part, plus de vingt malades chez qui il avait pu constater le déplacement des sens, et d'avoir été témoin plus de deux mille fois de cette perception des sens pathologiquement déplacés. » Les deux magnétiseurs qui avaient relevé le défi du docteur Burdin, et qui présentèrent leurs somnambules, pour être soumis à l'épreuve proposée, furent Pigeaire, de Montpellier, et le docteur Hublier, médecin des hospices de Provins. De ces deux concurrents au prix Burdin, Pigeaire est celui qui a le plus occupé le public et les journaux de cette époque. Il sera facile pour nous de relater exactement les faits qui se rapportent à Pigeaire, notre com- patriote, et que nous avons intimement connu. Bien qu'il eût obtenu le grade de docteur en médecine, Pigeaire était vétérinaire en chef du département de l'Hérault, et chargé, à ce titre, de la direction d'une petile école vétérinaire départementale, établie au chef-lieu, 412 LES MYSTERES DE LA SCIENCE à Montpellier. Il habitait, place de la Croix-de-Fer, un vaste jardin, sur rem- placement duquel s'élève aujourd'hui une partie du quartier qui a été bâti près du chemin de fer de Celte. Je crois voir encore ce beau jardin, rempli de buissons de laurier et de chèvrefeuille, dans lequel, tout enfant, j'allais courir et jouer avec de jeunes camarades et les deux demoiselles Pigeaire, âgées de cinq ou six ans. Nous passions vite, en retenant notre souffle, devant l'amphithéâtre d'anatomie qui servait aux leçons de Pigeaire. Cet amphithéâtre était, en effet, rempli de squelettes de chevaux, de solipèdes et ruminants, qui, à travers la porte entre-bâillée, nous regardaient, avec leurs grands orbites vides, du haut de leurs longues jambes décharnées. Voici comment Pigeaire, ou plutôt madame Pigeaire, fut amenée à s'oc- cuper de magnétisme, et à découvrir dans sa jeune fdle, Léonide, alors âgée de onze ans, la rare faculté qui devait la faire prétendre au prix de l'Aca- démie de médecine de Paris. Un magnétiseur, Dupotet, qui devait plus tard tenir la première place parmi les chefs de l'école magnétique, vint à Montpellier, en 1836, pour y prêcher la doctrine. Il demanda l'autorisation de se livrer, dans les hôpitaux civils de Montpellier, à des expériences de magnétisme, comme Robouam, Foissac, Rostan et lui-même en avaient fait dans les hôpitaux de Paris. Cette autorisation lui fut refusée. Dupotet ne se laissa pas rebuter par ce premier échec; il fit annoncer, par des affiches posées dans la ville, un cours public de magnétisme animal. Le recteur, qui était alors à la tête de l'Académie universitaire de Mont- pellier, était Gergonne, homme d'un véritable génie mathématique, mais qui apportait dans ses relations avec ses administrés, et même avec le ministre de l'instruction publique, des formes excentriques et quelquefois agressives. Gergonne n'entendait pas raillerie sur le chapitre du magnétisme animal : au jour annoncé pour l'ouverture du cours public de Dupotet, le local où devait avoir lieu la première leçon, se trouva occupé par des gen- darmes, qui avaient mission de congédier les amateurs. Le lendemain, Dupotet recevait, du recteur de l'Académie, une assigna- tion à comparaître en police correctionnelle. Un jugement intervint, en effet, mais le magnétiseur obtint gain de cause. Le recteur, qui n'abandonnait pas aisément la partie, fit appel de ce juge- ment devant la Cour royale. Uoe affluence immense se pressait dans le prétoire de la Cour, lorsque Dupotet vint défendre, en personne, sa cause el celle de la doctrine incriminée. Ses convictions passèrent dans l'esprit des juges. On ne vit pas, dans l'exposition d'un système nouveau de médecine, LE MAGNÉTISME ANIMAL 413 matière à condamnation de la part de la magistrature, et le magnétiseur sortit triomphant de ce nouveau débat. On comprend le retentissement d'une pareille affaire dans une ville de province, et le mouvement qui dut s'ensuivre, en faveur du magnétiseur tout fraîchement échappé à la vindicte universitaire et judiciaire. Dupotet n'ouvrit pas de cours, mais il compta bientôt une clientèle immense. On aurait peuplé un hôpital d'incurables des nombreux malades qui venaient chaque jour se presser à ses séances ou à ses consultations. Pigeaire ayant assisté, comme beaucoup d'autres curieux, à l'une des séances magnétiques de Dupotet, dans la seule intention de s'édifier sur les merveilles que la ville en racontait, fut frappé des phénomènes dont il était témoin. Il fréquenta dès lors ces séances, avec un intérêt croissant, et ma- dame Pigeaire, que la curiosité avait portée à accompagner son mari, y prenait quelque intérêt, de son côté. Un soir, comme madame Pigeaire se trouvait seule, avec ses deux filles, elle eut la fantaisie de répéter, en agissant sur l'une d'elles, les passes qu'elle voyait pratiquer par Dupotet sur ses clients. En moins de dix minutes, la jeune Léonide était dans un état complet de somnambulisme. Le même essai, plusieurs fois répété, réussit toujours. Ce petit événement fit un certain bruit dans la famille. On était curieux de voir les prouesses magnétiques de cette enfant. Un jour, par, exemple, Léonide, alors en somnambulisme, entend ouvrir la première porte de appartement: « C'est madame Vitou qui entre», dit-elle, tranquillement. Madame Vitou était une marchande à la toilette, qui allait colporter, de maison en maison, des étoffes et des objets de fantaisie. Fort surprise d'avoir été annoncée d'une manière si insolite, c'est-à-dire avant d'avoir fait son apparition, elle refusa de croire à ce miracle. « Bon, dit-elle, vous faites comme ce charlatan dont on parle ; mais on sait bien qu'il n'endort qu'avec certaines drogues qu'il tient dans ses mains. <> Madame Pigeaire lui montre ses deux mains, qui ne sentaient guère la drogue. La marchande les flaire : « C'est vrai, dit-elle, il n'y a rien! C'est bien singulier ! Et vous endormez votre enfant rien qu'avec vos deux mains ? C'est impossible ! » Pour la convaincre, et un peu pour la punir de son incrédulité, on propose à la revendeuse de la magnétiser elle-même. Elle accepte; on installe dans un fauteuil sa robuste personne, et madame Pigeaire se met à la magnétiser. Un quart d'heure après, madame Vitou ronflait comme une toupie. On pinçait ses mains, elle ne faisait aucun mouvement. Elle n'entendait aucun des bruits provoqués autour d'elle. On criait à ses oreilles : madame Vitou! 414 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE madame Y'itou ! Bah ! Madame Vitou n'aurait pas entendu le canon de la citadelle. Pigeaire eut alors une idée triomphante : « Ne la réveillez pas encore, dit-il à madame Pigeaire; laissez- la dormir quelques heures. Il est quatre heures et demi, il ne faut la démagnétiser qu'à la nuit close : elle croirail, sans cela, n'avoir pas dormi. » Ce qui fut dit fut fait : on laissa la marchande à la toilette ronfler dans son fauteuil. La nuit venue, on alluma les lampes, et alors seulement madame Pigeaire lui demanda si elle voulait être réveillée : « Oui, madame, » répondit-elle en français, elle qui, d'ordinaire, ne parlait que le patois. Au moment de son réveil, elle fut au comble de la surprise. « Dieu ? s'écria-t-elle, il est nuit, et il était grand jour quand je suis entrée? Et Madame.... qui m'attendait à cinq heures ! » Elle s'élance sur son paquet de marchandises, et s'écrie, en s'en allant, dans son patois énergique : Una grossa beslia comme ieou, me soui lais- sada enclaoïisi! Madama^ ses una masqua! « Une grosse bête comme moi, je me suis laissée fasciner ! Madame, vous êtes sorcière ! » ^ Toute la ville s'amusa de cette scène. Cependant les facultés somnambuliques de la jeune Léonide prenaient du développement. Mademoiselle Pigeaire était parvenue, disait-on, à lire un écrit enfermé dans une tabatière; elle discernait les organes intérieurs du corps, et donnait des consultations médicales. Madame Bonnard, ma cou- sine, se croyait enceinte; cette jeune enfant [de onze ans, perçant de sa vue l'épaisseur des organes, déclara à madame Bonnard qu'elle se trompait. Elle donna des conseils à la servante de madame Chamayou, une autre de mes cousines. La dite servante était affectée de surdité. On déclara cette fille guérie, mais, en réaUté, la pauvre Jeanneton était, huit jours après son traitement magnétique, un peu plus sourde qu'auparavant. Madame Pigeaire qui prenait goût à ces distractions, s'amusait à magné- tiser tout son entourage. Elle essaya de me magnétiser à mon tour. Il faut savoir que M. Pigeaire était l'homme le plus laid de France, mais que madame Pigeaire, était la plus jolie femme de Montpellier. Jamais elle ne put m'endormir ! Comment fermer les yeux, quand on a dix-huit ans, et que l'on voit la main fine et blanche d'une femme flotter et papilloner, avec grâce, au-dessus de votre tête? Montpellier est , comme on le sait, le siège d'une Faculté de médecine, d'un antique renom. Toutes ces merveilles ne pouvaient se produire sans beaucoup émouvoir le savant personnel de la Faculté. Il est à noter, d'ailleurs, LE MAGNÉTISME ANIMALE 415 que quelques professeurs de l'École de médecine étaient loin de repousser le magnétisme animal. Lordat, le plus illustre représentant du vitalisme médical à Montpellier, ne cachait point ses prédilections pour ces idées, qui concordent assez bien avec sa doctrine du sens intime et de la force vitale, et des harmonies de ces deux forces. Dans ses célèbres leçons de physiologie, Lordat a plus d'une fois défendu le magnétisme animal, et Kûnholtz, son fils adoptif, était un magnétiseur très convaincu, qui avait beaucoup expé- rimenté en faveur de ce système. Mais tous les membres de la Faculté ne partageaient pas cette opinion. Le chirurgien Lallemand, alors professeur de clinique chirurgicale à Mont- pelher, malgré son amitié pour Pigeaire, ne se rendait pas facilement, et un agrégé de l'École de médecine, Eugène Delmas, accoucheur instruit, avait fait une vive opposition à la réalité des facultés intra-visuelles de la jeune Léonide. C'est dans ces circonstances que l'on reçut, à Montpellier, la nouvelle du prix proposé par le docteur Burdin, au somnambule qui parviendrait à lire sans le secours de ses yeux. Le défi académique arrivait à point nommé, et Pigeaire était homme à le relever. Après avoir écrit à l'Académie de méde- cine, pour demander que MM. Dubois (d'Amiens) et Burdin vinssent à Montpellier se convaincre par eux-mêmes de la réalité du fait qu'il annon- çait, Pigeaire prit une résolution mieux en harmonie avec les conditions du programme posé par Burdin : il partit pour Paris, prêt à relever le défi académique, avec le secours de son enfant. Déjà le professeur Lordat avait adressé à l'Académie de médecine un pro- cès-verbal, dressé par lui, constatant le fait qu'il avait observé de la clair- voyance magnétique de mademoiselle Léonide. Mais Pigeaire apportait mieux qu'un procès-verbal : il allait présenter le sujet lui-même. Arrivé à Paris, Pigeaire commença par faire, devant plusieurs personnes étrangères à l'art de guérir et devant quelques médecins, des expériences de clairvoyance, qui parurent convaincantes à tout le monde. La jeune Léo- nide, les yeux couverts d'un très épais bandeau, parvint plusieurs fois à lire et à jouer aux cartes, à la satisfaction générale. Parmi les médecins qui assistèrent à ces premières expériences, effec- tuées en dehors de la commission de l'Académie, on remarque les noms de Guéneau de Mussy, Adelon, Bousquet, Delens, Ribes, Esquirol, Orfila, J. Cloquet, Pelletier, Réveillé-Parise, Pariset, etc. Bousquet, Orfila, Ribes, Pariset, Réveillé-Parise, Arago, furent particu- lièrement frappés de la réalité de ce phénomène. Des personnages célèbres, mais étrangers à la science, tels que madame George Sand, MM. Léon 4i6 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Faucher, de Lesseps, André Delrieu, Albéric Second, signèrent des procès- verbaux attestant la clairvoyance de la jeune somnambule. Mais, d'autre part plusieurs médecins, parmi lesquels nous citerons Gerdy, Velpeau, Cornac, Roche, Villeneuve, expliquaient le fait de la vision chez mademoiselle Pigeaire en prétendant qu'il n'était dû qu'au décol- lement partiel du bandeau. En effet, la clairvoyance ne se manifestait qu'au bout d'une longue attente, qui allait quelquefois jusqu'à deux heures. Le livre devait être bien éclairé et placé sous les yeux de la somnambule, dans la situation ordinaire de la lecture. Pendant le long intervalle qui s'écoulait, l'agitation du sujet, les mouvements répétés des muscles de la face, devaient avoir pour résultat de faire relâcher ou décoller certains points du bandeau, et permettre ainsi la vision par ces pertuis accidentels. La jeune personne ne pouvait lire que dans la seule position que nous avons indiquée; si on élevait le livre un peu au-dessus de la direction rectiligne de la vision, si on le plaçait derrière la tête, bien plus, si on interposait une simple feuille de papier au-devant des yeux, ou sur les caractères, la clairvoyance s'arrêtait, Velpeau, en appliquant ce même bandeau sur ses yeux, parvint, après un certain temps d'efforts et de contorsions de la face, à lire, devant plusieurs personnes, et Gerdy se rendit plus habile encore dans le même exercice. On trouve dans son ouvrage sur la Phgsiologie de longs détails sur ce points. Cependant, favorables ou contraires, tous ces essais préliminaies ne pouvaient avoir aucune valeur. C'était à la commission de l'Académie de médecine qu'il appartenait seule d'examiner et de prononcer, puisque c'était l'Académie qui avait porté le défi que Pigeaire avait accepté. Mais ici, des difficultés imprévues se présentèrent et eurent pour résultat d'empêcher la commission de s'occuper de l'examen du phénomène annoncé. Le bandeau avec lequel mademoiselle Pigeaire avait l'habitude de lire, se composait de plusieurs morceaux, superposés, de coton non cardé et de taffetas ; on le fixait autour des yeux avec des lanières de dia- chylum. La commission n'était pas contente de ce bandeau qui ne lui paraissait pas produire une occlusion complète des yeux. Elle présenta d.onc à Pigeaire un nouveau modèle de bandeau; c'était une espèce de masque de soie, qui couvrait presque toute la figure. Pigeaire refusa obstinément ce moyen d'occlusion. Il ne voulait pas se départir de son bandeau habituel, qui ne couvrait que les yeux et laissait à découvert le bas du visage. « Une somnambule, disait-il, n'est pas un instrument de physique; on ne la manie pas à son caprice. Un masque, fût-il de verre, s'opposerait à la production du phénomène, en brisant le rapport qui LE MAGNÉTISME ANIMAL 4:9 semble s'élablir entre la somnambule et l'objet qu'elle considère. » Il pro- posa à l'Académie, si elle avait quelques soupçons sur l'opacité complète du bandeau usité, d'en faire constraire un autre de la même forme, pour ne pas contrarier la petite somnambule, qui en avait contracté l'habitude. Un membre de la commission proposa alors de supprimer toute espèce de bandeau, et de se borner à interposer une feuille de papier blanc entre le livre et les yeux de la somnambule. Pigeaire ayant refusé cette dernière condition, la commission de l'Académie crut devoir rompre tout autre rapport avec lui, et les choses en restèrent là. La commission n'examina point la somnambule, et aucune épreuve n'eut lieu. Cette résolution est à regretter. Peut-être la commission eût-elle bien fait de subir toutes les conditions imposées par Pigeaire, c'est-à-dire de laisser à la somnambule son bandeau habituel, quitte à s'efforcer de prouver par tous les moyens possibles que ce bandeau laissait passer la lumière. On aurait ainsi vaincu le sujet sur son propre terrain. Ce parti n'ayant pas été pris, on n'est plus en droit aujourd'hui de rien affirmer de positif concer- nant les faits que nous venons de raconter. On n'a d'autre moyen de s'éclai- rer sur ce point, que la comparaison de dires contradictoires des deux partis. On les trouvera, d'une part, dans l'ouvrage de MM. Burdin et Fré- déric Dubois', et d'autre part, dans un livre que Pigeaire a publié, pour raconter son différent avec l'Académie de médecine ^ Nous ajouterons seulement qu) nous nous rangeons à l'opinion qui explique la réussite des expériences de Pigeaire à Montpellier, par le décollement partiel du bandeau. Les somnambules magnétiques jouissent d'une exaltation notable des sens. Tantôt l'ouïe, tantôt la vue, s'exercent souvent dans cet état physiologique, avec un degré extraordinaire de perfec- tion et d'acuité. Tel était sans doute le cas de mademoiselle Léonide. Une très faible portion de lumière, se tamisant à travers les interstices qui se produisaient dans i'étoffe du bandeau, après quelque temps d'échauffement et d'agitation, lui permettait de lire, grâce à l'exaltation à laquelle était alors porté le sens de la vue. Comme, d'ailleurs, les somnambules ne con- servent point le souvenir des actes qu'ils ont accomplis pendant leur som- meil, on comprend que celte très simple et très honnête enfant, ne s'imaginât point tromper les assistants, et n'eût point conscience de la manière dont cette vision se réalisait chez elle. Telle est l'opinion que nous nous sommes formée après avoir eu pleine {. Histoire académique du magnétisme animal, pages 584-612. 2. Puissance de l'électricité animale, ou du 7narjnéli^me vital et de ses rafqjorls avec la physique, la physijloijie et la médecine, 1 vol. iu-8. Paris, 1830. 420 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE connaissance des diverses particularités relatives à l'incident que nous venons de raconter. Arrivons au second concurrent du prix Burdin, c'est-à-dire à Hublier, de Bordeaux. Ce magnétiseur après avoir écrit à l'Académie de médecine, pour déclarer qu'il acceptait, pour une de ses somnambules, le programme de Burdin, ne cessait de demander des atermoiements, avant de se décider à produire ce précieux sujet devant la commission. Cependant le délai fixé par Burdin pour la clôture de cette espèce de concours, allait expirer. Ces deux circonstances amenèrent Burdin à prolonger le terme accordé aux concurrents. L'époque de la clôture fut portée au mois d'octobre 1840. Hublier eut ainsi le loisir de redoubler d'efforts dans l'éducation de son « excellente somnambule. » Malgré tous ses soins, il n'était pas encore parvenu, néanmoins, à parachever cette éducation difficile. Les lettres et procès-verbaux qu'il adres- sait à l'Académie étaient remplis des plus séduisantes promesses ; mais au moment d'affronter la commission académique, magnétiseur et somnam- bule reculaient d'un commun accord. Cependant le terme fatal avançait, et un magnétiseur de Paris, le docteur Frappart, écrivait à Hublier : « Vous n'avez plus que dix jours pour gagner le prix académique ; s'il vous tente encore, venez. » Hublier se décida enfin à faire partir pour Paris mademoiselle Émélie, sa somnam- bule, qu'il adressa à son ami, le docteur Frappart, pour la produire devant l'Académie. Le docteur Frappart n'eut pas à accomplir cet office. Avant d'aborder l'Académie avec la somnambule qui lui était expédiée de Bordeaux, il voulut s'assurer de la réalité de sa clairvoyance magnétique. Or, dans les épreuves auxquelles il la soumit, Frappart découvrit le secret de la supercherie qu'elle employait. Mademoiselle Émélie exigeait qu'on la laissât seule quelque temps en présence du livre à lire : une fois à l'abri de tout examen, elle copiait au crayon sur un petit morceau de papier les passages qu'elle devait lire quelques instants après. On a peine à comprendre que le magnétiseur de Bordeaux se fût laissé prendre à une fraude si gros- sière. Il est certain pourtant qu'il fut abasourdi tout le premier, lorsqu'à son arrivée à Paris, Frappart lui montra, de visu^ l'innocente Émélie enfermée seule dans un cabinet, se hâtant de copier les quelques lignes du livre qu'elle s'était vantée de pouvoir lire bientôt après sans l'ouvrir. La lettre suivante, que Hublier eut la loyauté d'écrire à Frappart, après cette instructive démonstration, montre suffisamment que la commission de l'Académie de médecine n'eut pas besoin de faire comparaître à sa barre LE MAGNÉTISME ANIMAL 421 cette clairvoyante émérite, si honteusement prise la main dans le sac par son propre instituteur. M. Hublier à M. Frappart. Paris, 4 octobre 1840. « Mon très honoré confrère, « Je suis attéré, meurtri, confondu de tout ce que vous m'avez fait voir ce matin. Quatre ans d'astuce ! quelle persévérance audacieuse I Oh ! c'est une maîtresse femme que mademoiselle Emélie; mais vous, qui êtes aussi un maître homme, en quatre jours vous l'avez démasquée. Je vous en remercie et vous en félicite. >< Je ne viens pas vous demander le silence, ni de me ménager; bien au contraire, frappez sur moi, puisque, comme vous l'avez dit, avant son triomphe, la vérité veut des martyrs et des victimes. Toutefois, je ne sais plus si je crois encore à quelque chose ; j'ai besoin de me recueillir. « Votre tout dévoué confrère, « HUBLTER, D.-M.-P. » Un troisième magnétiseur, Teste, éprouva devant la même commission de l'Académie de médecine, une déconvenue comparable à la précédente. Teste se vantait de posséder une somnambule qui avait la faculté de lire de l'écriture ou un imprimé enfermés dans une boîte. C'était tout ce que l'on voulait ; avec des conditions si nettement posées, il n'y avait ni à débattre ni à attendre. Aussi le magnétiseur et la commission de l'Académie furent-ils bien vite en présence. Or voici le résultat de cette entrevue. Ce sera le der- nier trait de cette histoire, qui touche à sa fin. Le Bulletin de r Académie de médecine rapporte, comme il suit, l'en- trevue de la commission et de la somnambule de Teste. « A sept heures moins un quart, dit le rapporteur (M. Double), la commission, composée de MM. Ilusson, Louis, Ghomel, Gérardin, Dubois et Double, était ras- semblée dans le salon de M. le docteur Teste, qui la reçut avec toute l'urbanité désirable. « M. Teste nous montra dés l'abord, sur une table ronde placée au miUeu du salon, une boite en carton et plusieurs fragments d'écritures et de caractères imprimés. <( Le président de la commission déclara que, d'après l'invitation qu'il en avait reçue au nom de M. Teste lui-même, il s'était muni de boîtes en carton et en bois de grandeurs différentes et toutes contenant des fragments d'imprimés en beaux caractères, et qu'il désirait que l'on ne fit usage que d'une de ces boîtes. Deux de ces boîtes, de la grandeur du format in-i" environ, contenaient chacune une page d'impression même formai, toujours en caractères cicéro. Ces deux là furent mises de côté comme trop grandes. Une troisième boîte en carton, très petite, renfermait une seule ligne et cinq à six mots, vingt-cinq lettres environ, imprimés en petites capitales. M. Teste avait adopté celle-là. Plusieurs membres de la commission la repoussèrent, comme trop petite et ne contenant pas d'ailleurs le caractère cicéro 422 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE demandé. M. Teste et la commission adoptèrent unanimement une boîte en carton carrée, étroite, longue, ayant cent soixante-cinq millimètres de longueur et cin- quante millimètres de largeur. Du texte caractère cicéro était placé à plat et libre dans la boîte, laquelle était d'ailleurs scellée par deux petites bandes de papier cacheté aux deux extrémités. « M. Teste introduisit la somnambule dans le salon. C'est une jeune femme brune et d'ailleurs de figure et de tournure agréables. Après l'avoir placée sur une chaise dans un angle du salon, les membres de la commission étant assis à une petite dis- tance de la somnambule, mais de manière à suivre tous ses mouvements, celle-ci fut magnétisée par M. Teste à l'aide d'une vingtaine de passes ; aussitôt il la déclara en somnambulisme, et il lui remit la boîte choisie qu'il reçut immédiatement des mains du président de la commission, lequel avait indiqué, d'après la demande qui en avait été faite, la direction des lignes et des lettres sur le fragment de papier imprimé contenu dans la boîte. Peu après, M. Teste demanda à la somnambule si elle pourrait lire dans l'intérieur de la boîte; elle répondit affirmativement. Il lui demanda dans combien de temps elle croyait pouvoir lire ; elle répondit : a Dans dix minutes; » et tout cela avec une assurance et une conviction vraiment effrayantes. <( Cependant la somnambule regardait la boîte ; la remuait et la retournait entre ses mains. Dans ses mouvements, elle déchira une des bandes qui servait à sceller a boîte. La remarque en fut faite, et sous ce rapport les choses n'ont pas été poussées plus loin. c< L'embarras de la somnambule paraissait aller toujours croissant, elle se con- sumait vainement en efforts, en apparence du moins, très fatigants. La longueur des lignes (c'étaient des vers), ne remplissait pas toute la longueur de la boîte : il y avait un assez grand espace de papier blanc ; et c'est sur cet espace libre que se portaient surtout l'attention et les doigts de la somnambule, qui semblait vouloir épeler sur un point où il n'y avait point de lettres. Elle avait annoncé pouvoir lire en dix minutes; une demi-heure, une heure même s'était écoulée ainsi. Le magné- tiseur demanda à la somnambule combien de lignes il y avait dans la boîte. Elle dit qu'il y en avait deux ; il la pressa de lire; elle annonça qu'elle voyait le mot tious, et, plus tard, le mot sommes : nous sommes. Enfin, la somnambule ayant déclaré qu'elle ne pouvait en lire davantage, la boîte fut retirée de ses mains; le magnéti- seur fit cesser le sommeil magnétique, et la somnambule quitta immédiatement le salon. « La boîte fut ouverte aussitôt en présence de M. Teste; le fragment de papier imprimé qu'elle renfermait contenait les six vers suivants, extraits du discours de Marius, imité de Salluste, dans la Guerre de Jugurtha, par M. le vicomte Leprévost d'Iray, membre de l'Institut, académie des inscriptions et belles lettres : h Encore ua mot, Romains, tout est mûr pour fa gloire, Ma dernière parole est un cri de victoire ; Nos succès fussent-ils dilïérents ou dnuteuy, S'arrêter est fatal, reculer est honteux. Choisissez : Rome libre ou la patrie esclave. _ La mort, effroi du fâche, est la palme du bravo. »' LE MAGNETISME AKLUAL 423 h était difficile, on le voit, d'échouer plus complètement. La somnam- bule avait vu deux lignes là où il y avait six vers ; elle avait lu les mots : ?îous sommes; or, dans ces six vers, il n'y avait ni /îoî(s, ni sommes. En présence de ce dernier résultat, ajouté aux échecs précédemment constatés. Double proposa que l'Académie de médecine s'abstînt, à l'avenir, de s'occuper du magnétisme animal, et qu'elle refusât désormais son attention à cette question, comme l'Académie des sciences refuse de s'oc- cuper de la quadrature du cer leedcta mouvement perpétuel. L'Académie adopta cette proposition. Ce fut une grande faute, car dans les sciences, comme dans la vie, il ne faut jamais engager l'avenir. L'Académie de médecine de Paris, qui, en 1840, jurait ses grands dieux de ne s'occuper jamais de magnétisme animal, l'acceptait sans sourciller, quarante années après, des mains d'un de ses membres, le professeur Charcot. Il est vrai que le magnétisme animal dissi- mulait son nom, et se présentait sous le masque trompeur de X hypnotisme. Grâce à ce simple changement de vocable, le magnétisme de Mesmer, do Fuységur et de Dupotet était admis cà tous les honneurs des séances, et les mêmes académiciens qui s'étaient engagés à ne jamais prendre au sérieux la doctrine magnétique, s'appliquaient, à l'envi, à l'étudier, à l'approfondir, à faire de ses procédés un agent nouveau de l'art de guérir. Le proverbe populaire qui dit : Fontaine je ne boirai de ton eau, devrait être présent à l'esprit des savants, quand ils se sentent enclins à rendre» contre un système ou une théorie, un décret d'ostracisme. XV Théories pour l'explication des phénomènes du magnétisme animal. — Théorie de Mesmer : l'agent ou fluide universel. — Théorie développée dans le rapport de Bailly : théorie de l'imagination. — Théorie du fluide magnétique. — Théorie spiritiste. — Théorie magnéto-magique. Conformément au plan de cet ouvrage, nous avons à présenter, après l'histoire qu'on vient de lire, le tableau des théories diverses qui ont été invoquées pour se rendre compte des phénomènes du magnétisme animal, et à essayer de fournir, à notre tour, l'explication naturelle des mêmes faits. Théorie de Mesmer^ ou théorie de Vagent universel. — Nous avons assez longuement parlé, dans le cours de ce volume, de la théorie de Mesmer, pour qu'il nous suffise maintenant de quelques mots pour la rap peler. D'après le médecin viennois, les effets qui se produisaient chez ses malades, et dans les corps vivants en général, par l'influence du baquet ou par l'action des manipulations magnétiques, étaient dus aux mouvements d'un fluide particulier, uniformément répandu dans l'univers. « Ce fluide, disait Mesmer, est le moyen d'une influence mutuelle entre les corps célestes, la terre et les corps animés ; il est continué de manière à ne souffrir aucun vide; sa stabilité ne permet aucune comparaison ; il est capable de recevoir, pro- pager, communiquer toutes les impressions du mouvement ; il est susceptible du flux et du reflux. Le corps animal prouve les efi"ets de cet agent, etc'estens'insinuantdans la substance desnerfs qu'il les afi"ecte immédiatement. Onreconnaît particulièrement dans le corps humain des propriétés analogues à celles de l'aimant ; on y distingue des pôles également divers et opposés. L'action et la vertu du magnétisme animal peuvent être communiquées d'un corps à d'autres corps animés et inanimés. Cette action a lieu à une distance éloignée, sans le secours d'aucun corps intermédiaire; elle est augmentée, réfléchie par les glaces, communiquée, propagée, augmentée parle son; cette vertu peut être accumulée, concentrée, transportée. Quoique ce fluide soit universel, tous les corps animés n'en sont pas également susceptibles ; il en est même, quoique en petit nombre, qui ont une propriété si opposée, que leur seule présence détruit tout les efl'ets de ce fluide dans les autres corps*. » 1. Rapport de Bailly. II. MORT DE PEUR (PAGE 428] 54 LE MAGNETISME ANIMAL 427 Il serait superflu d'entreprendre une réfutation en règle de ces idées. Les plus ardents propagateurs de la doctrine de Mesmer en ont fait eux-mêmes la meilleure critique, en la délaissant, bien peu après l'époque où l'avocat Bergasse en avait formulé les préceptes et rédigé le code dans ses Considé- rations sur le magnétisme animal. Mesmer avait à peine quitté la France, que sa théorie de l'agent universel, payée à un si haut prix par les sous- cripteurs de la Société de V harmonie ne comptait plus un seul défenseur. Sans doute, le manuel pratique qu'il avait enseigné continuait à être observé avec une dévotion fervente, car ses résultats étaient positifs et manifestes, mais la partie doctrinale de ce système, c'est-à-dire le fluide universel, les pôles magnétiques opposés, la réflexion, la concentration, le flux et le reflux de l'agent universel, les corps magnétiques et antimagnéliques, tout cela tombait dans le plus profond oubli, on [)ourrait même dire dans le mépris philosophique. Un des élèves de Deslon, le docteur Doppet, de la Faculté de Turin, dit un jour, en parlant du secret de Mesmer : Ceux qui le savent en doutent plus que ceux qui fignorent. Ne devant pas être ici plus indulgent que les élèves de Mesmer, nous passerons, sans nous y arrêter davantage, sur cette doctrine qui ne faisait que reproduire les idées surannées des Maxwel, des Robert Flud et autres illuminés du xvif siècle. TJiéorie développée dans le rapport de Bailly , ou Thôorie de l'ima- gination. — Les principes posés dans le célèbre rapport qui fut rédigé, en 1784, par Bailly, au nom de la commission royale, ont servi jusqu'ici de règle et de code aux Académies. La commission avait à expliquer des fails d'un caractère extraordinaire et anormal : ces crises nerveuses, ces violentes attaques de nerfs, ces transports de délire qu'un certain nombre de sujets fort impressionnables ressentaient par l'action des passes magnétiques de Mesmer et de ses aides. Comme ici aucune cause visible, aucune action extérieure n'était enjeu, la solution du problème exigeait un puissant degré de sagacité. La théorie qui fut invoquée parles commissaires du roi, et que Bailly formula dans son célèbre rapport, fut sans doute incomplète, elle n'expliquait pas, et elle ne pouvait expliquer des phénomènes qui no devaient surgir que plus tard; mais, cette réserve faite, on doit reconnaitrc que le travail des commissaires royaux fut, pour cette époque, une œuvre remarquable de discussion philosophique. Bailly proclame, dans ce travail, que l'imagination est la cause principale, des agitations nerveuses et des crises qui éclataient autour du baquet mesmérien. Il faut lire la série, habilement enchaînée, de faits d'analogie, que l'auteur invoque pour prépnrer, rendre plausible et faire admettre finalement une théorie qui, au premier abord, semble en disproportion avec 428 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE l'intensité et la violence des effets à expliquer. Les expériences faites par les commissaires sur des individus magnétisés, venaient appuyer cette expli- cation, mais ne remplissaient pas suffisamment l'objet proposé. Des individus avaient éprouvé tous les effets ordinaires de la magnétisation, parce qu'ils croyaient le magnétiseur présent, ce qui n'existait pas; d'un autre côté, ils n'avaient rien éprouvé quand le magnétiseur opérait sur eux à leur insu. Nous avons précédemment assez insisté sur ces expériences démonstratives pour n'avoir pas à y revenir. Aux personnes qui taxeraient d'hypothèse ou l'insuffisance, ce recours à l'imagination, nous rappellerons que l'imagination, comme cause agissant sur l'économie, n'est pas une invocation vague et arbitraire. L'imagination agit avec une véritable puissance sur l'homme et il est bien probable que l'effet produit provient d'une action matérielle exercée sur le cerveau. N'est- pas vrai que l'imagination peut être activée, exallée par certains médi- caments, par le haschich par exemple? qu'eU . peut ^ire, d'un autre côté, déprimée, anéantie par les narcotiques? Les ouvrages de physiologie rapportent beaucoup de faits qui démontrent l'action puissante de l'imagi- nation sur l'homme sain ou malade. Le plus frappant, celui auquel nous nous bornerons ici, pour ne pas sortir de notre cadre, fut constaté, en 1750, à Copenhague. Voulant éprouver les effets de l'imagination, quelques médecins obtinrent qu'un criminel, condamné au supplice de la roue, périrait par un autre moyen, par l'épuisement du sang. Après l'avoir conduit, les yeux bandés, dans la pièce où il devait mourir, on pique le patient aux bras et aux jambes. Le sang coule avec un bruit régulier; bientôt le patient est pris de sueurs froides, de syncopes, de convulsions, et il meurt au bout de deux heures et demie Or, il n'y avait pas eu de saignée; on avait seulement piqué les bras et les jambes du condamné; et de l'eau, s'écoulant de quatre robinets, avait simulé le bruit du sang tombant dans des bassins. La mort de ce malheureux était donc un effet de son imagination. En invoquant ce genre d'impression, les commissaires royaux n'avaient donc pas recours, comme on le pense quelquefois, à une vaine échappatoire, mais à une véritable et positive action physiologique. A ce premier élément, Bailly ajoutait l'influence de l'imitation, c'est-à-dire de l'espèce de contagion qui est propre aux accidents nerveux. Mais si l'influence de l'imagination, de l'imitation, de l'habitude, de la fatigue et de l'ennui, explique le plus grand nombre des phénomènes qui se passaient aux traitements magnétiques de Mesmer et de Deslon, elle ne les explique pas tous. Elle ne peut rendre compte surtout de faits sur LE MAGNÉTISME ANIMAL 429 lesquels l'attention publique n'avait pas encore été attirée. Le rapport de Bailly ne dit pas un mot du somnambulisme artificiel provoqué par le magnétisme, fait essentiel sur lequel allaient bientôt rouler tous les développements du système magnétique. L'état d'insensibilité, de catalepsie, que le sommeil magnétique provoque chez certains sujets, n'est pas mentionné davantage dans le rapport de Bailly, car l'existence de ces phénomènes était encore à peine soupçonnée. Tout cela ne saurait s'expliquer par le seul effet de l'imagination. Si donc, le travail de Bailly doit être cité comme faisant honneur à l'esprit philosophique du dernier siècle, on peut dire qu'il ne contenait point l'explication réelle des phénomènes que nous reconnaissons aujourd'hui comme propres au magnétisme animal. Théorie du fluide magnétique. — Aux nuageuses conceptions de Mesmer, les magnétiseurs de la fin du dernier siècle, les membres des nom- breuses Sociétés de V harmonie; et plus tard les Puységur, les Deleuze, etc., substituèrent une théorie infiniment plus simple, et qui, par sa simplicité même, par l'avantage qu'elle présente, de matérialiser, pour ainsi dire, les principes et la pratique du magnétisme, était appelée à une vogue univer- selle. La théorie du fluide magnétique subsiste de nos jours, c'est encore le grand cheval de bataille des magnétiseurs modernes; il est donc nécessaire de la discuter. Pour expliquer le somnambulisme artificiel et les autres effets provoqués par les manipulations et les passes diverses, le commun des magnétiseurs professe qu'il existe, chez tous les hommes, un fluide particulier, que la volonté peut projeter au dehors et à de grandes distances. C'est en dirigeant, en accumulant ce fluide, que l'on peut produire chez autrui les effets variés qui composent l'état magnétique. Établissons d'abord que la notion du fluide, qui était parfaitement concordante avec l'esprit de l'ancienne physique, n'est plus en harmonie avec l'esprit actuel de cette science. En ce qui concerne l'agent lumineux, la théorie de Newton sur démission, c'est-à-dire sur l'existence d'un fluide matériel, impondérable (étrange qualité), et pouvant se transporter à distance avec une prodigieuse vitesse, a été, de nos jours, reconnue inexacte par le double contrôle de l'expérience et du calcul. L'hypothèse du fluide lumineux est donc universellement abandonnée aujourd'hui. Par suite de l'intime connexion, ou pour mieux dire de l'identité de la lumière et de la chaleur, le fluide calorifique a subi la même déchéance ; et l'on peut en dire à peu près autant des fluides électrique et magnétique, ou pour mieux dire du fluide électrique, l'identité de Télectricité el du magnétisme étant bien reconnue aujourd'hui. En fait, le fluide électrique est entièrement banni de 430 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE la science moderne. Si cette expression figurée est encore quehiuefois, quoique bien rarement, en usage, c'est qu'elle est éminemment commode pour la démonstration, pour le langage écrit ou parlé; mais cette concession à la routine scolastique n'entraîne aucune conséquence sur le fond du sujet. On peut même dire que l'idée des fluides impliquant l'existence d'un agent matériel qui peut se mouvoir et voyager dans l'espace et au travers des corps, est à Vindeœ de la science moderne. Quand l'électricité apparaît dans un corps, dans un fil métallique, par exemple, ce n'est pas, comme l'admettait la physique ancienne, un fluide matériel qui parcourt sa substance; c'est un état vibratoire particulier qui, se transmettant avec une prodigieuse rapidité d'une molécule à l'autre du corps, le constitue dans l'état dit électrique. La même considération s'applique aux eflets calorifiques et lumineux lesquels, d'après les expériences des physiciens modernes, ne résultent point de l'émission et de la propagation d'un fluide matériel à travers un corps, mais bien des ondulations intimes des molé- cules de ce corps. Les magnétiseurs du dernier siècle avaient emprunté à la physique de leur temps la notion newtonienne des fluides, qui jouissait alors d'un crédit absolu. Ce fondement scientifique leur manque entièrement aujourd'hui. Cet argument, qui est fort sérieux, peut sembler à quelques personnes une simple présomption, car il reste toujours la ressource de taxer d'erreur les idée de la science actuelle et de leur préférer le système ancien. Aussi passerons-nous à des arguments plus directs. Un agent naturel, considéré au point de vue physique ou physiologique, obéit à des lois constantes et invariables. Rien de plus précis, par exemple, que les lois de la réflexion, ou de la réfraction de la lumière; ce sont des effets toujours uniformes, susceptibles d'être ramenés à une commune mesure. Qui a formulé jusqu'ici les lois auxquelles obéit le fluide magné- tique pour son émission et son absorption? Qui peut nous dire comment il se réfléchit à la surface des corps et se réfracte dans l'intérieur de leur substance? Quel moyen a-t-on indiqué pour reconnaître sa présence, pour mesurer son intensité? Tout, dans cette hypothèse, est livré au vague d'un empirisme absolu. Les magnétiseurs emploient à tort et à travers ce mot de fluide, qui leur tient lieu des idées qu'ils n'ont pas. Ce mot sert à tout, est bon atout, c'est une selle à tout cheval. Fluide universel, fluide magné- tique, fluide électrique, fluide vital, fluide nerveux, fluide animal, fluide éthéré, fluide sympathique, fluide escar gotique l voilà les expressions^ qui reviennent sans cesse dans les paroles et dans les écrits des magnétiseurs, qui s'en servent pour désigner tantôt une seule et même chose, tantôt les plus LE MAGNÉTISME ANIMAL /31 différentes. Écoulez par exemple un grand parlisan du magnétisme, Lefébure : «Le tluide subtil, la matière subtile ou éthérée, l'ens vital ne sont aujour- d'hui que le fluide électrique, le fluide magnétique, l'air inflammable, l'air méphitique, tour les agents de la vie, et les résultats de l'air et du feu, dans quatre combinaisons diverses, mais qui s'approximent... L'air inflammable est en possession de vivifier tout le règne végéldA, puisçii il est le fluide qui circule dans les nerf . » On ne se douterait guère que Lefébure écrivait au commencement de notre siècle, car on croirait, en lisant, avoir affaire à Paracelse ou à Van Helmont. Un agent quelconque de la nature est doué de propriétés constantes, et qui ne varient que dans une faible mesure, par les circonstances extérieures. Au contraire, le fluide des magnétiseurs est un Protée aux mille aspects, qui change de propriétés d'une manière incessante, et produit tour à tour les effets les plus disparates, selon la volonté ou le caprice de celui qui l'envoie. Le magnétiseur veut-il rendre un sujet insensible? il lai verse son fluide. Veut-il lui rendre la sensibilité? il lui verse encore son fluide. Veut-il réchauffer un malade? le fluide. Veut-il le rafraîchir? le fluide. Veut-il l'exciter ou, au contraire, le calmer? le fluide. Veut-il le guérir d'un mal de tête ou le frapper de céphalalgie? le fluide. Veut-il lui inspirer les senti- ments les plus opposés, le guérir de maladies les plus disparates dans leur cause, veut-il le plonger dans le sommeil? le fluide, et toujours le fluide. L'eau magnétisée, c'est-à-dire chargée du prétendu fluide magnétique, est, littéralement un remède à tous les maux; elle peut purger ou constiper, fortifier ou affaiblir, précipiter le cours du sang ou le ralentir, faire maigrir ou engraisser; c'est le remède de Fontanarose. De bonne foi, une telle varia- bilité de vertus attribuée à un agent ne suffirait-elle pas pour faire révoquer en doute son existence ? On a dit, pour répondre à cette objection, que la volonté du magnétiseur suffit pour modifier à son gré les propriétés de son fluide. Mais on tombe alors dans l'école des volontistes^ et si l'on attribue à la volonté le pouvoir de modifier les qualités du fluide, il est plus simple de se ranger à l'idée de l'abbé Faria, qui rejetait l'existence de toute émanation fluidique, et expli- quait par la volonté du sujet les effets magnétiques. Mais cette prétendue modification des propriétés du fluide par la seule volonté du magnétiseur, est une échappatoire inadmissible. L'immense variété de moyens qui peuvent produire l'état magnétique, 1. G. Lefébure, Recherches et découvertes sw la nature du fluide- nerveux ou de i'esi,rit viUi/, ]>rmcipe de la vie, p. 7. 432 LES MYSTERES DE LA SCIENCE est un autre argument contre l'existence réelle d'un fluide qui émanerait du corps du magnétiseur. On a vu, au dernier siècle, les crises magnétiques provoquées par l'attirail mesmérien, c'est-à-dire par le baquet et la baguette de métal ou de verre qui, étendue vers le sujet, servait à diriger au sein de ses organes le fluide ami des neifs. Avec Puységur, le baquet disparaît; il est remplacé par un arbre, cet orme fameux qui ne tarda pas à faire école. D'oii provenait le fluide magnétique qui s'épanchait de l'orme séculaire de Buzancy? Les arbres magnétisés ont eu assez longtemps la vogue, et Deleuze, dans son Instruction praiique sur le magnétisme animal, nous fait connaître les bonnes essences que l'on doit choisir pour les magnétiser. Plus lard, les arbres ont été délaissés, et un magnétiseur moderne, Hébert, assure qu'un manche à balai remplit parfaitement le même office. Les passes magnétiques sont aujourd'hui le moyen d'action le plus com- mun chez les magnétiseurs ; mais quelle variété, quelles divergences extraor- dinaires dans la manière d'y procéder ! On a cru longtemps que les passes ne devaient se faire que de haut en bas, pour ne pas diriger le fluide vers la tête du sujet, ce qui pourrait, disait-on, causer des accidents graves; aujourd'hui on fait les passes alternativement de haut en bas et de bas en haut. Dupotet, et bien d'autres, se contentaient de présenter les mains depuis le front du sujet jusqu'au haut de la poitrine, sans toucher au corps. On ne voit presque jamais le magnétiseur pratiquer de passes chez le som- nambule qui donne des consultations médicales ' ; il se borne à prendre la main du sujet et à le regarder fixement : en quelques secondes le sujet est Vous avez vu l'enfant brillant, lui dit-il; soyez satisfait, c'est le présage d'une grande fortune; mais j'aurais préféré qu'il n'eût pas été question de cette apparition. » « Dans une autre circonstance, lord Gastelreagh vit encore Venfant brillant à la Chambre des communes, et il est très probable que le jour de son suicide, il eut une semblable apparition. » Les aniinaux eux-mêmes, suivant quelques spiritistes, seraient suscep- tibles d'avoir des visions. Nous ne connaissions que le fait biblique de l'ânesse de Balaam, qui vit la première ce que son maître obstiné ne voyait pas, 468 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE c'est-à-dire l'ange du Seigneur, tenant dans sa main une épée nue, et leur barrant le chemin. Mais voici qu'un philosophe allemand, le docteur Kerner nous assure que, sur les collines du Wurtemberg et dans le voisinage de Prévorst, des troupeaux de bêtes se trouvaient pris de terreurs et d'agitations convulsives, en même temps que les habitants, et que cela arrivait surtout au moment même où la fameuse voyante (madame Hauffe), dont le docteur Kerner écrit l'histoire, était atteinte, comme les habitants, de convulsions et favorisée du don de seconde vue. On pourrait croire que c'était quelque bruit produit par les convulsions de madame Hauffe qui causait les agitations des brebis et des génisses ; mais le docteur Kerner veut que la vision leur soit commune et produise ces manifestations simultanées. Il affirme, d'ailleurs, que ces phénomènes ne sont pas limités aux pays où il les a observés. « On voit, dit-il, en Écosse et aux Hébrides, des chevaux, au milieu de l'ardeur et de la plus grande vitesse, s'arrêter tout court, lorsque le cavalier qui les monte éprouve une vision du même genre. Qu'il fasse jour ou qu'il fasse nuit, le cheval alors se refuse à passer outre, et se couvre bien- tôt d'une sueur abondante qui témoigne assez de tout son effroi » Le marquis de Mirville, dans son livre Des Esprits, ne se contente pas de citer ces phénomènes surprenants ; il en ajoute un tout à fait analogue, mais plus dramatique, arrivé dans sa propre famille, et dont il garantit la par- faite authenticité. Écoutons son récit : « Vous saurez que dans notre voisinage se trouve un vieux manoir qui a la plus mauvaise réputation du monde sous le rapport des esprits. De tout temps on y a vu les gens de la maison se poser en victimes de ces espiègleries surhumaines, qui, malgré d'assez longs chômages, ainsi que les bruits, les coups, les apparitions, n'y auraient jamais fait défaut complètement. Si les jeunes domestiques avaient de la peine à s'y faire, les vieux finissaient (à force de concessions sans doute) par vivre en bonne intelligence avec leurs persécuteurs invisibles. Cependant ils se plai- gnaient encore, et ils n'étaient pas les seuls, car tout le pays peut se rappeler qu'en 1815 une famille anglaise, ayant loué ce château mystérieux, se vit obligée de déguerpir au bout d'un certain temps, ne pouvant plus tenir à ces vexations noc- turnes. Nous-mème, nous nous souvenons parfaitement d'avoir entendu parler, dans notre enfance d'un certain chevalier armé de toutes pièces dont la seule pensée nous glaçait d'épouvante et d'effroi. Tout ceci, Messieurs, serait peu digne de votre attention, sans le détail suivant que nous tenons d'une parente dont il n'est per- mis ni à nous, ni à aucun de ceux qui la connaissent, de suspecter un instant la parole. Elle était d'autant moins capable d'exagération, qu'elle avait toujours pro- fessé la plus complète incrédulité à l'égard de ces récits, contraires non seulement 1. Voir dans la Revue des Deux-Mondes du 15 juillet 1812, ua article où l'on rend compte de l'ouvrage du docteur Kerner. LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES 469 è. toutes ses idées, mais encore à la paix de sa maison. Voici donc te qu'elle nous certifiait tout dernièrement encore : « Retournant à Paris, nous disait-elle, et ayant fait venir de la ville voisine deux bons chevaux, pour conduire notre voiture jusqu'au premier relais, nous partons très lestement de M... et dépassons bientôt les avenues du château. Tout allait pour le mieux, lorsque cette voiture, lancée au grand trot, s'arrétant subitement au milieu d'une plaine tout à fait nue, nous occasionna une assez forte secousse. Mon mari et moi, renfermés dans le fond de la calèche, nous supposons d'abord que quelque chose s'est dérangé dans l'attelage, mais bientôt nous sommes complète- ^ ment détrompés, car les coups commencent à pleuvoir sur les malheureux animaux, qui se mettent à reculer, en renâclant. Nous présumons qu'on aura envoyé des che- vaux rétifs ou paresseux, et nous attendons tranquillement que force reste à la loi; toutetois, la crise continuant, nous nous décidons à mettre la tête à la portière, pour demander au cocher ce qui lui arrive. « Eh ! Madame, ce qui m'arrive ! mais vous ne voyez donc pas ce cavalier qui me barre le chemin, qui menace mes pauvres bêtes de sa lance et les empêche de passer 1 » Et les coups de redoubler, et les bêtes de reculer à outrance. Puis, au même instant. « Ah ! dit-il, Dieu soit loué, il dis- paraît. « Et voilà que d'elles-mêmes, cette fois-ci, les pauvres bêtes détalent au grand trot mais déjà toutes couvertes de sueur, et cherchant à fuir au plus vite, comme des animaux épouvantés '. » Toutes ces histoires, rapportées par les journaux, bouleversaient certains esprits. Les dernières surtout n'étaient susceptibles d'aucune explication naturelle; car s'il était avéré que les animaux avaient les mêmes visions que les hommes, et dans le même temps, il devenait impossible de mettre ces phénomènes sur le compte de l'imagination, et les apparitions devaient nécessairement avoir une réalité. On était surpris de ces faits, et cependant une curiosité irrésistible poussait à les rechercher. On en trouva de plus étranges encore. Les Lettres édifiantes^ recueil que Voltaire a déclaré le livre le plus intéressant de son époque, feuilletées par les adeptes du mysticisme magnétique, offrirent un genre d'intérêt qu'on n'y avait jamais trouvé. Un missionnaire y raconte (t. VI, p. 277) que l'on voit dans l'Inde « des ber- ceaux de feuillage et de grands linceuls se suspendre dans les airs, sans aucune sorte d'attache, et cela au simple commandement. » Quelques pages plus haut, le même missionnaire a déjà parlé « d'objets fixés solidement à la muraille, et auxquels on ordonne de s'en éloigner rapidement ». Ailleurs (t. VII, p. 303), un autre missionnaire, qui a laissé dans le monde chrétien une réputation de véracité scrupuleuse, le P. Rouchet, dit très positivement : (( J'ai vu un Indien que j'allais baptiser, transporté tout d'un coup du chemin qui le conduisait à l'église, dans un autre chemin. » 1. Des esprits et de leurs manifestations fluidiques, 3« édit., 1854, in-8, ch. vu, p. 24''t-2'i5, 470 LES MYSTERES DE LA SCIENCE Tous ces récits divers, et mille autres, lus et commentés isolément, ne pouvaient trouver d'explications qui n'aboutissent au supernaturalisme. L'Académie de médecine ayant fait la faute de ne pas vouloir discuter publiquement le rapport de Husson sur le magnétisme naturel, parce qu'il constatait des faits que cette compagnie avait toujours niés, il s'ensuivit que ce fut le magnétisme transcendant qui fit son chemin dans le monde. La diablerie eut seule ses coudées franches, et elle en usa. Le spiritisme eut, dès lors, ses agents invisibles, moteurs de nos corps, inspirateurs de nos pensées, complices inévitables de nos actions. Des hommes de bonne foi, des savants distingués, sentirent leur étreinte, et n'eurent pas toujours la force des'en délivrer. C'est ainsi que Deleuze, après une vie consacrée presque toute entière à la démonstration physique et physiologique du magnétisme animal, ne put s'empêcher, à la fin de sa carrière, d'accuser une notable défaillance de ses convictions anciennes, dans sa correspondance avec le docteur Billot, un illuminé de l'école d'Avignon. « Vous me transportez dans un monde nouveau, lui écrit Deleuze, et je ne puis renoncer à mes idées, à une manière de voir que j'ai adoptée depuis trente ans... Vous me demandez si je n'ai pas vu des faits analogues à ceux-là ; je dois vous répondre que non ; mais des personnes dignes de foi m'en ont raconté, quoi- que en très petit nombre. En voici un entre autres qui m'a singulièrement étonné à cause de la circonstance et de l'à-propos. « J'ai eu ce matin la visite d'un médecin fort distingué, homme d'esprit, qui a la plusieurs mémoires à l'Académie des sciences. Il venait pour me parler du magné- tisme. Je lui ai raconté quelques-uns des faits que je tiens de vous, sans pourtant vous nommer. Il m'a répondu qu'il n'en était pas étonné, et m'a cité un grand nombre de faits analogues que lui ont présentés plusieurs somnambules. Vous jugez que j'ai été bien surpris, et que notre conversation a eu le plus grand intérêt. Entre autres phénomènes, il m'a cité celui d'objets matériels que la somnambule faisait arriver devant lui, ce qui est du même ordre que la branche de thym de Crète et autres objets arrivés miraculeusement devant vous. « Je ne sais pas que penser de tout cela, mais je suis bien sûr de la sincérité de mon médecin. Les somnambules dont il m'a parlé n'ont jamais été en communi- cation avec des êtres spirituels, mais il ne croit pas que la chose soit impossible. Quant à moi, il m'est impossible de concevoir que des êtres purement spirituels puissent mouvoir et transporter des objets matériels; il faut des organes physiques pour cela'. » Le docteur Billot publia, dans son ouvrage, que nous avons déjà cité en parlant du magnétisme animal, sa correspondance avec Deleuze. On y trouve rapporté, entre autres faits miraculeux, celui d'une saignée qui 1. Billot, tome 11, p. 27. LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES 47 s'arrête ou qui coule à la volonté de l'opérateur, comme la fontaine inter- mittente des physiciens. On y lit encore qu'au moment où une somnambule s'apprête à manger quelque chose, contre l'ordre de l'esprit qui agit sur elle, l'aliment qu'elle va porter à sa bouche saute, en présence du docteur et de tous les gens de la maison, jusqu'au plafond de l'appartement et ne peut plus être retrouvé Qu'on juge si les spmtistes triomphaient. Ils nous apprennent eux-mêmes que les magnétiseurs rationalistes, alarmés de tous ces phénomènes nou- veaux, se rassemblèrent, pour délibérer sur le danger qui menaçait leur doc- trine. Ils interdirent à leurs adeptes de s'occuper de spiritualisme, mais les somnambules de leur école proclamèrent des faits indentiques à ceux qu'on voulait proscrire. « Bref, dit avec orgueil le marquis de Mirville, en 1845, le monde magnétique faisait aussi sa révolution. Sans que M. Arago s'en doutât, il inclinait sur son axe, et tandis que la foule en restait toujours à Mesmer et à Deleuze, presque tous les magnétiseurs s'en allaient confesser désormais, sinon la nécessité, au moins la possibilité du surhumain magné- tique ^ » Continuons l'histoire des faits concernant le magnétisme mystique. En 1846, la Revue britannique s'occupe, à son tour, du docteur Kerner et de son livre intitulé La Voyante de Prévorst. Voici un extrait de cette Revue. « Nous croyons intéresser les sceptiques eux-mêmes, en leur révélant l'ouvrage curieux publié en Allemagne par le docteur Kerner, sur une femme déjà célèbre dans les annales du magnétisme animal. Dans ce livre, les accidents étranges de la vie magnétique ont atteint leurs limites extrêmes et jettent un défi à la raison. « Le docteur Kerner, dont la maison a servi de théâtre aux faits que nous allons raconter, est parfaitement connu en Allemagne, comme médecin, comme poète lyrique, comme savant et comme un homme qui joint à une piété évangélique des manières pleines d'amabilité. Aussi les sceptiques les plus obstinés, s'inclinant devant cette belle et pure renommée, n'ont-ils jamais mis en doute la sincérité de sa bonne foi. « Après sept années de soins prodigués par le docteur Kerner à cette voyante, qu'il eut la douleur de voir mourir entre ses bras, tous les phénomènes physiologiques et psychologiques du magnétisme se déroulèrent sous ses yeux ; ainsi, les désordres nerveux sont extrêmes, et, lorsqu'on la saigne, ces désordres augmentent; plus loin, elle évoque dans des verres, dans des bulles de savon, les images des personnes absentes. Alors on vit les objets placés auprès d'elle s'élever dans les airs et s'éloigner comme poussés par une force invisible... Tantôt c'étaient 1. Billot, p. 89. 2. Des Esprits, p. 325. 472 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE les apparitions d'un ou de plusieurs fantômes, dont les bruits étranges et le dépla- cement d'un chandelier annonçaient ordinairement la venue... On vit les portes s'ouvrir et se refermer, comme par une main mystérieuse, au moment où il entrait. Nous voyons un peu plus loin le magistrat Plaffein, incrédule jusque-là, se rendre à la vérité d'apparitions qui se dressent devant lui. Tous ces fantômes prouvaient la réalité de leur existence de différentes manières : l" par des bruits caractéris. tiques, frappés sur les murs on sur les meubles, des roulements de balle, des vibra- tions de cloche ou de verre, des piétinements redoublés ; 2° par le déplacement de différents objets. Au moment où ces fantômes entraient dans la chambre de madame Hauffe, on voyait les chandeliers se mouvoir, les assiettes s'entre-choquer et les livres s'ouvrir ; on vit même une petite table s'élancer dans une chambre par une impulsion irrésistible. Le docteur, témoin de toutes ces choses, lui et beaucoup d'autres avec lui, déclarent qu'elles ne venaient pas de la somnambule, mais bien de quelque mystérieux agent Dans tout le cours de ce récit, la plupart des phéno- mènes ordinaires, et certainement les plus extraordinaires du magnétisme animal, se sont présentés à nous, et peuvent se diviser en cinq classes très distinctes*, qui correspondent assez exactement aux périodes magnétiques décrites par le professeur Klug de Berlin ^. » L'évocation, dans le verre, des images des personnes mortes ou absentes, est le phénomène qui se répète le plus fréquemment avant et depuis Gaglios- tro. Établissons ici que l'art de produire ces évocations est connu de toute antiquité enÉgypte, où un membre de l'Académie des inscriptions et belles- lettres, le comte de Laborde, l'a même retrouvé, bien perfectionné. Un sorcier arabe, nommé Achmet, qu'on lui fît voir au Caire, lui vendit le secret des apparitions dans le creux de la main. M. de Laborde affirme qu'il en eut pour son argent, et que, devenu tout aussi sorcier qu 'Achmet, il se livra, sur terre et sur mer, à de nombreuses expériences, qui furent toutes cou- ronnées d'un plein succès. « De toute cette concordance d'observations et d'expériences, dit M. de Laborde, il résulte un fait bien positif, c'est que, sous l'influence d'une organisation particu- lière, et par l'ensemble de cérémonies, parmi lesquelles il est difficile de distinguer celles qui aident à l'opération de celles qui n'en sont, pour ainsi dire, que le cortège d'apparat, des enfants ramassés partout, sans aucune préparation (comme les pupilles de Gagliostro), sans qu'on puisse admettre de fraude, voient dans le creux de leur main, avec la même facilité qu'à travers une lucarne, des hommes se mou- voir, païaître et disparaître, qu'ils appellent, et qui se produisent à leur comman- dement, avec lesquels ils s'entretiennent, et dont ils conservent le souvenir après l'opération. 1. Klug établit six degrés de magnétisation : le premier est celui où le sujet participe encore aux impressions extérieures ; le second est le demi-sommeil, ou la crise imparfaite ; le troi- sième, le sommeil magnétique ou le somnambulisme ; le quatrième est la crise parfaite; le cin- quième, la clairvoyance, ou la prévision ; le sixième la vision magnétique ou l'extase. 2. Revue britannique, février 1848, LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES 475 « J'ai rapporté le fait, mais je ne m'explique rien ; car, même après avoir produit moi-même ces effets surprenants, je ne me rendis pas compte des résultats que j'ai obtenus. J'étalilis seulement de la manière la plus positive, et j'affirme que tout ce que j'ai dit est vrai ; et même, après douze années qui se sont passées depuis que j'ai quitté l'Orient, je fais cette déclaration, parce que, laissant de côté la réalité absolue des apparitions, et même une exactitude quelconque dans les réponses, je puis admettre qu'on m'ait trompé, et que je me sois trompé moi-même dans des faits qui se sont répétés vingt fois, sous mes yeux, par ma volonté, devant une foule de témoins différents, en vingt endroits divers, tantôt entre les quatre murs de ma chambre, tantôt en plein air, ou bien dans ma cange sur le Nil » Quant aux faits rapportés par le docteur Kerner durant le traitement de sa voyante, ils rentrent dans cette même catégorie de phénomènes étranges qui font le triomphe des spiritistes, et dont quelques fluidistes même, tout en faisant profession de se rattacher à l'école de Puységur et de Deleuze, ne rejettent pas la possibilité absolue. « Je pense, dit M. Ricard, que le temps n'est pas encore venu de dire tout ce que l'on a appris par la pratique du magnétisme ; mais un jour viendra, et ce jour est probablement peu éloigné, où les hommes qui ont étudié sérieusement la science que nous cultivons moyitreront au monde savant des choses qui confondront les principes arrêtés, qui abîmeront les systèmes reçus, etc. ^. » Mais ces systèmes seraient tout abîmés et ces principes tout confondus, si nous étions obligé de croire que la volonté ait contribué pour quelque chose à la production du phénomène suivant, que M. Ricard raconte dans sa huitième leçon. « Un matin, dit M. Ricard, que je me promenais sur la belle promenade du PeyroU; à Montpellier, quelques nuages vinrent obscurcir la pureté du ciel, naguère si serein : une pluie douce répandait sur les beaux arbres de ce lieu délicieux les bienfaits d'une fraîcheur modérée. J'essayai de donner aux nuées qui se trouvaient au-dessus de ma tête une impulsion assez vive, dans le sens du courant qu'elles suivaient. Le hasard voulut qu'au bout de quelques minutes, il cessât de pleuvoir à la place où je me trouvais, tandis que l'eau du ciel continuait de tomber SU)' tous les autres points de la promenade. Ce hasard n'est-il pas singulier? Très singulier assurément; mais quelle autre épilhèle donner à ce hasard, quand nous allons voir le même phénomène se reproduire encore, et dans une circonstance plus solennelle, à la volonté du magnétiseur? Cette fois, M. Ricard est à Toulouse, chez M. Édouard de Puycousin, au milieu d'une réunion composée de littérateurs, de médecins et d'artistes. On 1. Ueuue des Deux-Mondes, août 1840. 2. Traité théorique et pvalique du magnétisme animal, p. 313. 476 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE entreprend le magnétiseur sur son art, et comme justement il commençait à pleuvoir, M. Ricard répond par son argument de la place du Peyrou. « Nous descendîmes tous ensemble, dil-il, munis de grandes feuilles de papier, dans le jardin de M. Puycousin ; la pluie avait humidé généralement la terre et continuait de tomber. Je me plaçai à un bout de l'allée principale, je priai un de ces messieurs de prendre sous son habit une feuille de papier, et de se rendre à, l'autre bofft. J'engageai une autre personne à se tenir près de moi. avec une feuille de papier mise aussi à l'abri, et il fut convenu que quand je frapperais du pied la terre, on étendrait le papier pour l'exposer. Je me mis à magnétiser; au bout de quelques minutes, je donnai le signal, le papier fut étendu en même temps par chacun de mes deux aides, et il demeura évident que la pluie, continuant au bout de C allée opposée à celui ou je me tenais, avait cessé complètement là ou j étais. « Ne voilà-t-il pas encore un bien surprenant effet du hasard ? » Les manifestations de ce hasard intelligent et docile caractérisent suffi- samment et clôturent dignement l'histoire de ce magnétisme mystique dont nous avons tracé le tableau dans ces deux chapitres. Quant à l'explication des faits merveilleux que nous avons groupés sous le nom de magnétisme mystique, elle rentre dans l'interprétation générale que nous croyons pouvoir donner de tous les phénomènes prétendus sur- naturels dont nous retraçons l'histoire, dans cet ouvrage. Les effets d'halluci- nations particulières ou collectives exposés dans ces deux chapitres, sont dûs, selon nous, à l'état d'hypnotisme ou de suggestion mentale, provoqués chez eux. Nous ne faisons que noter en passant cette explication médicale, qui sera développée et appuyée de preuves et comparaisons suffisantes, à la fin de ce volume, quand nous aurons fait connaître, avec les détails nécessaires, les phénomènes de l'hypnotisme et de la suggestion mentale, et mis en lumière l'immense valeur de ce phénomène nerveux, pour expliquer tous les actes anormaux résultant de l'abolition momentanée de la volonté de l'homme, au profit d'une autre volonté souveraine et irrésistible. LA FILLE ÉLECTRIQUE 1 Manifestations électriques chez Angélique Gottin, dans le village de Bouvigny (Orne). — Observations faite par M. deFarémont, établissant la nature électrique des phénomènes propres à cette torpille huntaine. — Expérience des médecins de Mortagne. — Angélique Gottin à Paris. — Expérience devant la commission de l'Académie des sciences. — Conclusion. — Une nouvelle fille électrique au Canda, en 1880. Les faits qui se rapportent au magnélisme mystique se passaient en 1846. A la même époque se rapporte l'histoire d'Angélique Cotlin, la /i/ie élec- trique, qui occupa sérieusement les savants de Paris, après avoir occupé ceux de sa province. l'Académie des sciences daigna examiner cette jeune fille, et nous verrons comment la docte compagnie sut exorciser Angélique Gottin, ce qu'un curé normand n'avait pas osé faire. Angélique Gottin était une lille de quatorze ans qui habitait le village de Bouvigny, près la Perrière (Orne). Petite de taille, mais assez robuste de corps, elle était d'une apathie extrême, au physique et au moral. D'habitude, elle parlait à peine. Voici les effets singuliers qui se manifestèrent subite- ment chez celte demi-idiote, d'après le récit qu'a donné M. Hébert, grand partisan du magnélisme, il est vrai, mais qui a l'avantage de parler de visu, car il fit tout exprès le voyage de Mortagne pour recueillir, dans ce village et dans les environs, des renseignements exacts sur Angélique Gottin. Le 15 janvier 1846, celte jeune fille était occupée avec trois autres de ses compagnes à son travail habituel, qui consistait à lisser des gants de filet de soie. Il était huit heures du soir, lorsque le guéridon de chêne brut 4^8 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE qui servait à fixer l'extrémité de la trame du tissu qu'elle était occupée à filer, vint à s'agiter et à se déplacer, sans qu'on pût le maintenir dans sa position ordinaire. Effrayées de cet accident, nos trois tisseuses s'éloignèrent en poussant des cris de surprise ; mais elles ne purent persuader de la réalité de ce qui s'était passé les voisins que leurs cris avaient attirés. Sur les représentations des assistants, trois de ces ouvrières reprirent, non sans trembler, leur besogne. Le phénomène ne se reproduisit pas; mais quand Angélique Gottin, imitant ses compagnes, eut repris la trame du tissu, le guéridon s'agita de nouveau, fut violemment repoussé, et en définitive renversé. En même temps, la jeune fille était comme entraînée irrésistible- ment à sa suite; mais dès qu'elle le touchait, le guéridon était lancé plus loin. Les témoins de celte scène étrange ne mirent pas en doute qu'Angélique Gottin fût ensorcelée. La jeune fille passa la nuit paisiblement, et reprit son ouvrage le lende- main matin. Les mêmes effets recommencèrent, faibles d'abord : mais, de huit à neuf heures, ils augmentèrent considérablement d'intensité. On fut obligé de mettre à part des autres ouvrières la pauvre enfant, qui travaillait d'ordinaire avec elles, sur le petit guéridon commun, qu'elle bouleversait en ce moment, en dépit de ses propres efforts pour l'assujettir. Pour éviter le retour de cet accident, l'extrémité du gant auquel Angé- lique travaillait, fut attachée, au moyen d'un petit clou, à une huche, du poids d'environ soixante-quinze kilogrammes. Mais cet obstacle opposé à l'action de la mystérieuse force ne résista pas longtemps : la huche fut sou- levée et déplacée à plusieurs reprises, bien qu'elle ne communiquât avec la jeunefille que par un fil de soie. A partir de ce moment, l'opinion du village de Bouvigny fui bien fixée : il déclara, tout d'une voix, que la jeune fille était possédée du diable. On désignait même nominativement les personnes qui lui avaient jeté le sort. Il fut donc décidé qu'Angélique Gottin serait conduite au presbytère, pour y être exorcisée. Le curé du lieu, homme de bon sens, voulut, avant de rien entreprendre, être témoin lui-même des faits annoncés. La demande était trop légitime pour ne pas être satisfaite sur l'heure. La jeune ouvrière fut donc mise, en présence du curé, dans des conditions analogues à celles où le phénomèi e s'était manifesté pour la première fois. ^ ,Le phénomène se produisit de nouveau, mais avec moins d'intensité. Le guéridon fut repoussé, mais non renversé, pendant que la chaise sur laquelle la jeune fille était assise, était entraînée dans une direction opposée, eu LA FILLE ÉLECTRIQUE 47j exéculanl des oscillations qui obligeaient Angélique à de grands efforts pour s'y maintenir assise. Tout convaincu qu'il était de la réalité du fait dont il venait d'être témoin, le curé ne crut pas devoir recourir à un exorcisme religieux, pour guérir ce qu'il considérait, avec raison, comme une maladie physique, réclamant le secours d'un traitement médical. Il calma l'inquiétude des parents et la panique da village, en déclarant que la jeune fille était en proie à une maladie, rare, sans doute, inconnue peut-être, mais qui, dans tous les cas, devait être soumise sans relard aux observations des médecins. C'est le 16 janvier qu'avait eu lieu cette séance de vérification devant le curé de Bouvigny. Le lendemain matin 17, est-il dit dans la relation que l'on doit à M. Hébert, les effets conliniiorcnt à se manifester chez Angélique Gottin, en prenant même plus de généralité, l'ar le contact fortuit de ses vêtements, les chenets, pelles, pin- cettes sont renversés dans l'àtre et les tisons éparpillés, au grand étonnement, à la stupeur de celle qui est la cause involontaire de si prodigieux effets ; des brosses, des livres et autres objets d'un petit volume sont violemment repoussés en les tou- chant avec les vêtements, mais plus particulièrement par l'extrémité inférieure des jupes « Des ciseaux, suspendus à sa ceinture au moyen d'un ruban de fil, ont été lancés sans que le cordon lût brisé, ni qu'on pût savoir comment il avait été dénoué. Ce fait le plus incroyable, par son analogie avec les effets de la foudre, a fait tout de suite penser que l'éleciricité devait jouer un grand rôle dans la production de ces élunnanls effets Mais cette voie d'observation fut de courte durée : ce fait ne se produisit que deux fois, dont l'une en présence de M. le curé, qui sur son honneur, m'en a garanti la réalité. <( Les effets nuls ou presque nuls dans le milieu du jour, redoublèrent le soir à l'iieure ordinaire. 11 y eut alors action sans contact, et sur les corps organisés vivants, action débutant par de violentes secousses ressenties dans les jarrets par l'une des ouvrières placées en face d'Angélique :1a pointe de leurs sabots était dis- tante d'un décimètre environ; les mêmes objets, repoussés le matin par le contact, le sont alors par la seule approche des vêtements; mais comme les juurs précé- dents, l'effet cesse pour ne plus reparaître que trois jours et demi après. , eux ; ils étaient saisis d'une indicible épouvante. Adolphine Benoît devint malade, et fut envoyée à l'hospice de Patay, ou elle passa cinq jours sans ressentir aucun des effets de son obsession. « Elle revint chez ses maîtres. A peine y eut-elle mis le pied, que tout recom- mença: les mêmes faits et quelques-uns d'un genre nouveau vinrent la tourmenter comme auparavant. Plus de vingt fois deux planches de trois à quatre pieds de longueur formant étagère, lui tombèrent sur le dos, à l'instant même, ou elle entrait dans la chambre. On a même vu ces deux planches, appuyées sur une seide de leur extrémités, se tenir en équilibre, malgré les lois de la pesanteur. Souvent, soit en marchant, soit en se tenant debout devant ses maîtres, la jeune Adolphine se trouvait tout à coup couverte d'un long sac qui l'enveloppait de la téte aux pieds. D'autres fois, le trépied et la chèvres à scier le bois allaient se placer à cali- fourchon sur son cou. Très souvent, des cordes, des rubans venaient tout à coup, au milieu d'une conversation, s'enlacer autour du cou d'Adolphine, et lui serraient la gorge avec tant de force qu'elle en perdait la respiration. .le ne finirais pas, monsieur le rédacteur, si je voulais vous rapporter tout ce que racontent les témoins de ces scènes mystérieuses. Mais, demanderez- vous, peut-être, n'y avait-il point ruse et comédie de la part de la jeune servante ? C'est ce que des personnes sensées se dirent d'abord. Une d'elles entre autres, Mademoiselle DoUéans, sœur du maître de la maison, femme pleine de sagacité et de bon sens, se donna pour mission de surveiller Adolphine ; durant quinze jours, elle ne la quitta ni le jour ni la nuit ; elle ne l'abandonna pas un seul instant. Eh bien ; il a été impossible à mademoiselle DoUéans de découvrir la moindre tromperie dans cette jeune fille. u II y avait déjà plus d'un mois que ces faits extraordinaires se répétaient chaque jour avec une intensité toujours croissante, lorsque mademoiselle DoUéans résolut de renvoyer sa servante. Adolphine Benuit retourna chez son père, à Pérouville. Cette pauvre enfant recouvra aussitôt sa tranquillité. « Chez M. DoUéans, tout rentra d abord da-is le calnie le plus parfait, et cela dura une quinzaine de jours. Mais le mercredi des cendres, des événements, tout aussi inexplicables que les premiers, jetèrent de nouveau l'effroi dans cette inté- ressante famille. Cette fois ce n'était plus une domestique qui en était l'objet, ce fut le plus jeune fils de M. DoUéans, enfant de deux à trois mois. Un jour, comme sa mère le tenait sur son giron, tout à coup le bonnet de l'enfant fut enlevé, et on ne sait ce qu'il devint. Madame DoUéans lui en met un autre ; bientôt celui-ci est coupé et enlevé de même, mais remplacé par une énorme cuillère à pot, qui couvre la tête de l'enfant, à la grande frayeur de la mère. Depuis huit jours, le pauvre enfant est tourmenté de mille façons malgré la surveillance assidue de ses parents ; à chaque instant, des ustensiles de cuisine se précipitent sur lui ou dans son berceau. J'ai vu moi-même les pelles, les pincettes, les réchauds et une foule d'autres objets, s'y trouver subitement, sans qu'on pût deviner comment cela y LA FILLE ÉLECTRIQUE 509 était transporté. Madame Dolléans m'a assuré qu'elle a vainement essayé d'atta- cher au cou de l'enfant des médailles et des crucifix ; ces objets sacrés disparais- saient mystérieusement un moment après y avoir été placés. (' Vous dire l'impression que ces faits produisent parmi nous serait imposs'ble, j'y renonce : tout le monde crie au maléfice, au sortilège ; on va même jusqu'à jeter des accusations absurdes sur plusieurs personnes qui, sans doute, sont bien innocentes de tout cela. » Voilà les phénomènes accrus et très dramatiquement diversifiés. Qui les les expliquera? Esprits ou mystificateur secret, il n'y avait pas d'autre clef aux mystères de GuillonviUe. Madame Dolléans, femme pieuse et timorée, comme on l'a vu, devait naturellement incliner vers les esprits. C'était aussi la pente de V Abeille de Chartres^ car, après avoir publié la relation qu on vient de lire, elle ajoutait un appendice où M. de Mirville voit l'affabulation de cette singulière histoire. « Il y a déjà huit jours, dit Y Abeille de Chartres, que nous avons reçu la lettre de notre correspondant. Nous n'avons pas voulu la publier avant de nous être rendus sur les lieux. Deux de nous sont donc allés, cette semaine, dans le canton d'Orgères ; ils ont interrogé des hommes sages, témoins oculaires, des cultivateurs instruits, des prêtres, des médecins : tous ont certifié exacts les faits avancés par notre correspondant. Maintenant, comment expliquer des faits aussi extraordi- naires? Ici nous nous taisons. A la science et à l'Église en appartient la solution. Nous ajouterons seulement ce que M. et madame Dolléans nous ont dit, que « le jeudi i" mars, des exorcismes ont été faits sur l'enfant, et qu aussitôt tout le désordre a cessé. L'enfant ne possède plus cette vertu attractive, pour parler comme M. Roger, du Constitutionnel. Voilà ce que nous pouvons affirmer en toute vérité ^ » Chacun sait, ou peut savoir, que le ministère de l'exorcisme n'est pas du nombre de ceux que tout prêtre peut exercer couramment. Il lui faut, pour cela, une permission spéciale, et des pouvoirs ad hoc., conférés par son évêque. L'évêque de Chartres ayant donné ces pouvoirs, avait donc reconnu le fait diabolique de la possession. Quel argument pour les spiritistes, de pouvoir invoquer, à l'appui de leur système interprétatif, les lumières et l'autorité d'un prélat illustre qui était alors un des doyens de l'épiscopat français ! Cependant, non content de connaître par une gazette le résultat de l'exor- cisme, et insatiable de détails sur l'affaire d'Adolphine Benoît, M. de Mirville voulut plus tard se renseigner auprès du clergé de l'endroit, et il en reçut une réponse qu'il cite comme un document des plus authentiques. Voici cette pièce : 1. L'Abeille, journal de Chartres, Il mars 1840. M. ClauseU de Montais. 510 LES MYSTERES DE LA SCIENCE « Monsieur, ce n'est pas le curé de Guillonville qui s'est chargé de faire les exorcismes pour détruire robsession de ces deux personnes de Guillonville : c'est moi, curé de Gormainville, son voisin. Voici ce que j'ai fait. Sans soupçonner ni attaquer personne, après m'être bien assuré, par moi-même, que les faits étaient réels, j'ai conduit des témoins, en nombre suffisant et très dignes de foi, à nos supérieurs ecclésiastiques de Chartres, qui, bien convaincus de la vérité des faits et sans en être nullement étonnés, m'ont excité à faire les exorcismes, et c'est ce que /ai fait, suivant en tout point ce qui est marqué dans le rituel. Et le jour même, l'obsession a disparu entièrement, à la grande joie des pauvres fermiers, qui des- séchaient de chagrin et de peine. Tout ce qu'il y avait dans le journal V Abeille était parfaitement vrai, et mille autre faits de ce genre. « Votre très humble serviteur. « Siçjné : Lîfranc, desservant de Gormainville. » 22 février 18S1. M. Lefranc fut plus heureux que le curé de Clairefonlaine, qui, ayant fait, une entreprise semblable, c'est-à-dire ayant essayé d'exorciser la jeune servante électrique, n'y gagna que d'être fortement secoué et d'avoir ses lunettes brisées sur son nez. A la vérité, on ne noi;s dit pas que le curé de Clairefonlaine se fût muni des pouvoirs nécessaires pour exor- ciser ; la déconvenue que lui fit éprouver le malin esprit peut donc passer pour la punition de sa témérité. Voilà déjà bien des jeunes filles électriques. Ajoutons-en une dernière, qui eut le désagrément d'être renvoyée à cause de ses vertus attractives, comme Adolphine Benoît, mais que le diable ne se soucia pas de venger sur la personne de ses maîtres. La.Gaz.ette des Tribunaux du 20 décembre 1849 racontait les faits en ces termes : « La curiosité publique a été trop longtemps et trop vivement tenue en haleine à Saint-Quentin, pour qu'il nous soit possible de ne pas lui donner complète satisfaction. « Il se passait, en effet, dos choses bien étranges, en apparence, chez un hono- rable négociant de Saint-Quentin. Sans parler des bruits de l'autre monde, que les domestiques prétendaient entendre chaque nuit, le diable faisait des siennes en plein jour avec une dextérité et une audace de nature à confondre les plus incrédules. Pendant plus de trois semaines, il arriva que les sonnettes allaient toutes seules, faiblement d'abord, et tour à tour, puis simultanément à tout briser. On courait aux cordons, on suivait le fil. On guettait... peines perdues! Tandis que l'effroi régnait parmi les ouvrières, et que les maîtres attendaient patiemment que l'auteur de cette mauvaise plaisanterie leur fut révélé, la situation se compliqua. Non content de déplacer les casseroUes et la vaisselle, de faire voyager des grils d'un bout à l'autre de la cuisuie, de tourmenter de mille manières les malheu- LA FILLE ÉLECTRIQUE 511 reuses domestiques, qui dépérissaient à vue d'œil et parlaient sérieusement de déguerpir, le lutin se mit en devoir de frapper à coups redoublés contre les murs. « Les recherches impatientes des maîtres étaient toujours vaines, et les détona- tions infernales, alternaietit peu agréablement avec les sonneries fantastiques, lorsqu'il se produisit un troisième phénomène bien plus étonnant que tout le reste. Un carreau se brisa spontanément, puis un second, puis un troisième, jusqu'à cinq dans la même journée, à deux pas, et sous les yeux de cinq ou six personnes rassemblées autour d'une table, sur laquelle tombaient les éclats de viti-es, sans qu'on trouvât trace du moindre projectile. Le plus surprenant, c'est que les vitres étaient, pour la plupart, non pas brisées, mais Irouces comme par l'effet d'une balle! Bref, jamais prodige ne fut mieux conditionné pour dérouter le bon sens des uns et troubler la cervelle des autres. Il fallut bien, néanmoins, que le sorti- lège prît fin. Toutes les suppositions autorisées par la saine logique étaient épuisées, il en restait une qui semblait devoir éloigner la frayeur réelle ou admi- rablement feinte des domestiques. Comment croire qu'une servante s'amuserait et parviendrait à se multiplier, avec une adresse digne des prestidigitateurs les plus consommés, pour bouleverser ainsi toute une maison? » L'auteur de cet article de la Gazette des Tribunaux se demande com- ment une servante pourrait s'amuser à bouleverser ainsi une maison ? Ignore-t-il donc de quelles malices, perfides ou criminelles, sont capables par esprit de vengeance ou par méchanceté, les chevalières du tourne- broche et du torchon? Le fait est que, fatigué des prodiges qui mettaient en révolution permanente le mobilier et les ustensiles de sa cuisine, le maître de la maison congédia sa servante, et qu'aussitôt, tout rentra dans l'ordre ! Post hoc ergo propter hoc^ dirons-nous, pour emprumpter à la phi- losophie un de ses axiomes. Si les vitres cessèrent de voler en éclats dange- reux et la vaisselle d'être mise en morceaux, si les sonnettes cessèrent de de retentir, les casseroles de danser et les grils de voyager en l'air, dès que la Maritorne eut reçu son congé, la coupable était ainsi suffisamment désignée. Le dénouement des prodiges de l'immeuble de Saint-Quentin mérite qu'on en garde bonne note, car il prouve que les faits les plus surprenants, et en apparence lés plus contraires aux lois de la nature, n'accusent pas nécessairement une cause supernaturelle. La malice et l'adresse de quelque personne restée inconnue, expliquent les derniers faits que nous venons de rapporter Mais le phénomène de la surabondance d'électricité anormalement accumulée chez un individu, bien portant ou malade, nous parait établi par le grand nombre de faits, parfaite- ment constatés, que nous avons signalés. Ce qui n'implique, d'ailleurs, rien autre chose qu'une maladie, pouvant survenir chez l'homme, et qui le met, LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE palhologiquement, dans le cas où se trouvent, normalement, les poissons électriques, tels que le gymnote, le silure, la torpille et quelquefois la raie. Les poissons dits électriques possèdent un organe spécial, sorte de pile Toltaïque vivante, animée par des nerfs particuliers et nombreux, qui sécrètent, en quelque sorte, de l'électricité. Plusieurs physiciens et anato mistes, entr'autres Becquerel père, Breschet et Joberl (de Lamballe) ont étudié et décrit avec soin Xorgane électrique des poissons. Ne pourrait-il se faire qu'un organe analogue, sous certaines influences inconnues, apparût dans l'espèce humaine, — particulièrement chez la femme, dont le système nerveux est si développé, — et donnât lieu à des eiïets électriques extérieurs, tels que attractions et répulsions des corps légers, décharges et commotions électriques envoyées à distance, et ana- logues à celles de la torpille et du silure? Nous ajouterons que si l'on admet que cet organe, accidentellement apparu, vienne, par une cause particulière^ à disparaître, ou à perdre ses fonctions, on s'expliquerait ainsi que les propriétés électriques, dans l'espèce humaine, n'aient qu'une existence éphémère, et qu'elles cessent de se pro- duire, comme il est arrivé à Angélique Cottin et à Honorine Séguin, qui, après avoir manifesté des propriétés électriques non contestables, les virent perdre peu à peu de leur intensité, et finalement, s'éteindre. PRODIGES DAKS UiNE CUISLNE DE SAl.NT-QUENTLN (PAGE 65 LES ESCARGOTS SYMPATHIQUES Jules Allix annonce la prétendue découverte faite par Benoît (de l'Hérault) de la communicatii)n de la pensée à de grandes distances au moyen d'escargots vivants. — Benoît (de l'Hérault) accueilli par Triât, dans son gymnase, pour construire son appareil. — L'expérience des escargots sympathiques est recon- nue l'œuvre d'un halluciné. Parmi les faits qui doivent être considérés comme les préludes ou les avant-coureurs du phénomène des tables tournantes, en France, nous ne devons pas oublier les escargots sympathiques, qui pendant tout le mois d'octobre 1850, intriguèrent les Parisiens de la manière la plus bizarre. Beaucoup de personnes, et des plus éclairées, ont ajouté foi, à cette époque, aux résultats merveilleux aUribués au pauvre mollusque, qui n'a guère pour attribut la rapidité de locomotion, et dont on voulait pourtant faire le mira- culeux agent d'une correspondance se transmettant avec la rapidité de la [)ensée, c'est-à-dire avec une vitesse encore supérieure à celle de l'électricité. Pour expliquer la singulière aberration dans laquelle tombèrent alors beaucoup d'hommes, distingués, d'ailleurs, par leur intelligence et leurs lumières spéciales, il faut se rappeler que, de nos jours, la science a produit, par ses applications pratiques, tant d'étonnants résultats, que l'on a fini par croire qu'il n'y a plus rien d'impossible pour elle. Si l'on affirmait à certaines gens que l'on vient de découvrir le moyen de nous mettre en rapport avec les habitants de la lune, celte annonce aurait de grandes chances d'être sérieusement accueillie. Le fait mis en avant dans le cas des escargots sympathiques était de la famille du précédent. 11 constituait une violation tout aussi flagrante des 516 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE lois de la nature, lesquelles empêchent d'admettre qu'une communication physique puisse s'établir d'un lieu à l'autre, sans aucun moyen matériel intermédiaire. Ceux qui croyaient à la réalité des escargots sympathiques, faisaient preuve sans doute d'une enthousiaste admiration pour les procédés de la science, mais les connaissances scientifiques les plus élémentaires les auraient mises à l'abri d'une aussi grossière erreur. On peut dire, à leur décharge, qu'à l'époque où les escargots sympa- thiques firent leur apparition dans les feuilles parisiennes, le télégraphe électrique venait d'être inauguré en France, et que l'on avait découvert, peu d'années auparavant, que le fil de retour du télégraphe électrique peut être supprimé, sans nuire à la transmission de l'électricité, la terre servant alors de conducteur complémentaire, pour fermer le circuit. Comme, dans ce cas, l'électricité se transmet d'un point à l'autre sans moyen spécial bien appré- ciable de propagation, il y avait dans ce phénomène physique, une considé- ration qui, mal interprétée, d'ailleurs, pouvait venir en aide aux partisans de l'expédition de la pensée par l'intermédiaire du tardif animal dont il s'agit. C'est dans les feuilletons de la Presse des 25 et 26 octobre 1850, que le phénomène des escargots sympathiques fut annoncé au monde, par un publiciste qui n'était pas tout à fait ignoré, .Jules Allix. Une lettre du même écrivain, publiée, le 3 octobre, dans quelques journaux, avait déjà donné aux curieux un avant-goût de cette merveille ; mais le mémoire dont M. de Girardin autorisa l'insertion dans la Presse, exposait les faits plus compendieusement. Nous allons reproduire les principaux passages de ce mémoire de, .Iules Allix, le seul document écrit qui soit resté sur cette question. Ce mémoire, qui fut reproduit dans divers journaux ou revues, en particulier dans la Démocratie pacifique^ avait pour titre Communication univer- selle et instantanée de la pensée, à quelque distance que ce soit, à Vaide d'un appareil portatif appelé boussole pasilalinique sympathique, par MM. Benoît (de l'Hérault) et Biat-Chrétien (Américain). « Depuis que j'ai eu l'honneur, dit Jules Allix, d'annoncer la découverte de MM. Jacques Toussaint Benoît (de l'Hérault) et Biat-Ghrétien (Américain), mon admiration pour leur nouveau système de communication universelle et instan- tanée de la pensée n'a fait que s'accroître. « Il en sera d'ailleurs ainsi de tout le monde, car, plus on songe aux consé- quences, plus on les trouve sublimes. Mais ce n'est pas aujourd'hui d'admiration et d'enthousiasme qu'il s'agit ; je veux au contraire m'en défendre. 1. Numéro du 27 octobre 1850. LES ESCARGOTS SYMPATHIQUES 517 « Aussi bien, les explications et les documents de toutes sortes qu'a bien voulu ■me communiquer M. Benoît, l'un des inventeurs, me permettant de toucher pour ainsi dire du doigt le phénomène et ses causes, c'est à ce point de vue puissant, mais calme, que je désire avant tout me placer, afin d'éviter ainsi, dans la relation qui va suivre, jusqu'à la plus petite apparence d'illusion de ma part. « Mais arrivons au fait lui-même et à l'expérience dont je dois vous parler. « Le fait, c'est la découverte d'un nouveau système de communication de la pensée, par suite duquel tous les hommes vont pouvoir correspondre instantané- ment entre eux, à quelque distance qu'ils soient placés les uns des autres, d'homme à homme, ou plusieurs ensemble simultanément, h toutes les extrémités du monde, et cela sans recourir au fil conducteur de la cummunication électrique, mais à l'aide seulement d'une machine essentiellement portative, que les inven- teurs nomment boussole pasilalinique sympathique, et qui peut d'ailleurs accepter toutes les dimensions et revêtir toutes les formes. « Kt quant à l'expérience, je pourrais sans doute me borner à la raconter pour en constater le succès; mais comme dans ce mémoire, qui ne s'adresse pas seule- jnent à la France, mais au monde, je me propose en même temps de la faire comprendre, autant que possible, dans ses moyens et dans ses causes, je vais établir d'abord l'origine de la découverte au double point de vue de la science et de la pratique. » Après un fort long préambule, où viennent se mêler, avec peu d'har- monie, les phénomènes physiques relatifs à l'électricité et des citations de la Bible, la découverte de Galvani et le magnétisme animal, les prédications du P. Lacordaire et l'expérience faite en 1845 pour la suppression du fil de retour du télégraphe électrique, l'auteur se décide à aborder son sujet. Comme noas serions hors d'état de résumer les idées de J. Allix, nous les citerons textuellement, laissant au lecteur le soin de deviner si c'est invo- lontairement ou à dessein que le nouveau révélateur laisse subsister dans son exposé tant de nuages et d'incertitude. « Ainsi que j'ai dû déjà le faire pressentir, continue Jules Allix, la décou- verte de MM. Benoît et Biat repose à la fois sur le galvanisme, sur le magnétisme minéral et animal, et sur la sympathie naturelle, c'est-à-dire que la base de la communication nouvelle est une sorte de fluide sympathique particulier provenan* (le la combinaison des fluides galvanique, magnétique et sympathique, mariés tous les trois ensemble, par des opérations et des procédés qui seront décrits plus tard. « Et comme les difi"crents fluides dont il s'agit varient en raison des êtres organiques ou inorganiques qu'on considère, il faut encore dire que les fluides difl'érents qu'il s'agit de marier ensemble sont : le fluide minéral-galvanique d'une part, le fluide animal-sympathique des escargots de l'autre, et en troisième lieu, enfin, le fluide magnétique-minéral et adamique ou humain, c'est-à-dire le fluide magnétique-minéral de l'aimant et le fluide magnétique-animal de l'homme, ce 518 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE qui fait que, pour caractériser nettement la base du système de la nouvelle com- munication, il faudrait dire qu'elle se fait par l'intermédiaire de la sympathie gal- vano-magnélique-minérale-animale et adamique (!!!). a « MM. Benoît et Biat ont en effet découvert que certains escargots possèdent une propriété remarquable, celle de rester continuellement sous l'influence sympa- thique l'un de l'autre, lorsqu'après les avoir mariés ensemble et mis ensuite en rapport, par une opération particulière, avec le fluide magnétique, minéral et ada- mique, on les place dans les conditions nécessaires à l'entretien de cette sympathie. Et pour tous ces résultats, ils n'ont besoin que de l'appareil très portatif de leur invention, qu'ils ont nommé boussole pasilalinique sympathique, à l'aide duquel ils obtiennent ensuite instantanément, et à quelque distance que soient placés l'un de l'autre les escargots sympathiques, une commotion très sensible qu'ils ont appelée la commotion escargotique, laquelle se manifeste et se communique toutes les fois que la sympathie de deux escargots est excitée par l'approche de deux autres escargots, également sympathiques entre eux et avec tous les autres, absolument comme la commotion électrique se manifeste au physicien chaque fois qu'il approche son doigt d'un corps quelconque électrisé. « Pour la sympathie, il est assez facile à l'homme de s'en rendre compte, car il est lui-même un être essentiellement sympathique. Comment se rendrait-on raison autrement de l'amour candide, de cette attraction pure et sainte, dépourvue de tout désir des sens, qui tend à unir entre eux tous les hommes, par la bienveillance naturelle et générale qu'on remarque d'un sexe envers l'autre, depuis l'enfant jusqu'à l'homme fait, si on ne le considérait pas comme un effet de cette sym- pathie naturelle providentiellement destinée à l'harmonie universelle de toute la nature? L'homme seul et isolé n'est en elTet qu'un être incomplet par lui-même, c'est l'une des deux parties d'un être supérieur qui, pour se compléter et remplir ainsi le but de sa destinée, a besoin de trouver, et par conséquent cherche sans cesse, jusqu'à ce qui l'ait rencontrée, l'autre partie avec laquelle il est en sympa- thie. Eh bien! il en est de même de tous les êtres, et notamment des escargots, avec cette différence cependant que les escargots au lieu de se compléter l'un l'autre comme l'homme, peuvent sympathiser plusieurs ensemble, les uns avec les autres, en même temps. « On comprend bien aussi que la sympathie puisse se manifester à distance pour les êtres sympathiques entre eux ; mais maintenant, comment se fait-il que la sympathie existant entre deux escargots éloignés l'un de l'autre, comme si l'un était en France et l'autre en Américjue, puisse être rendue sensible à ce point que d'une part elle fournisse à volonté la commotion escargotique, et que de l'autre on puisse communiquer de même à volonté cette commotion à quelque distance que ce soit? Or, il est clair que la commotion escargotique, qui n'est que l'expression pour ainsi dire électrique du désir de l'animal, est rendue sensible, comme je l'ai dit, par le mariage des fluides, et que la propriété de permanence de sympathie dont j'ai parlé suffit à expliquer comment on peut l'obtenir à volonté dans tous les temps, et il s'ensuit qu'il ne reste plus alors qu'une seule et unique difficulté, celle de savoir comment et par quel conducteur se fait la communication à distance de cette commotion. LES ESCARGOTS SYMPATHIQUES SJ9 « D'abord les expériences faites à cet égard par MM. Benoit et Biat ne laissent pas de doute sur le fait en lui-même, qui est certain, et même elles établissent de plus qu'il en est de cette communication comme de celle de l'électricité, puisqu'on peut l'intercepter et l'interrompre de la même manière, à l'aide d'un corps mau- vais conducteur de l'électricité, ce qui s'explique naturellement par la présence dans le fluide sympathique combiné dont il s'agit, du fluide galvanique-minéral, qui n'est pas autre chose en effet que l'électricité. « Et quand à la manière dont a lieu cette communication, il paraîtrait qu'après la séparation des escargots qui ont sympathisé ensemble, il se dégage entre eux une espèce de fluide dont la terre est le conducteur, lequel se développe et se déroule, pour ainsi dire, comme le fîl presque invisible de l'araignée ou celui du ver à soie, que l'on pourrait de même dérouler et prolonger dans un espace indéfini sans le casser, mais avec cette différence seulement que le fluide escargo- tique est complètement invisible et qu'il a autant de vitesse dans l'espace que le fluide électrique, et que ce serait par ce fluide que les escargots produisent et com- muniquent la commotion dont j'ai parlé; or, comme tout le monde sait que les escargots sont hermaphrodites ou des deux sexes, c'est-à-dire mâle et femelle à la fois, on doit concevoir alors comment il se fait que la sympathie pouvant ainsi ^ partir de l'un des deux escargots pour aller à l'autre instantanément, la commo- ti on escargotique peut, de même, se transmettre instantanément de l'un à l'autre, et réciproquement « Mais, dira-t-on, en supposant ce fluide sympathique, il doit en être de ce fluide comme des fluides électrique, galvanique et magnétique, qui à la vérité se répan- dent bien instantanément à distance, mais par irradiation dans tous les sens, à moins qu'on ne fasse usage d'un fil conducteur particulier, et l'on ne voit pas clai- rement comment il se peut que la communication se fasse directement et à volonté, d'un endroit précis à un autre, par le moyen du fluide sympathique lui-même. Cette objection pourrait, au premier aperçu, avoir quelque valeur, mais elle n'est cependant que spécieuse, car dès qu'on dit fluide sympathique ou sympathie, il faut nécessairement supposer deux êtres, et ces deux êtres sont naturellement et forcément les deux extrêmes de la ligne ou du fluide sympathique, que cette ligne soit droite ou courbe ! Elle ne pourrait donc valoir alors qu'à l'effet d'établir seule- ment l'influence que peut avoir la dislance sur l'intensité de la commotion escar- gotique; mais, d'une part, l'intensité de cette commotion n'a pas d'importance pourvu qu'elle existe, et de l'autre, en fait, quelles qive soient les distances expéri- mentées, MM. Benoît et Biat n'ont jamais remarqué de différence dans l'intensité (le la commotion. « Mais il y a mieux, c'est que si l'on veut considérer encore ce qui a été dit du mariage des différents fluides, on se convaincra, par l'exemple de ce qui arrive pour le lin, le chanvre, le coton et la laine, dont les fils naturellement courts, déliés et sans attache entre eux, peuvent cependant produire, étant mariés ensemble par le mouvement circulaire du fuseau, un fil plus ou moins solide, dont la longueur n'a de limites que la quantité de la matière et la volonté de l'homme, et l'on se convaincra, dis-je, que le mariage des différents fluides produit ici un effet analogue, c'est-à-dire une espèce de cordon sym[)al]iique sans solution de conti- 520 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE nuité, d'un escargot à l'autre, avec cette différence unique que ce cordon est un fluide, et qu'à ce titre il est indéfiniment élastique en longueur ou en largeur, ce qui le rend essentiellement mobile. « Des expériences faites par MM. Benoît et Biat, à l'aide de ballons, dans l'atmos- phère, ne laissent pas de doute, d'ailleurs, sur ce point, que la terre est le conduc- teur de ce cordon sympathique combiné qui forme ce fluide et ce qui est connu ensuite, de l'inconductibilité électrique de l'air. Pour communiquer à travers l'atmosphère ou dans l'atmosphère, il faut un conducteur particulier qu'il est facile, d'ailleurs, d'établir en laissant descendre à terre un fil quelconque mobile, bon conducteur électrique. « Cependant, pour que la communication s'établisse, il ne suffit pas qu'il y ait sympathie escargotique, il faut encore supposer qu'il y a sympathie harmonique entre les individus qui veulent correspondre, et cette sympathie harmonique, c'est à l'aide du magnétisme animal qu'on l'obtient et en unissant ensemble comme je lai dit, le fluide sympathique escargotique, le fluide magnétique minéral et ada- mique, sous l'influence du fluide minéral galvanique. « Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans la question de savoir quelle analogie il peut y avoir naturellement entre ces différents fluides ; j'insiste seulement sur la nécessité de leur union, qui est le fait capital de la découverte, et sans lequel rien de tout ce qui précède n'est possible. « Or, étant donnée la commotion escargotique instantanée et à distance par sympathie, la fin de la découverte ne consiste plus que dans la connaissance de l'appareil à l'aide duquel cette commotion s'obtient, et dans les dispositions adoptées pour faire servir cette commotion à la transmission de la pensée. - « Cet appareil se compose d'une boîte carrée en bois, dans laquelle se meut une pile voltaïque dont les couples métalliques, au lieu d'être superposés comme pour la pile de Volta, sont disposés par ordre et attachés dans des trous pratiqués à cet ffet dans une roue ou plateau circulaire en bois, mobile autour de son axe en fer. ■ «'Aux disques métalliques qui forment les couples de la pile de Volta, MM. Benoît et Biat ont substitué d'autres couples en forme de godets ou auges circulaires, et composés d'un godet ou auge en zinc garni en dedans de drap préalablement trempé dans une dissolution de sulfate de cuivre et maintenu à l'aide d'une lame de cuivre rivée avec le godet. « Au fond de chacune de ces auges, ils ont fixé, à l'aide d'un mélange dont la composition sera indiquée, un escargot vivant, préalablement préparé et choisi, afin que là il puisse s'imprégner de l'influence galvanique, qui doit se combiner ainsi avec l'influence électrique qui sera développée lorsque la roue qui forme la pile sera mise en mouvement, et avec eUe conséquemment les escargots qui y sont fixés. « La boîte dans laquelle cette roue ou pile mobile est renfermée peut être d'une forme et d'une substance quelconques, mais elle est nécessaire pour soustraire le» escargots à l'influence atmosphérique. Dans tous les cas, elle est essentiellement mobile et portative. I « De plus, chaque auge ou godet galvanique est établi sur un ressort, de manière LES ESCARGOTS SYMPATHIQUES 523 h former ainsi comme une espèce de touche élastique dont le mouvement est utilisé pour l'appréciation de la commotion escargotique. « Or, on comprend maintenant que l'ensemble d "un appareil de correspondance suppose nécessairement deux appareils particuliers ou instruments, disposés comme celui que je viens de décrire, et avec l'attention spéciale de mettre, dans les auges de l'un, des escargots sympathiques avec ceux des auges de l'autre, de manière que la commotion escargotique puisse partir d'un point également précis de l'une des piles pour allerdelààun autre point également précis del'autre, et réciproquement. « Et ces dispositions comprises, le reste vient de soi-même : MM. Benoît et Biat ont fixé sur les roues des deux instruments et à chacune des touches sympathiques entre elles, des lettres correspondantes, de sorte qu'ils en ont fait des espèces de cadrans alphabétiques et sympathiques, à l'aide desquels la communication de la pensée se fait ainsi naturellement et instantanément à toutes les distances par l'écri- ture de la pensée elle-même, dont la commotion escargotique indique les lettres. « Il ne suffit plus, pour pouvoir correspondre, que de se mettre en présence de ces deux instruments, à une même heure, et d'être dans les conditions de sympathie harmonique dont j'ai parlé , et, si les expériences faites par les physiciens Steinheil, à Munich, et Matteucci, à Pise, ont permis, depuis 1813, de réduire les conducteurs métalliques de la télégraphie électrique à un seul fil pour chaque télégraphe, la découverte de MM. Benoît et Biat, comme on voit, les supprime tous. « L'appareil que je viens de décrire ayant ' forme d'une boussole marine, on ui a donné de même le non, de boussole, en ajoutant, pour caractériser son usage, la qualification dP pasilalinique, qui signifie parole ou langage universel, et, de plus, celle de sympathique, qui indique le moyen dont on se sert. « Les boussoles pasUaliniques sympathiques, que M. Benoît vieijj,.d'établir, ont plus de deux mètres de hauteur. Elles ont ainsi une grande dimension, parce qu'il a voulu y adapter des lettres ou signes alphabétiques de toutes les langues en usage, ainsi que ceux de l'alphabet universel pasilalinique qu'il a créé, et dont il sera parlé plus tard, puis les signes de ponctuation et ceux des nombres; mais on conçoit que le nombre des couples ou des touches escargotiques nécessaire pourrait être rigoureusement réduit aux vingt-cinq lettres de la langue française, et comme on peut, de plus, prendre des escargots de toutes les grosseurs, et qu'il y en a de très petits, de petits même comme des têtes d'épingles, il s'ensuit que l'on doit comprendre que l'instrument, qui peut avoir toutes les formes, peut accepter aussi toutes les dimensions, depuis les plus grandes jusqu'aux plus petites, et qu'on en pourra avoir de grands comme le cadran d'une grande horloge, d'autres comme celui d'une pendule, et puis enfin d'autres plus petits comme celui d'une montre de poche. « Je ne parle pas de la matière ni de la manière dont pourra être faite la boîte de l'appareil ; mais on a dû comprendre que toutes les matières, métalliques ou autres, pouvant être employées, la bousFole pasilalinique sympathique est destinée à devenir un meuble obligé, ou même un bijou intéressant, qui, parmi toutes les fantaisies artistiques qu'il ne manquera pas de faire naître, trouvera nécessaire- ment sa place partout, depuis le cabinet administratif des gouvernements, jusqu'à la plus humble chaumière, sans oublier, chemin faisant, le boudoir. 524 LES MYSTERES DE LA SCIENCE « Après ces explications préliminaires obligées de l'expérience, j'arrive enfin à l'expérience elle-même. » Ici nous n'accorderons plus la parole à notre auteur, pour cause de suspicion légitime. Le récit qu'il donne de l'expérience qui fut faite par Benoit (de l'Hérault) est, en effet, enjolivé de manière à donner une idée tout à fait inexacte de cette expérience et de ses résultats. Qu'était-ce pourtant que ce Benoît (de l'Hérault) et ce Biat-Chrétien, que le mémoire dont nous venons de donner un si long extrait, place aux bords lointains de l'Amérique? Ce Biat n'était qu'un être imaginaire, une innocente création de l'esprit halluciné de Benoit. Jamais homme du nom de Biat-Chrétien ne s'était rencontré, dans les parages de l'Amérique, pour s'occuper, en même temps que Benoit, de la sympathie des escargots, et pour appliquer celte animale faculté à l'invention d'une boussole pasilali- nique, adamique^ sympathique, et autres choses fantastiques. Ce Benoît lui-même était un homme qui s'était adonné depuis sa jeunesse à ce que l'on nomme les sciences occultes. A force de rêver et d'élucubrer sur la magie et sur l'astrologie, sur Cagliostro et sur Mesmer, en entre- mêlant le tout de certaines études sur l'électricité et sur ses mystères, Benoit avait accordé un tel empire à la folle du logis qu'elle avait fini par ébranler son intellect. Benoît était certainement un halluciné. La folie n'exclut pas, d'ailleurs, une certaine habileté pour atteindre un but désiré ardemment. On va en avoir la preuve. Triât est le fondateur du plus ancien gymnase de Paris. En 1849, ce gymnase, que je fréquentais régulièrement, à cette époque, était situé avenueMontaigne. En celte année 1849, Benoît vint un jour annoncer à Triât une décou- verte qu'il aurait faite pour transmettre la pensée à de grandes dis- lances, sans aucun intermédiaire, grâce à un procédé qui était bien supé- rieur au télégraphe électrique. Il avait, disait-il, tout l'appareil dans la tête : il ne restait qu'à le construire. Seulement, son défaut de ressources, ou plutôt sa misère, lui ôtait les moyens d'exécuter l'instrument, fort simple, d'ailleurs. <( Et que vous faudrait-il, lui dit Triât, pour construire cette ma- chine ? — Quelques morceaux de bois et un ouvrier », répondit Benoît. Il ne manque ni de l'un ni de l'autre dans un gymnase. M. Triât conduisit l'inventeur dans son atelier de menuiserie. « Faites, lui dit-il, taillez, construisez. Outils et ouvriers sont à votre disposition. » Triât fit plus : le futur inventeur de la boussole pasilaliniqiie, aaa- LES ESCARGOTS SYMPATHIQUES 525 mique, sympathique^ n'avait ni pain, ni asile, liioua, pour lui, une chambre, et se chargea de pourvoir à sa nourriture. Les choses marchèrent ainsi pendant près d'un an. Au bout de ce temps, toujours défrayé par son protecteur, Benoit n'était encore parvenu à aucun résultat. Il était évident qu'en s'adressant à Triât, il avait voulu trouver, non les moyens de mettre en pratique une découverte déjà faite, mais l'avantage de se livrer tout à son aise aux recherches qui devaient amener la dite découverte. L'appareil pour lequel il n'avait demandé que trois ou quatre morceaux de bois, finit pourtant par apparaître. C'était un énorme échafaudage, formé de traverses de trois mètres de longueur, supportant cette prétendue pile voltaïque dont J. Allix nous donnait tout à l'heure une description plus ou moins claire, et dans l'intérieur de laquelle de pauvres escargots vivants étaient collés de distance en distance. C'était là la boussole pasilalinique^ adamique, sympathique. En face de cet appareil s'en dressait un autre, en tout semblable. Les vingt-quatre lettres de l'alphabet étaient placées sous les vingt-quatre escargots fixés dans l'une et l'autre prétendue pile. Benoit assurait qu'en approchant un escargot convenablement préparé de l'un des escargots alphabétiques., l'escargot correspondant à la même lettre dans l'appareil opposé, devait s'agiter, montrer les cornes, et servir à transmettre ainsi à distance et sans aucun intermédiaire, des lettres, et par conséquent des mots, des phrases et des idées. Telle était la correspondance instantanée, ou la communication de la pensée due au fluide sympathique de la gent escargote. L'éloignement le plus considérable, entre les deux appareils, ne devait apporter aucun obstacle à la transmission des signes. L'une des boussoles étant à Paris et l'autre aux antipodes, la certitude et la rapidité de la trans- mission ne devaient en rien souffrir d'un tel éloignement. En preuve de ce fait, Benoit affirmait qu'un de ses amis, nommé Biat- Chrélien, habitant de l'Amérique, avait construit, d'après les indications qu'il lui avait successivement transmises, un appareil semblable à celui de Paris, et que chaque jour ils échangeaient entre eux une correspondance et des signaux. L'ancien et le nouveau monde se trouvaient ainsi en rapport continuel, sans intermédiaire apparent, danslapersonuedeM. Benoîl(derHé- rault), inventeur français, et de M. Biat-Ghrétien, citoyen delà jeune Amérique. Il n'y avait pas grand mal à se laisser conter toutes ces histoires, puisque l'expérience devait promptenient faire apprécier leur réalité. Triât trouvait, cependant, que ce moment était long à venir, puisque un an entier s'était écoulé, comme nous l'avons dit, depuis qu'il avait accueilli [)oiii' la pre- mière fois riuvcnteur. 526 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Il fallut bien pourtant que ce dernier s'exéculât. Après bien des relards et des faux-fuyants, la séance dans laquelle la boussole pcmlalinique, sympa- thique^ devait être soumise à une expérience sérieuse, fut fixée au mercredi 2 octobre 1850. Benoît assurait s'être mis en correspondance, le lundi 30 septembre, avec Biat-Chrétien, en Amérique, lequel, sans quitter le pays, devait assister à toutes les expériences qui se feraient à Paris ce jour-là et à l'heure fixée. Le 2 octobre, en effet. Triât s'étant rendu chez Benoît, celui-ci, à c'aide de l'une des deux boussoles, avertit ( il l'assura du moins) son corres- pondant américain de se tenir à son poste. Il semble que, pour pareille expérience, les deux boussoles auraient dù être établies, sinon d'un bout de Paris à l'autre, du moins dans deux pièces séparées. Benoît s'autorisa de certains défauts accidentels de la construction ju'ovisoire des deux boussoles, pour demander qu'elles fussent placées l'une i^t l'autre dans sa chambre. Forcé d'en passer par là, Triât laissa les deux appareils placés en regard l'un de l'autre, séparés seulement par l'intervalle de la largeur de la chambre. Il y avait loin de cette distance à celle qui sépare l'Amérique de l'Europe ; mais il fallut se conformer aux désirs de l'opérateur. Triât aurait voulu, au moins, qu'un corps opaque, un paravent, une cloison de planches, fussent interposés entre les deux appareils. Cette con- dition si simple ne fut même pa s accordée. Et pourtant l'expérience ne fut qu'une mystification. Jules AUix était chargé d'envoyer les signaux en touchant les escargots qui représen- taient les lettres alphabétiques, et de composer ainsi des mots. Benoît, placé devant l'autre boussole, devait recevoir les lettres et les mots désignés sur sa propre boussole par les mouvements des escargots correspondant aux mêmes lettres. Mais, sous différents prétextes, Benoît allait sans cesse de l'un à l'autre appareil; de sorte qu'il n'eût pas grand'peine à reproduire, avec sa boussole animée, les lettres envoyées par J. Allix. Triât observait tout ce manège en se mordant les lèvres. La transmission ne fut pas, d'ailleurs, aussi fidèle qu'elle aurait pu l'être avec le système commode de va-et-vient que se permettait le prétendu inventeur. J. Allix avait transmis, en touchant ses escargots dans l'ordre voulut le mot gymnase; Benoît lut sur sa boussolle le mot gymoate. En- suite, Triât, opérant lui-même, envoya les deux mots lumière divine à J. Allix, qui lut sur sa boussole lumhere divine. Mais tout cela n'était qu'une comédie, grâce aux voyages incessants que LES ESCARGOTS SYMPATHIQUES 527 l'inventeur faisait d'une boussole à l'autre, sous le vain prétexte de surveiller le jeu du mécanisme des deux appareils. Benoît fut ensuite prié de se mettre en rapport avec son Américain, qui était censé à son poste de l'autre côté de l'Atlantique. Il procéda, avec le plus grand sang-froid, à ce fantasmagorique appel. Il approcha un escargot, qu'il tenait à la main, des quatre escargots correspondant au mot Biat , puis on attendit la réponse d'Amérique. Au bout d'un certain temps, quel- ques escargots ayant montré les cornes, on composa, couci-couci, en réu- nissant avec plus ou moins d'art les lettres ainsi désignées, cette réponse : Gest bien, qui, avec l'apostrophe, donnait : C'est bien. Risum teneatis. Triât était parfaitement sûr d'avoir été dupe d'une mystification. Aussi, grande fut sa surprise, lorsqu'il lut dans le feuilleton de la Presse, du 26 octobre, le récit de cette expérience, présenté par J. Allix comme une démonstration sans réplique de la grande découverte annoncée. U déclara aussitôt à Benoît qu'après ce qui avait été publié dans la Presse^ il était forcé de lui retirer son appui. Et comme Benoît insistait, pour changer sa résolution : « Écoutez, lui dit Triât, il est facile de me faire revenir de ma décision, et en même temps, de vous passer du secours de qui que ce soit. On va établir Tune des deux boussoles dans mon gymnase, et l'autre dans une pièce à côté. Si vous le préférez, sans les changer de place, on les séparera par un simple paravent, et vous vous interdirez d'aller, pendant l'expérience, de l'une à l aulre des deux boussoles. Si, dans ces conditions, vous réus- sissez à transmettre un seul mot d'un appareil à l'autre, je vous offre mille francs par jour, tant que vos expériences réussiront. » Triât alla ensuite trouver Emile de Girardin, qui avait pris quelque intérêt à l'invention et à l'inventeur, et qui avait, dans ce but, ouvert les colonnes de la Presse au mémoire de J. Allix. Triât lui ayant fait part de sa proposition, faite le jour même à Benoît (de l'Hérault), M. de Girardin l'approuva pleinement, et voulut même se mettre de la partie. Je me joins à vous, dit-il à Triât, et pour la même somme. Dites donc à Benoît qu'il est assuré de deux mille francs par jour si l'expérience réussit, avec la condition que vous lui avez posée... Mon calcul est simple, ajouta M. Éniile de Girardin. Si Benoît réussit, nous louons le Jardin d'hiver, et nous faisons répéter par Benoît la même expérience, dans des représentations publiques, qui lui rapporteront au delà de deux mille francs par jour. » A une proposition si simple, si avantageuse pour lui, si décisive pour son invention, savez-vous quelle fut la réponse de Benoit? Il disparut, et ne 528 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE donna plus de ses nouvelles à ceux qui lui avaient prodigué si lonfitemps des encouragements pour ses recherches et des secours pour sa misère. Nous l'avons vu deux ou trois fois à Paris. C'était un homme maigre et noir, avec une grande barbe et certaines allures d'halluciné. Il est mort au commencement de 1852. Au moment où Benoît quittait ce monde, les esprits américains faisaient irruption en Europe. S'il eût vécu quelques années encore, Benoît était taillé de manière à jouer un grand rôle, et à devenir un personnage impor- tant dans le mouvement spiritiste qui allait éclater en France. Mais la Parque cruelle en ordonna autrement. L'histoire que je viens de vous conter, je la tiens de Triât lui-même, qui aimait à nous la dire, dans l'intervalle de nos exercices, et avant de nous crier, de sa belle voix sonore, accompagnée d'un roulement de tambour ; Messieurs^ à vos rangs! LES ESPRITS FRAPPEURS r Les esprits frappeurs en France. — Les malheurs du charbonnier Lerible. — La jeune fille de Glairfontaine. — E ;hec d'un exorciste. — Les esprits passent en Amérique. Les esprits frappeurs se sont annoncés à la fois en France et en Amé- rique. Par esprit de nationalité, nous donnerons le pas dans l'historique qui va suivre aux manifestations qui se sont produites dans notre pays. Nous en sommes bien fâché pour la dignité des esprits frappeurs, mais c'est chez un charbonnier qu'ils commencèrent à faire leur vacarme dans la capitale de la France. Le 2 février 1846, on lisait dans la Gazette des Tribunaux l'article suivant sur un fait mystérieux, qui, pendant plusieurs semaines, intrigua tout Paris : Dans les travaux de démolition ouverts pour le percement d'une rue nouvelle qui doit joindre la Sorbonne au Panthéon et à l'École de Droit, en traA'ersant ia rue des Grès à la hauteur de l'ancienne église qui a successivement servi d'école mutuelle et de caserne d'infanterie, se trouve, à l'extrémité d'un terrain où exis- tait autrefois un bal public, le chantier d'un marchand de bois, chantier que borne une maison d'habitation élevée d'un seul étage avec grenier. C'est cette maison, éloignée de la rue d'une certaine distance et séparée des habitations eu démolition par les larges excavations de l'ancien mur d'enceinte construit sous Philippe Auguste et mis à découvert par les travaux récents, qui se trouve, chaque 532 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE soir el toute la nuit, assaillie par une grêle de projectiles, qui, par leur volume, par la violence avec laquelle ils sont lancés, produisent des dégâts tels, qu'elle est percée à jour, que les châssis des fenêtres, les chambranles des portes sont brisés, réduits en poussière, comme si elle eût soutenu un siège à l'aide de la catapulte et de la mitraille. « D'où viennent ces projectiles, qui sont des quartiers de pavés, des fragments de démolitions, des moellons entiers, qui, d'après leurs poids et la distance d'où ils proviennent, ne peuvent évidemment être lancés de main d'homme. C'est ce qu'il a été jusqu'à présent impossible de découvrir. En vain a-t-on exercé, sous la direction personnelle des commissaires de police et d'agents habiles, une surveillance de jour et de nuit; en vain le chef de service de sûreté s'est-il rendu avec persistance sur les lieux; en Aain a-t-on lâché chaque nuit dans les enclos environnants des chiens de garde, rien n'a pu expliquer le phénomène que, dans sa crédulité le peuple attribue à des moyens mystérieux; les projectiles ont con- tinué de pleuvoir avec fracas sur la maison, lancés à une grande hauteur, au- dessus de la tête de ceux qui s'étaient placé; en observation, jusque sur le toit des maisonnettes environnantes, paraissant provenir d'une très grande distance et atteignant leur but avec une précision en quelque sorte mathématique, et sans qu'aucun parût dévier, dans sa course pai'abolique, du but invariablement désigné. » Et le surlendemain, le même journal, revenant sur ce stijet, disait encore : . « Le fait singulier, et demeuré jusqu'à présent inexplicable, que nous avons signalé, du jet de projectiles considérables contre la maison d'un marchand de bois et de charbon, rue Neuve de Gluny, proche la place du Panthéon, a continué de se produire aujourd'hui encore, malgré la surveillance incessante exercée sur les lieux mêmes. A onze heures, alors que des agents étaient échelonnés sur tous 1 points avoisinants une pierre énorme est venue frapper la porte (barricadée) de la maison. A trois heures, le chef intérimaire du service de sûreté, et cinq ou six de ses principaux subordonnés étant occupés à s'enquérir près des maîtres de la maison de différentes circonstances, un quartier de moellon est venu se briser à leurs pieds, comme un éclat de bombe. « On se perd en conjectures. Les portes, les fenêtres sont remplacées par des planches clouées à l'intérieur, pour que les habitants de la maison ne puissent être atteints, comme l'ont été leurs meubles, et jusqu'à leurs lits, brisés par les projectiles. » Nous avons transcrit littéralement ces deux articles de la Gazette des Tribujiaux, parce que leur forme semble leur donner l'authenticité de véri- tables procès-verbaux de police. Cependant l'arsenal d'oii partaient les projectiles s'épuisa, et le phénomène cessant, on cessa d'en parler. Quant à la cause, on ne l'a jamais bien connue. Lorsqu'on l'interrogeait, la police, qui n'aime pas à être prise en défaut, et qui exagère même la sagacité de ses agents, la police faisait la discrète. On parlait bien d'un mauvais LES ESPRITS FRAPPEURS 533 plaisant, qui aurait été pris sur le fait et mis en prison. Mais, informations prises, on ne trouvait nulle part ce prisonnier. En désespoir de cause, on crut découvrir l'invisible délinquant dans le loca- taire de la maison si maltraitée, le charbonnier Lerible. Si ce n'était lui en personne, c'était, disait-on, qnelque complice qu'il faisait opérer à sa place. Mais, outre que Lerible avait requis plus de trente fois la police de venir à son secours, et que c'était sur sa demande que le colonel du 24" de ligne avait envoyé sur les lieux un peloton de ses chasseurs, le bonhomme faisait voir, en pleurant, l'état pitoyable de son immeuble dégradé. Sun. laci'ymx reriim. Il présentait les débris d'un mobilier tout neuf, ou acheté un mois auparavant, les fragments de sa pendule, de ses bocaux à fleurs, et de toute sa vaisselle broyée dans un petit bulTet garni de glaces que les pierres paraissaient ajuster. Enfin il offrait sa tôle, et montrait, près de la tempe, une blessure assez grave qu'une de ces pierres lui avait causée, assurait-il, dans le temps même où il était sous la protection des agents de la police cl des chasseurs du 24" de ligne. Après une double enquête administrative et judiciaire, ce qui s'était passé ne put trouver aucune explication. Le marquis de Mirville voulut alors faire son enquête à son tour, et il la poussa avec tout le zèle que lui inspi- raient les choses ayant le caractère du miracle. Il nous apprend qu'après avoir été longtemps renvoyé de Caïphe à Pilate, il trouva enfin, dans le bureau du commissaire de police du quartier, le secrétaire, qui lui tint à peu près ce langage : « M. le commissaire vous affirmera, comme moi que, malgré nos infatigables recherches, on n'a jamais pu rien découvrir; et je peux vous assurer à l'avance qu'on ne découvrira jamais rien. » Ce jamais^ avancé par le secrétaire était fort risqué. Le journal le Droit, parlant, au mois de juin 1860, d'un fait analogue, rappelait k ce sujet, l'affaire du charbonnier Lerible, et assurait que l'on avait fini par découvrir que l'auteur de ces dégâts était bien le charbonnier lui-même, qui, mécontent de la maison qu'il avait louée dans la rue Neuve de Cluny, voulait faire résilier son bail. Quoi qu'il en soit, li déclaration faite au marquis de Mirville fut le dernier mot de la police aux abois, et les projectiles de la rue Neuve de Cluny restent encore aujourd'hui la plus singulière mystification que l'on ait faite aux Parisiens en général, et au préfet de police, M. Gabriel Delesserl, en particulier. La Revue française insérait la lettre suivante, dans sa livraison de décembre 1846 : ,834 LES MYSTERES DE LA SCIENCE «... Je crois vous faire plaisir en m'einpressant de vous signaler qu"il se passe à Clairfontaine, près de Rambouillet, des faits dans le genre de ceux de Mademoi- selle Cottin. Rambouillet s'en est beaucoup entretenu. Voici ce que j'ai pu recueillir à ce sujet ; je ne puis vous garantir l'exactitude des détails, mais le fond est vrai. « M. R... est fermier à Clairfontaine. Il y a douze ou quinze jours, trois ou quatre marchands de livres toulousains se trouvaient dans ce bourg; l'un d'eux vint à la ferme offrir ses livres. La domestique, qui se trouvait seule, lui donna un morceau de pain. Quelques temps après, un second vint aussi demander du pain ; la iiUe lui en ayant refusé, il s'en alla en la menaçant. Le soir de ce jour, la soupe étant servie, les couverts mis, au moment de se mettre à table, le bouillon tourna, devint laiteux, les couverts et la soupière s'agitèrent et furent jetés à terre ; la fiile allant pour mettre un chaudron sur le feu, l'anse lui resta dans la main, les oreilles s'étant rompues. La même fille allant dans la maison, et se trouvant sur la pLice où avait été le marchand, fut prise de mouvements dans les membres; son cou éprouva aussi un vif mouvement de rotation ; et sa frayeur était grande. Le charretier, par bravade, se mit au même lieu, il fut tout aussitôt agité, et il étouf- fait, sortant de la maison, il fut renversé dans une mare d'eau qui est au-devant. On alla chercher M. le Curé : mais à peine avait-il récité quelques prières, qu'il fut agité comme les autres ; ses lunettes en furent brisées, ses membres craquaient et éprouvaient des oscillations. La fille fut très mal; elle passa même pour avoir suxombé. Ces phénomènes sont intermittents ; ils cessent et reparaissent. « La fille avait-elle des prédispositions à cette affection, que la peur aura fait éclore? Cette espèce d'éclampsie n'est-elle pas contagieuse, comme le sont Fépi- lepsie, ia churepsie, la catalepsie, etc.? « J'aurais éti très curieux de voir ces faits, mais ne connaissant aucunement M. R... ni persjnne à Clairfontaine, n'ayant ni litre, ni mission pour prétexte, j'aurais eu peur d'être éconduit. » « A l'époque où nous voici arrivés, les esprits frappeurs avaient commencé à retentir en Amérique, mais ils étaient peu connus en France. Tandis qu'au delà de l'Atlantique le supernaluralisme, fonctionnait comme institution » suivant l'expression d'une feuille anglaise ; tandis que les journaux des États-Unis étaient remplis des récits de ses merveilles, lapresse française, en proie à d'autres soucis, gardait un silence absolu, et en quelque sorte systématique sur ces étranges nouveautés. C'est seulement vers la fin de 1852 qu'on signale l'arrivée de quelques médiums américains dans le nord de l'Ecosse, d'où leur pratique passa bientôt à Londres, et un peu plus tard en Allemagne. Mais en France, rien encore de provenance américaine. Transportons-nous, en conséquence, dans le Nouveau monde. L'origine de ces manifestations extraordinaires remonte à l'année 1846. En celte dite année 1846, un certain Michel Weckman, qui vivait dans le village d'Hydesv'Ue, canton d'Acadie, comté deWagne, entendit, un soir^ LES ESPRITS FRAPPEURS 53o frapper à la porte de sa maison. 11 alla ouvrir et ne vit personne. A peine avait- il repris sa place au coin du feu, que le même bruit se répéta. Et \Veckman de se lever encore, pour se voir de nouveau mystifié. Bien décidé à prendre sur le fait le pertubateur de son repos, il se tint en embuscade, la main sur le loquet, prêt à ouvrir au moindre coup. Ce coup ne se fit pas attendre ; Weckman ouvre brusquement... Rien encore! Tout ce qu'il y avait gagné, c'était de s'être assez gravement blessé au visage, en rasant de trop près le montant de sa porte. Au propre, comme au figuré, M. Weckman s'était cassé le nez. Tout autre s'en serait tenu là ; mais telle n'était pas l'humeur de ce Weckman. U avait eu peur, et il ne put s'empêcher de parler avec frayeur de son aventure. Aussi les mêmes bruits se renouvelèrent-ils de temps en temps. Le proverbe anglais dit que les anguilles s'accoutument à être écorchées ; de môme, notre homme et sa famille avait fini par s'habituer à être réveillés en sursaut, au milieu de la nuit, par ce désagréable tapage. Un tel vacarme ne valait guère la peine qu'on s'en occupât, mais bientôt le mouvement des meubles, le déplacement des chaises, sous l'impulsion d'une puissance invisible, et d'autres phénomènes plus étranges encore, vinrent terrifier les habitants de la maison. M. Weckman n'avait pas attendu ces nouvelles manifestations ; car dès l'année suivante il avait déguerpi, et sa maison d'Hydesville était occupée par la famille Fox. Cette famille se composait de M. et madame Fox et leurs deux filles, Catherine et Marguerite, jeunes personnes honnêtes, mais peu ingénues, et presque bonnes à marier. A celles-ci appartient la gloire d'avoir, non seulement apprivoisé les esprits, mais encore de les avoir rendus utiles, surtout à elles-mêmes. Catherine et Marguerite Fox, filles de John Fox, furent donc les premières à reconnaître les chocs spirituels [spiritual rapping ^ spiritual chocking) dans les sons étranges qu'elles entendirent pendant une nuit du mois de décembre 1847, comme elles venaient de se mettre au lit, dans la maison de M. Weckman, à Hydesville. Elles avaient d'abord attribué ce vacarme à des rats, mais elles durent bientôt renoncer à cette explication vulgaire. Les bruits se renouvelaient, dirent-elles, avec une intensité croissante. C'étaient, tantôt comme les coups d'un marteau sur une porte, tantôt comme les cla- quements d'un fouet. Catherine et Marguerite entrèrent dans beaucoup d'autres détails, qui, mettant les rats hors de cause, accusaient la présence de certains esprits de l'espèce la plus importune. C'était toujours au moment où ces demoiselles se mettaient au lit qu'ils commençaient leur sabbat. 536 LES MYSTERES DE LA SCIENCE On ne nous dit pas ce que pensait de tout cela M. Fox. Quant à ses deux filles et à leur mère, en peu de temps., elles se familiarisèrent si bien avec ces hôtes invisibles, qu'un beau jour, ou plutôt une belle nuit du mois de mars 1848, madame Fox osa adresser la parole à la muraille où ils semblaient avoir fait élection de domicile : — Qui fait ce bruit? Point de réponse. — Est-il fait par une personne vivante Srlence. — Est-ce par wi mort ? Un coup. — Est-ce lin esprit malheureux ? Un coup. — A-t-il-été malheureux par lui-même ou par sa famille? Point de réponse. — Quel âge a ma fille aînée'f Quatorze coups. — Et ma fille cadette? Douze coups. Le nombre des coups frappés répondait exactement à celui des années qui formaient l'âge de chaque jeune fille. Madame Fox adressa encore d'autre ^ questions, auxquelles il ne fut plus donné de réponses. Elle se leva toute effrayée, et alla conter cette conversation à son mari, qui, se levant à son tour, alla la répéter à ses voisins. En moins d'une demi- heure, ceux-ci étaient accourus en grand nombre dans la maison hantée. Interrogé de nouveau par l'assistance, l'esprit déclina son nom, ajoutant qu'il avait été père d'une nombreuse famille, dont cinq enfants étaient encore vivants, et il livra aussi le nom de l'homme qui l'avait assassiné, cinq ans auparavant, dans cette maison même. Il y avait certainement lieu ici à quelques investigations. Les spirites affirment qu'elles ont été faites, mais par madame Fox elle seule, qui, ayant ordonné des fouilles dans sa cave, y aurait trouvé des débris humains. Quant à l'homme désigné comme le meurtrier, les mêmes personnes assurent qu'il cria bien à la calomnie, mais qu'il n'intenta aucune action aux calomiateurs. Or, rien de tout cela n'est avéré. Le seul fait certain, c'est la grande émotion populaire que produisit dans Hydesville le récit de ces manifestations mysté- rieuses, et la nécessité où se trouva bientôt la famille Fox de quitter ce village. Dès le milieu de l'été 1848, on la voit installée dans une ville voisine, à Rochester, chez madame Fish, fille aînée de madame Fox. TABLE ECHAl'PA DE MES MAINS tT tE 1 KAiNSPORTA D ELLE-MÊME A ï^lX PIEDS DE MOI (PAGK 11. 6 8 LES ESPRITS FRAPPEURS '539 Si l'ensemble des phénomènes qui vont nous occuper, dans le reste de cet ouvrage, n'avait rien de plus sérieux que leur origine américaine, ily a long- temps qu'on n'y ferait plus attention. « On sait bien de quoi les filles sont capables! » disait, fort sensément, un curé de Paris, àpropos d'une possédée, qui, au dix-septième siècle, mystifiait beaucoup de bonnes âmes. L'halluci- nation de trois femmes, ou leur supercherie concertée, aurait suffi pour rendre compte de l'affaire d'Hydesville. Mais cette même affaire a eu des suites dont la critique ne se débarrasse pas aussi facilement. A peine la famille Fox était-elle établie à Rochester, que les esprits émi- grés avec eux d'Hydesville, s'y retrouvèrent aussi. C'étaient les mêmes esprits parce que c'étaient les mêmes personnages, renforcés par madame rish, qui surpassa bientôt en habileté sa mère et ses deux sœurs. Dans un pays tout positif, comme l'est l'Amérique, où chacun fait argent de tout, la famille Fox comprit bien vite que la réputation qui l'avait suivie du village à la ville serait un excellent fonds à exploiter. Les trois femmes s'exercèrent donc à leur rôle d'intermédiaire entre les esprits des morts et les personnes vivantes. Ces bruits entendus dans leur chambre, ces danses de meubles, ces coups de fouet, étaient, suivant elles, les avertissements des âmes des défunts qui demandaient à entrer en conversation avec leurs parents restés sur la terre. Les trois sœurs déclaraient avoir la pleine intelli- gence de ces tapages, et posséder un vocabulaire à l'aide duquel elles pou- vaientles interpréter, soit pour elles, soit pour d'autres. Elles ouvrirent donc un bureau public de consultations, où chacun pouvaitvenir converser àtant l'heure ou à tant la séance, avec les esprits de ses parents ou de ses amis morts. Les gens du pays s'empressèrent d'y apporter leurs dollars, et chose inouie ! tout le monde sortit satisfait de ce qu'il avait vu et entendu dans l'antre des modernes sibylles. Le succès des demoiselles Fox fat si grand, que bientôt des hommes graves, des magistrats éclairés, des ministres de la religion, virent là une révélation nouvelle, et se proclamèrent convaincus de la vérité, c'est-à-dire du caractère spirituel de ces manifestations. Le révérend G. Haumond publia plusieurs brochures, dans lesquelles il exposait sa croyance sur ce point, ses longues résistances et les précautions qu'il avait prises pour n'être point trompé. Deux séances ne lui avaient pas suffi pour le convaincre que les phénomènes n'étaient autre chose que du mesmérisme. « A la troisième visite, dit-il, il était huit heures du soir; une bougie allumée était placée sur une grande lable, autour de laquelle nous nous assîmes. J'occupais l'un des côtés de la table, la mère et la plus jeune sœur étaient au côté droit; 5i0 LES MYSTERES DE LA. SCIENCE les deux autres sœurs au côté gauche ; le quatrième côté était vacant. Dès que nous fûmes assis, les bruits se firent entendre, et ils continuèrent avec une force et une rapidité croissantes, jusqu'à ce que la chambre en fût ébranlée de toutes parts. Je n'avais encore rien entendu de si violent. Tout à coup, et comme nous avions tous les nnains posées sur la table, je sentis qu'elle s'élevait en l'air par le côté que je touchais. Je voulus la retenir de toutes mes forces ; mais elle échappa de mes mains, et se transporta d'elle-même à six pieds de moi, et au moins à quatre pieds de la personne la plus rapprochée. Je m'assurai qu'aucun fil tiré par quelqu'un de la compagnie ne l'avait traînée là où elle s'était posée, car j'étais venu pour démasquer une imposture, si j'avais réussi à en découvrir une. L'un des assistants fit alors cette demande : « Est-ce que l'esprit voudra bien transporter la table où elle était auparavant? » Et la table revint à nous, comme si €lle eût été portée sur la tête d'une personne, se balançant de côté et d'autre, sans garder bien l'équilibre. En même temps les démonslralions devenaient de plus en plus bruyantes. La famille commença à chanter le Chant des Esprits, et plusieurs autres morceaux de musique sacrée, pendant lesquels la table battait la mesure. A ce moment, une main transparente, ressemblant à une ombre, se présenta devant mon visage. Je sentis, sur ma tempe droite, les doigts tirer une mèche de mes cheveux, en me forçant à baisser la tête de l'autre côté. Ensuite, une main, froide comme la mort, s'appliqua sur mon visage. Je sentis trois petits coups sur le genou gauche, tandis que ma jambe droite était poussée avec force sous la table, deux mains invisibles me frappèrent sur les épaules, ma chaise fut entrahiée avec moi et changea de place, je reçus plusieurs soufflets, qu'une main semblait m'ap- pliquer sur les deux joues, et en moins de temps que je ne puis le dire, chaque per- sonne présente en avait reçu autant. Pendant ce temps, un morceau de carton se mit à parcourir la chambre en tous sens. Le store d'iuie des fenêtres se roula de lui-même et se déroula deux fois ; un sofa, placé derrière moi, dansa violemment ; deux tiroirs d'une commode s'ouvrirent et se fermèrent, avec une prodigieuse rapidité ; on entendit de dessous la table des bruits de scie et de rabot, et un rouet tourna, comme si on s'en fût sérieusement servi pour filer. Toutes ces démonstrations et bien d'autres, dont je fus témoin pendant cette soirée, me laissèrent parfaitement maître de moi-même, de manière que je pus les observer avec tout le soin possible. J'éprouvai seulement, lorsque la main froide vint se poser sur mon visage, un léger frisson, semblable à celui que cause le •contact d'un corps mort. . « Prétendre, » ajoute M. Haumond, « qu'une des personnes présentes ait été l'auteur de ces manifestations, ce serait être plus crédule que je ne le suis, en les attribuant à l'action des esprits. J'étais si bien sur mes gardes, qu'aucune tentative de supercherie n'aurait pu m'échapper. Je dois ajouter qu'à la fin de ma visite, je sentis dans le parquet une violente vibration, comme si un poids de plusieurs tonnes y fût tombé d'une grande hauteur, et tous les objets contenus dans la chambre en éprouvèrent un tremblement qui dura plusieurs minutes... » « Rùchester, 22 février 1830. » Voici maintenant le compte rendu d'une autre séance qui cul i»Ia.s de LES ESPRITS FRAPPEURS 541 solennité, et qui préoccupa vivement le public américain. Les médiums^ sont toujours les demoiselles Fox; mais le théâtre est transporté dans la grande ville de Saint-Louis, sur le bords du Mississipi. On écrivait de cette ville la lettre suivante, que le Courrier des Etats- Unis insérait dans son numéro du 8 juillet 1852 : « 11 se passe ici, et dans une grande partie de l'Amérique, des faits auxquels la presse doit une certaine attention. Si ces faits sont ce qu'ils prétendent être, ils annoncent une révolution religieuse et sociale, et ils sont l'indice d'une nouvelle ère cosmogonique. S'ils couvrent une déception, d'où vient l'imposture ? La conta- gion se répand d'une manière inexplicable, sans qu'il soit possible d'en saisir la cause ; c'est une hallucination qui s'empare de tout un peuple. Je parle des phéno- mènes connus sous le nom de communications spirituelles ou manifestations des esprits de l'autre monde. Je sais que ces paroles appelleront un sourire de pitié sur les lèvres de ceux qui ne savent pas de quoi il s'agit; mais enfin la folie, si folie il y a, s'empare des cerveaux les mieux organisés; personne n'a le droit de se croire à l'abri du danger, et quelques explications ne peuvent paraître superflues. « Les demoiselles Fox sont ici depuis trois semaines. Tous ceux qui ont entendu parler du spiritual rapping savent que ces jeunes filles sont les premiers apôtres parfaitement passifs et involontaires, selon toute apparence, de la révéla- lion nouvelle. Il y a plus de quatre ans qu'elles jouent ce rôle, ou qu'elles rem- plissent ce rôle, et l'aînée n'a pas dix-neuf ans. Si ces deux enfants trompent le public, jamais plus hideuse imposture ne prit un masque plus trompeur. Du reste, ces demoiselles n'ont pas le privilège exclusif des phénomènes mystérieux; depuis six mois que le premier médium ou intermédiaire spirituel a paru ici, le nombre s'en est tellement multiplié qu'on les compte aujourd'hui par centaines. Il y en a plus de dix mille dans les États-Unis. Aux yeux des personnes qui ont suivi ce développement extraordinaire , il ne peut plus être question de supercherie, ni de magie blanche. Ceux qui repoussent l'intervention des esprits appellent à leur secours l'électricité et le magnétisme pour expliquer ces incroyables nou- veautés. Mais les théories les plus ingénieuses ne peuvent rendre compte de tout ce qui se passe, et l'hypothèse des esprits est jusqu'à présent la seule qui paraisse répondre à toutes les difficultés. 11 ne s'agit pas ici de prendre parti pour ou contre cette hypothèse, mais seulement de signaler des démonstrations publiques, et en quelque sorte officielles, auxquelles a donné lieu la présence des demoiselles Fox. « Elles ont comparu dans l'amphitéàtre de l'école de médecine de l'université de Missouri, devant une assemblée de cinq ou six cents personnes. Un ancien maire de la ville, connu par son opposition à la doctrine nouvelle, avait été nommé président de la réunion. Un comité d'investigation surveillait les expé- riences dirigées par le doyen de la Faculté, homme célèbre dans l'Ouest par sa science médicale, et par son éloquence excentrique. On fit placer les jeunes filles sur la table de dissection, de manière à ce que leurs moindres mouvements ne pus- sent échapper à personne. L'assemblée, muette, contemplait ces deux gracieuses statues, et la grande question de l'existence future était posée ; To be or not to be i Les bruits n'ont pas tardé à se faire entendre, semblables à de légers coups de 542 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE marteau frappés sur la table, et assez distincts pour être entendus dans une salle beaucoup plus vaste. Un dialogue s'est établi entre le doyen et les esprits, ou du moins l'un d'eux, qui a répondu fort à propos aux questions scientifiques qui lui étaient adressées. Il est vrai que les réponses ne se faisaient que par oui ou par non et l'esprit n'était pas un moindre personnage que Franklin. Du reste, il s'agissait moins de mettre à l'épreuve la sagacité des esprits, que de vérifier la théorie élec- trique des rappings, théorie qui attribue aux demoiselles Fox et aux médecins une faculté analogue à celle des torpilles. On les a isolées sur des tabourets de verre, et les bruits ont continué à se faire entendre dans la salle au-dessous d'elles. Des expériences analogues ont montré que le galvanisme et le magnétisme n'étaient pour rien dans la production des phénomèmes. Je ne parle ici que du magnétisme terrestre ; quant au magnétisme humain, il semble être la dernière ressource de ceux qui ne veulent absolument pas se rendre aux esprits. « A l'air narquois, à la réputation de scepticisme du vieux prrofesseur, on pou- vait croire qu'il allait se faire un malin plaisir de démolir tout l'échafaudage de la doctrine spiritualiste. Non, l'anatomiste est enfin sorti du domaine de la mort, le matérialiste de profession a proclamé sa croyance à l'immortalité de l'âme ; le savant a déclaré qu'il croyait à la présence des esprits et à leur communication par des moyens physiques, et il a reproduit à cet égard quelques explications au moins fort ingénieuses de l'école de Dairs. Je pourrais parler de'phénomènes bien plus saisis- sants que ces bruits inexplicables, et qui semblaient bouleverser les lois du monde matériel ; mais j 'ai voulu seulement signaler des faits que leur caractère authentique met au-dessus de tout soupçon, et surtout cette déclaration étrange et solennelle partie d'un des sanctuaires de la science, au milieu du dix-neuvième siècle. » Depuis la publication de ce compte rendu, le nombre des médiums s'accrut prodigieusement en Amérique. On l'a porté à soixante mille, et tous, à ce que l'on assure, faisaient d'assez bonnes affaires, les uns en donnant des séances de pure curiosité, les autres en appliquant leurs facultés à guérir des malades, et le plus grand nombre mettant en rapport leurs clients avec les esprits. Cette propagande s'était faite, d'ailleurs, des le commencement, avec une telle rapidité que, moins d'un an après l'avènement des demoiselles Fox, toutes les villes principales du continent, Boston, Providence, New- Haven, Slradford, Cincinnati, Bul'falo, Jefferson, Saint-Louis, Aubrun, Man- chester, Long-Island, Portsmouth, New-Brighton, etc., étaient envahies parles prédicants de la nouvelle découverte, et formaient à leur tour des adeptes, qui la répandaient ailleurs. Les demoiselles Fox, qui avaient eu d'abordle mono- pole de cette nouvelle industrie, trouvèrent des concurrents plus forts qu'elles, mais elles restèrent longtemps les plus courues et les plus richement payées. Si le nombre des clients des médiums américains est en proportion avec celui des exploitants, comme il est naturel de le penser, l'auteur de la lettre qu'on vient de lire ne s'est donc pas trop avancé en disant que la passion LES ESPRITS FRAPPEURS 843 des esprits frappeurs s'est emparée de « presque tout un peuple ». 11 existe, d'ailleurs, un document qui ne peut laisser aucun doute sur le progrès de cette épidémie en Amérique. C'est une pétition qui fut adressée au Corps législatif de l'Union américaine, par un grand nombre de citoyens, incertains de ce qu'ils devaient croire, et qui imploraient un conseil et un secours moral pour pouvoir résister au torrent, ou, tout au contraire, une autorisation régulière de s'y abandonner. En France, et dans les autres pays citholiques, on s'adresserait au pape, en pareille circonstance ; mais eo Amérique, où le Corps législatif est l'unique pouvoir et le seul oracle pour tout le monde, on lui demande une instruction morale et religieuse, comme on lui demanderait un règlement d'administration publique. C'est de lui que l'on voulait obtenir, ou la condamnation de l'hérésie des esprits frappeurs ou la définition dogmatique de ce mystère nouveau. Voici cette curieuse adresse, signée par quatorze mille citoyens, parmi lesquels figurent plusieurs noms des plus respectés du pays. <• Les soussignés, citoyens de la république des États-Unis d'Amérique, deman- dent respectueusement à exposer à votre honorable corps, que certains phéno- mènes physiques et intellectuels, d'origine douteuse et de tendance mystérieuse, se sont manifestés depuis peu en ce pays et presque dans toutes les parties de l'Europe. Ces phénomènes sont même devenus si multipliés dans le nord, le centre et l'ouest des États-Unis, qu'ils préoccupent vivement l'attention publique. La nature particulière du sujet sur lequel nous désirons appeler l'attention de votre honorable corps ne peut être appréciée par une analyse rapide des difTérents ordres de manifestations, et nous en donnons ci-dessous un résumé imparfait : « 1° Une force occulte, s'appliquant à remuer, soulever, retenir, suspendre, et dérangeant, de diverses autres manières, la position normale d'un grand nombre de corps pesants ; le tout étant, en apparence, en directe contradiction avec les lois de la nature, et dépassant totalement les pouvoirs de compréhension de l'enten- dement humain, cette force se manifeste à des milliers de personnes intelligentes et raisonnables, sans que les sens de l'homme aient jusqu'ici réussi à découvrir, à la satisfaction du public, les causes premières, ou les causes approximatives de ces phénomènes. << 2" Des éclairs ou clartés de différentes formes et de couleurs variées apparais- sant dans des salles obscures, là où il n'existe aucune substance capable de déve- lopper une action chimique ou une illumination phosphorescente, et en l'absence de tmit appareil ou instrument susceptible d'engendrer l'électricité ou de produire la combustion. 3" Une autre phase de phénomènes sur lesquels nous appelons l'attention de votre auguste corps, consiste dans la variété des sons, qui sont maintenant extrê- mement fréquents dans leur répétition, étrangement variés dans leurs caractères, et plus ou moins sigificatifs dans leur importance. Ces bruits consistent en partie dans certains tapotements mystérieux, qui paraissent indiquer la présence d'une 544 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE intelligence invisible. On entend encore souvent des sons analogues à ceux qui retentissent dans les ateliers de différentes professions mécaniques, ou bien encore des bruits qui ressemblent aux voix stridentes des vents et des tempêtes, auxquels se mêlent les craquements de la mâture et la coque d'un vaisseau luttant contre une tempête violente. Parfois d'éclatantes détonations se font entendre, semblables- aux- grondements du tonnerre ou à des décharges d'artillerie, et ces détonations- sont accompagnées d'un mouvement oscillatoire dans les objets environnants, et quelquefois d'un tremblement ou d'une forte vibration dans la maison entière où se passent les phénomènes. Dans d'autres circonstances, des sons harmonieux vien- nent charmer l'oreille, tantôt comme des voix humaines, et plus souvent comme les accords de plusieurs instruments de musique : le jeu du fifre, du tambour, de la trompette, de la guitare, de la harpe et du piano. Tous ces sons ont été mysté- rieusement produits, soit ensemble, soit séparément, tantôt sans aucune intervention en présence des instruments, tantôt c'étaient les instruments qui vibraient ou reten- tissaient d'eux-mêmes, et dans tons les cas, sans aucune apparence de concours humain ou d'autre agent visible. Ces phénomènes paraissent se reproduire, quant à ce qui a rapport à leur émission, suivant les procédés et les principes reconnus de l'acoustique. Il y a évidemment des mouvements ondulatoires dans l'air, qui viennent frapper les nerfs auditifs et le siège de la sensation de l'ouie, "quoique l'origine de ces ondulations] atmosphériques ne reçoive pas d'explication satisfaisante de la part des plus sévères observateurs. « Toules les fonctions du corps et de l'esprit humain sont souvent étrangement inllucncécs, de manière à annoncer un état de sj'stème entièrement anormal, et cela par des causes qui n'ont été ni définies d'une manière concluante, ni comprises. L<; pouvoir invisible interrompt fréquemment ce que nous sommes accoutumés a regarder comme l'opération normale de nos facultés, suspendant la sensation,, arrêtant le pouvoir du mouvement volontaire et la circulation des fluides animaux, faisant baisser la température des membres et de portions du corps jusqu'à la froideur et la rigidité cadavériques. Parfois la respiration a été suspendue complè- tement pendant des heures et des journées entières, après lesquelles les facullcs de l'esprit et les fonctions du corps ont repris entièrement leur cours régulier. Il est cependant permis d'affirmer que ces phénomènes ont été suivis, dans des cas nombreux, de dérangements d'esprit permanents et de maladies incurables, et il n'est pas moins certain que beaucoup de personnes qui suufTraient de défauts orga- niques ou de maladies invétérées et en apparence incurables, ont été subitement soulagées ou entièrement guéries par ce même agent mystérieux. Considérant qu'il est essentiellement opportun, et qu'il est strictement compa- tible avec l'esprit de nos institutions de s'adresser aux représentants du peuple pour toutes les questious que l'on présume loyalement devoir conduire à la décou- verte de nouveaux principes et entraîner des conséquences prodigieuses pour le genre humain, nous, vos concitoyens, demandons instamment à être éclairés dans celte occasion, « En vue des faits et des considérations contenus dans ce mémoire, vos conci- toyens pétitionnent respectueusement à votre honorable corps, afin qu'un crédit soit alloué pour; permettre aux membres de la C(xnmission de poursuivre leurs REÇOIT DU médium une lettre touchante (page 547) 69 LES ESPRITS FRAPPEURS' 547 investigations jusqu'à leur terme. Nous croyons que les progrès de la science et les vrais intérêts du genre humain retireront un grand profit des résultats des recher- que nous provoquons, et nous avons la confiante espérance que notre prière sera approuvée et sanctionnée par les honorables chambres du Congrès fédéral. » Le Congrès des États-Unis passa à l'ordre du jour sur celte pétition ; mais le mémoire qui vient d'être cité n'en conserve pas moins la valeur que lui donnent les quatorze mille signatures dont il est revêtu, et le ton de parfaite bonne foi, et même de candeur, avec lequel il est rédigé. Les signataires n'avancent rien de trop en disant que la force occulte à laquelle ils attribuent ces actions, incompréhensibles suivant les lois de la nature, s'exerce sur des milliers de personnes intelligentes et raisonnables. Nous avons vu tout à l'heure, dans l'exposé de M. Haumond, le détail des effets étranges accomplis sous ses yeux, sur sa personne même, et qui ont déter- miné sa conversion. Le cas de ce révérend pasleur n'est pas unique dans le clergé protestant d'Amérique, bien qu'il soit vrai de dire que la plupart des ministres de cette religion s'y sont unis à quelques hommes politiques, pour condamner solennellement des pratiques dont le seul danger n'est pas l'hérésie. Quoi qu'il en soit, voici venir d'autres personnages moins faciles encore à tromper, ou plus méfiants par profession que les gens d'église, et sur lesquels il n'est guère permis de faire planer le soupçon d'une connivence intéressée. D'honorables magistrats ont admis les manifestations des esprits, et devenus prosélytes de la nouvelle doctrine, ils s'en sont rendus tout aussitôt les apôtres. C'est d'abord M. Simmons. Cet honorable magistrat venait de perdre un fils. Que ne peut la douleur sur le cœur d'un père ! On lui propose d'évoquer cet être chéri; qu'il ne voyait plus, hélas! que dans ses souvenirs. M, Sim- mons y consent, les opérations commencent, et le médium agissant, déclare qu'il voit le défunt. Il le dépeint et le fait même parler. Le père, déjà frappé et du portrait et du langage de l'ombre évoquée, demande pourtant une preuve de plus. « Qu'il m'écrive, dit-il, et je le reconnaîtrai certainement. » Alors on donne un crayon au médium. On reçoit ainsi une lettre touchante, où le père, encore plus attendri qu'étonné, retrouve non seulement les idées €t les sentiments de son fds, mais son écriture même, ses incorrections de style, et jusqu'à ses fautes d'orthographe les plus habituelles. Une autre conversion, celle de M. John Edmonds, juge à la cour suprême de New York et ancien président du Sénat, eut aussi pour point de départ un sentiment de tendresse pour une personne morte. Voici les détails que nous 548 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE trouvons à ce sujet dans un ouvrage publié par M. Spicer, sons le tilre de Visions et bruits [Sights ands ounié) : « Le premier fait qui fit naître quelques doutes dans l'esprit du juge Edmonds, fut une apparition de la femme qu'il avait perdue quelques semaines auparavant. Invité pour la seconde fois à jouir de la même consolation, par une dame, à laquelle sa femme était également apparue, cette deuxième séance lui donna le désir d'approfondir sérieusement la nature de faits aussi extraordinaires. C'est alors qu'on le vit porter dans ses investigations toute la prudence et l'habileté d'un homme habitué depuis longtemps aux recherches judiciaires. Il demanda des preuves, ne voulant pas se contenter des coups, des frappeme.its, des rotations de tables ordinaires. « Ces vagues communications avec le monde spirituel ne le satisfaisant pas entièrement, fatigué de résultats qui ne répondaient pas à son attente, peut-être se fût-il définitivement éloigné, si quelques phénomèmes significatifs n'étaient venus le forcer à se rendre, mais seulement, comme il le dit lui-même, « au moment <( où un esprit sain ne pouvait plus se refuser à l'évidence. » « Le 21 mai de cette année 1832, une assemblée avait lieu dans la maison d'un M. Partridge, de New York ; vingt personnes environ s'y trouvaient avec lui. Des coups furent bientôt entendus, et les esprits firent savoir qu'on devait jouer d'un piano qui se trouvait au milieu du salon. On obéit, et pendant l'exécution, les coups battirent exactement la mesure ; mais ils furent suivis des plus étranges soubre- sauts dans toutes les tables et chaises, dont plusieurs furent transportées, et bientôt remises à la place qu'elles occupaient d'abord. Toutefois ces démonstrations ordi- naires et maintenant habituelles n'étaient que le prélude de manifestations d'un caractère plus stupéfiant. <( Quelqu'un ayant proposé de plonger dans L'obscurité la pièce dans laquelle on se trouvait, des lumières jaillirent des différents points de l'appartement, quelques- unes formant des nuages lumineux et mobiles, d'autres prenant la forme d'étoiles brillantes, decristaux, de diamants. Ces démonstrations physiques augmentèrent de plus en plus d'éclat et d'intensité, et se prolongèrent pendant trois heures. Durant tout ce temps, dit l'auteur de la relation, le juge semblait être lui-même au pouvoir des esprits, et annonça plusieurs fois que ceux-ci lui révélaient des choses qui lui étaient arrivées autrefois, et dont lui seul pouvait avoir la mémoire et le sentiment. Pendant ces révélations, on s'apercevait bien que quelque chose d'extraordinaire agissait sur lui et autour de lui, mais le piano s'étanl mis à jouer, la mesure fut battue par des mains invisibles, et comme par le plus habile chef d'orchestre. «Enfin, à une réunion subséquente, le juge Edmonds reçut d'une voix invisifde l'annonce qu'il deviendrait un médium. Cette promesse se réalisa, car il devint bientôt un lucide de premier ordre et l'un des premiers médiums de l'Amé- rique. >) Le juge Edmonds, jusqu'à ceU,e époque, avait tourné en ridicule la croyance aux esprits, devint, plus tard, non seulement im médium première force, LES ESPRITS FRAPPEURS S49 mais un prophète, un apôlre de la nouvelle doctrine. Il publia, avec la colla- boration de M. Talimadhe, gouverneur de l'État de Visconsin, et du docteur Dexter, praticien de la ville de New York, un ouvrage, qui fut considéré comme le manifeste officiel du mouvement spiritiste. Un écrivain catholique, M. G. de Laroche-Héron, eut l'occasion d'inter- roger les oracles américains, et le récit qu'il a donné de sa visite à la famille Fox renfernae des particularités intéressantes, qui nous engagent à le rap- porter. Un des amis de cet écrivain l'avait conduit chez madame Brown, ci-devant madame Fish, la sœur aînée des demoiselles Fox, qui avait divorcé, sur l'ordre des esprits, pour convoler en nouvelles noces. « Les profits du spiritualisme, dit M. de Laroche-Héron, ont permis à madame Brown de quitter Rochester et de s'établir sur un plus grand théâtre. Elle a une fort jolie maison, où elle demeure avec ses sœurs, âgées maintenant de dix-sept à vingt ans. Les esprits ont dit à madame Fish que M. Fish ne lui convenait plus. lilleadonc divorcé et épouséM. Brown, qui est plus jeune que son prédéces- seur. Madame Brown est belle et paraît avoir trente ans. Elle continue son commerce à New York, donnant à son domicile trois séances de consultations par jour; mais depuis que les autorités municipales ont discuté la question de savoir si l'on ne fer- merait pas les cercles spiritistes, elle met un certain mystère dans ses opérations. « Le 2 avril, à sept heures du soir, en compagnie d'un ami fort intelligent, consul d'une des puissances européennes, nous nous sommes rendus chez ma- dame Brown, où un domestique nous a introduits dans un salon, après avoir pré- levé de nous la cotisation d'usage. Nous n'étions pas connus, nous n'étions pas attendus, et nous sommes convaincus qu'à l'heure qu'il est madame Brown ignore encore notre nom et notre histoire. Le domestique nous dit que ces dames prennent le thé et nous rejoindrons dans quelques minutes. Nous en profitons pour scruter tous les sens du salon où l'on nous admet, sondant les murs, soulevant les tables, cherchant partout, mais sans en trouver, des doubles fonds, des trappes, des fils métalliques, ou des conduits acoustiques. Bientôt deux liommes et trois dames vinrent se joindre à nous, mais ils paraissent être les amis de la maison et pour- raient aisément passer pour compères, s'il y avait lieu de s'en servir. L'un de ces hommes, vieillard décharné à figure patibulaire, dit qu'il vient tous les soirs con- verser avec l'esprit de ses filles mortes. Il est sous l'influence complète de ses hal- lucinations, et il sera probablement fou avant six mois. Madame Brown et ses sœurs se présentent, et elles nous invitent à nous asseoir autour d'une longue table ovale. « Vous venez, dit madame Brown avec beaucoup d'aisance, pour consulter les esprits ; mais il faut d'abord qu'ils soient dans l'appartement, ils n'y viendront que dans six ou dix minutes ; d'ici là, nous pouvons causer de choses indifl"érentes. » L,a société suit ce conseil, lorsque des coups se font entendre dans la table, puis dans le parquet, puis dans les murs, puis au plafond, puis sur les vitres, les tapo- tages devenant aussi forts et aussi continus qu'un roulement de plusieurs tambours. 550 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE « Vous voyez, dit madame Brown, que les esprits y sont, et vous pouvez mainte- « nant les consulter. » « Nous commençons par chercher à nous rendre compte de ces bruits étranges, qui bientôt semblent se localiser à la table seule. L'un de nous en ôte le tapis la soulève, et applique l'oreille sur la planche : notre ami s'accroupit sous la table, et. dans cette position, il nous semble à l'un et à l'autre que les chocs sortent de dessous la table. « Nous demandons au médium si les bruits se feraient de même entendre de tout corps solide que nous désignerions, et, sur sa réponse affirmative, nous ouvrons une fenêtre : madame Brown et l'une de ses sœurs, tenant leurs mains entrelacées, les élèvent dans la direction d'une des vitres, les mains étant éloignées cependant du verre d'un pied environ. Aussitôt des sons semblables à un battement de dix duigts sur la vitre, retentissent à notre grand étonnement; nous demandons que les sons sortent successivement de toutes les vitres, et il nous suffit d'indiquer celle que nous voulons, pour que le même roulement s'y fasse entendre... « Dans l'incertitude sur la manière de s'y prendre pour questionner les esprits, nous laissons le vieux maniaque nous donner l'exemple, et il s'empresse d'entrer en dialogue avec ce qu'il croit être l'esprit de sa fille, soit en obtenant des réponses par oui ou par non (trois chocs veulent dire oui, dans le langage de madame Brown ; un choc, non ; deux chocs, réponse douteuse) ; soit en épelant rapidement l'alphabet, et formant ainsi de longues phrases, qui toutes parlent du bonheur de l'àme dans l'autre monde, et du désir qu'elle a de voir son père l'y rejoindre. Puis, nous nous hasardons nous-mêmes à poser les questions suivantes en français. Les esprits sont réputés polyglottes, et répondent à toutes les langues connues. ■• Est-ce que Vesprit de quelqu'un de mes parents décédés est ici présent ? » Trois coups affirmatifs se font entendre Est-ce l'esprit de mon père? Trois coups encore. Manière est-elle ici près de moi ? Trois coups légers paraissent venir d'une autre partie de l'appartement. Ma mère vous ai-je connue ? Un coup négatif. Etes-vous heureuse dans l'autre monde ? Trois coups. Avez-vous été heureuse sur la terre ? Trois coups. « Ce singulier dialogue ne laisse pas de nous causer un certain trouble, et nous gardons un instant le silence. Madame Brown nous invite alors à vérifier si ce sont bien les âmes de nos parents, en les questionnant sur des faits intimes, ignorés des médiums et de l'assistance entière. Elle nous dit même que, pour nous prémunir contre toute supercherie, nous pouvons écrire nos questions et obtenir la réponse des esprits, sans qu'aucune personne présente ait lu ou su ce 'que nous demandons. Nous prononçons alors ces mots à haute voix : Lesprit veut-il frapper trois coups quand j'écrirai le prénom de ma mère ? Puis, prenant un papier, et loin de tous les regards, nous écrivons successivement cinq noms de baptême autre que celui que nous avous en vue. Tout reste silencieux. Nous écrivoi s la première lettre du pré- nom de notre mère. Aussitôt les trois coups se font entendre, avant que le mot ait été seulement achevé. « Nous posons successivement ainsi une cinquantaine de questions sur des faits, des noms, des dates, que nous savons n'être connus de qui que ce soit en Amé- LES ESPRITS FRAPPEURS riijue : nous obtenons invariablement des réponses satisfaisantes, sans aucune erreur. On nous indique même les maladies qu'ont eues nos différents parents, les causes de leur mort, et autres détails d'une précision prodigieuse. Notre ami obtient de même un nombre aussi considérable de réponses conformes à la vérité, sans une seule erreur. Puis, cherchant à percer le voile de ces phénomènes, nous demandons à haute voix : « Eles-vous envoyé de Dieu ? Oui. « N'êtes-vous pas plutôt envoyé du démon ? Non. L'esprit voudra-t-il bien me dire quelle est la meilleure religion ? [k ce moment, nous remarquons que ma- dame Brown paraît vivement contrariée.) Nous continuons. « Est-ce le culte méthodiste ? Le culte papiste ? Le culte catholique? Le culte presbytérien ? Le judaïsme ? L'islamisme ? Silence complet. Aucune réponse, même négative. Madame Brown nous dit alors que les esprits n'aiment pas être ques- tionnés sur la religion, et notre voisin, demi-fou, prenant à son tour la parole, nous dit avec passion, et presque avec rage. « Savez-vous ce que ce silence signifie ? Cela veut dire que toutes les religions sont mauvaises. N'est-ce pas, ajouta-t-il comme en s'adressant aux esprits, que tout culte est absurde ? » Trois coups frénétiques se font entendre. « Qu'il suffit de suivre les conseils de sa con- science? — Oui. — Qu'il suffit d'écouter les esprits? Oui, — Que toute religion où il y a des prêtres est mauvaise ? — Oui. — Oti il y a un pape est mauvaise ? — Oui. — Où il y a des ministres quelconques est mauvaise ? — Oui, oui, oui. M. de Laroche-Héron, dans l'article qu'il a publié sur les médiums amé- ricains, et dont nous venons de rapporter un extrait, se montre fort hostile à cette secte. IV Explication des toc-loc cies esprits frappeurs. Noos devons au lecteur Texplication de ces coups mystérieux par lesquels les esprits américains manifestèrent pour la première fois leur présence, et qui leur tirent même donner un nom particulier, celui d'esprits frappeurs {fpmt.rappin(/s). Les esprits frappeurs n'ont, à la vérité, fait entendre leurs toc-toc que dans les cercles américains, cà l'invocation des demoiselles Fox et de leurs nombreux successeurs. En Europe, ces coups mystérieux ont rare- ment retenti, ou n'ont pas été pris au sérieux. Mais nous ne sommes pas dispensé pour cela d'en dire quelques mots. Si la supercherie n'était pas la véritable explication à donner des coups mystérieux que les demoiselles Fox et leurs nombreux émules firent entendre aux croyants de l'Amérique, on s'en rendrait aisément compte, sans faire injure à la bonne foi des intéressés, par l'état d'hypnotisme qui fera le sujet d'une Notice particulière à la fin de ce volume, et que nous sommes forcé d'invoquer ici par anticipation. Comme, dans l'état hypnotique, l'individu n'a aucune conscience des actes qu'il accomplit, il ignore qu'il soit lui-même l'auteur de ces coups mystérieux et après la séance dans laquelle le phéno- mène s'est produit, il peut attester, en toute sincérité, son innocence sur ce point. Cette explication suffit pour donner la clef des coups frappés dans le mur par les prétendus esprits. Mais elle ne nous dispense pas de rapporter un autre système qui a été proposé pour expliquer les toc-toc des spirit rap- pings' Ça''q?>\, celui qui fut présenté pour la première fois par un savant des États-Unis, le docteur Flint, et qui fut reproduit, quelques temps après, par un physiologiste d'Allemagne, M. Schiff, et exhibé par lui devant l'Académie des sciences de Paris. M. Flint, et après lui M, Schiff, ont trouvé que, par une contraction LES ESPRITS FRAPPEURS 5b3 rapide de certains muscles, on peut faire entendre des bruits ou des chocs, aas aucun mouvement extérieur du corps. M. Schifï croit que les médiums aTiéricains ou leurs acolytes ont employé cet artifice pour simuler les coups mystérieux attribués aux esprits. D'après M. Schiff, ces bruits, qui ressemblent à de petits coups de marteau sourds et étouffés, et dont les cerveaux faibles font honneur à la présence d'êtres surnaturels, n'auraient d'autre origine que certains mouvements secrets que quelques individus auraient la faculté de produire par la contrac- tion de l'un des muscles de la jambe. Il est prouvé que le tendon du muscle long péronier latéral frappant contre sa coulisse ou contre la surface osseuse du péroné, peut produire des bruits assez forts pour être entendus à quelque distance. Le docteur Schiff, qui était parvenu à se rendre très habile dans se curieux exercice, faisait entendre à volonté des bruits successifs et régu- liers. Pendant qu'il exécutait ces mouvement, se tenant debout ou couché, avec ou sans chaussure, un spectateur, la main posée sur une des malléole (éminence osseuse placée à la partie inférieure de la jambe) pouvait recon- naître et sentir les contractions du tendon du muscle long péronier latéral. Au mois d'avril 1859, le docteur Schifï donna, dans une séance de l'Académie des sciences de Paris à laquelle nous avons assisté, une démons- tration publique de sa faculté de jouer des muscles péroniers. Introduit dans la salle des séances, il fut invité à s'asseoir au milieu de la pièce, afin d'être aperçu de tout le monde et isolé de tout compère. « Messieurs, l'esprit frappeur attend vos ordres, » dit M. Schiflf, les mains en l'air et les doigts écartés. II ouvrit largement la bouche, pour convaincre les spectateurs que ni ses doigts ni sa bouche ne seraient pour rien dans les coups qu'il allait faire entendre. On ordonna alors à l'esprit frappeur de se manifester. On entendit presque aussitôt de petits coups, très rapprochés les uns des autres, comme si l'on frappait dans le lointain. « Veuillez frapper de nouveau, » dit une autre personne. Au même instant, les coups recommencèrent; et cette fois, semblèrent s'être rapprochés des auditeurs. Cette manoeuvre fut répétée plusieurs fois, sans qu'on pût reconnaître le point d'où partaient les bruits. Ne voulant pas prolonger plus longtemps l'incertitude des académiciens sur la cause du phénomène qui les étonnait, M. Schilîleur montra sa jambe droite, et imprimant une forte contraction aux muscles péroniers latéraux, il produisit les mêmes bruits. 556 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE A la suite de l'expérience faite par le docteur Schilï à l'Académie des sciences, dans sa séance du 18 avril 1859, Jobert (de Lamballe) cita un cas pathologique analogue. Seulement, les expérience faites par M. Schiff étaient du domaine de la physiologie; et les bruits qu'il avait l'adresse de produire étaient déterminés par sa volonté. Dans le cas observé par Jobert, il s'agissait d'une maladie, caractérisée par des battements qui se faisaient entendre derrière la malléole externe droite, et qui offraient la régularité du pouls. Par une opération chirurgicale, Jobert fit disparaître la disposition analomique anormale qui produisait ce résultat, et tout bruit disparut. Velpeau confirma les observations de Jobert, en assurant que le genre de bruit dont il est question peut se produire normalement dans un assez grand nombre de régions du corps. La hanche, l'épaule, le côté interne du pied, sont quelquefois, d'après le chirurgien de la Charité, le siège de bruits analogues. Velpeau cita le cas d'une dame qui, à l'aide de certains mou- vements de rotation de la cuisse, produisait des bruits que l'on pouvait entendre d'une extrémité à l'autre d'un salon. M. Jules Cloquet raconta qu'on lui présenta un jour, à l'hôpital Saint- Louis, une jeune fille de seize à dix-huit ans, qui produisait des craquements très forts et assez réguliers, grâce à un léger mouvement de rotation de la région lombaire de la colonne vertébrale. Ce bruit, qui s'entendait à huit mètres de distance, ressemblait, dit M. Jules Cloquet, à celui « d'un vieux tourne-broche. » Le père de ce phénomène était un saltimbanque, qui exhibait en public son intéressante fille, en annonçant qu'elle avait une pendule dans le ventre ! ^'ous avons dit que le docteur Flint, en Amérique, avait précédé M. Schiff dans l'explication des coups des esprits frappeurs attribués à des contractions musculaires. Il ne sera pas inutile de rapporter ici les remarques originales de M. Flint, et cela avec d'autant plus de raison, que l'auteur les a fait porter sur mademoiselle Fox et sur sa sœur, madame Fish. Ce n'est point aux contractions des tendons du muscle péronier, mais aux mouvements de l'articulation du genou, que M. Austin Flint, professeur de clinique médicale à l'Université de Buffalo, attribue les bruits produits par les frappeuses de Rochester. M. Flint soumit à son inspection directe ces deux héroïnes, et c'est après cette vérification qu'il écrivit le mémoire que nous allons citer. <' La curiosité nous o.yant conduit, dit le docteur Austin Flint, à visiter la salle du Phelps-House, dans laquelle deux femmes de Rochester (madame Fish et made- moiselle Fox) prétendent obtenir du monde des esprits des communications frap- pantes, au moyen desquelles on peut se mettre en rapport avec les parents ou les LES ESPRITS FRAPPEURS 5S7 ïimis défunts, etc., nous sommes arrivés à une explication physiologique du phé- nomène, explication dont un cas qui s'est présenté depuis à notre observation a démontré toute l'exactitude. Nous avons senti alors combien il était nécessaire d'offrir au public un exposé qui pût contribuer à empêcher à l'avenir les abus qu'entraîne cette imposture depuis trop longtemps en faveur. « Il faut admettre d'abord que des manifestations ne doivent pas être considérées c(imme surnaturelles du moment qu'on peut y trouver une cause physique ou phy- siologique. Il n'est permis d'invoquer les agents immatériels qu'autant que les agents matériels font défauts. Nous devons donc exclure toute cause spirituelle dans cette partie de notre investigation. « Quant aux moyens artificiels que pourraient dissimuler les vêtements, on s'ac- corde à croire qu'il ne peut y en avoir. Du reste, cette hypothèse ne saurait être admissible, les comités de dames ayant souvent examiné les frappeuses. <( Il est évident aussi que les coups ne sont produits par aucune machine attachée aux tables, aux portes, etc., car on les entend dans différentes pièces et dans dif- férents endroits de la pièce où se trouvent les /"mr/ies de Rochester, toujours près, cependant, de la place où elles se tiennent. La supposition de mécaniques ou de machines quelconques doit être exclue aussi. '< Voilà pour l'évidence négative. Et maintenant pour ce qui se rapporte positi- vement au sujet, en observant les deux femmes, il était évident, d'après leur conte- nance., que les sons étaient dus à l'action de la plus jeune, et qu'ils nécessitaient un effort de sa volonté qu'elle cherchait vainement à dissimuler. Cet effort était mani- feste, et il était facile de voir qu'elle ne pouvait le prolonger longtemps sans fatigue. En admettant donc ce fait positif, il en résulte cette question : Gomment la volonté peut-elle s'exercer de manière à. produire des bruits (coups) sans mouvements apparents du corps? Les muscles volontaires sont les seuls organes sur lesquels Ja vulition puisse exercer un contrôle direct. Mais les contractions des muscles n'occa- sionnent pas de sons sensibles dans les muscles même. Or donc, pour que les muscles développent des vibrations perceptibles à l'oreille, il faut qu'ils agissent sur les parties avec lesquels ils sont en rapport. Assurément les coups ne pourraient être des sons vocaux; ceux-ci no pourraient se produire sans mouvements de muscles respiratoires, ce qui en révélerait promptement la source . Excluant par cette raison les sons vocaux, la seule source possible des bruits en question est donc dans les contractions musculaires volontaires, agissant sur une ou plusieurs articulations innbiles du squelette. Cette explication est la seule qui soit admissible. « Par une curieuse coïncidence, après avoir découvert la source des bruits par !e raisonnement, nous avons été à môme d'observer un cas qui a clairement prouvé 1p fait que des bruits, précisément identiques aux coups des esprits frappeurs, se peuvent produire dans Xd^ jointure du genou. « Une dame, parfaitement recommandable de notre ville, a la faculté d'émettre des sons tout à fait semblables par leur caractère et leur force à ceux que les imposteurs de Rochester prétendent faire émaner du monde des esprits. Nous avons l té témoins de la production des bruits par cette dame, et elle nous a permis d'exa- îniner par quel mécanisme elle les produit. Sans entrer ici dans des détails anato- mi(]ues et physiologiques minutieux, il suffit d'expli(juer qu'en vertu de la relaxation 558 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE des ligaments de la jointure du genou, et au moyen d'une action musculaire, et d'une pression de l'extrémité inférieure contre un point d'appui, le tibia se porte latéralement sur la surface inférieure du fémur, produisant par le fait une disloca- tion latérale partielle. Gela s'effectue par un acte de la volonté sans mouvement apparent du membre, et occasionne un bruit fort ; le retour de l'os à sa place est accompagné d'un second bruit. La plupart des frappements de Rochester sont doubles aussi. Il est possible, du reste, de ne faire qu'un seul bruit en déplaçant l'os avec la vitesse et la force voulues, et le laissant ensuite reglisser à sa place ; en ce cas, il n'y aura pas de bruit au retour. » Si pendant la production des coups, le membre qui les produit, ou quelque autre partie de l'opérateur, se trouve en contact avec les objets environnants, il y aura des vibrations visibles dans ces objets. La force de la semi-dislocation de l'os est suffisante pour agiter bien distinctement les portes, les tables, etc., si elles sont en contact. L'intensité du son varie en proportion de la force des contractions mus- culaires, et la source apparente des coups peut aussi devenir plus ou moins distincte. <( La révélation contenue dans cet exposé excita une vive agitation parmi ceux que les coups intéressaient directement. L'exactitude de l'explication fut constatée non seulement par ceux-ci, mais encore par beaucoup de personnes, qui n'avaient . pourtant jamais balancé à considérer ces prétendues communications spirituelles comme une ruse grossière. Bien entendu les frappeuses nièrent énergiquement que les bruits vinssent des jointures, et fussent produits par leur intervention. « Sur la demande adressée aux docteurs Flint, Goventry et Lée, par les frappeuses mêmes, dans le but d'être soumises par eux à un examen qui devait prouver l'ab- sence de toute imposture de leur part, les observations suivantes furent faites : « On était réuni depuis peu, lorsque les coups commencèrent à se faire entendre avec force, et continuèrent avec une rapide succession pendant quelque temps. Les deux frappeuses de Rochester étaient assises sur un divan. On demanda alors aux esprits s'ils voudraient bien se manifester pendant la séance, et répondre aux inter- rogations. Une série de coups suivit, et fut interprétée comme une réponse affir- mative. Alors on fit asseoir les deux femmes sur deux chaises placées l'une près de l'autre leurs talons reposant sur des coussins, les membres inférieurs étendus, la pointe des pieds en l'air, et les pieds séparés l'un de l'autre. Le but de cette expé rience était d'assurer une position dans laquelle les ligaments de la jointure du genou fussent tendus, et les pieds sans point d'appui. Nous étions à peu près con- vaincus d'avance que le déplacement des os nécessaire aux bruits ne pouvait s'effectuer sans que les pieds posassent sur un corps résistant quelconque. Les assis- tants, assis en demi-cercle, attendirent tranquillement les manifestations pendant plus d'une demi-heure, mais les esprits, d'ordinaire si bruyants, restèrent muets. On changea alors la position de la plus jeune sœur; on la fit asseoir les jambes sur le divan ; sa sœur aînée s'assit, à la manière ordinaire, à l'autre bout du canapé. Dans cet état de choses, les esprits ne jugèrent pas à propos d'indiquer leur présence, malgré les suppliques réitérées qui leur furent adressées. Cette seconde expérience nous confirma dans l'opinion que la plus jeune sœur avait seule la faculté de pro- duire les frappements. On continua ces expériences jusqu'à ce que les frappeuses \ LES ESPRITS FRAPPEURS 559 elles-mêmes avouassent qu'il était inutile de persister davantage, et qu'il n'y avait aucun espoir de manifestations. « Quand on leur eut rendu la position habituelle, leurs pieds posant à terre, les coups commencèrent bientôt à se faire entendre. On proposa alors quelque autre expérience. Nous y consentîmes, bien que les premières fussent, suivant nous, assez concluantes. Celle qu'on choisit consista à tenir fermement les genoux des deux femmes, en y appliquant les mains de manière que tout mouvement latéral des os fût perceptible au toucher. Cette pression fut faite par-dessus les vêtements. On ne pouvait s'attendre à ce qu'elle empêchât complètement les bruits, mais elle devait prouver s'ils provenaient ou non de la jointure du genou. Il est évident que cette expérience avait bien moins de poids aux yeux d'un observateur que les précé- dentes, caria seule évidence du mouvement des os était le témoignage de ceux dont les mains se trouvaient en contact avec l'articulation. L'expérience fut renouvelée fréquemment pendant une heure et plus; chaque fois on appliquait les mains quel- ques minutes de suite. Le résultat fut toujours à la confusion des « frappeuses ; » c'est-à-dire qu'on entendait beaucoup de coups quand les mains étaient retirées, aucun quand on les tenait appliquées sur les genoux. Une seule fois, le docteur Lée, ayant avec intention relâché l'étreinte, deux ou trois faibles coups simples furent frappés, et il constata immédiatement le mouvement sensible de l'os. On essaya aussi à plusieurs reprises de saisir les genoux le plus vite possible, au moment où les frappemenls commençaient; cette expérience eut toujours pour efl'et d'imposer un silence immédiat aux « esprits ». « On discuta alors la proposition qui fut faite de bander les genoux. Les amis des deux femmes s'opposaient à cette expérience, à moins que nous ne voulussions la considérer comme épreuve décisive. Nous n'avions pas préparé les choses nécessaires pour rendre le membre immobile, conséquemment nous refusâmes. C'était sans doute l'expérience sur laquelle comptaient les frappeuses, comme devant se terminer à leur honneur. Nous sommes à peu près certains qu'avant de demander à être examinées, elles s'étaient assurées qu'un bandage appliqué au-dessus et au-dessous de la rotule, permettant de pilier le membre n'empêcherait pas le déplacement. Dans le cas on, dans d'autres localités, des expériences relatives à cette sorte d'imposture seraient nécessaires, nous conseil- lons de ne pas s'en rapporter à l'etTet de bandages. Il est certain pourtant qu'avec un grand nombre de tours de bandes et des éclises latérales fermement posées, de manière à tenir la jambe bien étendue et à rendre les jointures immobiles, on par- viendrait à arrêter les sons, du moment, toutefois, qu'ils parviendraient de la join- ture du genou. On remarquera que dans notre exposé nous ne prétendons nulle- ment que cette jointure soit la seule source de bruits, et si nos expériences, après avoir été dirigées sur cette partie, n'eussent pas réussi, nous nous serions occupés des autres articulations. « Dans la publication de cet exposé, on nous a parlé de différents cas, dans lesquels les mouvements des os qui entrent dans d'autres articulations sont produits par un effort musculaire donnant naissance à des bruits. On nous a cité une personne qui fait entendre des coups avec la cheville, plusieurs autres avec les jointures des orteils et des doigts, une autre dont le mcuvement de l'épaule s'en- 560 LES MYSTERES DE LA SCIENCE lend fortement ; chez une autre encore, c'est celui de la jointure de la hanche, « La révélation de celte imposture ouvre un champ nouveau aux recherches physiologiques. Les bruits articulaires réclament en effet une investigation sérieuse. « La conformation anatomique de la jointure du genou est évidemment très favorable à la production de bruits forts par le déplacement. Les larges surfaces articulaires offrent un espace considérable au mouvement latéral, pourvu que le& ligaments soient suffisamment détendus et que la force motrice soit convenable- ment appliquée. La petitesse relative du condyle extérieur du fémur favorise le déplacement à l'extérieur, et il surviendrait une véritable dislocation dans cette direction, sans les ligaments forts et nombreux qui rendent cette articulation la plus forte de notre corps. Ces ligaments protègent si bien cette jointure contre les accidents auxquels l'exposent sa position et ses relations, que les luxations de cette partie sont, par le fait, très rares. Le déplacement qui occasionne les coups est suffisant pour déranger les os qui séparent les deux surfaces articulaires de l'extrémité supérieure du tibia, de sa situation dans le sillon qui sépare les condyles du fémur, et pour le porter plus ou moins sur la surface du condyle extérieur. Ce mouvement donne naissance au premier bruit, et le retour de l'os à sa place au second, qui, dans les coups de Rochester, suit généralement le premier de très près. Nous ne pouvons expliquer entièrement le mécanisme précis par lequel s'effectue ce déplacement. La dame de notre ville qui reproduit les frappements fait glisser l'os en dehors par un faible effort de sa volonté, et ni d'après £e qu'elle explique, ni même à la faveur de l'exploration manuelle, il n'est aisé de déter- miner quels sont les muscles qui viexinerit porter sur la jointure. Dans ce cas, le déplacement survient quelquefois en pliant la jambe sans aucun effort tendant à le produire, mais alors il n'est généralement pas accompagné de beaucoup de bruit. L'os retourne à sa place, dès que cesse l'effort musculaire qui avait causé le dépla- ment. Pour que le déplacement cause du bruit, il faut qu'il soit opéré avec une certaine vitesse et une certaine force; cette dernière peut en quelque sorte être graduée à volonté. La dame en question ne peut aujourd'hui produire les coups que dans un seul genou ; dans sa jeunesse, elle avaitla même faculté dans les deux. D'après le nombre et le volume des sons produits par les frappeuses de Rochester^ il est évident quelles peuvent faire entendre ces coups dans leurs deux genoux. Il serait à présumer que la fréquente répétition de ces déplacements doit, au bout de quelque temps, amener l'irritation et même quelque affection dans la jointure. Chez la dame à laquelle nous devons tant de renseignements utiles, ils sont suivis d'une certaine sensibilité; mais autrefois, quand elle avait l'habitude de les opérer tous les jours plus ou moins, elle ne ressentait aucune douleur, et les bruits étaient plus forts qu'à présent. Voilà plusieurs explications des coups mystérieux attribués aux esprits américains. Nous avons exposé, plus haut celle que nous adoptons, et qui consiste à attribuer ces bruits à l'individu lui-même, qui, se trouvant hypnotisé, les produit à son insu, en frappant du pied le parquet ou la table, ou bien en exécutant, avec quelque partie de son corps, un de ces craque- ments que certaines personnes, par une conformation anatomique particu- LES ESPRITS FRAPPEURS 563 Hère, savent produire sans aucun mouvement visible à l'extérieur. Il suffit de l'état hypnotique pour expliquer les actes inconscients dont il s'agit. On voit que nous admettons toujours ici la bonne foi du médium, et que nous écartons le cas de supercherie. Je suppose qu'un moine est toujours ctiaritable, a dit La Fontaine. Nous partageons le bon sentiment du fabuliste; mais il y a bien der réserves à faire concernant l'innocence des moines, et celle des spirites. Nous suspectons fort les demoiselles Fox et Madame Fish d'avoir, pas d'adroites supercheries savamment concertées trompé, pendant dix années, consécutives la bonne foi des Américains, LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS I Débarquement de? esprils en Europe. — Les tables tournantes en Écosse, en Angleterre et en Allemagne. — Origine orientale des tables tournantes. Les faits de l'ordre prétendu merveilleux, qui se sont passés en France, de l'année 1846 à l'année 1851, c'est-à-dire à l'époque où les esprits frap- peurs faisaient leurs premières manifestations en Amérique, avaient suffi- samment préparé l'Europe à recevoir cette importation du Nouveau monde. Nous avons maintenant à suivre le progrès et le développement de ces phéno- mènes dans notre hémisphère, développement qui se manifesta par l'inven- tion, ou si l'on veut, par la diffusion générale des tables tournantes. Les esprits, qui avaient ordonné à madame Fish de changer de mari, demandèrent, dès le commencement de l'année 1852, que les spirites amé- ricains se réunissent en une convention générale. Ils fixèrent même le lieu de leur première assemblée. Dans l'adresse qu'on fît circuler à cet effet, et qui fut publiée dans le Cleveland Plaindealer, du 29 janvier 1852, on lisait ce paragraphe : « .... Les invisibles ont promis que si cette convention se réunissait à Cléveland, ils signaleraient leur présence d'une manière si éclatante, que les doutes et lea objections des sceptiques seraient anéantis à jamais. Appelons aussi les croyant 566 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE d'au delà des mers. Que les esprits soient consultés par toute la terre, et que notre assemblée dans la ville des forêts serve de point de ralliement àune légion d'esprits. » Et cette assemblée eut lieu ; elle fut même suivie de plusieurs autres, dans différentes villes de l'Union américaine. Seulement, les gens d'au delà des mers^ c'est-à-dire les Européens, si solennellement convoqués, ne se ren- dirent pas au rendez-vous. Et comme la montagne n'était pas allée vers les esprits, les esprits allèrent vers la montagne. En d'autres termes, les esprits américains passèrent l'Atlantique, pour aborder dans notre Europe. Ils prenaient terre en Ecosse, au commencement de l'année 1852. A peine le premier esprit était-il débarqué dans la vieille Écosse, qu'il y en eut bientôt dix en Angleterre, et presque immédiatement, quelques cen- taines en Allemagne. Qu'apportaient donc de si nouveau les esprits américains à l'Allemagne, pays familiarisé depuis longtemps avec le fantastique, qui n'avait pas cessé de vivre en communion avec les adeptes de Swedenborg, le grand vision- naire suédois, et qui avait produit, en dernier lieu, la voyante de Prévorst? Ils y apportaient tout au plus un procédé, un appareil, dont on pouvait fort bien se passer, et dont on se passe aujourd'hui, comme les magné- tiseurs de la seconde époque se débarrassèrent du primitif baquet de Mesmer. Cette appareil, c'était la table tournante. La table tournante n'était pas de nature à étonner l'Allemagne. Elle- même l'eût bien inventée, si elle eût daigné en prendre la peine, puisqu'elle avait précédemment inventé les rose-croix, le magnétisme animal et bien d'autres choses étonnantes, à propos desquelles il faut dire, invariablement : munera Germanix. fine autre raison qui devait encore empêcher l'Allemagne de réinventer les tables tournantes, c'est son immense érudition. Elle se serait fait un cas de conscience de produire, sous le titre de découverte, une pratique renou- velée des gymnosophistes de l'Inde ou des mages de la Perse. L'Allemagne connaît à fond son Orient, d'où toutes les religions, toutes les pratiques superstitieuses et tous les arts magiques, ont tiré leur origine. Elle a lu dans Zoroastre la doctrine pneumatologique, dont nous avons donné un extrait dans l'Introduction de cet ouvrage, et qui selon nous, contient en puissance les tables tournantes. Elle sait apprécier ce qui reste encore de la magie orientale dans l'Egypte moderne, où Cagliostro alla se faire initier, et où, de nos jours, le comte de Laborde vit opérer sous ses yeux et apprit à opérer lui- LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS o67 même des effets si prodigieux que sa science académique en revint toute bouleversée. Ce n'était point, il est vrai, la table tournante que l'on montra au comte de Laborde ;mais c'était quelque chose de mieux : l'évocation des esprits. Or, les esprits souflent où ils veulent, et il faut bien que les tables les suivent. Mais voici venir le phénomène américain, tout réalisé, bien complet et même agréablement perfectionné. Voici les tables tournantes, dansantes, volantes, etc., retrouvées dans l'Orient sibérien. Celles-ci ne sont pas moins intelligentes que leurs sœurs du Nouveau monde, mais elles sont peut-être plussagaces, plus utilement révélatrices. Ce senties vraies tables divinatoires, vaguement indiquées dans Terlullien et Minucius Félix. On lisait, en 1854, dans un journal de Saint-Pétersbourg, r Abeille du Nord, un article, extrêmement curieux, signé par M. Tsherepanoff, savant russe, qui avait longtemps vécu dans les Indes orientales, et qui garantissait la vérité des faits extraordinaires qu'il communiquait au public : «... Il faut considérer, dit M. Tsherepanoff, que les lamas, ou prêtres de la région bouddhiste, qui est celle de tous les Mongols et des Burêtes russes, ainsi que les prêtres de l'ancienne Egypte, ne révèlent pas les mystères de la nature découverts par eux. Ils s'en servent pour entretenir les opinions superstitieuses de la multitude. Le lama, par exemple, sait trouver des choses dérobées par les voleurs en suivant une table qui s'envole devant lui. Le propriétaire de la chose demande au lama de lui indiquer l'endroit où elle est cachée. Le lama ne manque jamais de faire attendre sa réponse pendant quelques jours. « Le jour où il est prêt à répondre, il s'assied par terre devant une petite table carrée, y pose ses mains en lisant dans un livre thibétain, au bout d'une demi- heure il se lève en ôtant aussi la main, de sorte qu'elle conserve la position qu'elle avait eue sur le meuble. Aussitôt celui-ci se lève aussi, suivant la direction de la main. Le lama est enfin debout sur ses jambes, il lève la main au dessus de sa tête,' et la table se lève au niveau de ses yeux. Alors le lama fait un mouvement en avant et la table le suit; le lama marche en avant et elle marche devant lui dans l'air avec une si rapide augmentation de vitesse, que le lama a grande peine à la suivre ; enfin la table parcourt des directions diverses et finit par tomber par terre. La direction principale choisie par elle indique le côté par où il faut chercher la chose perdue. « On affirme que la table tombe ordinairement juste sur l'endroit où les choses volées se trouvent cachées. Dans le cas oh je fus témoin oculaire, elle s'envola à' une très grande distance (environ trente mètres) et la chose perdue ne fut pas trouvée de suite. Mais dans la direction suivie par la table, il y avait la chaumière d'un paysan russe, qui se suicida, ayant aperçu l'indication donnée par le meuble. Ce suicide éveilla le soupçon; on fit des recherches, et les choses perdues furent trouvées dans sa chaumière. » 568 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Gomment donc l'Allemagne aurail-elle pu se permettre d'inventer, de nos jours les tables tournantes, déjà mises en pratique, depuis des siècles, chez les Russes et les Mongols? Ainsi que nous l'avons déjà dit, elle les reçut sans étonnement. Elle leur fit néanmoins bon accueil, en faveur des esprits, comme on devait l'attendre d'une contrée où les êtres surnaturels sont depuis longtemps naturalisés. Dans toute les villes de l'Allemagne, en 1852, chacjm se donna l'innocent plaisir de faire tourner des tables, par l'imposition des mains d'un cercle de personnes, attentives et recueillies. Il Les tables tournantes en France. — Comment elles sont accueillies dans notre pays. — Attitude des savants. — Expériences et ouvrage d'Agènor de Gasparin sur les tables tournantes. La France ne reçnt pas de première main la pratique des tables tour- nantes. Les tables tournaient en Écosse, en Angleterre, et dans toute l'Alle- magne, depuis la Baltique jusqu'aux bouches du Danube, que la presse française, alors pourtant si désœuvrée, pour cause de compression poli- tique, leur avait à peine accordé une mention fugitive. Tout à coup — c'était- vers les derniers jours d'avril 1853 — Paris se réveilla en proie à l'épidémie tournante, et les journaux lui apprirent que la même épidémie avait éclaté simultanément à Strasbourg, à Marseille, à Bordeaux, à Toulouse, et dans tous nos autres grands centres de population. Ce ne fut, d'abord, pour le public, qu'un simple amusement, auquel on se livrait au milieu de grands éclats de rire. Les guéridons, les tables, les chapeaux, les plats et les cuvettes, tout ce qui se trouvait sous la main, était mis à contribution. Les uns réussissaient, les autres, et c'était le plus grand nombre, échouaient dans l'expérience. Ils accusaient de supercherie les premiers, qui, à leur tour, les taxaient d'incrédulité. « Elles tournent, elles ne tournent pas ! » tel était le résumé de toutes les disputes à ce sujet, et tels étaient les deux termes uniques dans lesquels s'agitait, parmi le vulgaire, la question des tables. Dans notre pays, toujours fort léger en matière sérieuse, tantôt extrême dans sa crédulité, tantôt absurde dans son scepticisme, les tables ne furent pour le plus grand nombre, qu'un amusement, une manière de tuer le temps en isociété. Les disputes étaient fréquentes sur ce sujet. On niait, on affirmait, on riait, quand on ne se mettait pas en colère. On se disait des S72 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE gros mots ; et parfois la dispute commencée autour de la table, allait se terminer sur le terrain, les armes à la main. Le phénomène se montra bientôt en progrès, et ce furent alors de bien autres histoires. Non seulement les tables tournaient, mais elles parlaient, elles écrivaient. Elles s'élevaient et se soutenaient dans l'air, sans ficelles, du moins visibles. Les tables donnaient des consultations ; elles découvraient des secrets ensevelis dans le plus profond mystère ; elles faisaient des prodiges de sagacité divinatoire ; elles mettaient le monde des vivants en communication avec le monde des morts, et se comportaient enfin de façon à laisser croire qu'elles étaient hantées par des esprits. Toutes ces choses étaient bien dures à admettre ; aussi ce fut un toile général contre ceux qui les racontaient. Quant à ceux qui prétendaient les avoir vues, on en finit avec eux par deux épithètes: fous ou imposteurs. La question des tables fut jugée par ces deux termes; puis la multitude passa à d'autres divertissements. 11 restait à satisfaire un petit nombre de personnes sérieuses, qui n'admettent en général, que les faits, même les plus incroyables, puissent être attestés par un grand nombre de témoins éclairés et de bonne foi, sans avoir leur fondement dans quelque réalité, bien ou mal observée. Ces personnes ajournaient tout jugement: elles attendaient que les savants eussent parlé. Mais les savants, qui, suivant leur coutume traditionnelle, avaient commencé par tout nier, se bornèrent à confesser, après examen, la réalité du phénomène de la rotation des tables, sans parvenir à en donner la théorie, parce qu'on manquait à cette époque d'éléments d'explication. Cependant les faits se multipliaient, ou du moins les témoignages qui les attestaient devenaient de plus en plus nombreux, et causaient un trouble douloureux dans beaucoup d'intelligences. Il se trouva, néanmoins, un beau jour, que les tables tournantes n'amu- saient plus personne. Les expériences et les disputes cessèrent, et lorsque, plus tard, on annonça un fait encore plus merveilleux: — les tables parlent ! les tables écrivent! — la dose d'attention et d'intérêt que le pubUe français avait tenue disponible pour ce phénomène, était épuisée. Il s'était jeté dans d'autres distractions, et il ne voulut jamais revenir à celle-là. La question des tables, et ce n'est pas son côté le moins bizarre, ne fut retenue, en France, que par un petit nombre d'hommes sérieux, que leur position sociale, et leur instruction semblait devoir éloigner de toute idée chimérique, comme de toute pratique paraissant se lier au maléfice ou au sortilège. Pour eux, un phénomène très curieux, produit par une caus3 inconnue, avait été mis hors de doute. Aux sceptiques, ou pour mieux dire. LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS ;i73 aux incroyants de parti pris, habitués à tourner le dos aux faits qu'ils veulent déclarer impossibles, ils pouvaient répondre, ce que la légende attribue à Galilée : E pur si muove ! Effectivement, les tables tournaient. Les rares observateurs qui travaillaient isolément, ou réunis en conventi- cules discrets, multiplièrent les expériences, encouragés par les résultats déjà réalisés sous leurs yeux, et surtout puissamment excités par ceux, bien autrement extraordinaires, dont le récit leur parvenait de l'étranger. De tous les observateurs qui se sont attachés à cette question, Agénor de Oasparin est celui qui s'est fait le plus de réputation, tant parles expériences suivies auxquelles il s'est livré, que par le soin qu'il mit à les exposer, dans un livre qui a pour titre les Tables tournantes ^ et qui parut en 1854 Nous allons résumer les principaux résultats qu'Agénor de Gasparin obtint dans une série d'expériences faites avec un cercle d'amis. Mais avant tout, il est nécessaire de rappeler en quoi consiste le phénomène de la iable tournaîite. Cinq ou six personnes, plus ou moins, sont assises devant une table de bois, ou de préférence un guéridon très léger, dont les pieds sont garnis de roulettes, pour qu'il n'éprouve que la moindre résistance possible dans son mouvement. Si le parquet de la salle est ciré, le frottement des roulettes contre sa surface devient presque nul. Toutes les conditions sont alors réunies pour assurer le succès de l'expérience, en raison de la très faible impulsion mécanique qui suffit pour mettre en mouvement un guéridon léger, glissant sans obstacles sur une surface polie. Les personnes placent les mains à plat sur le bord du guéridon, en le touchant légèrement et sans le presser. Au bout d'un temps, qui varie de dix minutes à une demi-heure, plusieurs des opérateurs ressentent dans les avant-bras et les mains, des fourmillements, occasionnés par la fatigue de la situation fixe qui leur est imposée. Bientôt, la table fait entendre quelques craquements, provenant de la chaleur du corps des opérateurs, qui s'est lentement communiquée aux fibres peu conductrices du bois; enfin, la table s'ébranle. Elle exécute d'abord quelques mouvements irréguliers, puis le mouvement se décide, et la table décrit à peu près un cercle. Les personnes se lèvent alors, sans déranger leurs doigts placés sur la table, et se mettent à suivre la table •ilans sa rotation ; ou pour mieux dire, en tournant elles-mêmes, les mains toujours fixées sur la table, elles continuent et entretiennent le mouvement initial. Tel est le phénomène de la table tournante^ qui est resté pendant !. Des Tables tournantes, du Surnaturel et des Esprits, 2 vol. in-18, Paris, 1854. 574 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE longtemps comme un défi porté à l'explication scientifique, et qui avait, en lai-même, assez d'élrangeté pour surprendre et arrêter le plus ferme esprit. Je fis, pour la première fois, cette singulière expérience avec le physiolo- giste Longet, le botaniste Moquin-Tandon, tous deux professeurs à la Faculté de médecine de Paris, et quelques autres personnes de qualité savante. Et je peux affirmer que lorsque, au bout d'un quart d'heure d'attente, le guéridon se mit à tourner sous nos doigts, tous ceux qui composaient cette chaîne animée et qui n'étaient pas de faibles cerveaux, étaient plus pâles et plus émus les uns que les autres. Ce qu'il y a de curieux dans tout le phénomène, et ce qu'il s'agit seulement d'expliquer, c'est le mouvement initial ; car la rotation n'est évidemment que le résultat de l'action des opérateurs qui marchent en tenant leurs mains appuyées sur le bord de la table, et la forcent ainsi à suivre leur propre déplacement. Cela posé, arrivons aux expériences auxquelles Agénor de Gasparin se livra, pendant cinq mois, à Valleyres, dans le canton de Vaud, avec le concours de dix ou douze personnes du voisinage. Nous mettrons sous les yeux du lecteur divers passages de procès-verbaux d' Agénor de Gasparin, choisis parmi les plus intéressants de ces comptes rendus. « ... La table qui nous a servi le plus souvent, dit Agénor de Gasparin, se compose d'un plateau en frêne dont le diamètre a quatre-vingts centimètres, d'une lourde colonne et de trois pieds distants entre eux de cinquante-cinq centi- mètres. Une autre table, dont le plateau est un peu plus grand, et dont la colonne est moins lourde, a été employée aussi. Enfin, nous avons mis quelquefois en mouvement des tables à quatre pieds, rondes ou carrées ; une, entre autres, d'une dimension respectable. Le nombre des expérimentateurs formant à la fois la chaîne est ordinairement de dix; il a varié entre deux extrêmes, huit et douze. Sa rotation se manifeste habituellement après cinq ou dix minutes. Dans certains cas plus rares, nous avons attendu près d'une demi-lieure. « Le 20 septembre, donc, nous désirions mettre à l'épreuve les prétendues facultés divinatrices des tables : à cet effet, nous avons soumis à la nôtre, qui fonctionnait à merveille, la question la plus élémentaire, assurément, qu'on puisse poser à un esprit. Nous avons placé trois noisettes dans la poche d'un des expéri- mentateurs ; la table, interrogée sur le nombre des noisettes, a bravement frappé neufs coups ! « La même personne, après avoir fait exécuter plusieurs nombres pensés parmi lesquels se trouvait un zéro, a été mise aux prises avec son vis-à-vis. Ceci consti- tuait une expérience particulièrement intéressante que nous appelons la balance des forces. On ne peut pas dire, dans ce cas que le mouvement soit imprimé par le vis-à-vis en lutte ; l'un veut faire prévaloir un chiffre pensé plus considérable, l'autre un chiffre pensé moins considérable. Le champion du petit chiffre s'arran- LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDILMS 573 géra sans doute pour ne plus fournir de balancement dès que son nombre a été frappé, il appuiera même de manière à obtenir un arrêt ! Eh bien, non : Topérateur le plus puissant l'emporte, et s'il est chargé du chiffre élevé le nombre élevé est atteint. On remarque seulement qu'à partir du moment où la limite de son adver- saire est dépassée et où les volontés ont cessé de coïncider, les coups sont frappés moins fortement; le pied, qui obéissait tout à l'heure à deux pensées, n'est plus soutenu maintenant que par une seule. « Nous avons changé les conditions de la lutte : une coalition a été formée au profit des petits nombres; ils ont été confiés à deux membres de la chaîne, puis à trois, et c'est alors seulement que le chevalier des grands nombres a été vaincu, et que le pied placé devant lui (pied sur lequel il était dépourvu de toute action mécanique) a cessé de suivre jusqu'au bout l'impulsion de sa volonté, en dépit des expérimentateurs placés en face, qui seuls auraient pu le mettre et le maintenir en mouvement. « ... Nous avons fait varier le pied qui devait frapper; nous avons changé les rôles : l'expérimentateur le plus puissant a été chargé à son tour des petits nombres, et il est parvenu à couper régulièrement ses adversaires, quel que fût le pied désigné pour l'opération. « On a proposé enfin de tenter la contre-épreuve d'une de nos expériences les plus concluantes, de celle qui consiste à faire tourner et frapper la table lorsqu'elle porte un homme pesant quatre-vingt-sept kilogrammes. Cet homme s'est placé sur elle ; les douze expérimentateurs, ayant soin de ne pas former la chaîne, y ont appliqué leurs doigts et se sont efforcés d'obtenir, par la tension de leurs muscles, ce qu'ils avaient obtenu quelques jours auparavant sans tension et sans efforts. 11 fallait voir l'énergie de leur travail! les jointures de leurs mains blanchissaient, et cependant rien. La rotation seule a eu lieu dans une faible mesure, un demi-tour ix peine, et avec un frémissement du pauvre meuble, qui semblait près de se rompre. Quant au soulèvement, tout a été vain; aucun pied n'a voulu donner le moindre signe de sa docilité. Inutile d'ajouter qu'à plus forte raison, il n'a pas été question de ce renversement complet que nos simples ordres avaient opéré naguère. {Séance du 20 septembre) « Voyant que tout allait à souhait, et décidés à tenLer l'impossible, nous entre- prenons alors une expérience qui marque notre entrée dans une phase nouvelle, et qui met nos démonstrations antérieures sous la garantie d'une démonstration irréfutable. « Nous allons quitter les probabilités pour l'évidence ; nous allons faire mou- voir la table sans la loucher. <( Voici comment nous y sommes parvenus une première fois : « Au moment où la table était emportée par une rotation énergique et vérita- blement entraînante, nous avons tous soulevé nos doigts à un signal donné, puis, maintenant nos mains unies au moyen des petits doigts, et continuant à former la chaîne à quelques lignes au-dessus de la table, nous avons poursuivi notre course, et, à notre grande surprise, la table a poursuivi également la sienne, elle a faii. ainsi trois ou quatre tours!... Et ce qui n'était pas moins remarquable que la rotation sans contact, c'était la manière dont elle s'était opérée. Une ou deux fois 576 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE la table avait cessé de nous suivre, parce que les accidents de la marche avaient écarté nos doigts de leur position régulière au-dessus des bords; une ou deux fois la table avait repris vie, si je puis m'exprimer ainsi, dès que la chaîne tournante s'était retrouvée dans un rapport convenable avec elle. Nous avions tous le sen- timent que chaque main avait emporté, par une sorte d'attraction, la portion de la table placée au-dessous d'elle. {Séance du '2Q décemb)'e.) « Nous étions naturellement impatients de soumettre à une nouvelle épreuve la rotation sans contact. Dans le trouble du premier succès, nous n'avions songé ni à renouveler, ni à varier cette expérience décisive... Nous avons senti qu'il importait de refaire la chose avec plus de soin et en présence de témoins nouveaux ; qu'iî importait surtout de produire le mouvement au lieu de le continuer... « ... On pouvait dire que la table étant déjà lancée, elle conservait une certaine impulsion à laquelle elle obéissait mécaniquement, tandis que nous nous imagi- nions qu'elle obéissait à notre puissance fluidique. . Il fallait donc arriver à pro- duire la rotation en partant du complet repos. C'est ce que nous avons fait. La table étant immobile ainsi que nous, la chaîne des mains s'en est séparée et à commencé à tourner lentement à quelques lignes au-dessus de ses bords. Au bout d'un moment, la table a fait un léger mouvement, et, chacun s'attachant à attirer par sa volonté la portion placée sous ses doigts, nous avons entraîné le plateau à. notre suite. Les choses se passaient ensuite comme dans le cas précédent ; il y a une telle difficulté à maintenir la chaîne en l'air sans la rompre, sans l'écarter des bords de la table, sans aller trop vite et supprimer ainsi le rapport établi, qu'il arrive souvent que la rotation s'arrête après un tour ou un demi-tour. Néanmoint elle s'est prolongée parfois pendant trois tours ou même quatre. » ( Séance du 29 septembre.) «... Nous sommes parvenus à opérer sans contact la continuation de la rotation et sa production à partir d'un état de repos. Ce qu'il y a même eu de remarquable, c'est qu'une petite rotation d'un quart de tour a été produite par nos commande- ments, quoique nous restassions entièrement immobiles. La table fuyait ainsi sous^ nos doigts. » [Séance du 6 octobre.) « .. Une seule expérience nouvelle a réussi. Un plateau tournant sur un pivot soutenait un baquet. Après l'avoir rempli d'eau, j'y plongeai mes mains ainsi que deux autres opérateurs. Nous y avons formé la chaîne, nous nous sommes mis à tourner, en évitant de toucher le baquet ; et celui-ci n'a pas tardé à se mettre aussi en mouvement. La même chose a été faite plusieurs fois de suite, « Gomme on aurait pu supposer que l'impulsion donnée à l'eau suffisait pour en- traîner un baquet aussi mobile, nous avons procédé immédiatement à la contre- épreuve. L'eau a été agitée circulairement, et cela avec beaucoup plus de rapidité que lorsque nous formions la chaîne ; mais le baquet n'a pas bougé « Revenons à la démonstration par excellence, au soulèvement sans contact. Nous avons commencé par l'opérer trois fois. Puis, comme on a pensé que la sur- veillance des témoins s'exercerait d'une manière plus certaine sur une petite table que sur une grande, et sur cinq opérateurs que sur dix, nous avons fait venir un guéridon en sapin, que la chaîne réduite de moitié a suffi pour mettre en rotation. Alors les mains ont été levées, et tout contact ayant cessé, le gué- LES TABLES TOURNANTES LT LES MEDIUMS 579 ridon s'est dressé sept fois à notre coin mandement. » {Séance du 7 oclo nre.) « Parmi les tentatives nouvelles qui ont été faites, je citerai celle qui avait pour but de soulever entièrement en l'air une table suspendue à une poulie et équi- librée par un contre-poids. Un seul de ses pieds touchait encore la terre et le poids à attirer était réduit à peu de chose. La chaîne ayant été formée, le pied qui tou- chait le sol l'a quitté, et la table a accompli ainsi des vibrations dans lesquelles elle ne rencontrait plus le parquet. » Voilà des assertions bien extraordinaires ; nous aurons plus loin à en fournir l'explication, en exposant la manière dont on doit se rendre compte du phénomène génkal de la rotation des tables. Nous ne voulons pas néanmoins attendre jusque là pour nous débarrasser du plus étonnant des phénomènes qu'Agenor de Gasparin ait vu se produire. Nous voulons parler du mouvement des tables obtenu sans le contact des mains des opérateurs. Le mouvement des tables opéré sans contact matériel, est, manifestement, une impossibilité physique. Agenor de Gasparin est le seul auteur sérieux qui l'ait affirmé. D'un autre côté, Agenor de Gasparin n'a jamais pu parvenir à le reproduire devant des personnes que l'annonce de ce fait avait, à juste litre, extrêmement impressionnées, pas plus devant les amis qu'il comptait dans le sein de l'Académie des sciences de Paris, que devant les magnéti- seurs qui le sollicitaient vivement de les rendre témoins de ce phénomène. Que conclure de cela ? C'est que dans le cercle qui se prêtait à ses expériences, il s'était glissé quelque ami trop zélé, et que le phénomène anormal et contraire à toute loi physique qu'Agenor de Gasparin croyait avoir constaté, était produit par ce mystificateur. La parfaite honorabilité, les con- naissances étendues d'Agenor de Gaspirin, ne peuvent être mises en doute, mais pour admettre la réalité de l'élévation d'une table, sans aucun contact, il faudrait que ce fait se fût reproduit plusieurs fois, et à volonté, dans des expériences postérieures, avec d'autres observateurs. Or, c'est ce qui n'est jamais arrivé ; ce qui porte à conclure qu'une connivence quelconque s'est glissée dans les expériences qui nous occupent. Depuis la publication du livre d'Agenor de Gasparin, cette opinion s'est, du reste, unanimement accréditée, que parmi les amis et les personnes qui concouraient aux expériences de l'auteur, il s'en était trouvé quelques- uns qui s'étaient fait un jeu de faire agir la table selon les désirs de l'am- phytrion vaudois, et Agenor de Gasparin n'a jamais rien écrit pour détruire cette opinion. 111 Théories pour l'explication du phénomène do la rotation des tables. — Théorie d-^ M. Chevreul et de Babinet, ou théorie des mécaniciens. — Expériences à l'appui de cette théorie, faites par Faraday, de Londres. — Théorie du fluide. — Théorie des esprits. — Explication de ce même phénomène par l'état hypnotique de l'une des personnes de la chaîne. Après avoir exposé les faits relatifs au phénomène de la table tournante, nous avons à en donner l'explication naturelle. Nous commencerons par rapporter les théories qui en on été proposées ; nous exposerons ensuite celle qui nous est particulière. La science officielle s'est peu prêtée à éclairer le public, dans la question des tables tournantes ; on pourrait presque dire qu'elle l'a tout à fait abandonné à ses propres impressions. Selon ses errements accoutumés, elle avait commencé par nier la réalité des faits, les déclarant à priori impossibles. Mal corrigée par les suites de la triste campagne qu'elle avait entreprise contre le magnétisme animal, elle tournait encore une fois le dos à l'observation, et affectait de dédaigner ces manifestations nouvelles du merveilleux moderne. Cependant les faits étaient vrais, et par la force de leur réalité, ils se maintinrent, en dépit de l'indifférence académique. Il fallut bien les reconnaître; car les expériences s'élant multipliées, les témoignages arrivaient, aussi nombreux qu'irrécusables. L'Académie des sciences de Paris, sollicitée de toutes parts de fournir ses explications, parut enfin s'émouvoir. Elle n'intervint point en corps, c'est-à-dire à la suite d'une commission spécialement instituée et chargée de faire un rapport officiel, comme cela était arrivé en 1784, contre le magnétisme animal ; seulement, deux membres de cette compagnie savante, MM. Chevreul et Babinet, publièrent des livres ou des articles de revues, consacrés à donner l'expli- calioa Uiéorique du phénomène tant discuté. LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS :i8l Le premier de ces savants, se référant à sa lettre écriie en 1832 à Ampère, sur le phénomène du 'pendule explorateur^ , crut que les explications données dans cette lettre, pouvaient suffire à rendre raison de la rotation des tables, comme elles lui avaient suffi à expliquer le tournoiement de la baguette divinatoire. Nous rappellerons de la lettre de M. Clievreul, le paragraphe suivant, qui en contient la substance. « Lorsque je tenais le pendule à la main, un mouvement musculaire de mon bras, quoique insensible pour moi, fit sortir le pendule de l'état de repos, et les oscillations une fois commencées furent bientôt augmentées par l'influence que la vue exerça pour me mettre dans cet état particulier de disposition ou tendance au mouvement. Maintenant, il faut bien reconnaître que le mouvement musculaire, lors même qu'il est encore accru par cette même disposition, est cependant assez faible pour s'aiTéter, je ne dis pas sous l'empire de la volonté, mais lorsqu'on a simplement la pensée d'essayé)^ si telle chose l'arrêtera. Il y a donc une liaison intime établie entre fexécution de certains mouvements et l'acte de la pensée qui y est relative, quoique cette pensée ne soit point encore la volonlé qui commande aux organes musculaires. C'est en cela que les phénomènes que j'ai décrits me semblent de quelque intérêt pour la psychologie et même pour l'histoire des sciences; ils prouvent combien il est facile de prendre des illusions pour des réalités, toutes les fois que nous nous occupons d'un phénomène où nos organes ont quelque part, et cela dans des circonstances qui n'ont pas été analysées suffisamment. » On tiendra donc pour bien établi, d'après l'expérience exécutée par M. Chevreul, qu'une action musculaire dont nous n'avons pas conscience, et déterminée par une simple pensée de mouvement, peut suffire à faire mouvoir... un pendule dont nous tenons le fil. Voici maintenant en quels termes M. Chevreul, dans son ouvrage sur la Baguette divinatoire, publié en 1854, applique cette théorie du mouve- ment circulaire insenûhle à la production du phénomène de la lable tour- nante, « Si l'on suppose que des personnes aient les mains sur une table, d'après ma manière de voir, elles se représentent la table tournant de droite à gauche, ou de gauche à droiti; puisqu'elles s'y sont placées pour être témoin de ce mouvement , dès lors, à leur insu, elles agissent pour imprimer à la table le mouvement qu'elle se représentent. Si elles n'agissent pas dans le même sens, il pourra se faire qu'il n"y ait pas de mouvement, c'est ce que j'ai observé. Cinq personnes faisant la chaîne sur un petit guéridon, une d'elles désirait vivement qu'il tournât, et malgré \. Voirie texte complet de cette lettre au tome l"'' de cet ouvrage, pages 639-642 [Baguelle idlnaivoire). 582 LES MY.SÏ.ÉRES DE LA SCIENCE cela, il est resté immobile pendant une heure. Après une demi-heure, on reforma la chaîne, et trois quarts d'heures s'écoulèrent sans qu'il se mit en mouvement. Si les quatre personnes qui coopéraient à l'expérience, n'avaient pas un désir égal à celui de la première de voir tourner le guéridon, assurément elles n'étaient pas animées d'un désir contraire. « Lorsque les personnes désirent que la table tourne, le mouvement doit être plus fréquent que le repos, par la raison qu'il suffit que l'une d'elles remarque un certain mouvement dans une autre pour qu'elle-même suive ce mouvement par une imitation dont elle ne se rend pas compte, mais qui n'en est pas moins réelle, d'après la tendance au mouvement que détermine en nous la vue d'un corps qui se meut. « Dans la comparaison que je fais des tables tournantes avec la baguette divina- toire et le pendule, on ne doit jamais perdre de vue la différence très grande qui peut exister d'une part, entre les tables aux phénomènes desquelles plusieurs per- sonnes concourent, et, d'une autre part, entre la baguette et le pendule au mnu- vement desquels n'intervient qu'une seule personne'. » Telle est la théorie de M. Ghevreul de faction incoiisciente des mouve- ments musculaires. Trouve-t-on qu'elle explique la rotation d'une grande table de salle à manger, et même de réfectoire, ou celle d'un guéridon chargé d'un poids de soixante-quinze kilogrammes, comme l'a rapporté Agenor de Gasparin ? Ce n'est pas notre avis. En traitant, dans le premier volume de cet ouvrage, de la Baguette divinatoire , nous nous sommes raillé à la théorie de Ghevreul. Les mouvements inco?iscients des muscles suffisent pour expliquer la direction constante d'un pendule mobile suspendu à un fil et le tournoiement d'une baguette d'osier entre les mains d'un sourcier, parce que l'impulsion mécanique qui produit de tels mouvements, est de la plus minime intensité. Mais c'est tout autre chose lorsqu'il s'agit d'expliquer le déplacement d'un corps d'un certain poids. Ici, l'effet mécanique produit est hors de proportion avec la cause invoquée. D'ailleurs, et c'est là une onsidération fondamentale, si cette théorie a paru un moment plausible, c'est qu'elle ne s'appliquait qu'au seul phénomène de la rotation des tables. Les effets qui ont apparu plus tard, c'est-à-dire les actions que les médiums ont accomplies, quand on les a substitués eux-mêmes aux tables, sortent tout à fait de cette sphère d'explications. Une théorie qui explique la rotation des tables, sans rendre compte de la manière dont les médiums reçoivent et expriment leurs inspirations, ne saurait obtenir l'adliésion des hommes sérieux. Ce double caractère manque à la théorie de M. Cbevreiil. 1. De la baguette divinatoire, da pen lule explorateur et de,'! ta/jles tournantes, in-8, Paris 183 4 ; pages 217-218. LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS 583 Après M. Chevreul, Babinel vint se joindre à son collègue de l'Institut. Ce physicien publia deux articles sur la rotation des tables, sans plus tenir compte que M. Chevreul des phénomènes des médiums. ' Les explications de Babinet ont quelque peu varié. Dans la dernière qu'on lui doit, il rapporte définitivement tout à des mouvements incomcients de nos fibres musculaires, à des mouvements naissants ou commençants^ Il semble que des mouvements continués ou développés auraient plus de force, et cadreraient mieux avec les efl"ets produits. En somme, c'est la théorie de M. Chevreul, mais posée avec moins d'assurance. Faraday, de la -Société royale de Londres, s'est également occupé de l'énigme des tables, et il s'est proposé de fortifier, par des expériences, la théorie psychologico-mécanique de MM. Chevreul et Babinet. Comme ce dernier physicien, Faraday est revenu à plusieurs reprises sur ce sujet. Sa première expérience consistait à superposer un certain nombre de morceaux de carton à surface polie, séparés ou isolés par de petites pelotes d'un mastic de cire et d'huile de térébenthine, le carton inférieur de la pile posant sur une feuille de papier de verre appliquée sur la table. « Les cartons, dit Faraday, diminuaient d'étendue du supérieur à l'inférieur, et une ligne tracée au pinceau indiquait leur position primitive. Le mastic était Ici qu'il faisait adhérer les cartons ensemble avec une force, insurfisanle cependant pour ne pas céder à une action latérale exercée durant un certain temps. Lorsque ce système de cartons eut été examiné, on constata, après le mouvement de la table, qu'il y avait eu un déplacement plus grand dans le carton supérieur que dans le carton inférieur, de sorte que la table ne s'était mue qu'après les cartons, et ceux-ci après les mains. Lorsque la table n'avait pas été mise en mouvement, le déplacement des cartons indiquait cependant une action de la part des mains. » Cette dernière observation affaiblit la valeur de la première. Les mains ne peuvent être posées une demi-heure ou trois quarts d'heure sur une table, sans y exercer une pression plus ou moins sensible; mais puisque cette pression peut être manifeste, même quand la table ne tourne pas, comment inférer qu'elle est la cause du mouvement quand la table tourne? Faraday, peu satisfait lui-même de ses disques, imagina une autre expé- rience, par laquelle il montra que la table tourne par un effort si impercep- tible, que l'opérateur qui le produit ne s'en doute pas. M. Chevreul retrouve là, avec raison, sa propre théorie de la tendance au mouvement. En résumé, les explications de nos trois savants titrés n'ont satisfait personne. Il en est même qui restent tout à fait à côté de la question, celle, entre autres, où Babinet cite, comme des exemples propres cà illustrer sa 1. Études et lectures sur les sciences d'observation, iû-12, t. U, Paris 18o6, p. 231-251. LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE théorie des mouvements naissants, certaines contractions nerveuses qui ont lieu dans l'escrime, dans la prestidigitation, dans le vol de l'aigle, etc. Ici, une déviation de logique a emporté le savant hors du sujet, et lui a fait oublier que tous les rapides et énergiques mouvements dont il parle, sont commandés par une volonté forte et consciente, tandis qu'il s'agit, dans le fait des tables, de mouvements produits par une action involontaire insen- sible pour la personne qui les exécute. Après la théorie qui explique, avec Ghevreul, Babinet et Faraday, la rotation des tables par des impulsions musculaires inco?iscienles, vient celle du fluide. Transportant dans ce nouvel ordre de faits l'idée des fluides, qui a joui d'une si grande vogue auprès des magnétiseurs, les partisans de ce second système expliquent par l'action d'un fluide émané des corps des opé- rateurs, l'impulsion des tables. Agenor de Gasparin est le représentant le plus autorisé de la théorie du fluide. On trouve cette théorie longuement développée dans son ouvrage. Agenor de Gasparin combat le surnaturel à sa manière. Il admet, avec saint Augustin, que l'ère chrétienne a clos la période des miracles et des faits contraires à l'ordre normal de la nature. Les miracles n'étant plus néces- saires au christianisme une fois établi, l'ère des prodiges a été fermée par la volonté divine. Partant de ce principe, Agenor de Gasparin ne cherche donc et ne trouve rien que de naturel dans la rotation des tables. Un fluide quelconque, le fluide vital, le fluide magnétique, peut-être tout simplement le calorique, serait, d'après Agenor de Gasparin, la cause de leur mouvement. Il reproduit ainsi le système des magnétiseurs, qui prétendent que le même fluide qui, émané du corps du magnétiseur, plonge dans le somnambulisme le sujet soumis à son action, est capable, en s'exhalant du corps des per- sonnes composant la chaîne, d'ébranler la table, et par son impulsion méca- nique, d'en déterminer le mouvement. Le malheur est que la notion des fluides est aujourd'hui absolument bannie des sciences physiques; que les mots de fluide électrique, magnétique, calorifique, lumineux, sont pour les physiciens modernes, tout à fait vides de sens, et que personne n'ose plus les prononcer. Si le fluide est, de nos jours, un être absolument réprouvé des physiciens, il ne doit plus rester grand chose, on le voit, de la théorie d' Agenor de Gasparin, qui explique par un fluide indéterminé, émanant du corps de l'opérateur, le mouvement des tables. Babinet a fort bien prouvé, et c'est la seule partie originale eldémonstra-. tive de son deuxième article sur les tables tournantes, que l'influx nerveux i LES TABLES TOURNANTES ET DES MÉDIUMS ne franchit pas Vépiderme. C'est là une des vérités les plus solidement éLablies en physiologie, et un principe qu'il ne faut point perdre ici de vue, car il suffit à renverser l'hypothèse du fluide appliquée à l'interprétation du mouvement des tables. Nous avons, du reste, déjà combattu dans ce volume, l'idée du fluide servant à expliquer les effets du magnétisme animal. Nous ne répéterons pas ce que nous avons dit à ce propos, car le cas est identique. Pour les personnes qui désireraient, néanmoins, une démonstration di- recte à rencontre de la théorie du fluide appliquée au tournoiement des tables, nous citerons une expérience rapportée par M. A. Morin, dans son ouvrage sur le Magnétisme et les sciences occultes Au lieu de placer leurs mains sur la table, que les opérateurs, dit M. A. Morin, tiennent cette table par un petit ruban de peau, de fil, de coton ou de soie, fixé sur son bord : jamais alors on ne verra de mouve- ment se produire. La matière du cordon n'est pourtant pas un obstacle au passage, à la conductibilité du prétendu fluide ; car si les mêmes opérateurs placent sur la même table leurs mains couvertes de gants de peau, de coton, de fil ou de soie, c'est-à-dire de la même substance qui composait le cordon qu'ils tenaient tout à l'heure à la main, la table se mettra à tourner. Si un fluide émané du corps des opérateurs était la cause du phé- nomène, il pourrait, en suivant le conducteur, représenté par le petit cordon, aller agir sur la table. L'absence de tout effet dans ce cas, permet de conclure l'absence du fluide vital. On pourrait beaucoup varier ce genre de démonstration expérimentale, mais le fait cité par M. A. Morin, joint aux considérations générales énoncées à propos du magnétisme, est sans réplique pour mettre hors do cause le fluide dans le cas de la rotation des tables. Vient enfin la théorie qui explique les mouvements des tables par les esprits. Si la table tourne après un quart d'heure de recueillement et d'atten- tion de la part des expérimentateurs, c'est que les esprits, bons ou mau- vais, anges ou démons, sont entrés dans la table et l'ont mise en branle. Le lecteur tient-il à ce que nous discutions cette hypothèse? Nous ne le pensons pas. Si nous entreprenions de prouver, à grand renfort d'arguments logiques, que le diable n'entre pas dans les meubles, pour les faire danser, il nous faudrait également entreprendre de démontrer que ce ne sont pas les esprits qui, introduits dans notre corps, nous font agir, parler, digérer, éprouver des sensations, etc. Tous ces faits sont du même ordre, et celui 1. Page 318. 583 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE qui admet l'intervention du démon pour faire tourner une table, doit recourir à la même influence surnaturelle pour expliquer des actes qui n'ont lieu qu'en vertu de notre volonté et par le secours de nos organes. Personne n'a jamais voulu attribuer sérieusement les effets de la volonté sur nos fonctions à l'inter- vention d'un ange ou d'un démon. C'est pourtant à cette conséquence que sont conduits ceux qui veulent rapporter la rotation des tables à une cause surhumaine. Nous voici amené à exposer notre propre théorie sur le phénomène de la table tournante. L'explication de la rotation des tables nous semble être fournie par cet état nerveux dont le nom a beaucoup varié jusqu'ici, mais dont la nature est, au fond, identique, c'est-à-dire parce que l'on appelle aujourd'hui hypnotisme, avec le docteur Braid. Sans trop anticiper sur ce qui sera développé dans la Notice consacrée à l'hypnotisme, nous pouvons dire que, par suite de la forte tension cérébrale résultant de la contemplation, longtemps soutenue, d'un objet immobile et brillant, le cerveau tombe dans un état particulier, qui a reçu successive- ment les noms de magnétique^ ou hypnotique . Une fois plongé dans le sommeil hypnotique, soit par les passes d'un magnétiseur, comme on le fait depuis Mesmer, soit par la contemplation d'un corps brillant, comme opérait Braid, et comme opèrent encore les sorciers arabes et égyptiens, soit simplement enfin par une forte contention morale, l'individu tombe dans cette passivité automatique qui constitue l'eïa^ hypno- tique. Il a perdu la puissance de diriger et de contrôler sa propre volonté ; il est au pouvoir d'une volonté étrangère. Ainsi privé du secours de son propre jugement, l'individu demeure presque étranger aux actions qu'il exécute; et une fois revenu à son état naturel, il a perdu le souvenir des actes qu'il a accomplis pendant cette étrange et passagère abdication de son moi. Il est sous l'influence des suggestions, c'est-à-dire qu'acceptant, sans pouvoir la repousser, une idée que lui impose une volonté extérieure, il agit, et est forcé d'agir sans volonté propre, par conséquent sans conscience. L'homme ainsi influencé a perdu son libre arbitre, et n'a plus la responsabilité des actions qu'il exécute. Il agit, déterminé par des images intruses qui obsèdent son cerveau. L'état d'hypnotisme rend parfaitement compte des phénomènes, si variés et parfois si terribles de l'hallucination, et montre, en même temps, le peu d'intervalle qui sépare l'halluciné hypnotique du monomane. Aussi ne faudra- t-il pas s'étonner que, chez un assez grand nombre de tourneurs de tables, LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS 5S9 l'hallucination ait survécu à l'expérience, et se soit transformée en folie. L'état hypnotique fournit, disons-nous, l'entière explication du phéno- mène de la rotation des tables. Considérons, en effet, ce qui se passe dans une chaîne de personnes qui se livrent à une expérience de ce genre. ,Ces personnes sont attentives, préoccupées, fortement émues de l'attente du phénomène qui doit se produire. Une grande attention, un recueillement complet d'esprit, leur est recommandé. A mesure que cette attente se pro- longe, et que la contention morale augmente, leur cerveau se fatigue de plus en plus, et leurs idées éprouvent un léger trouble. Quand nous assistions, pendant l'hiver de 1860, aux expériences faites par M. Philips (Durand de Gros) ; quand nous voyons les dix ou douze personnes auxquelles il confiait un disque métallique, avec l'injonction de considérer fixement et uniquement, pendant une demi-heure, le disque placé dans le creux de leur main, nous ne pouvions nous défendre de trouver dans ces conditions la fidèle image de l'état où se trouvent les personnes formant silencieusement la chaîne, pour obtenir la rotation d'une table. Dans l'un et l'autre cas il y a une forte contention d'esprit, une idée exclusivement, poursuivie pendant un temps considérable. Le cerveau humain ne peut résister longtemps à cette excessive tension. L'individu finit par tomber dans l'état hypnotique, et il donne lieu alors aux phénomènes divers que nous examinerons avec plus de détails dans la Notice sur l'hypnotisme. Dans cette réunion de personnes fixement attachées, pendant vingt minutes ou une demi-heure, à former la chaîne, pour obtenir la rotation, les mains posées sur la table, sans avoir la liberté de distraire un instant leur attention de l'opération à laquelle elles prennent part, le plus grand onmbre n'éprouve aucun effet particulier. Mais il est bien difficile que l'une d'elles, une seule si l'on veut, ne tombe pas, pour un moment, dans l'état hypnotique. 11 ne faut peut-être qu'une seconde de durée de cet état, pour que le phénomène se réalise. Le membre de la chaîne tombé dans l'état hypnotique, n'ayant plus conscience de ses actes, et n'ayant d'autre pensée que l'idée fixe de la rotation de la table, imprime, à son insu, le mou- vement au meuble. Il peut, en ce moment, déployer une force musculaire relativement considérable, et la table s'élance. Celte impulsion donnée, cet acte inconscient accompli, il n'en faut pas davantage. L'individu, ainsi passagèrement hypnotisé, peut ensuite revenir a son état ordinaire ; car à peine ce mouvement de déplacement mécanique s'est-il manifesté dans la table, qu'aussitôt toutes les personnes composant la chaîne, se lèvent, et suivent ses mouvements, autrement dit, font marcher la table, en croyant seulement la suivre. 390 LES MYSTERES DE LA SCIENCE Quant à l'individu, cause involontaire, inconscienle, de ce phénomène, comme on ne conserve aucun souvenir des actes que l'on a exécutés dans l'état hypnotique, il ignore lui-même ce qu'il a fait, et il s'indigne, de très bonne foi, si on l'accuse d'avair poussé la table. Il soupçonne même les autres membres de la chaîne d'avoir joué le mauvais tour dont on l'accuse. De là ces fréquentes discussions, et même ces disputes graves auxquelles a donné lieu si souvent la distraction des tables tournantes. Telle est l'explication que nous croyons pouvoir donner du fait de la rotation des tables, pris dans sa plus grande simplicité. Quant aux mouve- ments de la table répondant à des questions: les pieds qui se soulèvent au commandement, et qui, par le nombre des coups, répondent aux questions posées, la même théorie en rend compte, si l'on admet que parmi les membres de la chaîne, il s'en trouve un chez lequel l'état hypnotique dure un certain temps. Cet individu, hypnotisé à son insu, répond aux questions et aux ordres qui lui sont donnés en inclinant la table, ou en lui faisant frapper des coups, conformément aux demandes. Revenu ensuite à son état naturel, il a oublié tous les actes ainsi accomplis ; de même que tout individa magnétisé, hypnotisé, a perdu le souvenir des actes qu'il a exécutés durant cet état. L'individu qui fait ainsi parler la table, c'est-à-dire qui lui fait frapper des coups sur le parquet, est donc une sorte de dormeur éveillé; il n'est point sui compos ; il est dans un état mental qui participe du somnambu- lisme et de la fascination. 11 ne dort pas, il est charmé ou fasciné, à la suite de la forte concentration morale qu'il s'est imposée : c'est un médium. Comme ce dernier exercice est d'un ordre supérieur au premier, on ne peut l'obtenir dans tous les groupes. Pour que la table réponde aux ques- tions posées, en soulevant un de ses pieds et frappant des coups, il faut que les individus qui opèrent aient pratiqué avec suite le phénomène de la table tournante, et que parmi eux, il se trouve un sujet particulièrement apte à tomber en cet état, qui y tombe plus vile par l'habitude, et y persévère plus ongtemps : il faut, en un mot, un médium éprouvé. Mais, dira-t-on, vingt minutes ou une demi-heure ne sont pas toujours nécessaires pour obtenir le phénomène de la rotation d'un guéridon ou d'une table. Souvent, au bout de quatre ou cinq minutes seulement, la table se met en marche. A cette remarque nous répondrons qu'un magnéti- seur, quand il a affaire à son sujet habituel ou à un somnambule de profession, fait tomber celui-ci en somnambulisme en une demi-minute, sans passes, sans appareil, et par la seule imposition fixe de son regard. Dans les expériences que M. Gharcot fait sur les hystériques de la Salpê- LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS bj] Iricre, les malades tombent en catalepsie on en exlase à une seule projcclion de lumière électrique, ou au premier son donné par un diapason. Dans tous ces cas, comme pour la table tournante, c'est l'habitude qui rend le phéno- mène prompt et facile. Les médiums exercés peuvent, en très peu de lemjjs, arriver à cet état d'hypnotisme qui doit rendre inévitable le fait de la rolalion de la table ou le soulèvement du pied de ce meuble, conformément à la demande posée. Voilà le système qui nous paraît expliquer le phénomène de la rotation des tables. Il paraîtra plus plausible encore, lorsque nous aurons à examiner, dans le chapitre qui va suivre, les phénomènes auxquels les médiums ont donné lieu quand la table tournante, procédé primitif et élémentaire, a éié abandonnée, pour des manitestalions d'un ordre plus transcendant. IV Progression des phénomènes après les tables tournantes. — Les tables qui parlen et qui écrivent. — La planchette. — Les médiums opérant sans aucun acces- soire. — Explication naturelle des actions des médiums. Pendant l'année 1853 les tables tournantes jouirent d'une vogue univer- selle ; tout le monde voulut satisfaire sa curiosité concernant la réalité de ce phénomène. Il y avait donc quelque chose de vrai dans le dessin qui fut publié par V Illustration^ et qui représentait, sur la carte de l'Europe, les habitants de tous les pays occupés à faire tourner des tables, des guéridons, des corbeilles ou des chapeaux. Cependant tout s'épuise dans ce monde. Quand on l'eut répétée un nombre suffisant de fois, on se lassa de cette occupation, au fond assez maussade, et qui n'ajoutait rien à ce que l'on savait déjà. Les tables s'arrêtèrent donc partout et d'un commun accord. Mais les méditons qui s'étaient le plus distingués dans l'opération du tournoiement, restèrent, et ils devinrent les chefs de la secte des spirites actuels. Suivons la progression des nouveaux faits, dans l'ordre prétendu surna- turel, qui se sont produits depuis 1854. L'opération de la chaîne destinée à mettre une table en branle était fort peu commode, et souvent même impraticable pour converser avec les esprits. En effet, la manœuvre ayant pour but d'interroger les esprits, consistait à faire lever un des pieds de la table, entourée par un cercle de personnes. Deux soulèvement signifiaient non; un soulèvement signifiait oui: c'était la réponse à la question adressée à l'être surnaturel. Mais dans le groupe qui formait la chaîne, trop de volontés étaient en lutte, trop de demandes étaient formulées, pour que l'oracle rendu de cette façon, fût intelligible. On pensa, dès lors, qu'il était plus simple, une personne de la chaîne d'une table tournante étant reconnue pour médium^ de l'isoler, et de lui poser exclusivement les questions. Le médium fut donc installé seul, LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS 595 (levant un guéridon, une corbeille ou un meuble léger, et chargé de transmettre à l'assistance les réponses des esprits. Le nombre de coups frappés par un des pieds du guéridon, servit à composer un alphabet, et l'on put, de cette manière, c'est-à-dire en comptant les soulèvements du pied de la table sur laquelle le médium imposait ses mains, composer des mots et des phrases, ce qui constituait la réponse de l'esprit aux questions adressées par les spectateurs. Mais ce n'était là qu'un piètre moyen de correspondance. Nous ne savons rien de plus fastidieux que ces interminables séances, dans lesquelles il fallait un temps considérable et une attention soutenue, pour composer les réponses de la table, au moyen d'un alphabet de convention. Les habiles imaginèrent alors un perfectionnement. Un crayon fut adapté à l'un des pieds d'un guéridon ; on posa ce petit meuble sur une grande feuille de papier étalée sur le parquet, et le médium put écrire, en caractères plus ou moins lisibles, la réponse de l'esprit. Comme il fallait cependant une grande adresse ou une grande habitude pour se servir d'un aussi étrange porte-plume, on simplifia encore ce procédé. Le guéridon fut remplacé par une planchette ovale, de deux ou trois décimètres de long. Cette planchette était munie d'un crayon : le tout était placé sur une feuille de papier étalée sur une table. Avec ce petit appareil, un opérateur exercé écrivait sans difficulté. Pendant l'année 1855, un ébéniste de la rue d'Aumale eut à fabriquer une quantité considérable de ces planchettes à esprits. On pardonnait à cet honnête artisan d'être un grand prôneur de la planchette à esprits^ car s'il n'était pas orfèvre, comme M. Josse, il était ébéniste. Le secret de la caUigraphie de la planchette à esprits nous est révélé dans les lignes suivantes d'un ouvrage de M. Debay, qui nous apprennent ce qu'il advint dans une séance où l'on faisait usage de cet appareil , « Un crayon, dit M. Debay, ayant été adapté au pied d'une petite tablette, placée sur une table recouverte d'une large feuille de papier, deux opérateurs imposèren leurs mains sur cette tablette, qui bientôt se mit en mouvement et traça pénible- ment des caractères indéchiffrables. Un des spectateurs qui, depuis longtemps, se livrait à l'étude pratique du mouvement des tables, crut s'apercevoir d'une super- cherie de la part des opérateurs qui faisaient écrire la tablette et leur dit : « Messieurs, n'avez-vous pas réfléchi qu'un seul de vous opérerait beaucoup mieux que les deux réunis? Si votre tablette écrit si mal, c'est bien certainement parce que monsieur, placé au haut de la table, n'est pas bon lithographe, je veux dire ne sait pas très bien écrire à l'envers, de telle sorte que, l'un de vous poussant la table à l'anglaise et l'autre à la bâtarde, vous vous contrariez continuellement; et de cette contrariété résultent les lettres mal formées que trace la tablette. Je parie 59(3 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE que, si l'un de vous, messieurs, se retire et que son compère veuille bien opérer seul, la tablette écrira très bien. » « Les deux opérateurs se fâchèreut et prétendirent que le concours de deux per- sonnes était nécessaire pour forcer l'esprit. « Le spectateur obstiné prouva aux deux opérateurs qu'il y avait mauvaise grâce à continuer un tour dont la ficelle était découverte ; car, ayant lui-même placé gaillardement ses doigts eur la tablette, il la fit tourner et tracer des lettres, puis des mots, si parfaitement formés qu'un maître d'écriture en eût été jaloux. » L'appareil de l'ébéniste de la rue d'Aumale était, d'ailleurs, si incommode dans la pratique, que l'on finit par y renoncer. On se demanda, en effet, si tout cet attirail était bien nécessaire, et s'il ne valait pas mieux que le médium écrivît, comme tout le monde, avec une plume ou un crayon. Ce système prévalut, et voici comment les choses se passèrent désormais. Le médium s'assied, tenant à la main son crayon et son cahier. Il se recueille un moment. La personne qui est chargée d'adresser au médium la question que celui-ci doit transmettre à l'esprit, se recueille un instant elle-même, comme un magnétiseur devant son sujet. L'espèce de rapport qui doit s'établir entre le magnétiseur et son somnambule étant produit par ce court recueilllement, on voit alors une scène, identique, selon nous, avec celle du somnambule interrogé par son magnétiseur. L'un adresse la question, l'autre écrit, sur son cahier, ce qui est censé représenter la réponse de l'esprit. Nous devons ajouter que l'on supprime quelquefois l'accessoire de la plume ou du crayon, comme on a supprimé la planchette. Le médium étant arrivé à l'état mental convenable, on le prie d'adresser telle ou telle question à l'esprit : il transmet alors, sans se servir de l'écriture, et par sa seule parole, la réponse à la question posée. Seulement, il est convenu avec l'assistance que la réponse vient des esprits, et que l'intervention du médium s'est bornée à lui prêter le secours matériel de ses organes. Cette variante, rarement, suivie, ne change rien à l'explication que nous croyons pouvoir donner des inspirations des médiums. Dans ce cas, c'est un ndividu hypnotisé qui parle, au lieu d'écrire. Voici donc, en définitive, ce qui se passe aujourd'hui. Une personne s'assied devant une autre, lui adresse des questions; celle-ci écrit sur un cahier les réponses, et ces réponses sont acceptées comme les déclarations des âmes mortes des personnages célèbres que l'on a invoqués. C'est l'es- prit de Jean-Jacques Rousseau, de Voltaire, de Buffon ou de Pascal ; c'est l'esprit de saint Thomas, de saint François d'Assises ou de saint Augustin, qui parle. Les discours prononcés par les médiums, au nom des esprits, sont LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS 597 sont recueillis, quelquefois imprimés et publiés. Les vers qu'ils composent, les poèmes qu'ils dictent, reçoivent le même accueil; et c'est ainsi que l'on a eu des comédies dictées par l'esprit de Voltaire, des sonates composées par l'esprit de Mozart, etc. Comment expliquer les oracles des rnédhims? Le système qui nous a donné la raison physiologique du mouvement initial des tables tournantes, nous rendra également compte des actions des mé- fliums. Quand il s'agit de la table tournante, c'est, selon nous, un individu hypnotisé accidentellement, mêlé à la chaîne, qui imprime à la table un ébranlement, que les autres opérateurs entretiennent ensuite, en tournant avec la table. Dans ce cas, le temps du sommeil hypnotique peut être très court ; il peut ne durer que quelques secondes, car cet intervalle de temps suffit pour que l'individu hypnotisé, c'est-à-dire ayant perdu la conscience de ses actes et en proie à une seule idée, celle de la rotation de la table, imprime à ce meuble une implusion assez forte pour décider son mouvement. Dans le cas des médiums qui servent à mettre les assistants en rapport avec les prétendus esprits, l'état d'hypnotisme doit présenter une plus longue durée. Aussi ce dernier exercice demande-t-il une organisation spéciale et une assez longue habitude, conditions qui sont également nécessaires pour fournir au magnétiseur un somnambule lucide. Nous disions tout à l'heure que les séances d'interrogation d'un médium sont identiques à celles d'un magnétiseur et de son sujet. Il ne faut pas avoir assisté à beaucoup de ces séances pour reconnaître la justesse de cette assimilation, et pour se convaincre que le médium n'est autre chose qu'un somnambule magnétique éveillé, s'il est permis de s'exprimer ainsi, un individu plongé dans l'état hypnotique. L'habitude, la répétition des mêmes actes, l'influence exercée sur lui par l'individu qui interroge, l'espèce de solennité de l'épreuve qui se prépare, toutes ces circonstances, isolées ou réunies, tendent à plonger l'individu dans l'état d'hypnotisme. Une sorte d'égarement de la vue, et d'agitation générale, — le mouve- ment presque convulsif avec lequel le médium trace rapidement les quelques lignes d'écriture qui doivent représenter la réponse de l'être surnaturel invoqué, — l'abandon subit de la plume ou du crayon, après que les carac- tères ont été tracés, — cette main qui, après avoir fiévreusement écrit quel- ques lignes, retombe aussitôt, inerte, comme celle d'un automate, — tous ces signes extérieurs démontrent bien que le médium, est dans un état intellectuel anormal, qu'il obéit à une volonté étrangère substituée à sa propre volonté, qu'il n'a aucune conscience des actes qu'il accomplit pen- 59S LES MYSTERES "DE LA SCIENCE dànt cet étrange et passager élat de son organisme. En effet, la séance terminée, le médium^ revenu à lui-même, est le premier surpris de la réponse qu'il a tracée. Comme les somnambules magnétiques, comme les individus hypnotisés, il a perdu le souvenir des actes qu'il a accomplis pen- dant cette singulière défaillance de ses facultés intellectuelles. Il est de bonne foi quand il s'étonne, comme tous les assistants, de la réponse en- voyée par l'esprit ; et il n'y a dans cette déclaration de sa part, aucune su- percherie, pas plus qu'il n'y a supercherie dans le fait des somnambules magnétiques qui, à leur réveil, déclarent avoir oublié ce qu'ils ont dit pendant leur sommeil. Si le médium n'est autre chose qu'un individu en proie à une sorte d'hal- lucination temporaire, résultant de l'état hypnotique dans lequel il est plongé, il doit arriver, comme nous l'avons déjà dit, que la répétition de ces exercices produise sur sa santé une fâcheuse action, et que chez certains mé- diums cet état fréquemment renouvelé dégénère, après avoir produit diffé- rents troubles nerveux, en une hallucination définitive, en manie ou en folie. Les cas dans lesquels l'exercice des tables tournantes a produit des acci- dents assez graves, sont fort nombreux, A l'époque où régnait cette fureur, chacun put remarquer que, parmi les membres de la chaîne occupés à cette opération, un certain nombre se trouvait hors d'état de continuer, par suite d'un trouble nerveux qui revêtait différentes formes : l'excitation, l'abatte- ment, l'épuisement, etc. Et cela se comprend sans peine. Les personnes rangées silencieusement autour d une table, sont sur la pente qui mène à l'hypnotisme. Or l'hypnotisme, on l'a bien reconnu, ne peut pas être pra- tiqué impunément par tout le monde, La congestion sanguine, l'afflux du sang vers le cerveau, qui se manifeste pendant l'état hypnotique, exposent certains sujets à des dangers réels. On comprend donc que les tourneurs de tables soient menacés des mêmes dangers. On a signalé de graves accidents survenus à la suite de ces exercices, et consistant dans des désordres du système nerveux. Ces accidents sont, à la vérité, presque toujours passagers, mais il en est qui entraînent des suites plus sérieuses. On a cité un enfant appartenant à l'une des premières familles de Prague, qui, après avoir vu tourner les tables, fut pris d'attaques nerveuses, qui aboutirent à la maladie connue sous le nom de da7ise de Saint-Guy : en proie à des mouvements convulsifs, il tournait incessam- ment sur lui-même, comme la table. M, de Mirville est forcé d'avouer que beaucoup de fous sont entrés à Bicêtre, pour s'être livrés trop assidûment aux pratiques des tables tournantes, Victor Hennequin, dont nous aurons à parler plus loin, écrivait à un journal que sa femme, qu'il avait associée à ♦ LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS 590 ses opérations, en avait éprouvé un tel ébranlement nerveux, qu'on avait dû la placer dans une maison de santé. Victor Hennequin est mort lui-même dans une maison de fous. Éliplias Lévi a écrit, en parlant des mêmes opérations : « Elles peuvent cunduire à la folie ceux qui ne sont pas affermis sur la base de la suprême, absolue et infaillible raison; elles peuvent surexciter le s .slèrae nerveux, et produire de terribles et incurables maladies ; elles peuvent, lorsque l'imagina- tion se frappe et s'épouvante, produire l'évanouissement, et même la mort par con- gestion cérébrale. » Nous ne disons pas autre chose. La mort par congestion cérébrale peut arriver chez un médium, puisque l'état hypnotique auquel il s'abandonne, détermine souvent une congestion vers le cerveau. En Amérique, où le nombre des médiums est considérable, on a constaté qu'une foule de cas d'aliénation mentale et de suicide n'avaient point d'autre cause. Ces cas sont devenus si nombreux, que le gouvernement américain a dû s'en préoccuper sérieusement. Le Boston Pilot, l'un des journaux catholiques les plus inlhients des Etats-Unis, signalait en ces termes, dans son numéro du 1" juin 1852, les dangers de la profession de médium : (< La plupart des médiums, dit ce journal, deviennent hagards, idiots, fous ou stupides, et il en est de même de beaucoup de leurs auditeurs, il ne se passe pas de semaine où nous n'apprenions que quelqu'un de ces malheureux s'est détruit par un suicide, ou est entré dans la maison des fous. Les médiums donnent sou- vent des signes non équivoques d'un état anormal dans leurs facultés mentales, et chez certains d'entre eux on trouve des signes non équivoques d'une possession véritable par le démon. Le mal se répand avec rapidité, et il produira, d'ici à peu d'années d'affreux résultats. » On peut citer d'autres témoignages des désordres causés, aux États-Unis, dans les intelligences des personnes qui jouaient le rôle de médiums. Les feuilles de ce pays ont rapporté beaucoup de cas de suicide ou de folie amenés par le commerce avec les esprits. Voici deux paragraphes, pris au hasard, parmi les récits des journaux américains. On lisait dans le Courrier and Inquirer du 10 mai 1852 : « Six personnes ont été admises, dans le mois d'avril, à Phopital des fous de 'État d'Indiana, la seule' cause de la perte de leurs facultés est attribuée aux spirit rappings. <> Et dans le //erft/'/ du 30 avril: 600 LES MYSTERES DE LA SCIENCE « M. Junius Alcott, cKoyen respectable d'Ulica s'est donné volontairement la mort aux chutes d'Oriskany, en se précipitant, le 26 de ce mois, dans une roue de moulin, qui l'a instantanément broyé et mutilé, d'une manière affreuse. La fin hor- rible de ce malheureux est un commentaire saisissant des effets de ce moderne charlatanisme, qui s'est développé partout sous le nom de spirit rapping, et qui a été la seule cause du dérangement du cerveau de M. Alcott et du suicide qui en a été la suite. » Dans l'explicalion des tables tournantes et des médiums, on voit que nous sommes allé droit au fait, sans perdre notre temps à discuter l'hypo- thèse des esprits. Outre que, par son essence, le surnaturel ne se discute pas, nous ferons remarquer que ce serait aux partisans des esprits, dans le cas d'une discussion approfondie, à produire leurs preuves. Or, c'est ce qui n'a jamais été tenté d'une manière sérieuse, et cela nous épargne des frais de logique. Nous ne voulons pas néanmoins nous considérer comme tout à fait quitte envers les partisans de la doctrine des esprits, et nous opposerons un simple argument à cette entité que la thaumaturgie a restaurée dans la psychologie contemporaine. Ce qui prouve que les prétendus oracles modernes puisent tout en eux. mêmes et ne reçoivent aucun secours surnaturel, c'est que les esprits, interrogés par un médium, savent tout juste, et ni plus ni moins, ce que sait le médium. Demandez à un esprit de répondre à une question faite en anglais, l'esprit répondra parfaitement dans cette langue, si le médium connaît la langue anglaise; mais si le médium ne parle pas l'anglais, l'esprit se taira. Que si, au contraire, notre médium sait l'anglais, l'esprit répondra en anglais, au grand ébahissement de l'assistance. Nous avons souvent ri de la naïveté des gens qui demandaient aux médiums des renseignements sur des particularités que personne ne peut savoir, par exemple, sur le cours de la Bourse du lendemain, ou sur le siège de l'âme, sur les numéros qui doivent gagner à la loterie, ou sur le dogme du péché originel. Ces naïfs consultants ignoraient que l'esprit ne sait que ce que le médium sait lui-même, comme le somnambule d'un magnétiseur ne peut rien exprimer qui dépasse le nombre et l'ordre de ses propres connaissances . Les esprits reflètent toujours avec exactitude les opinions des médiums, ou de ceux qui les assistent. Ils sont religieux et croyants, dans un cercle de dévots ; ils sont mécréants ou athées, dans une réunion de sceptiques. En 1853, se tenaient, rue de Beaune, n" 2, dans les anciens bureaux de la Démocratie pacifique, supprimée à la suite du coup d'État du ON ÉVOQUE SAINT-LOUIS, CEST LOUIS DE GONZAGUE QUI APPARAIT (pAGE 603) II. 70 LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS 603 2 décembre 1851, une réunion de phalanstériens, rédacteurs sans emploi du journal disparu, qui consacraient de longues séances à l'innocente distraction de l'interrogation des tables tournantes. Il y avait là, Allyre Bureau, Charles Brunier, le mécanicien Franchot (inventeur de la lampe à modérateur), Antony Méray, le docteur de Bonnard, Eugène Nus et autres. Que croyez- vous que les tables dictaient à ce groupe de partisans de Fourier?... Du fouriérisme, du phalantérianisme. L'un des survivants de ce cénacle, M. Eugène Nus, a cru devoir, dix- sept ans après l'événement, reproduire les dictées de la table de la rue de Beaune. Il consacre cent pages de son ouvrage, intitulé Choses de Vautre monde, publié en 1880 à transcrire les paraboles de la table parlante, sans soupçonner que les dites paraboles ne sont qu'une suite d'articles de la Démocratie pacifique restés pour compte aux rédacteurs de cette feuille humanitaire, si durement mise à mon par l'Empire. Citons-en quelques lignes, prises au hasard. « L esprit de vie est partout, en tout. Son essence pénètre ce qui est. La force morale, sentiment instinctif de l'âme, base de la certitude, SORT DE LA SÉRIE, qui sc soHdarisc dans la synthèse des éléments humains. Pouvoir qui se manifeste dans les êtres organisés jnvotalement sur un globe, cette force résume toutes les forces constituant V animalité . De son verbe vivant vivent les êtres inférieurs à tout degré, parties inconscientes de la conscience unitaire, dont l'homme est le dépositaire ei le régulateur. » Il y a, nous le répétons, cent pages de ce galimatias phalanstérien. Ces réminiscences du fouriérisme, ces ressouvenirs inconscients des élucubrations de Victor Considérant et de Cantagrel, font pâmer d'admiration M. Eugène Nus, Après avoir transcrit le passage qu'on vient de lire, il s'écrie : « Très magistrales ces trois plirases ! Et que de choses en si peu de mots : Cette force morale — conscience, raison, intelligence — base de la certitude sor- tant de la série des virtualités premières, qui se solidarisent dans l'homme et deviennent Vinstinct, l'impulsion native de ce nouvel être, synthèse des vies infé- rieures!... La science n'a pas le plus petit mot à dire'. » Qui ne voit que les dictées de la t ible de la rue de Beau le n'étaient que les rêveries qui passaient par la tête de Charles Bru 'er, le phalanstérien en état de médium, qui était le plus souvent chargé deré^ ondre aux questions posées par ses amis ? Un autre membre du petit cénacle fouriériste, Allyre Bureau, qui alla 1. Choses de l'autre monde, 3<^ édition, pages 66-67, ia-12, 1880. t'aris, chez Deatu, 604 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE mourir au Texas, était musicien et compositeur. Aussi M. Eugène Nus nous gratifie-t-il, dans son ouvrage, de compositions musicales gravées, qui reproduisent les inspirations mélodiques de la table tournante de la rue de Beaune. Croyez bien, lecteur, que s'il ne s'était pas trouvé un musicien dans la réunion de ces spirites naïfs, nous n'aurions pas eu le Cha?it de la terre dans l'espace, ni le Chant de la lune àson déclin, ni le Chant de Saturne, ni même la Voix langoureuse du vent! C'est, nous le répétons, que tout médium n'étant autre chose qu'un individu plongé, par l'effet de l'habitude, dans l'état nerveux aujourd'hui bien connu, et désigné sous le nom d'hypnotisme, ne peut que parler sous l'empire des passions, des connaissances, des affections, des sentiments qui lui sont particuliers. Quand il a évoqué un mort illustre, le médium lui prête sa propre ignorance et sa propre incapacité. Bossuet parle patois et Alfred de Musset fait des vers faux. Un jour, une table se mit à réciter des vers, que les recueils consacrés aux tables tournantes assuraient avoir été dictés par un esprit de la Haute- Marne. De but lointain, de long voyage à faire, Il n'en est pas; Nous franchissons l'un et l'autre hémisphère En quatre pas. Ciel sans limite, Océan sans falaise. Désert uni, Le seul où nous soyons à l'aise, > C'est l'infini. C'est ce que l'on appela le chœur des esprits ^ Vérification faite, il se trouva que ce chœur n'avait pas été dicté par un esprit de la Haute-Marne, mais simplement tiré d'un recueil de poésies d'Autran, poète marseillais, membre de l'Académie française. La plus amusante bévue des médiums est peut-être la suivante. On demandait un jour à l'un de ces prétendus inspirés ce qu'il fallait penser de l'existence du diable. Le médium ayant pris son crayon, et s'étant mis en rapport avec les habitants de l'autre monde, transmit aux assistants cette mirifique réponse : « Je n existe pas. — Signé Satan. » Dans un cercle de médiums on avait besoin de connaître la date de la septième croisade. 1. Chœur des esprits, vers écrits par les esprits sur une planchette, dans un chef-lieu d'ar- rondissement de la Haute-Marne. (Voyez VEncyclopédie magnétique spi?-ilualiste de Cahagnèt, tome n, 20'= livraison.) LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS 605 « C'est bien simple, dit quelqu'un : évoquons saint Louis. » On se recueille, on appelle saint Louis, et on lui demande la date de son embarquement à Aigues-Mortes. Saint Louis répond : « Je ne sais pas. — Comment vous ne savez pas?... Mais c'est sous votre règne... mais vous y étiez... — Pardon, pardon, dit le spectre, il y a erreur... Je suis saint Louis do Gonzague, moi... On a appelé saint Louis, je suis venu... Le roi Louis IX était sorti. » On peut citer, au même titre la naïve recommandation d'une mère évoquant, en état de médium, l'esprit de sa fille, morte de la poitrine ; « Où es-tu maintenant, ma fille ? — Au paradis, ma mère. — Tousses-tu toujours ? — Non, ma mère. — C'est égal, couvre-toi bien le soir, à cause des fraîcheurs. » Nous né croyons pas nécessaire de pousser plus loin l'examen des prétendues facultés surnaturelles des médiums. 11 faudrait, sans cela, faire ressortir tout ce qu'il y a d'absurde à croire qu'une foule de morts illustres soient, à toute heure du jour et de la nuit, à la disposition du premier venu qui prétende faire descendre sur la terre leur ombre vénérée. Il faudrait admettre que tous les grands hommes de l'histoire, les Socrate, les César, les Pompée, les Caton, les Newton, les Pascal, les Molière, les Montesquieu, les Buffon, les Cuvier, les Victor Hugo, soient continuellement aux ordres des habitants du monde sublunaire ; qu'ils obéissent aux sommations du simple épicier qui juge bon de les appeler à son trivial foyer, pour venir y débiter des platitudes. Il faudrait s'étonner qu'un même personnage pût, à l'évocation qu'on lui adresse, apparaître à la fois en vingt endroits divers, se montrer simultanément à Paris, à New-York, au Caire, à Calcutta. 11 faudrait supposer que l'ombre d'un grand homme, sollicitée par divers particuliers des cinq parties du monde, puisse se diviser en plu- sieur portions, comme de la galette, pour faire face simultanément à ces multiples interrogatoires. Il faudrait encore expliquer comment les mêmes esprits rendent des sentences contradictoires, ou plutôt expriment toujours des opinions conformes à celles du pays où ils prononcent leurs arrêts : comment ils sont religieux en Bretagne, incrédules à Paris, monarchistes à Nîmes, républicains à Lyon. Il faudrait, en un mot, nous apprendre comment un chaos de rêves et d'insanités serait l'apanage de la population d'outre-tombe. C06 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Nous ne pousserons pas plus loin ce raisonnement par l'absurde, bien que ce soit un des meilleurs arguments en logique. Nous en avons assez dit pour justifier notre théorie, et pour faire comprendre qu'un médium n'est qu'un halluciné smis le savoh\ c'est-à-dire un individu en proie à l'étal hypnotique. LES SPmiTES I Les spirites en France. — Cahagnet. — ÉUphas Lévi. — Tictor Hennequin. — Le docteur noir. — Girard de Caudeinberg. — Henri Garion. — Le baron de Gul- denstubbé et l'écriture directe des esprits. — Le docteur Teste. — Le marquis de Mirville. — AUan Kardec et son livre des Esprits. Pour terminer cette revue des prodiges qui ont fait suite aux tables tour- nantes, nous mentionnerons rapidement les écrits ou les œuvres de quelques croyants qui se sont manifestés depuis l'année 1855 environ, jusqu'à l'année 1881, et que nous grouperons sous le titre de spirites. 11 convient, en commençant, de faire ici une certaine place à Cahagnet. Ce Cahagnet, ex-loumeur de chaises (c'est le titre qu'il prend, sans doute pour établir tout d'abord qu'il y avait déjà du tournoiement dans sa pro- fession première), commence par disputer au marqnis de Mirville la priorité des manifestations révélatrices qui ont ouvert la voie aux prodiges améri- cains. II a, de plus, un miroir magique, dont le secret lui aurait été révélé par Swedenborg lui-même. Ce miroir consiste en im morceau de glace sur lequel est appliquée, en manière de tain, une couche de mine de plomb. Voici, d'après les instructions de Cahagnet, la manière de se servir de ce miroir : « Vous faites placer la personne qui désire voir un voleur, un esprit ou un lieu, devant le miroir ; vous vous mettez derrière elle, la fixant fortement derrière la tête, vers le cervelet, et vous appelez l'esprit à haute voix, au nom de Dieu, de manière à imposer au voyant. » 608 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Peu s'en faut que, dans sa naïveté, Cahagnet n'ajoute qu'on doit faire en sorte d'imposer au voyant tout ce qu'il doit voir, ce qui serait de la sug- gestion avérée. Et quand, un peu plus loin, il recommande d'entourer la cérémonie de quelque pompe, et de joindre même au magnétisme moral ou spirituel le secours des parfums, on reconnaît là un emprunt fait aux magné- tiseurs de l'Orient, peut-èlre grâce à la relation du comte de Laborde. L'homme de la nature, — ceci est encore une qualification que se donne Cahagnet, en se fondant sur l'aveu presque orgueilleux qu'il n'a reçu aucune espèce d'instruction, et qu'il ignore l'art d'écrire, — l'ex-tourneur de chaises, pour prendre son titre le plus simple, a pour spécialité, en magie, l'évocation des morts, ou nécromancie. 11 converse avec Galilée, qui lui enseigne les lois de la physique et celles de l'astronomie; avec Franklin, qui lui communique l'invention d'une machine électrique ; avec Hippocrate, qui lui fait un cours de médecine et même d'anatomie (qu'Hippocrale n'a jamais connue) ; mais principalement avec Swedenborg, qui ne se lasse point de lui apparaître, pour l'entretenir de Dieu, de la vie future, de la nature des âmes, de leur existence antérieure, etc., etc. A part les révélations de Swedenborg, nous cherchons vainement quelque chose de neuf dans les enseignements que reçoit Cahagnet. Les secrets que les âmes railleuses d' Hippocrate, de Galilée et de Franklin ont l'air de lui conter à l'oreille, elles les avaient déjà déposés dans des livres, où Cahagnet, comme tout le monde, aurait pu les trouver, sans déranger de leur repos ces morts immortels. Aussi est-ce avec raison que M. Du Potet, remettant à sa place Cahagnet, Ihomme de la nature, qui se mêle d'avoir un miroir magique, l'accuse de « n'avoir pas encore rencontré ce qui distingue les génies des simples mortels, et de n'avoir point recueilli non plus, quelques- unes de ces vérités dont le ciel est rempli ». Cahagnet avouait, du reste, qu'il ne voyait rien par lui-même, et qu'il ne recevait pas de révélations directes des esprits. Ce n'était donc ni un devin, ni un prophète, ni un somnambule, ni un illuminé. Il ne voyait que par les yeux de ses lucides (comme Cagliostro voyait pdLr ses, pupilles) et particu- lièrement de mademoiselle Adèle Maignot, qui dominait toutes les autres par le don d'une incomparable clairvoyance. C'est à l'aide de cette demoiselle extatique, et même sous sa dictée, que Cahagnet a entassé volume sur volume, avec une fécondité trop bien entre- tenue et servie par son ignorance en l'art d'écrire 1. Voici les titres de quelques-unes de ses publications ; Arcanes de la vie future dévoilés ; — le Sanctuaire du spiritualisme ; — la Lumière des morts ; — les Révélations d'outre-tombe ; — la Magie magnétique. ELIPIIAS LËVI VOIT APPARAITRE LE FANTÔilE d'aP0LL0MU5 DE TUYANE (PAGE 6il) 77 1k LES SPIRITES 611 N'oublions pas de dire que Gahagnet reçut, au moins une fois, une bonne nouvelle de l'autre monde. C'était à l'époque où il était embarrassé pour continuer la publication de son premier et de son plus volumineux ouvrage. Alors Swedenborg lui dit, par l'organe d'Adèle Maginot : « Votre second volume des Arcanes de la vie future sera imprimé ; telle est la volonté de I)ieu. Ne vous inquiétez pas ; lorsqu'il en sera temps, vous serez secondé. » Le secours promis arriva en effet, et dès lors Gahagnet put publier son second volume des Arcanes de la vie future. On ne peut s'empêcher de rappeler, à cette occasion, que Victor Henne- quin, avocat de Paris, qui jouissait d'un certain renom, fut moins heureux. Vdmede la terre, avec laquelle il s'était mis en communication, par l'inter- médiaire des tables, lui avait dicté un livre, avec ordre de l'intituler : Sauvons le genre humain; et il avait même flatté l'auteur de l'espoir que son manuscrit lui serait acheté cent mille francs comptant, par un éditeur. L'époque prédite par la prophétie arriva, mais non M. Delahaye, l'éditeur désigné par Vâme de la terre. C'est surtout des livres dictés par les esprits qu'il faut dire : habent sua fata libelli, et le sort de ces livres devient malheureusement quelquefois celui de leurs auteurs : tandis que Cahagnet continuait d'élucubrer, Victor Hennequin allait mourir dans une maison de fous. Un amateur de magie, qui ne prend pas tant au sérieux sa science, qui la discute même en vrai philosophe sceptique, Éliphas Lévi', n'en raconte pas moins qu'à force d'opérations cabalistiques, il a fait apparaître le fantôme d'Apollonius de Tyane. Mais voici comment, par sa propre critique, il dégrade lui-même son prodige. « Gonclurai-je de ceci que j'ai réellement évoqué, vu et touché le grand Apollo- nius de Tyane? Je ne suis pas assez lialluciné pour le croire, ni assez peu sérieux pour l'affirmer. L'effet des préparations, des parfums, des miroirs, des pantacles, est une véritable ivresse de l'imagination, qui doit agir vivement sur une personne déjà impressionnable et nerveuse. Je n'explique pas par quelles lois physiologiques j'ai vu et touché; j'affirme seulement que j'ai vu et touché : que j'ai vu clairement et distinctement, sans rêves, et cela suffît pour croire à l'efficacité réelle des céré- monies magiques. » Éliphas Lévi croit à une lumière astrale, à un feu vivant, à un agent universel de la vie, à un fluide magnétique, car il n'a pas moins de mots (jue les autres pour désigner la matière subtile et invisible quijoue le prin- cipal rôle dans ces phénomènes. Mais, pour mettre ladite matière en jeu, 1. t'seudonyme de M. Alphoase-Louis Conslaat. 612 LES MYSTERES DE LA SCIEiNCE il attribue à l'art magique, au trident de Paracelse, au nombre ternaire, aux mystères du tarot ^ aux pantacles^ en un mot à tous les signes cabalistiques, une puissance, dont les magnétiseurs, en général, tiennent peu compte, et que la plupart semblent même ignorer. Eliphas Lévi est un magicien à cheval sur les formules. Du reste, il affirme que les morts, ou plutôt les images des morts qui apparaissent par la puissance des évocations, ne révè- lent jamais rien des mystères de l'autre vie. Si ces spectres répondent à ceux qui les interrogent, ce n'est jamais par une voix qui frappe véritable- ment les oreilles, mais bien par des impressions imaginaires et toutes sub- jectives. Que si quelquefois on se sent afïecté par un contact qui semble produit parle fantôme même, cette sensation n'accuse aucune cause externe, et doit être rapporté à l'imagination seule. Éliphas Lévi est tellement éloigné de faire intervenir le surnaturel dans la production des phénomènes qu'il opère, lui ou les autres fascinateurs, magiciens et magnétiseurs, qu'à ses yeux le surnaturel n'existe pas, ou n'est, suivant son expression, que le naturel exalté. Il est impossible de rencontrer un homme plus positif dans un faiseur de prodiges I Le comte de Szapari, qui voit aussi la magie dans le magnétisme, et qui attache, comme Éliphas Lévi, une certaine importance aux formules, fait, au contraire, intervenir dans le magnétisme animal, le spiritisme, ou, pour mieux dire, il n'y voit pas autre chose. Avec lui, point d'action physique véritable, point de fluide ou autre agent matériel entre le magnétiseur et le magnétisé. L'acte magique de magnétisation consiste dans une action spirituelle, cachée sous les dehors d'une action physique. L'homme manifeste son influence spirituelle par un signe approprié à l'effet qu'il veut produire, et cet efïet est obtenu d'autant plus sûrement que « les hommes étant de petites spiri- tualités qui se meuvent à la surface du globe, » rien n'est plus facile que de les mettre en communication et de les faire agir les unes sur les autres. Il ne s'agit que de bien connaître les signes et les gestes; mais c'est précisé- ment dans cette connaissance que consiste la magie. Du reste, l'action spi- rituelle vient de Dieu même, et l'on ne peut, conséquemment assigner aucune borne à ses effets. De la magie magnétique entendue de cette façon, il serait facile de tirer des révélations, et ces révélations enfanteraient la question sociale et reli- gieuse, aussi bien que les cinquante mille trépieds américains. Depuis que les esprits parlent et écrivent en France, ils ont, d'ailleurs, souvent abordé ce genre de prédication, soit pour annoncer des évangiles et des constitutions nouvelles, soit pour confirmer, par des avertissements d'outre-tombe. Tordre LES SPIRITES C13 établi en religion et en politique. Victor Hennequin, dont nous venons de rappeler la fin déplorable, ce fidèle scribe de Yâme de la terre^ n'eut pas plus tôt achevé sa tâche, qu'il s'adressa à l'Empereur des Français, et c'est à lui qu'il cria, dans une lettre qui fut rendue publique, en 1853 : Sauvons le genre humain. Ordre de Dieu d'ériger le temple du royaume du Christ prédit par Salomon manifesté en vision à Vriés et devant être érigé à Paris comme gage de la réêonciliation entre Dieu et les hommes; tel est le long titre d'une sorte de prospectus, qui parut en 1855. Dieu lui-même, en ordon- nant la construction de son temple, en a tracé le dessin et donné les devis. Ce temple de marbre sera élevé aux Champs-Élysées, à Paris. Toutes les religions de l'univers doivent venir s'y confondre dans un seul et unique culte. L'auteur de ce prospectus représente un apôtre de Vunitarianisrne, religion philosophique, qui a déjà de nombreux disciples en Amérique et en Angleterre, comme Victor Hennequin nous figurait un prédicant du socia- lisme fouriériste. L'auteur du prospectus dont il vient d'être question, était ce Docteur noir, ce prétendu guérisseur de cancers, qui, après avoir occupé tout Paris, échoua, en 1859, sur les bancs delà police correctionnelle, et qui, s'étant retiré à Nantes, y mourut obscurément, en 1880. Passons à ceux qui, zélés catholiques, croient l'avenir de leur religion intéressé dans la question des esprits. Après ce que nous avons déjà dit de M. de Mirville, il suffira de le nommer ici, et nous n'accorderons pas une mention plus longue à son acolyte, le chevalier Gougenot des Mous- seaux Aux yeux de ces deux spirites, tous les esprits sont des démons et tous les fluides sont leurs complices. Ce sont les démons et les esprits qui font tourner les tables, et qui répondent aux évocations des croyants, mais c'est pour montrer chaque jour plus clairement dans leurs manifestations, les signes avant-coureurs de l'avènement de l'Antéchrist, et faire mieux sentir à l'Église catholique l'urgente nécessité de faire emploi de ses exor- €ismes. D'autres spirites ne voient pas les choses sous un aspect aussi désolant. Non seulement ils prétendent que les révélations des esprits peuvent être fort innocentes, mais ils assurent en avoir été souvent édifiés dans leur foi 1. Mœurs et pratiques des démons ou des Esprits visiteurs, d'après les autorités de l'Église, les auteurs payens, les faits contemporains, etc. 1 vol. in-18, Paris, 1834. 614 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE catholique, et ils les estiment capables de déterminer les conversions les plus miraculeuses dans ce monde de corruption et d'incrédulité. Parmi ces pieuses personnes, il s'en est trouvé de fort éclairées et d'un caractère très honorable. Tel fut, par exemple, Girard de Caudemberg, ancien ingénieur des ponts et chaussées, homme positif par son éducation, très versé dans la mécanique, un véritable savant, en un mot, et qui, pendant plus de cin- quante années de sa vie, ne s'occupa que des travaux pratiques de l'art de l'ingénieur. Girard de Caudemberg, que nous avons connu à Paris, pendant qu'il rédi- geait le Bulletin scientifique du journal V Assemblée nationale^ s'était retiré à Dijon, à la fin de sa carrière. Dans les loisirs que lui faisait cette retraite, il s'adonna au spiritisme. Il est mort en 1858, peu de temps après la publication du livre dont nous allons parler, victime, comme tant d'autres, de la triste passion des tables tournantes. Dans le livre qu'il a publié', Girard de Caudemberg raconte qu'ayant, dans le principe, essayé, comme tout le monde, de faire tourner des tables, et n'ayant obtenu que des effets insignifiants, il douta de sa puissance personnelle, et chercha avoir quelque chose déplus caractéristique. Un mot d'introduction qu'un ami lui procura le fit admettre dans une réunion où l'on annonçait des effets très extraordinaires ; et c'est là qu'il put reconnaître, dans ce qui amusait les salons de Paris, une cause surnaturelle, pouvant devenir redoutable. « J'étais complètement inconnu, dit-il, aux personnes chez qui je me trouvais elles savaient à peine mon nom ; d'ailleurs elles étudiaient comme moi les phéno- mènes, et ne pouvaient avoir, par conséquent, la pensée d'en altérer la portée quand, elles l'auraient pu. Or, je posai successivement à la table les questions suivantes, qui ont toutes été répondues avec une parfaite exactitude. — Combien ai-je d'en- fants? — Combien de garçons? — Combien d'enfants mariés? — Combien ctiacun a-t-il d'enfants? — A quel âge est morte la personne à laquelle je pense? « Je fis après la question suivante, et j'appelle sur la réponse l'attention de tous ceux qui cherchent, sans idée préconçue, la raison des phénomènes. — Quelle a été la cause de la mort de mon père? La table a dicté — feu. — Mon père était effectivement mort brûlé, il y avait de cela vingt ans. — Evidemment la réponse dans son ensemble n'avait pu être lue dans ma pensée, — mais le choix précis du mot, le plus court dont on pouvait se servir, et en supprimant l'article, avait sans doute été faite par un autre esprit que le mien. « Mais bientôt, et à plusieurs reprises je tentai de laisser à la table toute initia- tive, en la priant seulement de me dire quelque chose. Un jour il arriva qu'à cette invitation, elle répondit en nous dictant les quatre mots suivants, incompréhensibles i.Le monde spirituel, ou Science chrétienne de communiquer intimement avec les puissances célestes et les âmes heureuses. 1 vol. iD-18, Paris, 1857. LES SPIRlTlîS C13 pour nous : Cap, sol, blepax, inogdié, loules ces lettres avaient été dictées de suite et paraissaient un pur galimatias. Madame P... (lemédium principal de la réunion) prétendait que l'esprit se moquait de nous; mais après avoir fait diviser les mots par la table elle-même, comme je viens de les écrire. 11 me restait à lui demander dans quelle langue elle nous parlait et elle a répondu : slave, au grand clialiissement du médium qui n'avait jamais entendu dire que ce fût une langue. L'esprit (car il n'y avait plus à douter de son évidente initiative), nous devait une traduction; mais il nous la donna, d'après l'expression consacrée, et comme je l'ai su depuis, excessivement libre, et, comme elle a un sens politique très spécial, je ne la rappor- terai [ as ici ; par la même raison, je ne crois pas pouvoir publier le sens littéral, qui contient une prophétie dont je ne garantis pas tout l'accomplissement, mais qui pourrait donner lieu à des interprétations fâcheuses et diverses. « L'esprit de cette table prenait le nom de Quécla, il était féminin, et, sur la demande que j'en fis le premier, il donna à sa mort la date d'une des années du quatorzième siècle. Je dois insister fortement ici sur la preuve évidente d'initiative, qui résulte de ces noms, la plupart du temps assez bizarres, que prennent les esprits et dont on s'est tant moqué, comme des diverses circonstances de leur vie terres- tre. On ne saurait prétendre sans tomber dans l'absurde que tout cela est écrit d'avance dans la tète des médiums. » Cependant, il résulte d'autres expériences rapportées par Girard de Cau- demberg, que les réponses de l'esprit peuvent être influencées, ou même faussées par les idées qui sont dans la tête du médium. On était chez madame B..., autre médium énergique, et qui s'occupait de magnétisme et de magie avant qu'il fût question des manifestations américaines. « Tous les esprits invoqués dans cette maison dit-il, m'ont paru entachés d'une cause d'erreur involontaire, de la part de ceux qui y présidaient, puisqu'ils étaient croyants et de très bonne foi. Madame B,.., se formait évidemment, à part elle, un avis sur les questions qui lui étaient posées et influençait ainsi les réponses de la table. J'en ai acquis la preuve par moi-même. Ayant demandé à l'esprit de dire mon âge, il se trompa rfeua? fois, et quand je l'eus fait connaître, Madame B... me fit observer, pour excuser l'infaillibilité de son oracle, que je ne paraissais pas avoir cet âge. Klle montra par là que c'était son propre jugement que la table avait adopté... Je dois dire que, quand cette cause d'erreur se trouvait forcément écartée,' l'oracle répondait juste. Ayant demandé l'âge de la mort d'une personne que je ne nommais pas, le nombre frappé se trouva exact, et pour une fraction d'année, le pied de la table ajouta même un coup très léger. » Girard de Gaudemberg n'étant néanmoins qu'à de-mi satisfait du mode vulgaire de communication avec les esprits, par l'intermédiaire des meubles, cherchait un moyen plus sûr, moins équivoque, et qui, écartant toute chance d'erreurs, ne laissât plus subsister aucun doute sur la présence réelle des âmes qu'on évoquait. Ce moyen, il le trouva dans un livre \ publié par 1. Lettres sur Véiiocalion des esprits. 616 LES MYSTERES DELA SCIENCE Henri Carion, rédacteur en chef d'un journal à Cambrai, et de plus, fortboo catholique, comme nous le verrons plus bas. Le mode d'évocation des esprits enseigné par Henri Carion ne comporte aucun appareil. Il consiste tout simplement à appeler mentalement l'âme que l'on veut consulter, et « à lui abandonner sa main, armée d'un crayon et mieux encore d'une plume ». C'est le moyen dont nous avons déjà parlé et qui est aujourd'hui le seul employé. Cependant, il a eu besoin d'être perfectionné par Girard de Cau- demberg, qui croit devoir nous avertir que « ce genre d'évocation est toute une science, dont le mouvement des tables n'a été que le prologue ». Qaarit aux succès que, pour sa part, Girard de Caudemberg a obtenus^ on en jugera par quelques expériences, où nous allons le voir à l'œuvre. « D'abord, nous dit-il, j'abandonne la plume à l'impulsion sans la regarder jamais; mais ce serait là, j'en conviens, une faible garantie de la passivité de ma volonté ou de ma pensée dans l'écriture : ce qui est le plus significatif, c'est que cette écriture nest pas du tout In mienne. Il y a mieux c'est qu'un assez grand nombre d'écritures essentiellemenl différentes, se sont ainsi tracées sous ma main, selon les esprits que j'interrogeais. Je place donc cette spécialité et cette diversité d'écritures comme une preuve qu'elles se produisent dans une absolue indépen- dance de ma propre action. Ce qui complète ce genre de preuve, ce sont les signa- tures avec parafe des esprits évoqués, et reconnues par leur famille ou leurs amis. La première a été, pour moi, celle de mon père, signature compliquée, à cause des^ trois initiales de ses prénoms, et que j'aurais vainement cherché à imiter ; elle s'est développée sous ma main avec rapidité, et comparée depuis avec celles qu'il avait tracées pendant sa vie, dans des papiers conservés par ma sœur, elle a été trouvés^ conforme. Voici à ce sujet une circonstance encore plus frappante : une personne de la famille du célèbre Arago, et qu'il affectionnait particulièrement, ayant désiré que j'évoquasse son âme, je l'ai fait en sa présence, et pour le tracé de sa signature, ma main a été entraînée avec une grande vélocité ; le nom avec un parafe remar- quable s'est trouvé reproduit avec tant de vraisemblance, que les personnes de la famille auxquelles il a été montré, ont toutes reconnu la signature ordinaire de savant. Je n'avais jamais eu occasion de la voir. Feu le respectable général Wagner qui aimait le merveilleux, m' ayant proposé de procéder, chez lui, à quelques évocations, j'y consentis volontiers (je ne le ferais pas aujourd'hui), etc. Dùsl'aborJ,. il me demanda d'appeler l'âme de sa première femme; comme j'en étais encore aux es&ais, je le priai de ne pas m'en dire le nom, que j'ignorais entièrement. Or, une main a parfaitement tracé ce nom pour moi inconnu, et la signature d'icelle. » Le grand écueil de l'évocation des esprits par l'écriture, n'est pas, ajoute Girard de Caudemberg, qu'un médium, volontairement ou à son insu, inter- vienne par sa pensée personnelle, et réponde à la place de l'âme interrogée. 11 peut arriver aussi, cause d'erreur beaucoup plus grave et plus difficile à 78 LES SPIRITES 619 prévenir, qu'un esprit espiègle ou mal intentionné se substitue à celui qu'on évoque, et réponde à sa place, en affectant d'imiter son écriture. On doit toujours craindre d'être dupe de ce genre de contrefaçon, très usité, à ce qu'il paraît, dans le monde spirituel. Voici, à cet égard, l'avertissement que Girard de Caudemberg déclare lui avoir été donné par un excellent esprit : « Le parler est de moi, mais souvent le langage est d un autre, qui ne mérite aucune attention. » Le parler est mis là pour X écriture, car de Caudemberg nous apprend qu'en écrivant, les esprits semblent croire parler; de sorte que la phrase doit être traduite ainsi: « L'écriture est de moi, mais souvent les mots sont d'un autre, qui ne mérite aucune attention. » A. présent que, d'après l'oracle de Girard de Caudemberg, il n'est plus permis de révoquer en doute le fait de cette p -rfidie dans les mœurs et pratiques des esprits, il reste à la bien reconnaître, à l'occasion, pour la confondre au moyen d'une confrontation ordonnée en temps utile. Pour cela, Girard de Caudemberg ne nous fournit aucune recette d'un effet sûr. Telle est la rouerie de ces mystificateurs spirituels, que lui-même, malgré tout.; son expérience, y était souvent pris. C'est que la falsification des écritures, chez les esprits, est autrement difficile à reconnaître que chez les simples mortels. On argue de faux un testament où, malgré l'écriture et la signature du testateur, on ne retrouve pas son style habituel. Mais il n'y a point de styles dislinctifs parmi les esprits. Une manière d'écrire, qui leur est commune à tous, a pour caractère l'emploi abusif d'un des quatre diùsQvhQS, positivement, fortement, ferme- ment, sûrement, qui sont répétés presque à chaque phrase. Le premier de ces mots précède ordinairement les monosyllabes oui et non. Et puis, c'est partout le même système d'inversions pénibles, de tournures incorrectes, d'expressions détournées de leur sens naturel, de phrases à ellipses forcées, de nuJs outrageusement tronqués, tantôt à la tête, tantôt à la queue. Quand les esprits veulent accentuer une idée avec énergie, faute de trouver l'expres- sion nécessaire, ils marquent leur intention en donnant aux mots des dimensions fabuleuses. « Quelquefois, dit de Caudemberg, la page entière est couverte par un de ces mots, et la main, pour le tracer, se trouve entraînée sans qu'on puisse prévoir où elle va s'arrêter. » Il est bien surprenant que ces êtres, à qui il serait si facile de s'exprimer dans toutes les langues, dédaignent d'apprendre à en parler une seule con- grûment. Le mauvais esprit qui se plaisait à lutiner Girard de Caudemberg, avait nom Sessement. C'était un démon haut placé dans la hiérarchie infernale. Nous allons voir de ses tours, dans les révélations qui vont suivre. 620 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE L'auteur s'adresse à la sainte Vierge, avec laquelle il a le bonheur d'être en communication spirituelle. — Mon ange gardien a-t-il un nom ? — Son seul nom est celui d'ange gardien — Me parlerait-il si je lui demandais! — Oui. « D'après cette assurance, je me hasardai, non sans hésitation, à m'adresser à cet être supérieur, dont je redoutais un peu les réponses. — Mon bon ange gardien, quand je vous consultais sur le mouvement du bras, était-ce vous qui me répondiez. — Non. « Après un moment d'attente, pour tracer ce monosyllabe, ma main fut entraînée par un pouvoir énergique. Le trait fut rapide et fortement accusé. Cette particula- rité remarquable s'est également présentée dans les réponses suivante^ : — Daignerez-vous me dire si je dois faire quelque chose pour être digne de vous ? — Tu dois faire ta confession. « Il est nécessaire d'expliquer ici que ma confession générale avait déjà eu heu \. et qu'il s'agissait d'une seconde confession devenue, en effet, nécessaire, avant la communion que je désirais recevoir le jeudi saint : nous étions alors dans l'avant- dernière semaine de carême de 1834. Ceci servira à faire comprendre les réponses^ suivantes, après que l'absolution définitive m'eût été donnée. — Maintenant êtes-vous content de nioi? — 7?'ès content. — Mon bon ange ne pourriez-vous pas chasser ce mauvais esprit, ce Sessement qui me poursuit? — Je le ferai jeudi saint. « Ce jour venu, après avoir pieusement accompli l'acte religieux si important qui devait placer, entre ma vie à venir et ma vie passée une séparation définitive v — Mon bon ange a-t-il tenu la promesse qu'il avait faite ? — Teiiue. — Sessement est-il parti? — Parti. « Ce jour-là en effet, le mauvais ange était parti, et je pus causer librement avec toutes les âmes de mes amis, mais ce jour-là seulement, dès le lendemain il était revenu. Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, qu'il me fût possii)le de recevoir des- réponses exactes de l'ange gardien, sans la prière à Dieu et la prière faite avec- persévérance; et sans une volonté forte après la prière. L'ange noir ne peut, à la vérité, avoir d'action sur l'ange de lumière; mais il dirige à faux le mouvement d& ma main. t. « J'avais essayé une fois, soit par inspiration, soit de moi-même, de frapper l'air devant moi et au retour de moi, avec une pointe acérée, d'après l'ancienne croyance du pouvoir du glaive contre les mauvais esprits. Mon amie (la sainte Vierge) écrivit par ma main : Jl est frappé. Ce moyen après la prière me réussit longtemps et l'ange gardien l'a approuvé ; mais Sessement s'y était en quelque sorte LES SPIRITES 62i habitué, il s'éloignait, mais revenait presque à l'instant et j'ai cru comprendre que la force de la volonté agissait seule sur lui en pareil cas. J'ai donc cessé l'emploi du glaive, et la puissance d'une prière fervente pour un objet bien déterminé et de nature à être approuvé par Dieu, suivie d'un acte impératif de la volonté, est le seul moyen toujours efficace. " Cette confiance trop grande dans le pouvoir du glaive avait entraîné de nou- velles erreurs dans des choses qui avaient pour moi un intérêt immédiat. L'écriture de ma céleste amie les avait pourtant tracées et confirmées, mais l'ange garJien, énergiquement prié par moi de manifester la vérité, écrivit : « Le tout est faux. » « Je suppliai de nouveau mon amie de me dire si c'était d'elle que me venait un conseil qui m'était donné. — Fortement. — Est-ce vous qui me dites cela ? — Non. — Ce n'est donc pas l'ange gardien non plus qui l'a écrit ? — Non. (L'ange gardien n'est donc pas le seul maître.) — /ist-ce vous, mon amie, qui écrivez cela ? — Non. — Je supplie mon bon ange de rendre la }>arole. — Le Sessement a menti. — Ce n'est donc pas vous qui avez approuvé mon projet de publication ? (Il s'agis- sait d'aperçus anticipés sur la matière de cet écrit.) — Non. — Quel est donc votre avis ? — Ne pas publier. « Peu après, mon amie, après m'avoir demandé de faire la prière, écrivait : « Le Sessement est parti, et je puis vous dire que je suis sensible à tout ce qu'il me fait dire de faux et que je regrette amèrement. — Maisjene puis comprendre que vous soyez ainsisoumise à un esprit de ténèbres ? — Pour comprendre, il faut savoir que Sessement est le suppôt de Salan, et qu'il a sa ruse et sa force. » Ainsi, ce que nous appelons dans la langue judiciaire, le faux par suppo- sition de personne, a son analogue dans le monde spirituel : c'est le faux par supposition d'esprit. Nous ne pousserons pas plus loin ces citations de l'ouvrage de Girard de Gaudemberg. Quand on se rappelle que ce spirite était un savant, qui n'avait même rien oublié de sa science lorsqu'il s'agissait de combattre le système des fluidistes, on demeure frappé d'étonnement. Il est impossible de mettre en suspicion la sincérité de Girard de Gau- demberg ; mais quand il nous parle de la passivité complète de sa volonté comme d'une condition nécessaire pour entrer en conversation avec la sainte Vierge, nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître là le caractère 622 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE essentiel de Tétai hypnotique, et de constater que Girard de Caudemberg était halluciné par cet état. Si, lorsqu'il jouait son rôle de médium, il obtenait des réponses lisiblement écrites par une plume qu'il laissait aller toute seule, c'est que la plume n'allait réellement pas toute seule, c'est qu'il la manœuvrait, sans en avoir conscience. L'individu en proie à l'état hypno- tique est, au sommeil près, un véritable somnambule. Tous deux jouissent accidentellement de facultés anormales; ils font, l'un en veillant, l'autre en dormant, des choses qui leur seraient impossibles dans l'état ordinaire, et une fois revenus à la vie réelle, ils ont tous les deux perdu le souvenir de ce qu'ils ont fait ou dit pendant cet état extraordinaire de l'organisme. Après ces derniers thaumaturges, le baron de Guldenstubbé a fait un certain bruit, non dans le public, mais dans le cercle des spirites, avec sa prétendue découverte de l'écriture directe des esprits. Compatriote de Swedenborg, M. de Guldenstubbé avait voulu apporter le dernier perfec- tionnement aux prodiges accomplis par les esprits évoqués. Avec lui, l'intervention matérielle d'un médium n'était plus nécessaire pour obtenir les révélations des êtres supérieurs ou des morts illustres. 11 assurait qu'à son évocation, ils traçaient eux-mêmes, en écriture ordinaire, les réponses aux questions qui leur étaient adressées. M. de Guldenstubbé a publié, en 1857, un livre spécial sur ce nouveau phénomène M. de Guldenstubbé était un spirite très ardent et très convaincu, et sa sœur, mademoiselle de Guldenstubbé, un médium. Nous aurions cru à peine nécessaire de mentionner son étrange prétention, quant à l'écriture directe des esprits, si nous n'avions vu plusieurs spirites ajouter foi à cet absurde miracle. C'est ce qui nous engage à reproduire ici un passage du livre de de M. A. Morin, qui a voulu s'édifier sur ce phénomène. M. A. Morin a pu reconnaître ainsi par lui-même, qu'il ne s'agit ici que d'un cas nouveau de ces actes inconscients qui s'accomplissent chez le médium quand il est en proie à l'hypnotisme, cette espèce de sommeil nerveux, ce rêve éveillé, par lequel nous croyons pouvoir expliquer tous les phénomènes prétendus surnaturels que nous avons rapportés dans ce volume. Voici donc ce que nous dit, à propos de l'écriture directe des esprits, M. A. Morin, témoin et acteur de ce qu'il raconte : « En 1856, dit M. Morin, j'entendis parler de l'écriture directe des esprits, obtenue par M. le baron de Guldenstubbé. Voici quel est son mode de procéder : 1. La i; u'itc des esprits et le phénomène inerDeilleui: de leur écriture directe démontré, par le baron L. de Guldenstubbé, 1 vol. in-8, Paris, 1837. LES SPIRITES 623 Il pose des papiers blancs sous les socles des statues ou sur les pierres des tombeaux ; peu de temps après, il retire ces papiers, où se trouve de l'écriture qui n'est l'œuvre d'aucune main humaine et qui est attribuée aux personnages auxquels sont consacrés ces mjnuments. Désireux d'être témoin de phénomènes aussi extraordinaires, je priai M. le baron de vouloir bien m'admettre à quelques séances. Il y consentit volontiers, et me donna rendez-vous au Louvre, dans une des galerie du rez-de-ciiaussée. Il me fit voir les écritures qu'il avait obtenues de divers personnages et qui étaient en grec, en latin et en plusieurs autres langues. On se mit à l'œuvre. J'avais apporté un cahier de papier blanc. On posa des feuilles sur divers monuments; puis nous passâmes dans la salle voisine où nous fîmes de même, et ainsi de suite, de sorte qu'après avoir parcouru toutes les salies du rez- de-chaussée, nous nous retrouvâmes au point du départ. Avant de continuer, je fis observer que ce mode de procéder était défectueux ; qu'en effet, pendant notre circuit, il pouvait se faire qu'une personne retirât nos papiers, profitât de notre absence pour les co ivrir d'écriture, puis les remît en place ; que, pour plus de garantie, ). serait n oessaire de ne poser qu'un papier et de ne pas le perdre de vue. L'initialeur me r-^ponditque, pour avoir plus de chance d'obtonir des réponses, il fallait s'adresser à un plus grand nombre d'esprits. Mon objection n'en subsis- tait pas moins. « Ces réserves étant faites, on reprit successivement les papiers qui se trouvèrent dans le même état qu'on les avait m.is. M. le baron me fit observer que, comme c'était la première fois que j'assistais à ces expériences, il n'était pas étonnant que ma présence augmentât la difficulté, qu'il fallait un certain nombre de séances pour réussir. Je répondis que j'étais disposé à suivre les épreuves, si multipliées qu'elles fussent, et quej'y mettrais toute la persévérance désirable. Le lendemain, nous recommençâmes en opérant de même, et cette fois un seul des papiers portait des traits d'écriture au crayon ; c'étaient deux lignes droites formant ensemble un angle de près de 180 degrés. M. le baron prétendit que ce résultat, bien qu'infé- rieur à ceux qu'il avait l'habitude d'obtenir, était probant, et que deux traits de crayon, tracés sans aucun agent visible, prouvaient l'intervention des esprits tout aussi bien (]u'un long discours. Ce raisonnement aurait été juste si le papier fût resté constamment sous nos yeux ; mais depuis le moment où nous avions posé ce papier, il s'était écoulé environ une heure pendant laquelle nous avions parcouru toutes les salles, et il aurait été très facile à une personne quelconque de tracer sur le papier tout ce qu'elle aurait voulu. Avec la meilleure volonté du monde, on ne pouvait voir là rien de merveilleux, rien qui autorisât à proclamer l'action des esprits. « Je proposai de nouvelles séances, et comme M. le baron m'assurait que, (juand il était seul avec mademoiselle sa sœur, il obtenait ces effets bien plus cou. sidérables, je l'avais prié de consulter les esprits sur les meilleurs moyens de me rendre témoin de quelques faits significatifs. Il me dit qu'il était autorisé à m' an- noncer pour le lendemain un fait d'écriture directe par l'esprit de Pascal, et il me donna rendez-vous au tombeau de ce grand homme, à l'église de Saint-Étienné- du-Mont. a Je lus exact au rendei-vous, mais mon nécromancien n'y vint pas. Après avoir 624 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE attendu une heure en vain, comptant sur la parole de Pascal, je posai moi-même un papier sous la pierre tumulaire ; j'attendis une demi-heure, ayant constam- ment l'œil flxé sur le monument, puis je retirai le papier..., que je trouvai vierge de toute écriture. C'était une déception de plus ; il faut en prendre l'habitude quand on s'adresse aux thaumaturges. « Quelques mois après ces malheureux essais, M. de Guldenstubbé publie son livre intitulé : La réalité des esprits et le phénomène merveilleux de leur écriture directe démontrés par le baron de Guldenstubbé. Il donne le fac-similé d'une foule d'écritures obtenues par le moyen que je viens de décrire. Je remarquai dans l'in- troduction ce passage : « La découverte de l'écriture directement surnaturelle est d'autant plus précieuse, qu'elle peut être constatée par des expériences répétées à volonté par l'auteur, en présence des incrédules, qui doivent fournir eux-mêmes le papier. » Enlisant une pareille offre, comment ne pas croire que le premier venu n'a qu'à se présenter pour être témoin d'un phénomène ? Gomment les étrangers ne se figureraient-ils pas qu'à Paris tout le monde peut voir l'écriture des esprits? Comment n'envieraient-ils pas le bonheur de celte ville privilégiée, où de si grandes merveilles sont à la disposition de tout le monde ?... Prenant au sérieux les paroles de l'auteur, je lui écrivis pour lui rappeler nos épreuves interrompues, et lui demander si, conformément à l'engagement qu'il avait pris envers le public, il voudrait bien m'admettre à quelque manifestation. Il me répondit qu'il avait reçu plus de deux cents demandes pareilles à la mienne, qu'il était impossible de démontrer le phénomène à tout le monde, qu'il fallait désijrmais se contenter du témoignage de deux cent cinquante personnes dont les attestations avaient été publiées... C'est bien là une reculade. Quand on promet de répéter à volonté des expériences devant les incrédules, on ne peut s'acquitter en offrant des attestations. «... Nous ne savons, du reste, de quelles attestations a voulu parler M. de Gul- denstubbé : son livre n'en contient aucune ; il cite une douzaine de personnes comme ayant assisté à ses séances ; mais il ne donne pas de relation certifiée par elles. 11 suffirait que ces personnes eussent assisté à un essai quelconque, pour qu'elles ne jugent pas à propos de réclamer. Nous ne savons au juste ce qu'elles ont vu, ni comment on a opéré en leur présence. Si, par exemple elles n'ont vu obtenir des écritures que comme je suis censé avoir vu obtenir deux traits de crayon, leur témoignage ne nous apprendrait rien, et tout ce qui se fait dans de telles condi- tions n'a pas de valeur. Qu'on nous montre des relations constatant que les papiers sont demeurés constamment surveillés par les opérateurs. Mais de pareilles attes- tations se feront encore longtemps attendre, et, en tout cas, elles ne dispenseraient pas de la reproduction des faits qu'on se vante d'avoir à sa disposition et que ne peuvent jamais obtenir ceux qui les demandent. « L'écriture directe des esprits n'est donc qu'une mystification de la compétence du Charivari, qui a eu raison d'en égayer ses lecteurs. » J'ai connu les Guldenstubbé à Paris, en 1860. Ils habitaient dans la rue du Chemin de Versailles (aujourd'hui rue Galilée) un petit appartement, dans une pauvre maison, qui a été démolie en 1886. J'avais été conduit chez eux par un de mes amis, l'ingénieur Tessié du Molay (mort en 1880), qui LES SPIRITES 627 donnait alors dans le spiritisme, comme Girard de Caudembeig et autres, bien revenus aujourd'hui de celte entorse au bon sens. Le baron de Guldenstubbé et sa sœur n'étaient, à vrai dire, que deux honnêtes maniaques. Quand je fus mis en rapport avec eux, ils avaient la singulière idée de faire écrire les esprits dans les caveaux de l'église Saint- Denis. On posait un billet sous la statue d'un de nos rois, et on se retirait. Au bout d'une demi- heure on trouvait sous le même piédestal un billet, qui était censé être la réponse directe de l'esprit. « Il faut voir cela, pour croire », me disait la demoiselle spirite. Malgré tout le désir que j'avais de vérifier par moi-même tous les faits dont j'avais à parler dans le présent ouvrage, je ne voulus ni croire ni aller voir, dans les caveaux de Saint-Denis, la petite poste d'outre-tombe, ni le maniaque qui manipulait des petits papiers sur les tombeaux de nos rois. Un autre spirite dont les illusions s'expliquent sans le moindre doute, par l'état d'hypnotisme et par la suggestion mentale c'est le docteur Teste. Ses expériences consistent, soit dans l'invisibilité complète de personnes ou d'objets magnétisés, soit dans la transmutation apparente des subs- tances alimentaires, jusqu'à faire croire, par exemple, à ceux qui boivent un verre d'eau, qu'ils boivent un verre d'orgeat, à ceux qui ne tiennent qu'une tasse vide, qu'ils prennent une glace à l'ananas ; soit dans la soustraction imaginaire des marches d'un escalier, soustraction qui ne permet pas au malheureux somnambule de descendre plus bas ; soit dans l'interposition de ces barrières imaginaires, qu'il refuse de franchir et contre lesquelles il se plaint qu'on lui brise l'estomac. Tout cela, évidemment, rentre dans les faits de suggestion. M. de Mirville (nous ne voulons plus parler ici de son histoire la plus surprenante, celle du transport d'une personne dans les airs, opéré, en plein midi, aux portes de Paris, par un médium de sa connaissance, miracle visible seulement pour les initiés au milieu desquels la transportée venait de tomber), M. de Mirville, disons-nous, se fait l'éditeur et le garant d'un autre miracle, extrait d'un manuscrit qu'il tient « d'un saint et respectable prêtre, longtemps professeur de philosophie chez les jésuites, et regardé pendant cinquante ans par ceux-ci comme un de leurs théologiens les plus sages et les plus habiles. ■» Ce prêtre jésuite, non désigné, mais bien recommandé, comme on le voit, a consigné dans son manuscrit les deux expériences dont suit le récit : « Voulant un jour prouver à plusieurs prêtres, mais surtout à un magnétiseur, que le fluide dont celui-ci se croyait le détenteur exclusif, écoutait aussi d'autres 628 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE ordres, il s'en empare mentalement et se propose de se faire obéir, contrairement à la pensée de son somnambule et de son maître. Gomment s'y prcnd-il? Auprès de lui se trouvait en ce moment un pan de rideau garni de ses anneaux ; à l'insu de ses deux magiciens, il détache donc et serre fortement ceux-ci des deux mains, suspend sa pensée ; puis, au moment oîi on y pense le moins, il émet une simple intention, et voilà que, malgré ses efforts, les anneaux lui sont violemment arra- chés et lancés à l'autre extrémité de la chambre... 11 émet une autre intention, et voilà que le fauteuil, auquel il commande, se met à tourner, à rouler tout seul sur le parquet et à parcourir l'appartement, à la grande stupéfaction des témoins du somnambule, et surtout du magnétisseur, qui se trouve dépossédés subitement de leur fluide et des théories qui faisait leur orgueil , et dépossédés par qui? par un profane, sur un philosophe ennemi du magnétisme, qui ne s'était pas même mis en rapport avec eux et qui, depuis, ne s'est jamais retrouvé la moindre puissance magnétique. Voilà la première fois que le fluide magnétique, toujours mis en jeu par le diable, suivant M. de Mirville, se sera mis au service d'un jésuite. M. le marquis veut-il nous faire entendre par là que diable et jésuite c'est tout un? Mais non, quand il parle des jésuites, M. de Mirville est trop sérieux pour faire des épigrammes. Enfin, voulant éviter le reproche de ne choisir ses autorités que parmi des médiums et des jésuites anonymes, le même auteur se résout à nous donner un miracle de sa façon : « Peut-être, dit-il, serons-nous un peu moins embarrassé pour vous affirmer («ue nous-même, sur un simple signe que nous transmettions à un magnétiseur, son somnambule, porté sur nos propres épaules, devenait, à notre volonté, infiniment plus léger ou nous écrasait de tout son poids! si nous affirmons encore que, sur un simple signe de nous à son magnétiseur, placé à l'autre extrémité de la cham- bre, ce somnambule, dont les yeux étaient hermétiquement bandés, se laissait rapidement entraîner, ou bien, obéissant à notre nouvelle intention, demeurait tout à coup si bien cloué sur le parquet, que courbé horizontalement, et ne repo- sant plus que sur la plante des pieds, tous nos efforts (et nous étions quatre) ne le faisaient plus avancer d'une seule ligne. « Vous attelleriez six chevaux dessus, nous disait le magnétiseur, que vous ne le feriez pas bouger davantage. » Et vraiment, c'était bien, là aussi, le premier pas qui coûtait. Enfin, à notre volonté encore, nous le rendions ou complètement sourd, ou complètement aveugle, ou complèto ment insensible. » Les lauriers de M. de Mirville empêchaieat de dormir plus d'un adepte. Sa place, longtemps convoitée, fut emportée par Allan Kardec. Aikn Kardec (un nom de fantaisie) devint, vers 1856, le chef de la secte, en détrônant le marquis de Mirville. Il fut le pontife du spiritisme. Allan Kardec, ne se borna pas, en effet, à propager la doctrine par le secours de la pkime, par ses livres et par sa Revue spirite ; il éclipsa l'ancien chef LES SPIRITES 629 du spiritisme paria puissance de l'enseignement oral. Dans ses conférences hebdomadaires, AUan Kardec prêchait régulièrement sur les principes de l'art, et il était écouté religieusement par des auditeurs qui n'étaient pas admis à entrer en controverse avec le maître. AUan Kardec publia, en 1860, la seconde édition de son Livre des esprits, véritable manifeste du spiritisme français, destiné à continuer l'œuvre du marquis de Mirville, qui, sous un titre presque identique, avait obtenu un si grand succès en 1854. Le Livre des esprits d'Allan Kardec s'est vendu, dit-on, à plus de, cent mille exemplaires. Cet ouvrage contient l'exposé de la philosophie spirite. Comme l'ii.dique un long sous-titre, il développe les principes de la doctrine sur l'immortalité de l'âme, la nature des esprits et leurs rapports avec les hommes, les lois morales, la vie présente, la vie future et l'avenir de l'humanité. Vous saurez que c'est ici une œuvre révélée. L'auteur déclare, en effet, que les principes contenus dans son livre « résultent, soit des réponses faites par les esprits aux questions directes qui leur ont été proposées à diverses époques et par l'entremise d'un grand nombre de médiums, soit des instruc- tions données par eux spontanément à l'auteur ou à d'autres personnes, sur les matières qu'il renferme. Le tout a été coordonné de manière à présenter un ensemble régulier et méthodique, et n'a été livré à la publicité qu'après avoir été soigneusement revu à plusieurs reprises et corrigé par les esprits eux-mêmes. Celte seconde édition a formellement été de leur part l'objet d'un nouvel et minutieux examen. » Ainsi, les esprits, non seulement ont composé ce livre, mais ils en ont corrigé les épreuves ! Cette production ne trahit guère pourtant une inspiration supérieure. C'est une œuvre de métaphysique banale, mise sous l'égide et l'étiquette des esprits: la philosophie en est surannée, et la morale endormante. AUan Kardec est mort en 1876. Les phénomènes réalisés dans les expériences de M. de Mirville, du doc- leur Teste et de quelques autres, rentrent tous, selon nous, dans cet hypno- tisme, on sommeil nerveux, découvert en 1841, par Braid, et qui, partant d'Angleterre, ainsi qu'il sera bientôt raconté, traversa les mers, pour fleurir en 'Amérique, et revenir définitivement en Europe, déguisé sous divers noms, mais toujours identique à lui même. L'état hypnotique qui nous a servi à expliquer le phénomène des tables tournantes, nous donnera encore la clef physiologique de l'extase des médiums. C'est ce qui sera développé à la fin du chapitre suivant. II M. Home et ses prodiges. — Les Mémoires de M. Home. — Les frères Davenport; leur truc dévoilé. — La photographie spirite. — Buguet ; sa condamnation. — Explication physiologique du spiritisme. Au moment de continuer cette histoire des liauts faits du spiritisme, nous nous apercevons qne nous n'avons pas encore prononcé le nom de M. Home, qui fit tant de bruit, pendant les deux hivers de 1857 et de 1858, dans les salons de la capitale, et surtout dans les feuilles parisiennes. II n'était question que de M. Home dans le bulletin quotidien que le journal, la Patrie, ouvrit, pendant un certain temps, aux sciences occultes. Les chroniques des grands journaux étaient également remplies d'histoires renversantes sur le célèbre magicien venu d'Ecosse, pays de la seconde vue. C'était tous les jours de nouveaux récits de ses exploits, Cliez le prince deX. ,., dans une soirée que M. Home avait honorée de sa présence, un lastre s'était décroché du plafond, et après s'être promené en l'air à travers le bal il serait venu, de lui-même, se raccrocher à son anneau. Chez la duchesse de Trois étoiles, des tables et des chaises, s'élant soulevées, avaient exécuté toutes sortes de mouvements, qui figuraient presque un quadrille. Chez le marquis de A..., des mains invisibles s'étaient promenées sur le visage des spectateurs, pour les agacer ou les caresser, et d'autres mains, flottant sans corps, s'étaient rendues visibles. Chez le vicomte de B..., des pianos et des accordéons avaient exécuté spontanément des airs, sans le concours d'aucun musicien. Chez le vidame de C..., des spectres étaient apparus, de formidables bruits s'étaient fait entendre, la maison tout entière s'était ébranlée, et le parquet avait ondulé, comme un navire sur les flots. Chez le landgrave de D..., la température de la pièce où se trouvait la compagnie, s'était abaissée, à l'entrée de M. Home, et des assiettes de petits pâtés s'étaient élancées toutes seules à sa rencontre. LES SPIRITES 631 Telle est la qualité des prodiges qu'attribuait à M. Home la parlie légère do nos journaux sérieux. Notons, en passant, que la presse qui, sous la Restauration et sous Louis-Philippe, s'était montrée l'adversaire constant et éclairé de la superstition et du miracle, semblait avoir pris à tâche, sous le second Empire, de venir en aide aux folies du supernaturalisme, et presque de servir de compère à ses héros. Ce n'était là, de la part des journalistes de celle époque, que l'effet d'une légèreté d'esprit, encouragée [lar l'appât d'un succès facile et vulgaire. On ne voit pas ce qu'un pareil système faisait gagner au journalisme en considération, mais on voit fort bien les dangcis qu'il faisait courir à l'esprit public. Cependant, quand on allait au fond de toutes les fantastiques histoires que nous venons de rappeler, quand on procédait aux informations, il S3 trouvait que les prodiges si complaisamment racontés par les journaux étaient de la pure invention des chroniqueurs. En réalité, M. Home ne s'était dérangé que pour quelques rares sommités'du parti spiritiste. Il opéra chez l'Empereur et chez le prince Napoléon. Mais qr.i nous dira ce qui s'est passé dans ces demeures souveraines? Nul témoin ne l'a rapporté. Le magi- cien prenait, d'ailleurs, une précaution excellente pour garantir ses mer- veilles. Avant de se livrer à ses opérations fantastiques (qui consistaient surtout, à arracher, à distance, une sonnette des mains d'une personne, et à faire entendre des bruits insolites), M. Home passait attentivement la revue de l'assistance. Si une figure lui déplaisait, c'est-à-dire si elle appartenait à un incrédule, le nécromancien demandait son exclusion. Displacuit nams tuus, et le suspect était mis poliment à la porte du salon. Nous tenons ce détail de l'une des personnes ainsi éconduites lors d'une séance de M. Home chez le prince Napoléon, et qui n'était rien moins que le célèbre académicien, Babinet, lequel s'était permis d'émettre quelques doutes sur les facultés supérieures du thaumaturge. Pour dernière précaution, au moment de faire éclater ses prodiges, le magicien tournait discrètement le bouton de la lampe ; de sorte qu'une obs- curité propice couvrait et cachait ses merveilles. 11 est donc fort probable que M. Home était tout simplement un prestidi- gitateur, qui avait pris l'enseigne du spiritisme et profitait de sa vogue, pour exhiber des tours d'adresse, imités de ceux de Robert Houdin. On pourrait, jusqu'à un certain point, comprendre le parti pris que manisfesla iM. Home de se dérober à l'inspection des incrédules ou des profanes, mais les croyants à sa personne et à ses pratiques ne furent pas plus heureux que le vulgaire. Un grand nombre de spirites parisiens, l'élite (les médiums de la capitale, l'avaient conjuré, supplié de leur accorder une 632 J-I^S MYSTÈRES DE LA SCIENCE icance : M. Home fui sourd à leurs prières. 11 resta impénétrable et inacces- sible pour les dévots de la secte, comme il l'avait été pour les simples curieux. Aussi les maîtres de l'art ne cachèrent-ils point leur mécontentement de cette manière d'agir. Du Polet, après avoir chanté, dans son Journal du magnétisme, les louanges de son confrère d'Écosse, exhalait contre lui, trois mois plus tard, sa mauvaise humeur, et laissait percer les doutes les plus sérieux sur les facultés du médium qu'il avait tant prôné : prestidigitateur, audacieux autant qu'habile, a toujours été l'argent. Il donnait des représentations à beaux deniers comptants, et exploita longtemps ainsi la crédulité publique. Il faut bien savoir, en effet, disons-le en passant, que l'argent joue tou- jours un grand rôle dans le spiritisme. Les spirites forment une coterie, qui a surtout pour but de faire contribuer de toutes les façons les fidèles, c'est- à-dire les niais. On leur fait acheter fort cher quantité de livres de la force de celui d'AUan Kardec ou de M. Home, et les médiums donnent des séances payantes. Le spiritisme est avant tout une affaire, qui a ses journaux, ses libraires, ses agents et ses contribuables. C'est une véritable exploitation de la classe, trop nombreuse, de gens qui ont un esprit faible et un bon coffre-fort. On peut rappeler, à ce propos, que le mesmérisme, et le magnétisme animal ont dû en partie leur propagation et leur vogue à ce qu'ils se tradui- saient par des consultations payées. Mesmer se retira aux bords du lac de Constance, dans un opulent château, et il y termina en paix sa vie, grâce aux libéralités de la royale souscription de ses nombreux fidèles. La question d'argent se trouve donc toujours au fond de tous les pré- tendus miracles. Si l'on pouvait mettre en doute que le désir de gagner de l'argent soit le véritable mobile des opérations des spirites, ces doutes seraient dissipés par l'édifiante histoire des frères Davenport, ces sorciers ratés, qui, après avoir étonné l'Amérique et l'Angleterre de leurs merveilleux tours, vinrent se faire honnir et confondre à Paris, ville difficile à convaincre en fait de prodiges et de surnaturel. Les frères Davenport étaient deux Américains qui avaient trouvé un truc ingénieux pour donner le spectacle suivant. On les attachait solidement, l'un et l'autre, sur une chaise, avec de fortes cordes, et l'on s'assurait qu'il leur était impossible de faire un mouvement, avec leurs bras, leurs mains et leurs pieds ainsi garrottés. Or, au bout de quelques minutes, les deux frères apparaissaient, complètement débarrassés de leurs liens. Seulement, il fallait qu'ils demeurassent cachés pendant ces quatre à cinq minutes. Pour cela, ils s'enfermaient dans une armoire, qui ne s'ouvrait qu'au bout de quelques instants, pour les montrer délivrés de leurs entraves. C'était là un joli tour de société. Le public s'en serait amusé quelque temps, puis il aurait passé à autre chose. Mais les frères Davenport étaient deux malins. Ils eurent l'idée d'attribuer ce tour à l'intervention des esprits. 640 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE C'est donc sous l'égide des esprits qu'ils se produisaient, et c'était là ce qui faisait leur renommée et leur fortune. On ne manquait pas d'élever de fortes objections contre la nécessité de l'intervention des esprits, dans l'exécution de ce tour d'adresse, a Pourquoi une armoire, disait-on, si ce sont les esprits qui opèrent? Pourquoi se dérober dans l'obscurité? Pourquoi les esprits ne travaillent-ils pas en plein jour, devant tout le monde, puisque n'ayant pas de corps on ne pourrait les voir? Nous ne savons comment s'y prennent les deux Américains pour opérer leur tour, et nous ne saurions assurémeat les imiter; mais est-ce une raison pour attribuer la chose aux esprits ? Il doit donc y avoir un truc. Quel est ce truc, nous l'ignorons ; mais pourquoi les esprits opéreraient-ils ce truc, plutôt que l'opérateur usant de quelque artifice habilement dissimulé? » Voilà ce que disaient les gens raisonnables ; ce qui n'empêchait pas la foule d'accourir aux séances des frères Davenport et de leur apporter son argent. Les représentations des frères Davenport avaient commencé en Amérique, terre classique des esprits. Ayant suffisamment exploité leur patrie, les deux frères passèrent les mers, avec leur armoire, et donnèrent à Londres des représentations publiques et payantes. Londres n'accepta pas avec autant de docilité qu'on l'a dit le tour de Farmoire. Non seulement les journaux anglais le contestèrent, mais des prestidigitateurs l'imitèrent, en faisant connaître le truc qu'ils employaient. Le journal The Builder, dans an article intitulé « Eau froide jetée sur les esprits », raconta comment un prestidigitateur, M. Tollemarque, av;:it imité et même surpassé les prétendues spirites américains. M. Tollemarque s'était fait attacher à sa chaise par une personne qui avait précédemment attaché les frères Davenport. On avait placé un paravent entre le public et l'opérateur. Au bout d'une demi-minute, tambourins et guitares s'étaient mis à se promener; et une main, la main d'un esprit, avait paru au-dessus de l'écran. Trois minutes après, l'écran étant enlevé, on avait vu M. Tolle- marque complètement délié. Le prestidigitateur avait préalablement fait connaître à un des assistants la manière dont il allait opérer. D'après le Sun, le professeur Andersen avait accompli en pleine lumière le tour de force que les frères Davenport cachaient au fond de leur téné- breuse armoire. Le physicien Faraday infligea aux frères Davenport une rebuffade, qui leur nuisit beaucoup dans l'opinion publique. Invité à assister à l'une de leurs séances, Faraday leur écrivit la lettre suivante : « Je vous remercie, messieurs, de votre aimable invitation, mais réellement j'ai éti' si désappointé par les manifestations auxquelles j'ai assisté plusieurs fois, que cela LES SPIRITES ne m'encourage pas à m'en occuper davantage; aussi je laisse celles que vous me proposez de voir aux professeurs de prestidigitation. S'il venait à se produire des phénomènes de quelque valeur, je suis persuadé que les esprits trouveront eux- mêmes le moyen d'exciler mon attention. Je suis fatigué d'eux. » De Londres, les frères Davenport vinrent à Paris, qui devait être leur Waterloo. L'arrivée des frères Davenport dans la capitale des lumières et de l'incré- dulité, fut annoncée par deux grands articles, remplis d'éloges, insérés, dans le Monitew officiel, et qui ne faisaient pas honneur à la clairvoyance de ce journal. Leurs soirées commencèrent au mois d'août 1865. Les journaux de Paris parlèrent avec surprise, mais sans trop de commentaires, du miracle de l'armoire. Malheureusement pour les deux spirites, un prestidigitateur très habile, Robin, qui donnait alors ses séances dans une salle du boulevard du Temple, se piqua au jeu, et il adressa au 3Jomteur une lettre, dans laquelle il se faisait fort d'imiter en pleine lumière et sous les yeux du public, les mer- veilles d'importation améiicaine. Et de fait, Robin, aux applaudissements de toute la salle, répétait, chaque soir, le tour des cordes, absolument comme les frères Davenport, et cela au milieu de la scène, entre deux lampes bien allumées. L'opinion publique commença alors à se tourner contre les frères Daven- port. L'orage grossit; il devait bientôt éclater, de manière à emporter dans le tumulte et les esprits et leur armoire. C'est le 14 septembre 1865, à la salle Herz, que se passa cette soirée mémorable. Nous en emprunterons le récit au journal la France, qui lui a donné une tournure piquante et dramatique. « Le public français, représenté par les huit cents personnes qui garnissaient hier au soir la salle Herz, a tenu à prouver, dit la France du 14 septembre 1865, qu'il était le plus spirituel de la terre. En dix minutes, il a littéralement démoli la réputation longuement établie des frères Davenport. Il a vu clair où les Américains et les Anglais n'avaient vu que du feu; seulement, nous devons constater qu'il eût pu apporter un peu plus de modération à fournir cette preuve de son intelligence primesautière. Mais n'anticipons pas. La séance s'est ouverte par un air de piano, lever de rideau tout naturel à la salle Herz, et que les spectateurs ont pris cependant de fort mauvaise part. Est-ce parce ((ue le piano servait d'accompagnement à un violon, à une contrebasse et un cornet à piston? Nous n'en savons rien. Mais ce qu'il y a de certain, c'est que le malheureux quatuor dut suspendre ses accords devant les protestations réitérées de l'assistance. Le vent, paraît-il, n'était pas à l'harmonie. LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Ce fut l'interprète des deuxjeunes Américains qui succéda au piano. « Messieurs, dit il au public, les frères Davenport, ignorant la langue française, m'ont prié d'être leur intermédiaire auprès de vous. Je ne prétends pas plus expliquer leurs exercices qu'ils ne les expliquent eux-mêmes, car ce sont des agents passifs. » A ces derniers mots, il y eut un commencement d'orage, orage qui devint une véritable tempête quand l'interprète, reprenant le fil de son discours, parla pour la deuxième fois de ces agents passifs : « Je vous le répète, nous ne vous présen- tons les exercices des frères Davenport ni comme étant du spiritisme, ni comme étant du magnétisme. Après avoir vu, vous apprécierez vous-mêmes, et, s'il le faut, la presse discutera. Tout ce que je puis dire, c'est que ces messieurs sont des agents passifs. » Cette expression sonnant décidément trop mal aux oreilles de l'assistance, l'in- terprète coupa court à sa hnrangue, et les frères Davenport parurent enfin sur l'estrade. Ce sont deux jeunes gens pâles, soulFreteux; physionomies intéressantes après tout, vrais types yankees, ce qui ne veut nullement dire qu'ils ont l'air de revenir de l'autre monde, dans le sens figuré du mot. Cependant, on n'en est encore qu'aux préliminaires, aux bagatelles de la porte. Deux personnes de la société sont invitées à venir examiner l'armoire où se pro- duisent les manifestations. Le public, qui n'est pas en veine de politesse, les récuse sans façon ; il voit partout des compères. Deux autres assistants, ceux-ci bien connus des spectateurs et à l'abri de tout soupçon de connivence, consentent alors il se livrer à l'enquête demandée; ils palpent le terrible meuble, ils l'auscultent, pour ainsi dire, et n'y trouvent rien d'extraordinaire, une simple boîte à trois ouvertures montée sur des tréteaux qui l'isolent du plancher de la scène, voilà tout. Après ce minutieux examen, il s'agit d'attacher les frères Davenport sur les banquettes placées à chaque extrémité de l'armoire. Les deux examinateurs se prêtent encore à cette besogne; une troisième personne vient se joindre à. eux, de peur de surprise : c'est M. Duchemin, un ingénieur civil, qui fait remarquer en pas- sant que la boîte est beaucoup plus riche en charnières qu'il ne convient à un meuble de ce genre. Sur ce, arrivée d'un quatrième spectateur, pour examiner les ligatures, on reconnaît dans le nouveau venu le premier vainqueur de Rigolo. Les deux frères sont attachés; les portes de l'armoire se ferment ; un cornet de cuivre violemment projeté, tombe de l'intérieur du meuble sur la scène. Cet exercice est répété à deux ou trois reprises, et chaque fois, en rouvrant les portes de la boîte, on y voit les frères Davenport immobiles sur leurs banquettes, les mains et les pieds toujours retenus par les entraves dont on les a chargés. Enfin, après un temps de fermeture un peu plus long, l'un des jeunes Américains paraît complètement débarrassé de ses lirns, tandis que son compagnon, resté attaché, ne s'en est délivré qu'à quelques minutes d'intervalle. Jusque-là, tout avait été relativement bien. L'interprète annonce alors que les deux frères vont s'attacher eux-mêmes dans l'armoire, ce qu'ils exécutent en effe portes closes, et avec une grande promptitude. « Maurice Roux en a fait autant, » crie une voix dans la salle. Et le tumulte, un instant apaisé, redouble de nouveau LES SPIRITES 645 s'écrie-l-il, et il le prouve en montrant qu'il est facile à MM. Davenport de faire glisser les cordes tout le long des barres autour desquelles on noue, et qui se relè- vent à l'extrémité par un mécanisme ingénieux pour leur livrer passage. Les nœuds, ne serrant plus rien, se relâchent ainsi d'eux-mêmes, permettant à. l'expé- rimentateur toute espèce de mouvements : ce n'est plus du spiritisme, c'est de la menuiserie. Un immense hurrah, accompagné de sifflets discordants, a donné le signal de la débâcle. C'en était fait des agents passifs, qui, nous devons le dire, se montrèrent très actifs à s'enfuir dans la coulisse ; Je n'ai fait que passer, ils n'étaient déjà plus... Us avaient pourtant là une superbe occasion d'évoquer quelque formidable esprit pour arrêter la foule qui se précipitait en masse sur leur estrade. Ce fut M. Bel- lenger commissaire de police du quartier de l'Opéra, qui se présenta et qui pro- nonça le quos ego fatidique, en invitant le public à se retirer et à passer à la caisse, pour reprendre son argent. » La comédie était finie, « E finita la comedia ». A Paris, quand uq commissaire de police a prononcé et fait rendre l'argent, on est bien et dûment enterré. A partir de cette fâcheuse aventure, on n'a plus entendu parler des frères Davenport, ^ Ils ont eu une malle pour tombeau. Expliquons nous. Leur truc une fois éventé, tomba dans le domaine des prestidigitateurs vulgaires. Pendant cinq à six ans, on a répété, dans la salle de Roberl- Houdin, au boulevard des Italiens, le tour de la malle des Indes, qui n'était autre chose que le tour de V armoire des frères Davenport, exécuté dans une malle. Bien plus, aujourd'hui le tour de la malle des Indes s'effectue chez les saltimbanques des foires. C'est ainsi que le magnétisme animal est maintenant tombé aux mains des exhibiteurs forains, et que l'on exhibe, pour deux sous, la somnambule extralucide, dans les baraques de la banlieue de Paris. Sic transit gloria spiritorum I Nous venons de voir le spiritisme pénétrant dans des baraques foraines. Nous allons le voir tomber plus bas encore, c'est-à-dire échouer en police correctionnelle. Allan Kardec avait fondé la Bévue spirite, qu'il dirigea jusqu'à sa mort. Elle fut continuée après lui, par une société anonyme. En 1873, la Bévue spirite parlait de photographies obtenues en Amérique, par l'intervention des esprits. En 1874, la même Bévue fit savoir qu'un photographe du boulevard Montmartre, du nom de Buguet, et qui était doué des facultés d'un 646 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE médium, produisait, comme les Américains, des photographies par l'intcr- vention des esprits, c'est-à-dire fournissait le portrait d'une personne morte, dont il évoquait et fixait l'image photographique. Depuis ce moment, chaque numéro de la Revue spirite, recueil mensuel, contenait une épreuve spirite, c'est-à-dire la photographie, obtenue par Buguet, d'une personne morte, dont le chent avait demandé la reproduction- Une réclame sur cet art nouveau, et une lettre de remerciements du client, accompagnaient V épreuve spirite . Buguet ne garantissait pas la ressemblance de la personne évoquée, mais il n'exemptait jamais du prix de la pose et du tirage, qui était de 20 francs pour six épreuves. Le client était reçu par la caissière, mademoiselle Menessier, personne avenante, qui lui posait diverses questions sur l'âge et la physionomie du défunt qu'il désirait faire photographier. Alors Buguet se présentait. Il faisait monter le client sur la terrasse, le faisait poser, et lui recommandait de se mettre en communication par la pensée avec l'esprit dont il voulait voir apparaître l'image. Prenant des mains d'un aide la plaque sensibilisée et placée dans un châssis, il la plaçait devant l'objectif, et la mettait au point. Pendant qu'il faisait ainsi poser le client (au propre comme au figuré), Buguet agitait les bras, et affectait de se livrer à l'évocation des esprits. Il se plaignait de vives souffrances dans la tète, occasionnées par les esprits. Alors un médium guérisseur lui faisait des passes magnétiques, pour lui enlever les mauvais fluides dont il se plaignait. La pose terminée, l'aide emportait l'épreuve ; il la traitait par les procédés ordinaires, puis il la rapportait à Buguet, qui la montrait au client, celui-ci n'y voyait autre choses qu'une apparence de spectre enveloppé d'un suaire, dont la tête seule se dégageait, d'une manière plus ou moins confuse. Il versait néanmoins le prix convenu, et au bout de quelques jours, il recevait les épreuves-spectres. Buguet alla plus loin. Il prétendit pouvoir se passer de la présence delà personne qui voulait faire photographier son parent mort. Il voulut, en un mot, travailler pour la province. Il déclara donc qu'il suffisait de lui envoyer par la poste le portrait du client qui désirait obtenir la photographie d'un de ses parents défunts. Il placerait ce portrait dans son objectif, en évoquant l'esprit du défunt, dont l'image apparaîtrait dans la nouvelle épreuve, auprès de la reproduction du portrait du client. De nombreux amateurs de province reçurent, en échange de leurs 20 francs, six photographies, représentant leur portrait-carte, accompagné d'une silhouette, d'apparence spectrale. Pour entretenir leur confiance dans son pouvoir surnaturel, Buguet leur faisait connaître à l'avance le jour et l'heure LES SPIRITES 647, de la prétendue évocation à laquelle il devait prêter son double ministère de photographe et de médium, afin de leur permettre, disait-il, d'unir de loin leurs prières aux siennes, au moment opportun. Quelques correspondants bénévoles s'imaginèrent reconnaître dans les épreuves qu'on leur envoyait, les portraits de défunts évoqués ; mais la plupart déclarèrent qu'il n'existait aucune ressemblance entre les traits de la personne dont ils désiraient conserver le souvenir et l'image qu'on leur rendit. Une femme de chambre de Lyon, ne reconnaissant aucun des traits de son père dans le spectre reçu par la poste, réclamait ses 20 francs, qu'on lui restituait, de mauvaise grâce. Un journaliste réclamait contre l'usage que l'on faisait de la photographie de son beau-père, pour représenter des spectres. Un épicier de Montreuil jettait feu et flammes parce que, ayant demandé la photographie de son jeune enfant défunt, on lui avait envoyé un spectre âgé de 50 ans! Sur de nombreuses plaintes adressées au parquet, le juge d'instruction commença une information contre le photographe du boulevard Montmartre. Le 22 avril 1875, un commissaire de police, accompagné d'agents, se rendit chez Buguet, pour constater le flagrant délit. Deux agents commencè- rent par se présenter seuls, et demandèrent à Buguet s'il pourrait reproduire l'image de leur père. Buguet leur répondit que rien n'était plus facile, et il les fit monter à son atelier. Il s'éloigna pendant quelques instants, et revint, rapportant un châssis fermé, qui contenait la plaque enduite de coUodion. Il la plaça devant son objectif et fit poser l'un des agents de police, en lui recommandant de penser à son père. Ensuite il se livra à une pré- tendue évocation des esprits. Le commissaire se montra alors, et faisant connaître sa qualité, il demanda â Buguet si le cliché ne portait pas déjà une empreinte. Buguet fut forcé d'avouer que le cliché portait une image préparée, quelque moments auparavant, dans un autre atelier. Les perquisitions dans ce second atelier amenèrent, en effet, la découverte d'une poupée, dont on pouvait changer la tête à volonté. La dite poupée était en buis et haute de 15 centimètres. Sa tète était remplacée par une image en carlon découpé, représentant une tête de vieillard. C'est par le secours de cette image de carton que Buguet allait reproduire ia noble tète du père de l'agent de police. Le corps de la poupée était enveloppé d'une gaze bleue et d'un morceau d'étoffe noire, drapés de manière à représenter un spectre. A une petite distance, était l'appareil photographique. Sur l'invitation du commissaire de police, Buguet, sans trop se faire prier, produisit, dans son appareil, laphotographie spectrale du père du mouchard, habillé de son linceur 648 LES MYSTÈRES DE LA. SCIENCE En continuant les perquisitions, on trouva, dans un petit cabinet dépendant de l'atelier, 240 têtes des deux sexes et d'âges divers, découpées et collées sur du carton, obtenues par la pose de personnes naturelles, puis agrandies. On trouva, dans une autre boîte, 60 autres tètes, qui servaient à varier les apparitions de spectres. On saisit, en outre, une seconde poupée articulée, avec un voile vert, pour composer les spectres d'enfants. Des perruques, de fausses barbes, une tète de mort, une lyre et une guitare, complétaien ce bizarre arsenal de l'escroquerie spirite. Le procès de cet audacieux imposteur se jugea, à Paris, les 16 et 17 juin 1875. Après le défilé d'un grand nombre de témoins, dont la plu- part, d'ailleurs, confessaient hautement leur croyance au spiritisme, et parmi lesquels figuraient au premier rang la veuve d'AUan Kardec, et la caissière, mademoiselle Ménessier, le photographe Buguet fut condamné à un an de prison et à cinq cents francs d'amendes. On peut rapprocher de ce jugement de la cour de Paris, un arrêt de la cour de BufTalo, aux États-Unis, en date du mois de juillet 1865, qui a déclaré les spirites « des escrocs ». Ici se termine l'histoire du spiritisme. Depuis l'année 1875, date du dernier événement que nous venons de raconter, cette forme du merveilleux moderne n'a présenté aucun autre fait digne d'être signalé. Le spiritisme est toujours professé; il a ses dévots, ses pratiquants fidèles. Mais depuis qu'il est sorti de la période des luttes et des discussions actives, il tend à se ren- fermer dans le mysticisme et la simple dévotion. C'est une forme nouvelle que revêt le sentiment religieux. Le spiritisme se fait ainsi pardonner, par ses honnêtes intentions, fétrangeté des procédés qu'il tend à introduire dans la morale dogmatique. Après cet historique du spiritisme depuis son origine jusqu'au moment pré- sent, il nous reste, selon le plan uniforme de cet ouvrage, à donner l'explication des actions des médiums, dans leurs rapports avec les .prétendus esprits. Ayant, dans le cours des récits qui précèdent, exposé plus d'une fois notre théorie physiologique de l'état extatique des médiums, nous crain- drions de tomber dans des redites en insistant longtemps sur cette partie théorique. Bornons-nous, en conséquence, à rappeler que c'est par l'état d'hypno- tisme, découvert par le D' Braid, en 1841, étudié, comme il sera dit plus loin, par MM. Azam, Broca, Follin, Verneuil, etc., et remis en lumière, en 1879, parle professeur Gharcot, dans ses expériences sur les hystériques u. LE SPIRITISME EN RUSSIE (PAGE 652) 82 LES SPIRIÏES 631 de la Salpêtrière, que nous expliquons l'état du médium et la sincérité de son témoignage. Un médium est, comme nous l'avons dit, un halluciné sans le savoir. C'est l'hypnotisme dans lequel il est plongé, qui lui fait accomplir, sans en avoir conscience, des actes dô différente nature, ou prononcer des paroles et tenir des conversations dont il n'a plus aucun souvenir, au sortir de cet état. Quand on voit avec quels mouvements fébriles le médium fait agir son crayon, avec quelle rapidité il trace sur le papier les prétendues révélations de l'esprit; quand on voit le crayon s'échapper subitement et automatique- ment de ses doigts, dès que l'écriture est achevée, on ne peut mettre en doute que l'on n'ait sous les yeux un individu hypnotisé, par lui-même, ou par autrui. Les spirites ont souvent réclamé contre l'espèce de dédain avec lequel les savants ont jusqu'ici traité leurs merveilles. Ils leur ont plus d'une fois reproché, avec amertume, d'avoir refusé d'étudier de près leurs manifestations. Le présent ouvrage, qui n'a d'autre but que de donner l'explication scientifique du prétendu surnaturel, ancien et moderne, répond déjà à cette pliinte. Mais les tourneurs de table et les spirites aiment à laisser dans l'ombre, et pour cause, notre ouvrage. Nous dirons donc, sans nous mettre en avant, que les savants se sont complètement lavés du reproche de détourner leur attention des faits du spiritisme, puisque une étude attentive de ce genre de phénomènes a été entreprise en 1876, par une société étran- gère, la Société de physique de V Université de Saint-Pétersbourg . Le spiritisme ayant fait son apparition en Russie, l'Université de Saint- Pétersbourg voulut l'étudier à fond, et prononcer, après examen, sur la réalité des phénomènes attribués aux médiums et aux spirites. Un rapport fut publié par la commission chargée de cette étude. Ce rapport était accom- pagné des procès-verbaux des séances de la commission. Nous laisserons de côté les pièces annexées au travail de la commission, et nous ne citerons que le rapport, qui juge, avec une parfaite compétence et une grande clairvoyance, la question en litige. « Considérant, dit le rapport de la Société russe : 1" la rapidité avec laquelle s'est répandu au commencement de 1872 l'intérêt excité par les phénomènes médiumiques ; « 2° La légèreté avec laquelle beaucoup de personnes ajoutent foi à la doctrine mystique des esprits ; « 3° Le reproche que les personnes qui ont propagé celte doctrine chez nous ont lait à la science, de ne pas reconnaître le spiritisme , « La Société de physique de l'Université de Saint-Pétersbourg a nommé dans son sein, au mois de mai 1875, une commission spéciale pour l'étude des phénomènes du spiritisme. Cette commission s'est proposé pour but de lever le voile mystérieux 652 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE qui couvre ces phénomènes, de vérifier leur authenticité, et, au cas où il en serait reconnu de réels, de les étudier avec les moyens de la science. « De cet examen, la commission a tiré les conclusions suivantes : « 1° Ceux des phénomènes attribués au spiritisme qui se produisent par l'impo- sition des mains, comme par exemple les mouvements des tables, sont incontesta- blement déterminés par l'eflet de la pression exercée intentionnellement ou non par les personnes présentes, c'est-à-dire se rapportent à des mouvements musculaires conscients ou inconscients; pour les expliquer, il n'est pas nécessaire d'admettre l'existence de la force ou de la cause nouvelle acceptée par les spirites; « 2" Des phénomènes tels que le soulèvement de tables et le mouvement de divers objets derrière un rideau ou dans l'obscurité portent le caractère irrécusable d'actes de supercherie, commis sciemment par les médiums. Lorsque des mesures suffisantes sont prises contre la possibilité d'imposture, ces phénomènes ne se pro- duisent pas, ou bien la tromperie est dévoilée ; « 3° Les bruits et sons, dans lesquels les spirites voient des phénomènes médiu- miques ayant un sens et pouvant servir à communiquer avec les esprits, sont des actes personnels des médiums et ont la même portée et le même caractère de hasard ou de supercherie que les divinations et présages de bonne aventure ; « A" Les phénomènes attribués à l'influence des médiums et appelés médiumo- plastiques, par les spirites, tels que la matérialisation de difîérentes parties du corps et l'apparition de figures humaines, sont incontestablement faux. On doit en effet le conclure, non seulement de l'absence de toute preuve précise, mais encore de l'absence d'esprit d'investigation scientifique chez les personnes qui croient àl'aH- thenticité de ces phénomènes et décrivent ce qu'elles ont vu; des précautions que les spirites et les médiums réclament d'ordinaire des personnes devant lesquelles ces phénomènes doivent s'accomplir, en des cas nombreux où les médiums ont été directement convaincus d'avoir produit par imposture de semblables manifesta- tions, soit par eux-mêmes, soit à l'aide de tiers ; « 5" Dans leurs manifestations, les personnes qui se disent médiums mettent à profil d'une part, les mouvements inconscients et involontaires des personnes pré- sentes, et, d'autre part, la crédulité de gens honnêtes mais superficiels, qui ne soupçonnent pas la supercherie et ne prennent pas de mesures pour la prévenir; « 6° La plupart des adeptes du spiritisme ne font preuve ni de tolérance pour l'opinion des personnes qui ne voient rien de scientifique dans le spiritisme ni pour mettre au jour la participation de « personnes humaines » à la production de ces faits et qui ont pour base les principes rationnels des recherches scientifiques, ainsi que cela a eu Heu dans les observations de Gay-Lussac, d'Arago, de Ghevreul, de Faraday, de Tyndall, de Carpenter et d'autres, il a été constaté que les phénomènes attribués au médiumisme sont le résultat ou de mouvements involontaires décou- lant de particularités naturelles de l'organisme, ou de l'adresse et de la supercherie de gens portant des dénominations analogues à celle de médium. C'est ce que la commission a constaté également dans ses observations sur les trois médiums anglais qui lui ont été présentés par nos spirites. « Se fondant sur l'ensemble de ce qu'ils ont appris et vu, les membres de la commission sont unanimes à formuler la conclusion suivante : LES SPIRITES 653 « Les phénomènes spirites proviennent de mouvements inconscients ou d'une ■imposture consciente, et la doctrine spirite est une superstition. « Signé les membres de la commission : Bobylew, agrégé de physique à l'Uni- versité de Saint-Pétersbourg; Borgmann, préparateur au cabinet de physique de l'Université de Saint-Pétersbourg; Boulyguine; etc. » Saint-Pétersbourg, le 21 mars 1876. » H ne manque, selon nous, qu'un mot au rapport ou au jugement qu'on vient de lire, pour donner la véritable explication scientifique des phénomènes du spiritisme. Le rapport de la société russe appelle les actes des médiums des mouvements inconscients. Il fallait ajouter que ces actes inconscients ont leur cause dans Vétat hypnotique du sujet, provoqué par le magné- tieur ou la personne qni est en rapport avec le médium. Avec cette addition, les conclusions de la société de Saint-Pétersbourg sont en parfaite confor- mité avec la théorie qiie nous avons développée des actions involontaires des médiums. L'HYPNOTISME I DécoLiverle de l'hypnotisme, ou sommeil nerveux, parle docteur Braid, en 1841. — Accueil fait à cette découverte en France. Voici dans quelles circonstances, assez curieuses, le Braid, de Man- chester, fat conduit à la découverte de V hypnotisme, ou sommeil nerveux, c'est-à-dire d'un état nerveux identique, selon nous, à l'état magnétique, mais qui est produit simplement par la fixation d'un objet brillant, par la seule influence du regard humain, ou enfm par un bruit violent et inattendu. Le magnétisme animal avait trouvé en Angleterre un accueil sérieux et des encouragements qu'il n'avait point reçus des médecins français. Chez nos voisins d'outre-Manche, la science médicale est assez portée à l'empi- risme. Elle ne rejette aucun moyen nouveau, si anormal, si excentrique qu'il paraisse, pour peu qu'il semble promettre à la pratique un résultat utile. C'est pour cela sans doute qu'au moment où l'Académie de médecine de Paris frappait le magnétisme animal d'une condamnation sans merci, on voyait au contraire ce système patronné en Angleterre par trois hommes d'une position élevée et d'un esprit soHde. Le ly Elliolson, voulant essayer le magnétisme comme moyen curatif, fonde un hôpital, où les malades sont soumis à un véritable traitement mesmérique. Le D' James Esdailo,' chirur- gien de mérite, après s'être occupé à Paris et à Londres de l'élude du magnétisme, s'embarque pour les Grandes-Indes. Arrivé dans ce milieu indien, sur cette terre remplie de prestiges de toutes sortes, où fleurissent à fenvie les pratiques séculaires de la thaumaliirgie orientale, le D' Esdaile 656 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE se trouve conduit à faire une application tout à fait inattendue des pratiques- mesmériennes aux plus graves opérations chirurgicales et il arrive ainsi à des résultats vraiment remarquables. Enfin le D"' Braid, chirurgien écossais fait à Manchester, en 1841, la découverte dont nous allons nous occuper. Un magnétiseur français, Lafontaine, était arrivé à Manchester, et il y donnait des séances publiques de son art. Le docteur Braid s'était rendu à ces séances, mais dans les intentions les plus sceptiques. Il put se con- vaincre, néanmoins, que tout n'était pas mensonge et compérage dans les phénomènes dont il fut témoin. Il s'appliqua, dès lors, à en rechercher la cause en dehors du prétendu fluide magnétique qu'invoquait Lafontaine^ comme tous les magnétiseurs de son temps. Il avait remarqué, dans une des séances, qu'un des sujets magnétisés était dans l'impossibilité d'ouvrir les paupières. De là les premières expériences de Braid, dont le but n'était que de rechercher la cause de l'occlusion des paupières, et quil' amenèrent à produire le sommeil, ou hypnotisme^ (du grec utivoç sommeil). Espérant déterminer par la fatigue des yeux, la contraction spasmodique du muscle orbiculaire des paupières, chez l'individu expérimenté, il pria un de ses amis, M. Walker, de s'asseoir, et de fixer les regards sur le col d'une bou- teille placée au-dessus de ses yeux, de façon à occasionner une grande fatigue de ses organes. En trois minutes, les paupières de M. Walker se fermèrent, « un flot de larmes coula le long de Ses joues, sa tête s'inclina, son visage « se contracta légèrement, un gémissement lui échappa, et cà l'instant il « tomba dans un profond sommeil. Cette expérience répétée sur madame Braid et sur un domestique, fut suivie- du même succès. L'expérimentateur varia alors ses procédés; il employa les passes des magnétisseurs : même réussite. Il en conclut que les effets mesmériques devaient être attribués, non à un fiuide quelconque, mais à un trouble apporté dans le système nerveux par la concentration du regard, Ifr repos absolu du corps et la fixité de l'attention. Il pensa que l'état physique et psychique du sujet était tout dans cette expérience, et que la production des phénomènes dépendait du sujet lui-même, et non de la volonté de l'opérateur, ni des passes destinées à lancer le prétendu fluide magnétique. Braid définit en ces termes, le sommeil nerveux ou Fétat hijpnotique « Ce sommeil, dit Braid, est accompagné d'une perte de connaissance et de volonté à un point tel que l'oreille n'est pas affectée par le son le plus bruyant, que le patient ne s'aperçoit point de la présence d'ammoniaque très forte tenue sous les narines, que les piqûres et les pincements de la peau n'attirent pas son atten- tion. On peut faire passer de forts courants galvaniques par le bras, sans qu'il accuse la douleur. Des opérations chirurgicales fort pénibles ont même été faites DOCTEUR JAMES BRAID D EDIMBOURG, AUTEUR DE LA DÉCOUVERTE DE l'hYPNOTISME Fac-similé d'une lithographie d'après nature, imprimée à Liverpool en IS.ii. 83 L'HYPNOTISME 65» à son insu ; il n'en conserve pas le moindre souvenir, une fois sorti de son sommeil anormal. » Braid prouvait ainsi qu'il n'y a ni llnide, ni force nerveuse se communi- quant de l'opérateur au patient; — que la fixation prolongée du regard, chez celui-ci, est la cause unique du sommeil hypnotique ; — que celte fixation amène dans le cerveau une concentration extrême delà pensée; — que, dans cet état, les idées suggérées à l'individu hypnotisé prennent tous les caractères de la réalité objective; — et qu'on peut ainsi produire à volonté, non seule- ment des modifications physiologiques de l'organisme, mais encore des illusions des sens, des hallucinations, des modifications dans les pensées et les sentiments, etc. En 1843, le docteur Braid publia un ouvrage contenant l'exposé de sa découverte. Les faits qu'il y annonçait produisirent beaucoup d'impression parmi les médecins écossais et anglais, et le public même s'émut. Tout un pensionnat de jeunes filles, à Glasgow, se livrait au passe-temps signalé dans le livre de Braid, et les résultats qui s'en suivaient inquiétèrent les familles. A Londres, les magnétiseurs s'empressèrent de mettre en pratique la méthode préconisée par le chirurgien de Manchester. Mais bientôt tout ce bruit cessa ; la découverte de Braid disparut, confondue dans un même oubli avec les innombrables et indigestes productions des magnétiseurs de cette époque. L'ouvrage de Braid, intitulé Neurypnologij or the rational of ihe iienvers sleep [du sommeil nerveux) renferme la description de la plupart des phénomènes que les auteurs qui ont écrit postérieurement, ont cru avoir observés les premiers. Le docteur Braid, mort au commencement de l'année 1860, au moment où ses travaux commençaient à être appréciés à leur véritable point de vue, était un observateur sérieux et patienl. Les nombreux écrits qu'il a publiés, bien que déparés par certaines exagérations, auraient été certainement remarqués parles physiologistes, si on ne les eût confondus avec le déluge de productions indigestes du commun des magnétisseurs 1. Voici la lisle dos ouvrages ou brochures publiés par le docteur Braid, sur les matières qui. nous occupent : 1° 1813. Neurypnologij, dont il est question plus haut ; 2° Même année, Du pouvoir de l'esprit sur le corps, brochure relative à ce quc.M. Rcinchembach a décrit sous le nom d'Od ; 3° 1852, De la magie, de la sorcellerie, du tnagnétisme, de l'hypnotisme, de l' électro-biologie, avec des observations sur l'Histoire de la magie de Colgtioum ; 4» 1855, Physiologie de la fascination, avec cette épigraphe : Possunt quia posse vidmtur ; 5° Même année. Observations sur la léthargie ou l'hibernation humaine, ouvrage extrêmement curieux et presque inconnu en Franre. II Découverte de la suggestion mentale faite en Amérique. — Grimes. — J.-B. Dods. — Les électro-biologistes américains à Londres. — Le docteur Durand (de Gros) vulgarise Y électro-biologie. La découverte de l'hypnotisme faite par le D' Braid, en 1841 , était passée presque inaperçue. Gomme il vient d'être dit, on l'avait confondue avec le magnétisme animal, et on l'avait enveloppée dans la même indifférence. Aucun médecin, dans la Grande-Bretagne, ni sur le continent, ne s'était occupé de répéter les expériences du physiologiste de Manchester, ni d'en poursuivre les conséquences. Les choses en étaient là lorsque, en 1853, arrivèrent à Londres des Américains qui donnaient des séances publiques et payantes, dans lesquelles ils exhibaient d'étranges phénomènes. Leur système, qu'ils appelaient \ électro-biologie, n'empruntait rien à celui de Braid, puisque Braid endormait ses sujets par la contemplation d'un objet brillant, tandis que les électro- biologistes agissaient sur des individus parfaitement éveillés. Et sur ces individus éveillés ils produisaient ce que l'on appelle aujourd'hui la suggestion mentale. Comme l'abbé Faria, ils n'influençaient leurs sujets que par le regard et par la volonté; et ils leur imposaient, par la puissance de leurs ordres et de leur parole, les actes les plus extraordinaires. A leur commandement l'eau se changeait en vin, les pierres en tisons brûlants, et l'individu expérimenté exécutait passivement tout ce que lui ordonnait, d'une voix impérieuse et dominatrice, le facinateur yankee. Quel était l'inventeur de ce système nouveau ? Les électro-biologistes ambulants qui opéraient à Londres, en attribuaient la découverte à un certain Grimes, citoyen de la Nouvelle-Angleterre (États-Unis), dont on n'a jamais su autre chose que le nom ; et ils avaient pour Epitome, pour Guide-âne., l'abrégé d'un traité écrit par un Américain, J.-B. Dods, The philosophg of électrical pjsycology^ imprimé à New-York, en L'HYNOPTISME 661 1848, et dont l'auteur est aussi peu connu que l'estimable Grimes. Lqs, électro-biologistes américains, tout en donnant des séances publiques, formaient aussi des élèves. Au nombre de ces derniers, fui un jeune médecin, français, le Durand (de Gros). Le docteur Durand (de Gros) était fils d'un exilé politique. Son père avait été déporté en Afrique, à la suite du coup d'État du 2 décembre 1851. Suspect lui-même, il avait cru devoir quitter la France, et se trouvait à Londres lorsque les électro-biologistes y opéraient leurs merveilles. L'élève des fascinateurs américains fut très frappé du caractère extraordinaire des faits qu'il voyait se produire, et dans lesquels il excella bientôt lui-même. 11 prit dès lors, la résolution de se consacrer à leur propagation, et il commença, sans aucun retard, sa campagne de vulgarisateur de la nouvelle décou- verte. C'est à Bruxelles que M. Durand de Gros (toujours sous le nom de Philips) débute dans ce nouveau genre de professorat. Joignant la pratique à la théorie, il y forme, en peu de jours, des élèves, qui pratiquent aussi bien, et même, nous dit-il, un peu mieux que le maître. 11 traverse Paris. Mais sa situation de fils d'exilé politique ne lui permettait pas un long séjour dans notre capitale. 11 se transporta en Algérie, où son père était déporté. C'est dans la salle de la Boza qu'i' xécuta publiquement, à Alger, les expériences dont rendit très longuement compte VAckhbar, le journal semi-officiel du gouvernement. Dans son numéro du 5 juin 1853, VAckhbar publiait les lignes suivantes, sous la signature de son rédacteur en chef, M. A. Bourget. « Une nouvelle séance a été donnée hier, par M. Philips. Elle a donné des résul- tats tellement remarquables qu'il n'est plus possible de conserver aucun doute relativement à l'action extraordinaire qua possède le professeur sur les sujets aptes à recevoir son influence. « La première personne sur laquelle M. Philips a expérimenté n'a rien présenté qui n'ait été déjà vu dans les séances précédentes. « Le deuxième sujet a ofTert les phénomènes suivants : Un caillou qu'il tenait dans la main, et qui était à une température très ordinaire, est devenu brûlant, pour lui, à la volonté du professeur. Ill'ajeté, avec la pantomime et le jeu de phy- sionomie d'une personne qui se brûle fortement. Un disque placé dans sa main, lui a procuré les mêmes sensations de brûlure, mais, en dépit de tout ses efforts, il n'a pas réussi à s'en débarrasser, M. Philips lui ayant déclaré qu'il ne pourrait ouvrir la main. « Mais le sujet le plus remarquable a été le troisième. Il est devenu l'objet d'ex- périences qui n'avaient pas encore été tentées. « A la volonté de l'expérimentateur, le sujet a perdu la mémoire de son propre LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE nom. Sous la même influence, il s'est trouvé en proie à des hallucinations étranges; les yeux tout grands ouverts et dans une maison de la rue Bacchus, il s'est cru à Mustapha ; il voyait et désignait le fort Bab-Azoun, le château de l'Empereur et d'autres édifices publics ou privés. <( A un moment où M. Philips l'engageait à s'asseoir, il a manifesté une sorte de crainte, parce que, dans la chaise qui s'off'rait à lui, il voyait la fontain de Mustapha » L'article suivant, du même journal, fournit des détails intéressants sur le mode d'expérimentation du professeur d'hypnotisme, ou d'électro-biologie. « La curiosité publique avait été vivement excitée par l'annonce des séances, que M. Philips a commencées vendredi dernier dans la salle de la Boza. Aussi l'audi- toire était nombreux, relativement au chiffre des personnes qui peuvent s'intéresser ici a des expériences de ce genre... Arrivons à la partie essentielle de la séance. Dix-huit spectateurs de bonne volonté ont pris place sur des bancs disposésautour de l'estrade, tournant le dosa la salle pour éviter les distractions. Chacun a reçu de M. Philips un disque fait de zinc et d'un autre métal, qu'il devait tenir dans la main, et regarder avec une attention exclusive. Un silen':;e absolu de vingt-cinq minutes devait être observé par les spectateurs, et les acteurs, à qui l'on imposait, en outre, l'immobilité la plus complète. C'était beaucoup demander à un auditoire français; aussi la condition ne fut pas rigoureusement remplie. Les bruits du dehors parvenaient, d'ailleurs, dans la salle, et la musique de la place y versait les flots d'une harmonie intempestive. <( Et puis il y avait le contingent obligé des farceurs, qui faisaient de l'esprit selon leur pouvoir, les uns avec des foulards, en se mouchant le plus bruyamment possible, les autres avec leur canne, en battant sur le plancher la mesure des qua- drilles, qui s'exécutaient sur la place. Aux esprits facétieux se joignaient les esprits forts, qui affirmaient l'impossibilité des résultats, avant même que l'expérience proprement dite fût entamée. Pour mieux assurer l'avenir de leurs prophéties, ces messieurs ne dédaignaient pas même de détruire les conditions de silence réclamées par l'expérimentateur. « Ajoutons, pour être juste, que la masse du public est demeurée étrangère à ces manifestations. « Au bout des vingt-cinq minutes indiquées, M. Phihps a fait successivement à chacun des sujets des attouchements sur la tête. Il n'a laissé de côté que ceux qui n'avaient point rempli les conditions de silence et d'immobilité , c'est-à-dire, la moitié environ. Cette opération terminée, il a amené un des sujets sur le devant de l'estrade. C'était précisément une personne honorable de cette ville, M. N..., connue de beaucoup de spectateurs. Nous insistons sur ce point, parce qu'un doute injurieux et très injuste a été émis par un des assistants. « Voici la série des expériences qui ont été faites, soit sur M. N..., soit sur M. Ch.. . et d'autres personnes également connues. « M. Philips regardant fixement le sujet, lui fermait les yeux, et après quelques attouchements, retirait ses mains. Vous ne pouvez pas ouvrir les yeux, lui disait-il d'une voix impérieuse, et, en elfet, le sujet ne pouvait pas les ouvrir, malgré L'HYPNOTISME 663 des efforts parfaitement indiqués par de fortes contractions musculaires. « L'opération contraire a réussi également bien, et l'impossibilité de fermer les yeux était si évidente, que le patient n'a pu y réussir, quoiqu'on lui tînt une bougie allumée à quelques mètres de ces organes si sensibles. Nous ajouterons ici, qu'après la séance, et lorsqu'il n'était plus sous l'influence, M. N. a essayé de tenir les yeux ouverts devant une bougie, dans les mêmes conditions, et qu'il ne l'a pas pu. « Des expériences analogues à celles que nous venons de décrire ont été faites, soit sur M. N..., soit sur M. Ghodon... La volonté s'est toujours trouvée exactement subordonnée à celle de M. Philips, qui était, par le fait, devenu maître de leurs propres mouvements. Selon la volonté de M. Philips, le bras tendu du sujet ne pouvait se plier, ne pouvait se tendre La bouche ouverte restait dans cette position, quelque incommode qu'elle fût pour son propriétaire, qui faisait de vains efforts pour lui en rendre une moins fatigante. Placé debout, le sujet s'est trouvé dans l'impossibilité de s'asseoir, et, une fois assis, il s'est trouvé dans l'impossi- bilité de se lever Après la suppression du mouvement, des effets de mouvement forcé ont eu lieu. M. N., ayant imprimé une certaine impulsion è, ses bras, l'inter- vention de M. Philips a été nécessaire pour le faire cesser. La même personne s'est vue entraînée vers l'expérimentateur par une force irrésistible, qui semblait agir à la manière d'un aimant « L'auditoire a regretté que les mauvaises conditions dans lesquelles l'opération s'est faite n'aient pas permis d'essayer les plus curieuses opérations, celles qui, ayant l'imagination pour objet substituent une personnalité étrangère à celle du patient... » Ce dernier phénomène, le D'' Durand (de Gros) paraît l'avoir produit à Marseille, où il donna quelques séances, à son retour d'Afrique. C'est ce qui résulte du passage suivant, que nous trouvons dans la Gazette du Midi^ du 25 novembre 1853: « Des effets d'une nature encore bien plus étrange ont été obtenus. Le professeur, dirigé par ses connaissances phrénologiques qui paraissent fort étendues, a cherché et réussi a provoquer l'exercice de certaines facultés intellectuelles et de certains sentiments, en dirigeant l'action électrique sur tels ou tels organes céré- braux, considérés par lui comme le siège de ses facultés et de ses sentiments. » Le même journal, dans son numéro du 1" décembre, revient encore sur les séances du docteur Durand (de Gros), Mais l'auteur de ce nouvel article, M. Henry Patot, déclare ne pouvoir admettre des faits semblables. « M. Philips, dit-il, prétend agir sur l'intelligence, comme sur la matière... Il pré- tend se donner le pouvoir de modifier le caractère, les tendances de l'individu en portant son fluide sur telle ou telle partie de l'enveloppe du cerveau. Ainsi, M. Philips produira la colère, l'entêtement, la bienveillance, et ce, à un instant donné. Nous l'avouons sans détour, à ceci notre raison se révolte, nous ne pouvons concevoir une si effrayante puissance accordée à l'homme. Quoi I je serai maître. 664 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE avec la nouvelle théorie, d'agir sur un sujet au point de pétrir son caractère à ma volonté? De le rendre intelligent ou idiot, s'il me plaît, de lui enlever telle faculté la mémoire par exemple, et de surexité telle autre, l'aptitude musicale?... « S'ensuit-il qu'il n'y ait rien dans le nouveau système? Nous ne le disons pas : nous croyons, au contraire, qu'il y a quelque chose, que Y électro-biologie, comme le magnétisme animal, est appelée à produire certains effets. Il y a du reste plus d'un point d'accointance entre les deux sciences. M. Philips le reconnaît lui-même, et si l'état de veille, qui caractérise la position du sujet électro-biologisé, le met en opposition avec le sujet magnétique soumis au sommeil, quelques résultats, la catalepsie partielle entre autres, s'obtiennent indifféremment par les deux moyens. Nous avons assisté d'abord à une séance publique ; nous y avons vu des faits, que nous ne prenons pas, on le conçoit, sous notre responsabilité, mais qui ont frappé des personnes sérieuses. Nous avons vu un docteur bien connu, attaché, c'est le mot, à la main d'un enfant, l'entraîner, avec lui autour d'une table sans pouvoir briser l'adhérence. Nous ne nions donc pas absolument l' électro-biologie, mais on nous permettra de faire nos réserves pour ses dernières conséquences, et d'attendre que le temps et la pratique nous aient donné tort. Et, franchement, nous ne savons si nous devons, ou non, le désirer. » Le docteur Durand (de Gros) opéra également à Genève, où il improvisa des adeptes, qui l'égalèrent par leur puissance et par leurs talents. Le procès-verbal des séances tenues au Casino^ témoigne que le succès de ces habiles disciples fut complet. Voici un extrait de cette pièce, que la Revue de Genève inséra dans son numéro du 29 octobre 1853 : « Toutes les expériences d'illusion ont réussi, dit la Revue de Genève ; une canne a été prise pour un serpent, un foulard a pris l'apparence d'un corbeau, la salle de réunion s'est transformée en perspectives de paysages, un verre d'eau a été bu pour du vin et a produit l'ivresse. La production du mutisme, de la claudication et des diverses variétés de la paralysie a encore eu Ueu ; la suppression locale de la mémoire du nom propre et de la première lettre de l'alphabet a été pleinement effectuée. Ces expériences ont été faites, sans l'intervention active de M. Philips, sur des personnes inconnues du professeur et amenées par les élèves. » En s'éloignanl de Genève, le docteur Durand (de Gros) retourna passer quelques jours à Bruxelles, laissant à la France, pour toute prédiction, un livre imprimé à Paris. Ce livre, l'auteur l'intitulait, on ne sait pour quelle raison : Electro-dynamisme vital, au lieu (['Hypnotisme Electro-biologie, puisque ce dernier nom est celui qu'il donne constamment à la science dont il est le dévoué prédicant', et celui dont se servaient les Américains, premiers auteur de cette découverte. 1. Electro-dynamisme vital, ou Les relations physiologiques de l'esprit et delà matière, par II.J. P. Philips ; in-8, Paris, 1835, chez J. B. Baillière. LE DOCTECR DUR.\ND (DE GROs) 84 I]] Les expériences sur l'hypnijtistne ea France, en 1833. — Les docteurs Azam, de Bordeaux, Broca et Follin. — Retour à Paris du docteur Durand (de Gros en 1860. — Sa brochure sur le Braidhisme. « Les recherches de liraid sar l'état hypnotique avaient fort peu attiré, avons-nous dit, l'attention des médecins de notre pays. Par suite du silence qui s'était fait autour de cette découverte, c'est à peine si l'on avait eu connaissance en France du livre et des expériences de Braid. A la vérité, quelques ouvrages de science avaient consigné le fait, mais bien peu de personnes s'y étaient arrêtées. Littré et Ch. Robin avaient donné, quoique d'une manière assez incomplète, une description de l'état hypnotique, dans la dixième édition du Dictionnaire de médecine de Nysten, revue et complétée par ces auteurs. Dans cet ouvrage, qui parut en 1845, Littré et Ch. Robin décrivaient, dans les termes suivants, cet état particulier de l'économie que Braid avait désigné sous le nom ^hypnotisme (de utivoç, sommeil) : « Hypnotisme, disent MM. Charles Robin et Littré, est le nom donné par le doc- teur Braid au procédé qu'il emploie pour jeter une personne dans le sommeil somnambulique. Voici quel est ce procédé : Prenez un objet brillant (par exemple un porte-lancette) entre le pouce et les doigts indicateur et médium de la main gauche tenez-le à une distance de 20 à 40 centimètres des yeux, dans une position telle, au-dessus du front, qu'il exerce le plus d'action sur les yeux et les paupières, et qu'il mette le patient en état d'avoir le regard Itxé dessus. On fera entendre au patient qu'il doit tenir constamment les yeux sur l'objet, et l'esprit uniquement attaché à l'idée de cet objet. On observera que les pupilles se contracteront d'abord; bientôt après elles se dilateront ; et, après s'être ainsi considérablement dilatées, et avoir pris un mouvement de fluctuation, si les doigts indicateur et médian de la main droite, étendus et un peu séparés, sont portés de l'objet vers les yeux, il est très probable que les paupières se fermeront involontairement avec une sorte de vibration. Après un intervalle de dix à quinze secondes, en soulevant doucement les bras et- les jambes, on trouvera que le patient a une disposition à les garder, s'il a été fortement affecté, dans la situation où ils ont été mis. S'il n'en est pas f.68 LES M^STEKEb DE LA SCIENCE ainsi, vous lui demanderez avec une voix douce de les garder dans l'extension ; de la sorte, le pouls ne tardera pas à s'accélérer beaucoup, et les membres, au bout de quelques temps, deviendront rigides et complètement fixes. On trouvera ainsi que, à part la vue, tous les sens spéciaux, y compris le sens pour le chaud et le froid, le sens masculaire et certaines facultés mentales sont d'abord prodigieuse- ment exaltés, comme il arrive dans les effets primaires du vin, de l'opium et de l'alcool. Toutefois, après un certain point, à cette exaltation succède une dépression beaucoup plus grande que la torpeur du sommeil naturel. Les sens spéciaux et les muscles peuvent passer instantanément, les uns de la plus profonde torpeur, et les autres de la rigidité tonique, à la condition opposée, extrême mobilité et sensi- bilité exaltée, il suffit de diriger un courant d'air sur l'organe ou les organes que nous désirons exciter, ou les muscles que nous désirons rendre souples et qui avaient été dans une sorte de catalepsie. Par le seul repos, les sens rentreront promplement dans leur premier état. « Le succès presque invariable obtenu par M. Braid à l'aide de ce procédé paraît en partie dû à la condition mentale du patient, qui, d'ordinaire, est très disposé à l'hypnotisme par l'attente qu'il sera produit certainement, et par l'assurance d'un homme à volonté ferme, déclarant qu'il est impossible d'y résister. Toute- fois, quand l'état hypnotique a été provoqué ainsi un certain nombre de fois, le sujet peut, d'ordinaire, s'endormir lui-même facilement, en regardant son doigt placé assez près des yeux pour causer une convergence sensible de leurs axes, ou même simplement en se tenant tranquille et fixant le regard sur un point éloi- gné. En tout cas, la fixité des yeux est la circonstance qui a le plus d'importance, quoique la soustraction des autres stimulants ait une influence décidée pour favoriser la production de l'effet. On le voit, l'hypnotisme tient de près au ma- gnétisme animal. » Dans la seconde édition de ses Éléments de physiologie, le docteur Béraud consacrait un assez long article à l'hypnotisme Gomme cet ouvrage avait été revu par M. Charles Robin, il est probable que c'est la même plume qui a écrit, ou tout au moins le même esprit qui a inspiré les deux articles que nous signalons. Le Manuel de physiologie de Millier, traduit par M. Littré, faisait également mention des phénomènes hypnotiques. Les ouvrages de médecine et de physiologie qui se publient à l'étranger, ne sont pas lus en France; mais un fait rapporté dans deux de nos livres classiques, ne pouvait passer inaperçu. Un jeune docteur M. Azam, médecin de l'hôpital des aliénés de Bordeaux, fut frappé des assertions contenues dans le Dictionnaire de médecine de Nysten et dans les Eléments de phy- siologie de Béraud. Le Dictionnaire de Nysten rapportait la découverte de ^hypnotisme et l'élude de cet état physiologique à un médecin de Manchester, Braid. Désirant examiner sérieusement ces laits, M. Azam, 1. Tome II. L'HYPNOTISME C69 fit venir d'Angleterre l'ouvrage original dans lequel le chirurgien du Collège écossais avait exposé le résultat de ses observations; Publié à Londres, en 1843. cet ouvrage, qui a pour titre : Neurypm- log, or the Rationale of nervous sleep ^ considère l in relation ivith Animal Magnetism [Du sommeil nerveux considéré dans ses rapports avec le magnétisme animal), est un véritable traité sur la matière. Il est divisé en deux parties. Dans la première partie, qui est exclusivement physiologique, l'auteur étudie Vhypnotisme chez les personnes en bonne santé, et les rapports, qui existent entre cet étal et celui qu'on attribue au fluide magnétique. Il trace ensuite l'histoire de sa découverte, discute les opinions qui ont été émises sur le mode d'action de son procédé, et termine en résumant les faits qu'il vient de décrire. Ayant entre les mains le code authentique de la méthode nouvelle, M. Azam put répéter les expériences du chirurgien anglais, et il en constata l'exactitude. Il provoqua très facilement chez divers sujets le sommeil nerveux, obtint la raideur cataleptique des muscles et l'insensibilité de la périphérie du corps. Le docteur Braid assure, dans son livre, qu'il a pu pratiquer plusieurs opérations chirurgicales sur des sujets plongés dans l'état d'hypnotisme, sans que les opérés aient ressenti la moindre impression de douleur. M. Azam n'alla pas aussi loin; il se borna à constater, chez ses cataleptiques, l'insensibilité aux piqûres et aux pincements de la peau. Le jeune médecin de Bordeaux se dispensa de rendre ces faits publics. En effet, aucune société savante, aucun journal de médecine, ni à Paris, ni à Bordeaux, ne reçurent communication de ses expériences. L'auteur crai- gnait sans doute de compromettre son crédit médical, en attachant son nom à des opérations trop étroitement liées, en apparence, aux pratiques des magnétiseurs, alors vouées à l'anathème général des Académies et de la grande majorité des médecins. Ce n'était pas, du reste, le premier médecin qui se sentit arrêté sur la môme voie par un scrupule de ce genre. Quand Jules Cloquet eut com- muniqué à l'Académie de médecine le fait de cette ablation du sein qu'il avait pratiquée sans douleur chez une femme magnétisée, fait cité, comme nous l'avons dit, dans le rapport de Husson, il eut plus d'une fois l'occasion de comprendre les inconvénients de cette franche déclaration. Comme Jules Cloquet s'étonnait, en parlant un jour devant son maître, Antoine Dubois, des difficultés qu'il avait rencontrées à cette occasion, de la part de ses confrères, et comme il se montrait surpris qu'une vérité soulevât de telles répugnances et trouvât partout une opposition systématique : « Sans doute, 670 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE lui répondit Dubois, de ce ton de familiarité et de bonhomie gauloise qui le caractérisait, sans doute, tu as raison, mon ami, tu as la vérité de ton côté ; mais crois-moi, si tu as encore une vérité pareille à produire, garde-la pour toi. Sans cela, tu courrais grandement la chance de compromettre ton avenir. » Une crainte de ce genre a donc pu empêcher M. Azam, de divulguer les faits dont il avait constaté la réalité. Quelle que soit la cause de la réserve que s'était imposée le D' Azam, il est certain que l'importante notion de l'état hypnotiques serait restée encore longtemps ignorée en France, sans une circonstance fortuite. Au mois de novembre 1859, M. Azam, qui était alors professeur de clinique chirurgicale à l'École secondaire de médecine de Bordeaux, eut à se rendre à Paris, pour quelque aiîaire d'administration. Camarade d'études avec le docteur Broca. M. Azam communiqua à ce dernier, pendant son séjour à Paris, les faits singuliers qu'il avait constatés à Bordeaux, en suivant les préceptes de Braid. Broca, esprit fin, pénétrant et initiateur, fut séduit par le côté physiolo- gique d'une observation dont il entrevoyait peut-être les curieuses consé- quences. 11 ne fît donc aucune difficulté pour vérifier expérimentalement ce fait, déclarant que, s'il provoquait, par X hypnotisme ^ une véritable insensibilité chirurgicale, il n'hésiterait pas à livrer ce résultat à la publi- cité scientifique. 0*, les expériences auxquelles Broca se livra, d'abord dans sa propre pratique, ensuite à l'hôpital Necker, avec l'aide de FoUin, chirurgien de cet hôpital, répondirent parfaitement à la condition posée. Une véritable opé- ration chirurgicale, c'est-à-dire l'ouverture d'un abcès très douloureux, fut pratiquée sur une femme, à l'hôpital Necker, par Broca et Follin, sans que la malade eût conscience de l'opération. Dès lors, aucune considération ne devait empêcher Broca de rendre ce fait public ; et dès le lendemain de cette opération, c'est-à-dire dans la séance du 5 décembre 1859, Velpeau, avec toute l'autorité qui s'attachait à ses paroles, donnait connaissance à l'Institut de cet important et étrange résultat. L'annonce faite par Velpeau, en pleine Académie des sciences, devait attirer toute l'attention du monde savant sur le nouvel état physiologique observé par M. Azam. Aussi, pendant le mois de janvier 1860, une foule de médecins, tant à Paris qu'en province, en France comme à l'étranger, s'empressèrent-ils de vérifier les faits annoncés. Parmi ceux qui crurent devoir venir pousser à la roue de l'hypnotisme, il faut nous hâter de citer le D" Durand (de Gros), qui, le premier a popularisé dans les deux mondes la découverte de Braid. Il se trouvait encore à L'HYPNOTISME 6^1 l'étranger lorsqu'il apprit la discussion qui s'était élevée à l'Académie de médecine et dans les hôpitaux de Paris, sur l'hypnotisme, préconisé par MM. Azam, FoUin et Broca. Il s'empressa de revenir en France. Nous laisserons parler ici M. A. Bué, l'auteur d'un intéressant article pubUé dans le numéro du 15 janvier 1887, d'une Revue littéraire, sous ce titre : Durand [de Gros) et son œuvre. « Durand (de Gros), dit M. A. Bué, apprit l'incident qui venait d'avoir lieu à l'Aca- démie des sciences, et dans l'espoir de réveiller l'ardeur de MM. Azam et Broca en faveur du magnétisme, il prit le paquebot et accourut à Paris. Depuis longtemps éloigné du champ de bataille, il lui tardait de se jeter de nou- veau dans la mêlée. Aussitôt son arrivée, il alla trouver Broca, avec lequel il avait déjà quelques relations d'amitié ; il lui reprocha vivement de n'avoir pas persisté dans son premier élan, et de n'avoir pas combattu à outrance les négateurs aveugles et systéma- tiques du magnétisme ; lui exposant que, dans sa situation, il était plus à même (jue qui que ce fût de faire triomplier une idée dont l'acceptation dans le monde scientifique aurait de si grandes conséquences, et pour la science elle-même, et pour le bien de l'humanité. Le chaleureux enthousiasme de Durand (de Gros) vint se butter contre la froide indifférence d'un homme, très intelligent et très capable assurément, mais plus disposé à s'occuper de ses intérêts privés que de prendre en main, à un point de vue impersonnel et purement abstrait, la cause de la science. Broca, venait d'ail- leurs, de se marier richement. Il voyait largement ouverte devant lui, la route de la fortune et des honneurs ; et gardant le souvenir de l'échec qu'il avait essuyé à l'Académie, au sujet de l'hypnotisme, il se souciait fort peu de renouveler une ten- tative dont l'insuccès eût pu compromettre sérieusement sa notoriété naissante. Durand (de Gros) un peu décontenancé par l'attitude de Broca, dans lequel un instant il avait espéré trouver un défenseur des principes philosophiques qui étaient la base de sa rehgion scientifique, mais non découragé, résolut de porter le procès devant le grand public parisien. 11 redevint conférencier pour les besoins de la cause, et il inaugura au Ceîxle de la presse scientifique, rue de Richelieu, une série de séances expérimentales, qui attirèrent le Tout-Paris d'alors. Parmi les nombreuses personnes qui offrirent spontanément de se soumettre à l'influence du savant professeur, dans ses expériences publiques, il s'en trouva plu- sieurs très en vue, entre autres : M. Désiré Laverdant, écrivain distingué, qui rendit compte dans la presse des impressions qu'il avait ressenties, et M. le comte de Cavour, neveu de l'illustre homme d'État italien. Mais l'un des sujets les plus intéressants que Durand (de Gros) présenta à son auditoire fut précisément la propre tante d'un jeune médecin, M. Paul Fischer, actuellement professeur au Muséum, qui était venu au Cercle de la Presse avec sa famille, dans des dispositions de scepticisme hostile. Ces cours furent suivis, du reste, avec beaucoup d'assiduité, par l'élite de la société parisienne. On y constata la présence de M. de Nigra, ambassadeur d'Italie, de 672 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE M. Bixio, ancien ministre, de M. le général Trochu, de Bertrand, de l'Académie des sciences, d'Emile Augier, de Louis Figuier et d'Halévy. MM. les docteurs Cerise, Legouest, professeur au Val-de-Grâce, Burq, et M. le docteur Broca lui-même, parurent prendre un grand intérêt aux leçons du pro- fesseur. Cependant, malgré le bruit que firent dans le monde scientifique, dans la sociét et dans la presse, les conférences de la rue Richelieu, l'Académie ne sourcilla pas; elle avait prononcé un veto sur lequel elle n'était pas près de revenir. » Le D"" Durand (de Gros) — toujours sous le nom de Philips — donna à Paris des séances publiques de magnétisme animal. Seulement, comme les •choses avaient changé de nom, et que le mot d'hypnotisme était à la mode, il appela hypiiotisme ce qu'il avait appelé jusque-là électro-biolof/ie. Au mois de juillet 1860, Durand (de Gros) consigna dans une brochure' le résultat des expériences qu'il avait faites publiquement à Paris. Ce petit travail est bien supérieur, suivant nous, à son traité sur V Electro-dyna- misme vital. Durand (de Gros) s'est débarrassé ici de ces formes pseudo- philosophiques et de cette métaphysique inintelligible, bonnes seulement à obscurcir un sujet qui est tout physiologique, et qui, par conséquent', ne comporte que les formes d'exposition propres aux sciences d'observation. 1. Cours de braidhisme ou d'hy/motisme, Paris, ia-S. ISGO, DOCTEUR DURAND (dE GROs) FAIT DES EXPKRIHN'CES d'iIYP.NOTISME AU CERCLE DE LA PRESSE SCIENTIFiQUE (PAGE 072) 8b IV L'hypnotisme expliquant les phénomènes du mesinérisme, du somnambulisme magnétique et tous les résultats analogues consignés dans l'histoire. Nous avons établi, dans les chapitres précédents, la réalité de l'hypno- lisme, pris dans son acception générale. Il nous resteà montrer quel'hypnc- tisme rend fort bien compte des différents effetsque les magnétiseurs OLt produits, depuis Mesmer jusqu'à nos jours; et que le même état phy.si(- logique explique tous les faits qui, à différentes époques, ont servi d'aliment à la passion du merveilleux. Le baquet de Mesmer, d'après la description que nous en avons donnée au commencement de ce volume, n'était qu'une cuve d'un pied et demi de hauteur, d'où partaient des tringles de fer, que chaque malade tenait à la main. Cet attirail n'avait, selon nous, d'autre rôle que d'imposer au malade l'attitude assise, recueillie, exempte de distractions, attitude qui est, on l'a bien reconnu, absolument indispensable pour amener l'hypnotisme ; car la moindre distraction, le plus léger bruit extérieur, détournant l'attention du sujet, suffisent pour empêcher la manifestation de cet état. Mais, à part cette influence, le baquet mesmérien n'était qu'un accessoire insignifiant, un étalage propre seulement à produire une impression morale. L'impor- tant c'étaient les passes et manipulations auxquelles se livraient les magné- tiseurs. On les trouve décrites comme il suit, dans le rapport de B:iilly : « Les malades, rangés en très grand nombre et à plusieurs rangs autour du baquet, reçoivent à la fois le magnétisme par ces moyens : par des barres do fer qui leur transmettent celui du baquet; par la corde enlacée autour du corps, et par l'union des pouces, qui leur communiijuent celui de leurs voisins, par le son du piano-forte ou d'une voix agréable, qui le répand dans l'air. Les malades sont encore magnétisés directement au moyen du doigt et de la baguelte de fer, pro- menés devant le visage, dessus ou derrière la téte et sur les parties malades, tou- jours en observant le distinction des pôles. On agil sur eux par le regard et en les 676 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE fixant. Mais surtout ils sont magnétisés par l'application des mains et par la pres- sion des doigts sur les hypocondres et sur les régions du bas-ventre; application souvent continuée pendant longtemps, quelquefois pendant plusieurs heures. » On voit qu'en définitive les moyens employés par Mesmer étaient fort semblables à ceux qui sont encore en usage de nos jours, et qu'à part le baquet, accessoire éphémère, qui disparut très vite, les magnétiseurs mo- dernes ont ajouté peu de chose aux manœuvres du primitif inventeur. Il ne faut pas manquer, toutefois, de faire une grande part, dans l'expli- cation du mesmérisme, à l'imagination, et à l'imitation, à laquelle les com- missaires du roi attachèrent une si grande importance. La forte persuasion que la crise nerveuse devait se produire, contribuait certainement beaucoup à la faire naître, si l'on considère surtout que Mesmer opérait sur des orga- nisations éminemment nerveuses. L'espèce de contagion par laquelle les accidents nerveux, dans une réunion d'individus, se propagent de l'un à l'autre (fait pathologique sur lequel nous avons insisté à diverses reprises dans le cours de cet ouvrage), justifie et précise le sens qu'il faut ajouter au mot di' imitation , employé par les commissaires de 1784. Quand un malade du cercle mesmérien tombait en crise, celte circonstance contribuait certainement à fpre éclater les mêmes phénomènes nerveux chez d'autres individus, qui, se tenant par les pouces, ou rattachés l'un à l'autre par la corde commune, formaient les anneaux de la chaîne magnétique. Mais, dira-t-on, l'hypnotisme est-il suffisant pour provoquer des phéno- mènes nerveux aussi violents que ceux que l'on voyait apparaître autour du baquet mesmérien, et qui allaient se terminer par d'effrayantes attaques de nerfs, dans cette salle matelassée et rembourrée, qui avait reçu le nom signi- ficatif de salle des crises et à' 672 fer aux œnvidsions 1 Nous verrons plus loin que les Beni-Aïaoussas, tribu arabe de Constantine, provoquent, par des manœuvres aboutissant à l'hypnotisme, des phénomènes pathologiques, des effets d'excitation nerveuse et de congestion cérébrale, d'une violence qui ne peut être inférieure à celle qu'on voyait dans les traitements de Mesmer. Quand on se livra, dans les hôpitaux de Paris, durant les premiers mois de l'année 1860, à des expériences relatives à l'hypnotisme, on fut plus d'une fois effrayé des troubles extraordinaires que l'on provoquait ainsi dans l'économie animale. Chez des femmes disposées à l'hystérie, la contem- plation pendant le temps convenable, d'un corps brillant, tenu à quelque distance des yeux, laisait éclater une attaque d'hystérie, de nature à inspirer des inquiétudes aux médecins. Il a été généralement reconnu que la pratique de l'hypnotisme ne pourrait être considérée comme un amuse- ment inoffensif, et que la congestion qui se manifeste alors dans le cerveau, L'HYPNOTISME 677 présenle des dangers réels pour les individus prédisposés aux raptus san- guins, à l'hystérie ou à l'épilepsie. Le D' Gigot-Suard, (mort en 1877) qui s'est livré à des recherches pratiques intéressantes sur l'hypnotisme, a produit par ce seul moyen des effets d'une intensité vraiment prodigieuse. Chez une jeune fille nerveuse soumise aux expériences de Gigot-Suard, un premier essai d'hypnotisation provoqua une agitation excessive ; l'ex- périence renouvelée deux jours après produisit les résultats suivants. « Mademoiselle A... B... est hypnotisée avec une paire de ciseaux placée à quel- ques centimètres au-dessus de la racine du nez. Dix minutes suffisent pour que le sommeil soit complet. La scène devint beaucoup plus effrayante encore que la première fois, et je doute que Mesmer ait jamais rencontré dans son enfer une con- vulsionnaire plus terrible. Dès que les paupières d'A... B... furent fermées, cette fille se renversa le long d'un fauteuil les pteds en l'air et la tête sur le parquet. Son corps ressemblait à une verge rigide. Elle poussait non pas des cris, mais de véri- tables hurlements. Je la fis transporter dans un cabinet où, couchée sur un tapis, loin de tout objet qui pût la blesser, elle se livra aux mouvements les plus désor- donnés. Ses cris étaient interrompus de temps en temps par des paroles incohé- rentes, parmi lesquelles je pus distinguer les mots cimetière, mort, fantôme... Puis C'est une scène horrible de désespoir : La patiente veut se déchirer le visage avec ses ongles, et il faut deux personnes pour l'en empêcher; ses yeux sont hagards, ses cheveux épars, et son visage est congestionné. L'orage se calme un instant pour faire place à des éclats de rire immodérés, suivis de pleurs, de hoquets, d'efforts de déglutition et enfin de nouvelles convulsions. Cet état se prolongea plus d'une demi-heure, et je ne parvins à réveiller la patiente qu'en lui soufflant de l'air avec force sur les pupilles après avoir écarté les paupières. A... B..., en se réveillant, croyait sortir d'un long sommeil. Aussi fut-elle très étonnée de trouver ses vêtements et ses cheveux en désordre. Pendant les crises elle avait perdu la sensibilité, et elle ne répondit à aucune des questions qui lui furent faites. Chez d'autres sujets, c'étaient des alternatives de tristesse et de joie, de rires et de pleurs, avec toutes sortes de gestes et de grimaces. Rien ne représentait mieux la folie que ce singulier état » Cette observation fait revivre pour nous les scènes de la salle des crises, au temps de Mesmer, et pourtant il n'y a ici ni baquet, ni tringle, ni corde, ni passes à grands courants, ni harmonica, ni grand thaumaturge exerçant l'empire de sa redoutable fascination. Une paire de ciseaux, tenue à quel- ques centimètres au-dessus des yeux, a suffi pour produire tous ces désordres. ^ 1. Les mystères du magnétisme animal et de la magie dévoilés, par M. le docteur Gigot-Suard (do Levroux). Paris, 1860 ; ia-8 : brochure de 144 pages. 678 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Le phénomène de l'hypnotisme nous donne aussi la clef de ce somnambu- lisme artificiel qui, découvert par le marquis de Puységur, a été, depuis l'inventeur, si largement exploité. Écoulons Deleuze, V Hippocrate du magnéihme ^ comme on l'a appelé décrivant le meilleur procédé â employer pour obtenir la magnétisation somnambulique : « FaiLes asseoir, dit Deleuze, votre sujette plus commodément possible. Placez- vous vis-à-vis de lui, sur un siège un peu plus élevé, de manière à ce que ses genoux soient entre les vôtres et que vos pieds soient à côté des siens. Demandez-lui d'abord de s'abandonner, de ne penser à rien, de ne pas se distraire pour examiner les effets qu'il éprouvera, d'écarter toute crainte, de se livrer à l'espérance et de ne pas s'inquiéter ou se décourager si l'action du magnétisme produit cbez lui des douleurs momentanées. « Après vous être recueilli, prenez ses pouces entre vos deux doigts, de manière que l'intérieur de vos pouces touche l'intérieur de vos pouces touche l'intérieur des siens, et fixez vos yeux sur lui. Vous resterez de deux à cinq minutes dans cette situation, où jusqu'à ce que vous sentiez qu'il s'est établi une chaleur égale entre ses pouces et les vôtres » Ici nous ne trouvons pas d'objet brillant, qui puisse reproduire identique- ment pour nous le procédé banalement suivi pour obtenir le phénomène découvert par Braid. Mais le procédé de Braid n'est qu'une variante au milieu d'une foule d'autres moyens analogues qui servent à provoquer l'état hypnotique. Le D'' Giraud-Teulon a reconnu que l'état hypnotique peut se produire par la seule contemplation, continuée assez longtemps, d'une solive du plafond. Dans les expériences faites par le D' Gigot-Suard, dont il vient d'être question plus haut, la méthode employée par ce médecin pour endormir ses sujets, consistait à fixer ses yeux sur les yenx du patient. Le procédé magnétique recommandé par Deleuze ne serait donc autre chose que la méthode de Braid, avec la seule différence que l'objet brillant est remplacé ici par les yeux du magnétiseur. La fatigue oculaire, résultant de la position fixe des yeux attachés sur ceux de l'opérateur, suffit pour engendrer l'hypnotisme. Cette fatigue oculaire est encore augmentée par l'espèce de strabisme et par l'élévation des yeux résultant de l'attitude du magnétisé vis-à-vis du magnétiseur; car d'habitude, ce dernier est debout devant le patient, assis sur une chaise ; ou bien encore, selon le précepte de Deleuze, le magnétiseur est placé sur un siège un peu plus élevé que celui du sujet. On a vu plus haut,, par la citation du rapport de Bailly, que les élèves de Mesmer agissaient aussi sur le patient « par le regard et en 1. Deleuze, Traité du magnclisme. L'HYPNOTISME 679 les fixant. » Les passes et manipulations auxquelles se livre le magné- tiseur ne sont que des pratiques accessoires, mais elles accélèrent la fasci- nation du sujet en agissant sur son imagination et son système nerveux. Le passage suivant du rapport de Husson à l'Académie de médecine, confirme ce qui précède : > « Expérience merveilleuse. — Posez sur le plancher une poule à laquelle vous aurez lié les pattes. D'abord en se sentant captive, elle essayera, par toutes sortes de mouvements des ailes et de tout le corps, de se débarrasser de ses entraves. Mais après cet inutile effort, et comme désespérant de son évasion, elle se tiendra en repos et sera à votre merci. La poule, se tenant ainsi immobile, tirez sur le pavé, avec de la craie ou une autre matière laissant une trace colorée, une ligne droite qui parte de rœil de Uoiseau. Ensuite délivrez-le de ses entraves et L'HYPNOTISME 687 M. Callin raconte, d'après le docteur Esdaile, dans l'ouvrage dont nous avons cité plus haut le titre, que les Indiens de l'Amérique du Nord se servent d'un moyen singulier pour se faire suivre par les petits bisons dont ils viennent de tuer la mère. Ils saisissent la tête de l'animal, lui appliquent les mains sur les yeux, et respirent dans ses narines. Bientôt le jeune prisonnier cesse de se débattre, et suit docilement son maître, jusqu'à la fin de la chasse. M. Catlin a pu se faire suivre ainsi pendant plusieurs milles, par un de ces animaux. Il ne serait pas impossible que les charmeurs des grands animaux eussent recours à une pratique analogue. C'est ce qui paraît établi pour ceux de rOrient. Bien des personnes pensent aussi que la fascination par le regard, ou par quelque moyen analogue, était le secret du dompteur de chevaux Rarey, qui opéra publiquement à Paris, en 1859, au Cirque Napoléon. De l'examen comparatif des procédés qui servent à provoquer l'hypnotisme et le somnambulisme magnétique, passons à la comparaison des phénomènes physiologiques propres à l'un et à l'autre de ces états. . On peut énumérer comme il suit les caractères constatés par les magnéti- seurs chez les bons somnambules; ces caractères ne sont pas constants, mais ils sont assez communs pour que l'on puisse en généraliser ici l'ex- pression : 1° insensibilité de la périphérie du corps; 2° raideur musculaire, allant quelquefois jusqu'à la catalepsie ; d'autres fois, au contraire, résolution marquée de tous les muscles ; 3° exaltation des principaux sens ; 4° exaltation de l'intelligence. Les quatre caractères propres à l'état du somnambulisme magnétique, sont parfaitement accusés chez les individus plongés dans l'état hypno- tique. Les nombreuses expériences qui ont été faites jusqu'à ce jour, ont établi que l'insensibilité au pincement et aux piqûres, la raideur ou la réso- lution musculaire, sont des phénomènes constant dans l'état hypnotique. C'est même par ces deux caractères, joints à l'état évident de sommeil, que l'on constate et que l'on déclare que le sujet est hypnotisé. Quant à l'exaltation des sens et des facultés intellectuelles, elle est parfois très manifeste chez l'individu hypnotisé, sans atteindre pourtant le degré ({u'elle présente chez les somnambules magnétiques. MM. Demarquay laissez-le. La poule, biea qu'elle soit débarrassée de ses lieus sera iueipable de prendre sou vol, même quand vous la pousseriez à s'envoler. » Daus un autre ouvrage attribué au même auteur, et publié à Rome en 1661 [Joco-senorum naturx el arlis cenlurix très), l'expérience est indiquée presque de la même manière. Eulin un autre savant, contemporain du P. Kircher, Daniel Schwenter, de Nuremberg, cito encorda môme expérience dans un ouvrage fort rare, intitulé, Deliciœ phijsico-matksmaLkx. 088 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE et Giraud-Teulon, dans leurs Recherches de V hypnotisme, publiées en 1860 ont noté cette hyperesthésie des sens. Le D' Azam, s'exprime en ces termes, dans un article des Archives générales de médecine, où il a résumé ses observations : « L'hyperesthésie hypnotique présente, dit M. Azam, un vif intérêt au point de vue de la physiologie ; elle se montre d'une manière moins constante, quelquefois la première, le plus souvent après torpeur ; elle porte sur tous les sens, sauf la vue, mais surtout sur le sens de la température et sur le sens musculaire, dont elle démontre l'existence d'une manière irréfragable. L'observation citée plus haut nous en offre des exemples remarquables. L'ouïe atteint une telle acuité, qu'une conversation peut être entendue à un étage inférieur; les sujets mêmes sont très fatigués de cette sensibilité ; leur visage exprime la douleur que leur fait éprouver le bruit des voitures, celui de la voix ; le bruit d'une montre est entendu à vingt- cinq pieds de distance. » L'odorat se développe et acquiert la puissance de celui des animaux. Les- malades se rejettent en arrière, en exprimant le dégoût pour les odeurs dont personne ne s'aperçoit autour d'eux. A-t-on touché de l'éther ou fait une autopsie trois ou quatre jours auparavant, les malades ne s'y trompent pas. Quel est le médecin, j'en appelle à M. Briquet, qui n'a observé très souvent ces phénomènes spontanés chez des hystériques? Si, derrière le malade, à trente ou quarante cen- timètres de distance, on présente sa main ouverte ou un corps froid, le sujet dit immédiatement qu'il éprouve du froid ou du chaud, et cette sensation est si forte qu'elle devient pénible, et que le sujet cherche à l'éviter. « Il en est de même du goût. Le sens musculaire acquiert une telle finesse que i'ai vu se répéter devant moi les choses étranges racontées du somnambulisme spontané, et de beaucoup de sujets dits magnétiques. J'ai vu écrire très correcte- ment en interposant un gros livre entre le visage et le papier ; j'ai vu enfiler une aiguille très fine dans la même position ; marcher dans un appartement, les yeux absolument fermés et bandés : tout cela sans autre guide réel que la résistance de l'air et la précision des mouvement, guidés par le sens musculaire hyperestliésié. » Du reste, si l'on veut y réfléchir, nous sommes entourés d'analogies : le pia- niste joue la nuit, sans jamais se tromper de touche ; et qui dira l'incommensu- rable fraction de mètre à mesurer sur la corde à violon entre la note fausse et la noie juste, si imperturbablement obtenue par la pression du doigt de l'artiste ? La facile excitation de la contractilité musculaire dans l'état hypnotique est un des faits les plus faciles à vérifier. Les bras étant dans la résolution (et s'ils n'y sont pas, on obtient cet état par une simple friction prolongée), on prie le malade de serrer un objet quelconque, un dynanomètre, par exemple ; si alors on malaxe les mains, on les sent se raidir, acquérir la dureté du bois, le sujet développe une force extraordinaire et sans accuser la moindre fatigue. 1. Recherches sur l'hypnotisme ou sommeil ncvreux, comprenant une série d'expérienaes instituées à la maison municipale de santé, par MM. les docteurs Dumarqnay et Giraud-Teulou Paris, 1860 ; in-8, brocbures de 36 pages. 11. 87 L'HYPNOTISME C9I « M. Verneuil a raconté à la Société de chirurgie une expérience faite sur lui- même. En fixant un objet éloigné en haut et en arrière, il peut se mettre dans un état qui n'est pas le sommeil hypnotique, car la conscience du monde extérieur persiste ; si alors il étend horizontalement le bras, il peut garder cette attitude pendant douze à quinze minutes, presque sans fatigue, et l'on sait que l'athli'te le plus vigoureux peut à peine conserver la position dite bras fendu pendant quatre à cinq minutes. Le médecin brésilien, cité plus haut, garde cette position, dans les mêmes conditions, pendant plus de vingt minutes. <( Ainsi la fatigue ne paraît plus exister, les muscles s'oublient, leur conscience ordinaire est troublée, et l'équilibre normal de nos sens est rompu par une con- centration cérébrale particulière » Chez les somnambules magnétiques, l'exaltation des sens présente, nous le répétons, un degré encore supérieur. L'ouïe est douée d'une incroyable finesse, et c'est peut-être même, par celte finesse extraordinaire de l'ouïe, que l'on peut expliquer ce que nous avons nommé, en parlant des possédées de Loudun, la suggestion ou la pénétration des pensées pendant l'état ma- gnétique. Ij'intelligence, disons-nous, est loin d'offrir, dans l'état hypnotique, le degré anormal d'augmentation que l'on remarque dans le somnambulisme magnétique. La congestion, le raptus sanguin, très prononcé vers le cerveau, chez l'individu hypnotisé, produit presque toujours une véritable torpeur intellectuelle: c'est, du moins, ce qui résulte de nos propres observations. L'exaltation des facultés intellectuelles chez le somnambule magnétique est, au contraire, tellement marquée, qu'elle a reçu des magnétiseurs un nom particulier, on l'appelle lucidité, c'est-à-dire la faculté de découvrir ce que l'homme ne peut apercevoir dans son état ordinaire. D'après les écrits des magnétiseurs, la lucidité embrasserait les facultés suivantes : Vue des maladies et des remèdes ; — vue à travers les corps opa- ques ; — vue sans le secours des yeux; — vue de la pensée d'autrui, quoi- qu'elle ne soit exprimée par aucun signe ; — intelligence des langues non apprises; — vue du passé ; — vue de l'avenir. Nous ne voulons pas, pour combattre le surnaturel du somnambulisme magnétique, en faire un portrait exagéré. Aussi nous hâtons de dire, pour enlever à l'énumération précédente une partie de son caractère surna- turel, que les magnétiseurs restreignent leurs prétentions en reconnaissant : 1° que les bons somnambules sont excessivement rares; 2° que les éminents, ceux mêmes qui ont fait preuve de la lucidité la plus éclatante, ne jouissent pas constamment de cette faculté ; qu'on ne peut y compter pour une heure fixe, et que souvent elle fait défaut au moment où on la désire le plus; 1. Archives générale de médecine, numéro de ianvier 1860. 602 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE 3° que le somnambule qui a été lucide, croit encore l'être quand il ne l'est plus, et qu'alors, au lieu de reconnaître et d'avouer son défaut de lucidité, se figurant toujours être en possession de ce don transcendant, il répond avec assurance à toute question, et commet les plus lourdes bévues; 4° qu'aucun critérium ne peut faire distinguer les moments où le somnam- bule est lucide de ceux où il ne l'est pas. Nous ne disserterons pas longtemps pour prouver que toutes les percep- tions extraordinaires prêtées aux somnambules par les magnétiseurs peu- vent être assez facilement expliquées en admettant le fait, incontestable, de l'exaltation que l'intelligence reçoit dans le singulier état qui nous occupe. On ne saurait évidemment admettre que, passé à l'état de créature surhu- maine, le somnambule magnétique puisse voir à travers l'épaisseur des corps opaques, — qu'il puisse transporter au loin ses sens ou sa pensée, pour reconnaître ce qui se passe aux antipodes, ou seulement derrière une porte; — qu'il puisse s'exprimer dans une langue qu'il n'a jamais apprise ; — que le temps et l'espace ne soient plus des obstacles pour lui, et qu'il puisse embrasser le présent et l'avenir, — enfln qu'il puisse lire, sans moyen matériel de communication, dans la pensée du magétiseur qui le tient sous l'influence de sa volonté, ou dans la pensée d'autres personnes. L'individu en proie au somnambulisme magnétique est une créature comme les autres, qui ne peut jouir de privilèges étrangers à l'humaine nature. Seulement, l'exalta- tion, le développement remarquable que ses principaux sens reçoivent dans cet état physiologique et l'exaltation non moins frappante de ses facultés in- tellectuelles (qui ne résulte sans doute que de cette même activité passagère de ses principaux sens), rend l'individu capable de beaucoup d'actes et de pensées qui lui seraient interdits dans l'état normal. Il peut réfléchir, com- parer, se souvenir avec plus de force que dans l'état de veille. Mais en tout cela, il ne peut dépasser la limite de ses facultés acquises et de ses connais- sances reçues. Il se trompe, et se trompe souvent. Il se trompe toutes les fois qu'il veut sortir de la sphère que la nature assigne à nos facultés. Sincère dans ses affirmations, il ne fait que reproduire, dans les élans d'une imagination surexcitée, ce qu'il croit voir et sentir; mais bien fous ou bien dupes ceux qui prennent à la lettre les déclarations de ces modernes oracles, ceux qui ajoutent foi à leurs affirmations et qui veulent les prendre pour règle de leur conduite. L'exaltation passagère des sens du somnambule magnétique, expliquerait donc, selon nous, le phénomène auquel les magnétiseurs ont donné le nom de suggestion ou de pénétration de la pensée. Quand un magnétiseur déclare que son somnambule va obéir à un ordre exprimé mentalement par L'HYPNOTISME lui, et quand le somnambule, ce qui est d'ailleurs extrêmement rare, accom- plit ce tour de force, il n'est pas impossible de rendre compte de cet appa- rent miracle, qui, s'il était réel, renverserait toutes les notions de la physiolo- gie, et, on peut le dire, les lois connues de la nature vivante. Dans ce cas, un bruit, un son, un geste, un signe quelconque, une impression inappréciable à tout le reste des assistants, a suffi au somnambule, vu l'état extraordinaire de tension de ses principaux sens, pour lui faire comprendre, sans aucun moyen surnaturel, la pensée que le magnétiseur veut lui communiquer. Ainsi, pas plus dans ce cas que dans tous les autres, l'individu magnétisé n'a le privilège de rompre les barrières communes que la nature a imposées à l'exercice de nos facultés. Il ne faut pas manquer de faire ressortir à ce sujet quelles facilités le charlatanisme et la fraude trouvent dans les prouesses des somnambules pour exploiter la crédulité des spectateurs. Nous avons supposé, dans ce qui précède, une bonne foi parfaite entre le magnétiseur et son sujet. Mais combien n'est-il pas facile, pour ce genre d'épreuves, de tromper la con- fiance et la simplicité des assistants ! L'état de somnambulisme magnétique était à peine connu que déjà l'un des premiers somnambules du marquis de Puységur cherchait, comme nous l'avons raconté, à abuser son monde, afin de tirer de l'argent de ceux qui le consultaient Dans son Introduction au Magnétisme^ Aubin Gauthier nous dit que, sur cent malades, il n'y a tout au plus que cinq somnambules, et à peine un seul qui présente quel- ques phénomènes extraordinaires. « Hélas ! hélas ! s'écrie M. Ricard, pauvres malades que je vous plains ! pour un bon somnambule consultant, il y en a cent mauvais (j'entends parler des somnambules de profession et non des autres) ; pour un qui dort, il y en a cinquante qui feignent le som- meil; pour un qui est loyal, il y en a vingt qui sont de mauvaise foi. » Dans un ouvrage que nous avons déjà cité, Dumagnélisme et des sciences occultes^ M. A. S. Morin a tracé un tableau fort instructif des ruses et des fraudes que les magnétiseurs emploient dans leurs représentations publiques, pour simuler la divination des pensées par les somnambules. Le chapitre des fraudes et mensonges de certains magnétiseurs ne peut être oublié dans une histoire du magnétisme animal. Nous nous contenterons pourtant de renvoyer le lecteur, pour cette partie de notre sujet, à l'ouvrage de M. A.-S. Morin, dont l'expérience personnelle en pareille matière a eu lelemps de se former pendant les longues années où il s'est trouvé lui-même mêlé comme croyant aux œuvres des magnétiseurs. 1. Mémoires pour servir à i'kistoire du magnétisme animal, par M. de Puységur Y Expériences faites en 1879, à l'hogpice de la Salpètrière, par M. Charcot. — Les expériences de M. Cliarcot viennent confirmer l'explication théorique donnée dans cet ouvrage des phénomènes du magnétisme animal par l'état hypnotique. — Description des expériences de la Salpètrière. — Comparaison de ces effets avec ceux de l'hypnotisme, et par conséquent avec les phénomènes du magné- tisme animal. — Développement général de l'étude de l'hypnotisme de 1880 à 1887. ' Déjà, dans la deuxième édition de cet ouvrage, publiée en 1861, nous avions donné l'explication des phénomènes du magnétisme animal en les identifiant avec l'état hypnotique de Braid. Celte explication fut parfaitement accueillie par le public, par les critiques et par les médecins eux-mêmes, qui paraissaient satisfaits de rencontrer une explication physiologique de faits si controverses. Cependant le fonds de scepticisme, qui subsiste toujours chez les médecins, arrêtait, de leur part, une approbation sans réserve. Le temps s'est chargé de prouver toute la vérité de l'explication que nous avions donnée en 1861, du magnétisme animal, en l'identifiant à l'état hyp- notique. D ms le courant de l'année 1879, les journaux de médecine commencè- rent à entretenir leurs lecteurs des faits extraordinaires qui se passaient à l'hospice de Salpètrière. Le D' Charcot, membre de l'Académie de médecine, professeur agrégé à la Faculté, savant d'une grande autorité, provoquait à volonté, chez les femmes de la Salpètrière, des attaques de catalepsie et d'hystérie. Grâce à des moyens particuliers, mais tout physi- ques, il frappait d'insensibilité diverses parties du corps, il jetait, au mo- ment qu'il lui plaisait, le sujet dans l'état extatique, et faisait cesser à volonté ce même état. Des journaux de médecine le récit des expériences de M. Charcot passa dans les journaux politiques, et le public fut ainsi informé des expériences qui se faisaient à l'hospice de la Salpètrière. Dès lors, un concours considé- L'HYPNOTISME 695 rable de curieux, ou plutôt d'amateurs éclairés de nouveautés scientifiques, vint se mêler à la foule des élèves qui suivaient les séances expérimentales de M. Charcot. Il est facile de prouver que le procédé physique au moyen duquel M. Charcot provoque, chez les malades delà Salpêtrière, l'insensibilité, la catalepsie et l'extase, n'est autre chose que le procédé de Braid, et que l'état dans lequel se trouvent ces malades est tout simplement l'état hypno- tique, découvert en 1841 par Braid, et étudié en 1860, par M. Azam, à Bordeaux, par MM. Broca, Giraud-Teulon, etc., à Paris. A l'objet brillant, au bouchon de carafe, à la lame d'acier, employés par Braid el par M. Azam, pour fixer les yeux du patient, M. Charcot substitue un rayon de lumière électrique venant subitement frapper leurs yeux, ou le son d'un robuste diapason retentissant à leurs oreilles. Le procédé est donc presque identique. Quant aux effets provoqués par M. Charcot, ils sont entièrement semblables à ceux qui constituent l'état hypnotique. C'est ce qui paraîtra, nous l'espérons, suffisamment prouvé par l'exposé qui va suivre des premières expériences faites en 1879 par M. Charcot, sur les malades de la Salpêtrière. Nous emprunterons cet exposé à M. le docteur A. Cartaz, qui, dans le numéro du 18 janvier 1879 du journal La Nature, a donné la description, accompagnée de deux dessins, des effets produits par M. Charcot, sur les hystériques de la Salpêtrière. <( La presse, dit M. le A. Gartaz, s'est occupée, dans ces derniers temps, d'expériences et de démonstrations sur le somnambulisme et le magnétisme faites par M. le docteur Charcot à la Salpêtrière. Depuis plusieurs années, l'éminent professeur a inauguré, en dehors de son enseignement officiel, une série de leçons cliniques sur les msdadies nerveuses dont son service est si abondamment pourvu. Ces leçons, qui ont lieu chaque dimanche, à neuf lieures et demie, dans une salle de plus en plus insuffisante pour Je grand nombre d'auditeurs, portent, comme je viens de le dire, sur la démonstration des principaux types de névroses, épilepsie, hystérie, ou de maladies nerveuses proprement dites, paralysie agitante, lésions cérébrales, etc Le champ est des plus vastes, les sujets ne manquent malheu- reusement pas et ce cours obtient auprès des étudiants le succès le plus légitime. Cette année, le professeur a touché à quelques-unes des questions les plus déli- cates de la pathologie nerveuse, questions dont l'interprétation difficile, malaisée, a donné lieu à des controverses sans nombre, et qui se relient à un ordre de faits largement exploités, et souvent avec un succès prodigieux, par les charlatans de tous les âges et de tous les pays. Le merveilleux ou tout ce qui parait l'être a tou- jours sur la foule crédule un attrait puissant ; il en a eu et, qui plus est, il en aura toujours, d'autant plus aisément qu'il trouve au service de sa vulgarisation, de sa 696 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE propagation, des croyants, les uns de bonne foi, les autres se faisant sciemment les apologistes et les apôtres de la supercherie. Les adeptes du spiritisme, des tables tournantes, etc., n'ont pas cessé d'exister. Déjà, à propos d'une jeune fille dont l'étal singulier avait soulevé dans la presse des polémiques ardentes, on avait fait connaître un certain nombre de manifestations nerveuses étranges et dépendant toutes, au résumé, de l'hystérie ; M. Bourneville, et avant lui M. Parrot, avaient montré que la stigmatisée de Lou- vain avait eu des prédécesseurs, et qu'elle ne différait des malheureuses atteintes de la même maladie que par le bruit qui s'était fait autour d'elle. M. Gharcot a montré dans son cours que certaines hystériques peuvent, sous des influences variables, tomber dans un état de somnambulisme et de catalepsie, et que, dans certains cas, ces accès peuvent être provoqués avec la plus grande facilité. Il a été facile aux assistants de contrôler la véracité de ces faits qui ont été reproduits publiquement à la Salpêtrière, et dont nous allons essayer de résumer le tableau. Une malade est placée devant un foyer de lumière intense (lumière électrique, lumière de Drummond), le regard fixé sur ce foyer. Au bout de quelques instants, quelques secondes ou quelques minutes) la malade devient immobile, l'œil fixe, frappée de catalepsie. Les membres sont souples et gardent l'attitude qu'on leur donne. Dans cet état, la physionomie de la malade reflète en quelque sorte les expressions des gestes : c'est ainsi que la figure se contracte, s'assombrit, si l'on fait à la malade une attitude de menace ; au contraire, la physionomie devient souriante et ouverte si l'on joint les deux mains sur les lèvres comme pour envoyer un baiser. En dehors de ces modifications du masque facial sous l'influence de certaines attitudes, la malade reste impassible, fixe, insensible au monde extérieur, transformée en véritable statue. Cet état dure aussi longtemps que l'œil fixé sur le foyer lumineux est impressionné par cet agent. Si alors, à un moment donné, on vient à interrompre brusquement l'impressiou des rayons lumineux, soit au moyen d'un écran, soit plus simplement en fermant les paupières du sujet, la catalepsie fait place à un état de léthargie, de somnambu- lisme, de sommeil provoqué. Ce changement est aussi brusque que la suppression de l'agent excitateur. La malade tombe à la renverse, le cou tendu, la respiration sifflante, avec un hoquet léger, les yeux convulsés, avec un ensemble de symp- tômes qui se rapprochent des débuts de l'attaque hystéro-épileptique. Si on inter- pelle vivement la malade plongée dans cet état léthargique, on la voit se lever, s'avancer vers la personne qui l'a interpellée et exécuter divers mouvements com- binés, telle que l'écriture, la couture, etc. Et cependant à ce moment la malade est toujours dans l'anesthésie la plus absolue, les yeux convulsés, les paupières fermées ou demi-closes. Bien plus, c'est là qu'on voit se révéler les symptômes invoqués par les magnétiseurs et qualifiés de somnambuhsme; la malade peut répondre parfois aux questions qu'on lui pose ; il semble même que, dans certains cas, l'intelligence soit plus excitée. Il n'est pas besoin d'une lumière : le son produit par un diapason, une cloche, peut provoquer l'apparition de ces crises. M. Charcot a fait installer dans son laboratoire un diapason monstre qui donne des vibrations intenses, profondes : il L'HYPNOTISME C09 sufGt de placer la malade sur la caisse vibrante pour qu'au second ou troisième coup imprimé au diapason elle tombe en catalepsie. J'ai vu essayer sur deux de ces hystériques l'impression produite par un coup de tam-tam; à peine le coup avait-il retenti que la jeune fille était en état de catalep- sie, les bras et la tète dans la position de quelqu'un qui cherciie à éviter un bruit assourdissant A coup sûr, voilà des faits qui tiennent du merveilleux : mais ce n'est pas tout. Disons d'abord que cet état léthargique, somnambulique, si l'on veut, cesse aussi subitement qu'il est apparu, et cela avec la plus grande facilité; il suffit, par exemple, de souffler sur ie visage du sujet. La léthargie s'efface, il y a une appa- rence de convulsion légère et la malade sort de son rêve sans le moindre souvenir de ce qui s'est passé. Ces deux états, catalepsie et léthargie peuvent en quelque sorte exister simulta- nément, et c'est là, à notre avis, un des points les plus curieux des expériences de M. Charcot La malade étant en état de catalepsie, comme dans le premier cas dont nous avons parlé, l'expérimentateur peut à son gré déterminer une hémi- léthargie, et une hémi-catalepsie, c'est-à-dire qu'une moitié du corps sera catalep- tique, tandis que l'autre moitié sera léthargique, et cela aussi bien d'un côté que de l'autre, d'une façon tout à fait indifférente. Il suffit pour cela de provoqu:'r la crise léthargique unilatéralement en obturant un œil, en supprimant l'influence lumineuse sur la rétine du côté que l'on veut rendre léthargique. Ce côté (le côté gauche par exemple) n'a plus les propriétés du côté droit de conserver dans les membres une attitude quelconque. 11 est un phénomène remarquable que nous devons signaler et qui apparaît avec la léthargie : ce phénomène est désigné par M. Charcot sous le nom d'hyperexci- tabilité musculaire; voici brièvement en quoi il consiste. En appuyant sur un muscle, en le frottant légèrement, on provoque immédiatement sa contraction qui ' peut facilement devenir contraclure, si on a pressé fortement ce muscle. Bien plus, en pressant sur le tronc d'un nerf, on fait conlracter les muscles qu'il innerve, en pressant sur le facial, à son émergence au-devant de l'oreille, on fait contracter la face du même côté. A son gré, l'expérimentateur reproduit les expériences physio- logiques que Duchenne (de Boulogne) a faites autrefois au moyen de l'électricité. Ce phénomène est des plus curieux et des plus significatifs au point de vue de la réalité pathologique de cet état. Bien d'autres points intéressants demanderaient à être développés au sujet de ces faits; mais ce serait entrer dans des^discussions sûrement médicales, partant un pou abstraites, et qui n'auraient qu'un intérêt absolument scientique. Tels quels, ces faits bien observés, bien et judicieusement expérimentés, ont un intérêt considérable ; ils ne sont pas nouveaux, c'est évident, et tout le monde a vu ou pu voir des faits plus ou moins semblables. » 9 La lecture allenlive des expériences de la Salpêtrière, suffit pour prouver que M. Cliarcol n'a fait que reproduire, en 1879, ce que Braid avait fait en Angleterre en 1841 ; ce que Durand (de Gros) avait fait en 1853 ; ce que M. Azam avait fait à Bordeaux en 1860, ce que MM. Broca et Giraud- 700 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Teulon avaient observé, à la même époque, dans les hôpitaux de Paris, M. Charcot, en d'autres termes, a simplement restauré l'hypnotisme. Mais ici la question s'agrandit considérablement. Si M. Charcot restaure l'hypnotisme, il restaure aussi nécessairement le magnétisme animal. Il fait revivre sous nos yeux les phénomènes de ce même magnétisme animal, tant nié, tant honni, tant poursuivi, depuis un siècle, par les Académies, les médecins et les savants. Nous disons que les expériences de la Salpêtrière ont fait renaître sous nos yeux le magnétisme animal et toutes ses manifestations. C'est ce qu'il sera facile d'établir par la comparaison de ces deux états. r M. Charcot n'opère que sur des malades, sur les hystériques de l'hos- pice ; il ne saurait produire les effets dont il a rendu témoins les élèves et le public, sur des individus en état de santé. Cette circonstance, qui, au premier abord, semble établir une différence entre l'état des magnétisés et celui des hypnotisées de la Salpêtrière^ parle, au contraire, selon nous, en faveur de l'identité de ces deux états. Il ne faut pas s'imaginer, en effet, que le som- nambulisme artificiellement provoqué qui constitue l'étal magnétique puisse être provoqué chez tous les individus indifféremment. Il faut, pour constituer ce que les praticiens appellent un sujet magnétique, une personne prédis- posée aux impressions du magnétiseur par un tempérament nerveux très développé et par une aptitude spéciale. Un bon sujet magnétique est rare, rara avis, et les conditions qu'il doit réunir, par son organisation particulière, se rencontrent difficilement. On peut en dire autant de l'état d'hypnotisme. Tout le monde ne tombe pas en catalepsie, en contemplant un bouchon de carafe. Il faut pour cela un tempérament spécial, un système nerveux très facilement excitable. Sans cela, l'hypnotisme aurait depuis longtemps rem- placé l'éthérisation et la chloroformisation, pour produire l'insensibilité dans les opérations chirurgicales, et cela au grand avantage des opérés, qui n'au- raient pas eu à craindre l'éventualité de l'asphyxie, question redoutable qui se pose toutes les fois qu'on fait respirer à un malade les vapeurs stupéfiantes de l'éther ou du chloroforme. Il n'y a donc pas différence, mais identité entre les hystériques de la Sal- pêtrière chez lesquelles on provoque Vétat hypnotique, et les sujets que le magnétiseur place dans Vétat somnambulique. T Vétat magjiétique consiste en un sommeil particulier qui diffère du sommeil naturel par plusieurs caractères, et qui est provoqué par diffé- rents moyens qui sont ordinairement la fixation soutenue des yeux du ma- gnétisé par ceux du magnétiseur. On réveille la personne endormie en lui soufflant sur le visage. L'HYPNOTISME 701 h'état hypnotique consiste également dans un sommeil qui diffère du sommeil naturel et qui est provoqué, soit en engageant le malade à fixer un objet brillant, soit en l'engageant à fixer ses yeux sur ceux de l'opérateur. On réveille l'individu en proie au sommeil hypnotique en lui soufflant au visage, comme on réveille les magnétisés. 3° De grandes modifications de la sensibilité caractérisent l'état magné- tique, c'est-à-dire l'état de somnambulisme artificiel. L'individu magnétisé, c'est un cas assez général, a perdu la sensibilité dans presque toutes les parties de son corps. Qui ne se souvient d'avoir vu, dans des séances de magnétisme animal, le magnétiseur enfoncer des épingles et des aiguilles dans les bras, sur la main, dans le cou du patient en état de somnambulisme artificiel, sans que celui-ci manifestât la moindre douleur? Dans Y état hypnotique le malade est entièrement insensible. On pourrait lui faire subir une opération chirurgicale sans qu'il en eût conscience. Des chirurgiens de Paris ont réussi plus d'une fois à mettre à profit l'état hypno- tique pour soustraire des malades à la douleur d'opérations chirurgicales. Le procédé aurait pris faveur en chirurgie, car il était d'un emploi émi- nemment commode et inoffensif. Malheureusement, comme il est dit plus haut, la plupart des malades sont rebelles à cette influence. Le fait de l'in- sensibilité du corps, dans i élat hypnotique, comme dans l'état de magné- tisme animal, n'en est pas moins certain, et ce caractère est également propre à l'état hypnotique, ce qui suffirait pour établir l'identité de l'état magnétique et de l'état hypnotique. 4° L'état magnétique est caractérisé par des modifications excessivement curieuses de la motricité. Le magnétisé devient très fréquemment catalep- tique, c'est-à-dire que ses membres conservent la position que le magnéti- seur leur impose, quelle que soit la gène que cette position doive lui procurer, ou la fatigue qui doive résulter pour lui de la persistance de la même attitude. L'état hypnotique est caractérisé également par la facilité avec laquelle les malades conservent la contracture musculaire qui leur est imposée. Quand l'individu est en proie au sommeil provoqué, si l'on écarte ses paupières et que l'on fasse tomber sur le globe de l'œil un rayon de lumière électrique, aussitôt l'individu tombe en catalepsie, conservant l'attitude qu'on lui imprime,' quelque bizarre ou incommode qu'elle soit. On peut même, en n'ouvrant qu'une seule paupière et faisant tomber le rayon lumineux sur un seul globe oculaire, avoir une moitié du corps de la malade en catalepsie, l'autre moitié du corps conservant la facilité normale de ses mouvements et attitudes. 702 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE Un léger frottement de la peau au niveau du muscle contracté suffit pour déterminer le relâchement de ce muscle. C'est de la même manière que le magnétiseur fait cesser l'état cataleptique du magnétisé. On peut produire la catalepsie par le son subit d'un diapason, qui provoque les mêmes phénomènes de contracture, musculaire permanente. 5" Le sommeil magnétique est caractérisé par ce que l'on appelle la lucidité magnétique. L'individu plongé dans le sommeil propre au somnam- bulisme artificiel provoqué par les passes d'un magnétiseur parle et raisonne, exécute des actes d'intelligence et de conscience. S'il n'a point, comme l'insinuent les magnétiseurs qui outrepassent leur rôle, une intelli- gence exaltée, il a certainement le pouvoir de converser et de raisonner. Les hypnotisées de la Salpêtrière obéissent aux ordres que leur donne M. Charcot. Elles écrivent leurs noms sur l'injonction du médecin. Elles exécutent les mouvements et les actes qui leur sont prescrits. 6° L'état magnétique est employé comme agent de guérison dans les maladies nerveuses, et les passes magnétiques ont souvent réussi à faire disparaître des contractures anormales. Des effets curatifs ont été obtenus, de même, avec l'hypnotisme, mais seulement dans le domaine des paralysies et de certaines contractures. M. Charcot, en mettant en contact le bras d'une malade delà Salpêtrière avec un diapason en état de vibration, détermine dans ce bras une contrac- ture persistante. S'il approche alors un aimant à distance du b;'as resté normal, ce bras entre lui-même en contracture, en même temps que h bras précédemment contracturé se relâche. C'est ce phénomène que l'on a désigné sous le nom de transfert., qui a lieu dans le domaine de la sensibilité comme dans celui de la motricité, et qui fut découvert, par la commission chargée d'étudier, en 1870, les curieuses et si originales expériences du docteur Burq sur la métallothérapie. Le phénomène du transfert a été utilisé par M. Charcot pour la cure de certains états maladifs de l'ordre des paralysies ou des contractures. Les aimants ont été appelés ainsi à reparaître sur la scène du monde médical après un siècle de mépris ou d'oubli. M. Charcot a employé l'aimant à titre d'agent curatif, comme l'employaient de leur temps, Paracelse, Van Helmont, Robert Fludd, le Père Hell, Elisah Perkins et Mesmer. Le mouvement commencé en 1879 par les expériences de M. Charcot à la Salpêtrière prit un grand développement dans les années suivantes. On ne soupçonn'aitpasencorel'identité de l'état hypnotique avec l'état de somnam- L'HYPNOTrSME 703 bulisme magnétique et les faits étranges, considérés alors comme nouveaux, que la presse médicale enregistrait chaque jour, passaient dans les journaux quotidiens, et remplissaient de surprise et de crainte l'innocent bourgeois qui lisait dans le feuilleton scientifique du Journal des Débats la chronique merveilleuse de l'hospice de la Salpêtrière, ouïes faits et gestes des hypno- tisés de Nancy. En 1883, ce mouvement était à son apogée. Le public était sans cesse entretenu de faits étranges qui agitaient les cerveaux faibles et mettaient un véritable désarroi dans les âmes timides et les esprits ignorants. Sous le nom àliypnotisme, on ressuscitait le magnétisme animal sans s'en douter. On allait chercher à Charenton et à la Salpêtrière des folles, des épilepliques et des hystériques ; on les soumettait aux procédés divers qui ont le privilège de faire naître chez les personnes névrosiques et malades les effets de cata- lepsie, d'insensibilité physique et de contracture des membres, qui sont le propre de l'état de somnambulisme artificiel, plus communément désigné sous le nom de magnélisme animal, et avec ces effets singuliers, on émerveillait les foules, on étonnait le vulgaire, on confondait l'igno- rant. Chose étrange ! cette réhabilitation, cette résurrection inattendue du magnélisme animal est due aux médecins, c'est-à-dire à ceux-là mêmes qui, pendant soixante années ont combattu, nié, persécuté, vilipendélemagnétisme, animal. L'Académie de médecine et l'Académie des sciences, qui se sont toujours montrées si hostiles, et disons-le, si injustes et si partiales, contre le magnétisme animal et ses adeptes, accueillaient sans sourciller les plus tHranges communications qui leur étaient adressées par des médecins, qui s'efforçaient de se surpasser les uns les autres dans l'énoncé des effets extraordinaires qu'ils prétendaient produire sur les personnes dociles à leurs manœuvres. C'est à un médecin, à un membre de l'Institut, de l'Académie de médecine et de la Faculté, au professeur Charcot, qu'était due, ainsi qu'il est dit plus liaut, l'origine de ce mouvement étrange qui troublait et déconcertait l'esprit public. C'est le professeur Charcot qui, opérant sur les folles et les hystéri- ques de l'hospice de la Salpêtrière, avait le premier, sous le nom (ï hypno- tisme, emprunté au médecin écossais Braid, remis au jour les vieilles pratiques des magnétiseurs, et refait, avec des folles et des névrosiques, ce (jue les anciens magnétiseurs, Iss Deleuze, les Puységur, les Du Potet et, plus récemment, Braid, Azam, Durand (de Gros),Lafontaine, etc., faisaient avec leurs sujets ordinaires. M. Charcot remplaçait par un coup de tam-tam, par un éclat de lumière, ou par un coup de sifffet électrique le baquet de Mes- 704 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE mer, l'arbre de Puységur, le miroir magique de Du Potet. A cela près, tout était pareil. Parti de haut, l'exemple a été promptement suivi. A la suite de M. Charcot, une fouie de médecins se sont mis à hypnotiser les hystériques à qui mieux mieux, et à publier les plus abracadabrantes cocasseries. Un certain nombre d'ouvrages, tous dus à la plume de médecins, ont été consacrés aux merveilles de l'hypnotisme. Un professeur de la Faculté de médecine de Nancy, le doc- teur Bernheim, a, le premier, écrit ex professa un gros volume sur l'hypno- tisme, et, à sa suite, une douzaine de médecins ont publié des livres conçus dans le même esprit et racontant les mêmes histoires renversantes. Seulement, remarquons-le bien, M. Charcot, le grand pontife de l'école, Be prononce jamais le nom de magnétisme animal. Il a refait toute la série des opérations classiques des magnétiseurs de notre siècle, et il n'a pas une seule fois voulu confesser l'origine réelle de ses travaux, et rendre hommage et justice à ses prédécesseurs, les Mesmer, les Puységur, les Du Potet, les Durand (de Gros), etc., ni reconnaître l'identité de l'hypnotisme avec le somnambu- lisme artificiel, c'est-à-dire le magnétisme animal. M. Charcot ne nie pas for- mellement cette identité ; il n'en parle pas, il ne dit ni oui ni non. Comme les fondateurs d'écoles ou de systèmes, il se renferme dans un majestueux si- lence. A son imitation, les auteurs d'ouvrages sur l'hypnotisme se sont bien gardés de reconnaître qu'hypnotisme et magnétisme, hypnotiser et magnéti- ser, c'est tout un. On fait du magnétisme sans s'en douter, ou du moins sans l'avouer. Le magnétisme animal est un mot qui sent le charlatanisme, mais l'hypnotisme a une couleur scientifique : voilà pourquoi nos médecins renient le premier et exaltent le second ! Pour nous, qui avons l'habitude de parler net, de nommer les choses^ par leur nom, nous disons aux fauteurs de l'hypnotisme qu'ils ne font que ressusciter et remettre en lumière des phénomènes archi-connus, lesquels, seulement, ont été niés obstinément pendant une longue suite d'années, et qui reprennent, par la force naturelle des choses, la place qu'ils auraient conquise il y a longtemps si une opposition aveugle et systématique, de la part des médecins et des académies, n'avait arrêté leur manifestation au commencement et au milieu de notre siècle. Que nous présentent, en effet, les individus hypnotisés? La catalepsie? Il n'est pas de magnétiseur qui ne la produise à volonté sur son sujet. — L'insensibilité physique? la faculté de se laisser piquer, pincer, blesser, sans ressentir de souffrance? C'est là l'opération la plus vulgaire, la plus banale des magnétiseurs, dans les salons comme à la foire, dans les confé- rences comme sur la voie publique. — L'obéissance à la volonté, aux L'hypnotismf: 707 ordres donnés, c'est-à-dire rinfluence sur l'être humain d'un autre individu ? en d'autres termes, la suggestion mentale? Il y a d'excellents ouvrages écrits par les magnétiseurs sur ce genre d'influence. Rappelons, entre autres, le traité du D'' Durand de Gros (Philips), ÏElectro-bioloyie (184o), qui nous initie aux influences prodigieuses que ce magnétiseur exerçait sur les sujets soumis à son simple regard. — La pénétration de la pensée? Si ce dernier effet, qui est le dernier terme de la suggestion mentale, est vraiment réalisé chez quelques malades par des médecins ayant le privilège d'exercer une influence morale puissante, on trouverait dans l'histoire du magnétisme ani- mal un certain nombre d'effets semblables. — La rubéfaction de l'épiderme, la vésication produite à volonté sur le corps d'un hystérique? Nous deman- dons à voir ce prodige, pour y croire. Du reste, on trouve dans le Journal du magnétnme animal de Du Potet, de 1860, qu'un magnétiseur, nommé Préjalmini, aurait obtenu sur une somnambule une vésication en appliquant sur la peau saine un morceau de papier sur lequel il avait écrit l'ordonnance d'un vésicatoire. Il y a donc, selon nous, identité complète entre le magnétisme animal et l'hypnotisme. Les médecins qui font tant de bruit de leurs prétendues découvertes dans cet ordre de faits enfoncent des portes ouvertes, et, comme Alexandre Dumas, découvrent la Méditerranée. Il faut d'autant plus insister sur celte identité que les médecins qui s'occupent d'hypnotisme en sont arrivés, de prodige en prodige, à énoncer des faits qui, s'ils étaient réels, c'est-à-dire s'ils ne trouvaient pas une explication simple, bouleverseraient toute notion physique et morale. On a entendu, en 1886, des médecins venir soutenir sérieusement que non seule- ment ils exercent sur leurs malades une influence mentale sans bornes, une suggestion intellectuelle absolue, mais qu'ils ont la puissance de déterminer l'action des médicaments à distance du malade, et sans contact avec celui-ci. Ils auraient obtenu tous les effets propres à certaines drogues actives sans les administrer, en les approchant tout simplement des patients. Bien que ces drogues fussent renfermées dans des flacons bien bouchés, ne dégageant aucune odeur, ou enveloppées, l'action ne se produisait pas moins. Par exemple, un individu très impressionnable, X..., ressentait une atroce douleur de brûlure lorsqu'on touchait sa peau avec un objet en or : il éprouvait de la douleur à travers la main fermée de l'expérimentateur ou à travers les vêtements. Si on glissait dans son lit, sans qu'il s'en aperçût, une pièce d'or, X... se tournait vivement. En tenant à 10, 15 centimètres 708 LES MYSTERES DE LA SCIENCE de distance, un objet en or en dehors de son regard et de son attention, il ressentait comme un charbon ardent. Une bague produisait sur son poignet une vraie brûlure, avec plaie. Le mercure d'un thermomètre agissait comme l'or à travers son enveloppe en verre, et même à travers l'étoffe dont l'instru- ment était entièrement recouvert : une brûlure se produisit au point de contact, avec soulèvement de l'épiderme, suivi d'une plaie. Les sels de mercure et d'or agissaient de la même manière. Une éprouvette remplie de gaz hydrogène fut mise en contact avec la main de X, puis, un jet de ce gaz ayant été dirigé sur le bras et sur la nuque, des mouvements rythmés se produisirent avec un rire spasmodique. Un cristal d'iodure de potassium, enveloppé de papier, ayant été appliqué sur l'avant-bras, occasionna des bcâillements et des éternuemenls. Ces faits, si extraordinaires et si incroyables, ont été relaté en 1886, par MM. Bourru et Burot, professeurs à l'École de médecine de Rochefort. Mais ce n'est pas tout. Un morceau d'opium brut, enveloppé de papier et placé sur la tête du même sujet, l'endormit en moins d'une minute. On eut beau l'appeler, le secouer, lui ouvrir les yeux, le toucher avec de l'or, rien n'y fit : il ne sentait rien. Le réveil eut lieu spontanément, au bout de dix minutes. Les alcaloïdes de l'opium agissent d'une façon presque analogue. Le chloral, renfermé dans du papier, donne, en moins d'une minute, un sommeil, avec ronflement, par son application sur le bras. Un flacon de digitaline, présenté à la plante du pied, amène des efforts de vomissement, des crachements, le pouls est faible, la respiration entrecoupée. Le sulfate de quinine, la caféine, appliqués directement sur le front ou sur le bras, agissent promptement. Un paquet de feuilles de jaborandi est glissé, le soir, sous l'oreiller du malade couché; une minute suffit pour l'endormir. Tro's minutes après, le réveil a lieu, la salive coule de la bouche, la peau est humide ; une cigarette placée entre les lèvres du sujet lui fait annoncer un goût sucré. Ces faits furent niés par les uns, et expliqués par les antres, qui regar- daient X..., le sujet de MM. Burot et Bourru, comme un habile simulateur. Un professeur de physique prépara deux paquets, sans déclarer ce qu'ils contenaient. Le premier fit dormir, avec bâillements et nausées au réveil : il contenait de l'opium. Le second produisit une brûlure intolérable : c'était un sel de mercure. Une femme M..., atteinte d'hystérie et très sensible à l'hypnotisme, fut soumise aux mêmes expériences et donna les mêmes résultats. L'HYPNOTISME 709 Un jour, au jardin botanique de l'École de Rochefort, on met dans la main de X... quelques feuilles et fleurs de valériane, enveloppées de papier. Celui-ci s'endort tranquillement ; mais bientôt il se lève, les yeux ouverts et la tête baissée, il marche en cercle à gauche et renifle fortement, se jette à terre, gratte, fait un trou avec ses ongles, enfonce son visage dans le trou, se relève brusquement, trépigne, reprend son mouvement de manège, refait un nouveau trou, y enfonce le nez en reniflant. Cette scène d'imitation du chat a duré plus d'un quart d'heure et, par sa Violence, a fort embarrassé l'expérimentateur. La femme M... donna le même spectacle. Une fois, on applique sur le bras de X... une graine de noix vomique, renfermée dans du papier. Une douleur atroce fit faire un bond au sujet, lequel poussa un grand cri, et se mit à déchirer sa peau à l'endroit du con- tact. Cette noix, égarée dans la chambre du malade, fut ramassée le soir par lui, comme étant un petit caillou. Aussitôt il pousse le même cri; sa main se contracture, et on ne parvient à lui arracher la graine qu'à grand'peine. La femme M... était également très sensible à l'action de la noix vomique. Elle offrit un spectacle curieux par l'application qu'on lui fit d'un flacon contenant de la teinture alcoolique de cantharides. Une scène analogue eut lieu avec le même flacon présenté à X... D'autres expériences furent faites en présence de plusieurs médecins. Sur la femme M..., l'eau de laurier-cerise produisit une extase religieuse prolongée, avec vision, suivie de convulsions. L'essence de mirbane, dont l'odeur est la même, ne produisit pas cet effet. D'autre part une solution faible d'acide prussique ou de cyanure de potassium amena des convulsions. Toutes les essences, les élhers, ont produit des hallucinations variées. L'essence d'absinthe a occasionné une épilepsie spinale caractérisé. L'alcool élhylique donnait une ivresse gaie; l'alcool araylique, une ivresse furieuse ; l'aldéhyde, une ivresse sombre; une bouteille de Champagne, un scène pleine d'entrain, avec danse, chants joyeux. Un flacon de chloral bouché, placé dans la main d'une hystérique simple, détermine un sommeil invincible. Plusieurs hystériques ont présenté l'ivresse alcoolique, avec titubation, vomissements et le reste. A Toulon, un jeune matelot, qui était aisément hypnotisé par un médecin de la marine, ne ressentait les effets des médicaments que pendant son sommeil. Dans la même ville, une femme hypnotisable était insensible à l'action des médicaments ; mais dans son état de somnambulisme, elle obéit 710 LES MYSTÈRES DE LA SCIENCE à la suggestion qui lui fut faite de chanter, de faire de la musique, etc. Voilà, dans toutes leurs particularités, que nous n'avons aucunement dissimulées, les faits rapportés par les deux médecins de Rochefort. Nous ferons aux auteurs les objections suivantes : r Vous présentez à vos sujets des substances dont ils savent par avance les effets ; 2° Les sujets apprennent des expérimentateurs eux-mêmes l'effet attendu, ceux-ci ne prenant pas la précaution de garder un silence qui dans ce cas serait indispensable ; 3" Il suffit que vous ayez vous-mêmes connaissance des effets à produire pour influencer mentalement, malgré vous, un sujet que vous dominez par les pratiques ordinaires de l'hypnotisme et de la suggestion. Les hystériques, on le sait, sont des chiens savants, des automates bien montés. MM. Bourru et Burot nous disent qu'ils ne cherchent à donner aucune interprétation, à formuler aucune loi; ils admettent qu'il s'agit ici d'actions spéciales, d'ordre inconnu jusqu'à ce jour. Pour nous, nous ne voyons dans ces effets divers qu'un résultat de la volonté du magnétiseur s'exerçant sur un sujet habitué à l'obéissance passive. L'hypnotisé entend l'ordre qu'on lui intime, et il est forcé, par l'empire de la volonté du magnétiseur, d'obéir à un commandement exprimé à haute voix, et par conséquent parfaitement compris par lui. Il esl certain que, si de tels phénomènes étaient réels, un criminel ou un malfaiteur quelconque ne serait point responsable de ses actes. Avant de le condamner, il faudrait montrer qu'il n'a obéi à aucune influence étrangère^ qu'il n'a pas été poussé par une suggestion émanée d'une personne voulant exercer une vengeance. Il n'y aurait ni crimes ni criminels. On irait loin si on admettait de pareilles vues: l'ordre social en serait bouleversé. Il serait donc grand temps que le bon sens public fit justice de tant de billevesées, décorées du vain nom de recherches physiologiques et scientifiques. Qu'un médecin hypnotisant demande à un sujet hypnotisé quel sera le cours de la Bourse du lendemain, et s'il devine juste, je croirai à sa clair- voyance. Malheureusement, cette épreuve décisive n'a jamais réussi. Nous prétendons, en conséquence, que les hypnotiseurs ne sont pas plus malins que les magnétiseurs, leur ancêtres, et que les prétendus prodiges dont ils essayent de nous éblouir, ne sont que des plagiats scientifiques, abrités sous un nom grec. Notre tâche est finie. Nous avons passé en revue, dans ces deux volumes. L'HYPNOTISME 711 toutes les manifestations modernes prétendues surnaturelles, et démontré la vérité de la thèse philosophique qui était l'objet général de cet ouvrage, à savoir que l'amour du merveilleux est inné à la nature de l'homme, et qu'il varie peu dans ses manifestations. Nous avons vu les prodiges attribués aux thaumaturges de l'antiquité se continuer, au moyen âge, par les possessions démoniaques et la sorcellerie. Les pratiques des sorciers de l'ancienne Égypte et de l'Arabie renaissent dans les opérations des Paracelsistes du temps de la Renaissance, et elles ne changent pas sensiblement, en passant, au dix-huitième siècle, aux mains de Mesmer et de Cagliostro. L'hypnotisme nous a donné la clef des phénomènes physiologiques propres au magnétisme animal, aux suggestions mentales, à l'empire de volonté d'un homme sur des sujets dociles et soumis. L'hypnotisme nous a également donné la raison de la rotation des tables, comme des paroles extatiques des médiums et des prétendues réponses des esprits. Les tables tournantes, les prétendues manifestations des esprits, les médiums et leurs paroles, ainsi que toute la série des faits du même ordre dont nous avons donné le récit, seraient inexplicables si l'on n'admettait l'existence de Tétat hypnotique, spontané ou provoqué. L'hypnotisme expérimental en faisant connaître le mécanisme de l'hypno- tisme spontané a dévoilé, en même temps, la cause des extases cataleptiques des miraculés du cimetière de Saint-xMédard, comme les visions des Treni- bleurs des Céve?iiîes. En montrant que, par la contemplation longtemps prolongée, d'un objet brillant, ou la seule habitude de cet état, provoquent un sommeil accompagné de catalepsie, de raideur musculaire, suivie d'exal- tation des sens et de l'intelligence, l'hypnotisme expérimental nous a expliqué les faits d'extase religieuse que l'histoire a conservé. En résumé, nous croyons avoir fourni l'explication scientifique de tous les faits prétendus surnaturels enregistrés par l'histoire et démontré, en même temps, que, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, les formes sous lesquelles le merveilleux se produit sont, au fond, peu nombreuses, malgré leur apparente diversité, et ne font que revêtir, d'un siècle à l'autre, un caractère particulier, à savoir : fascination et prophéties dans l'antiquité, — possession démoniaque et sortilèges, au moyen âge, — extase et délire religieux au dix-septième siècle, — au dix-huitième siècle, magnétisme animal avec ses variantes — et dans notre siècle, tables tournantes, mé- diums et esprits ; — enfin hypnotisme. Le merveilleux se transforme de siècle en siècle ; il subit des incarnatiotis 712 LES MYSTERES DE LA SCIENCE différentes; mais toutes sont susceptibles d'une même explication, d'une explication naturelle empruntée à la médecine et la physique. Telle était la pensée générale qui était le but de ce livre, nous croyons l'avoir justifiée par l'histoire. Nous ne regretterons pas le long labeur que nous nous sommes imposé si cette idée de la pérennité du merveilleux demeure acquise la philosophie. Et si, par les considérations et les faits développés dans cet ouvrage, nous sommes assez heureux» pour ramener dans le droit sentier de la vérité et du bon sens quelques âmes four- voyées, pour éclairer certains esprits chancelants, irrésolus, ou entraînés par le trompeur mirage d'un mysticisme mal à propos renouvelé de nos jours, nous aurons recueilli la récompense la plus douce au cœur d'un écrivain. FIN TABLE DES MATIÈRES LES PRODIGES DE CAGLIOSTRO I. Joseph Balsamo à Strasbourg - 1 II. Balsamo à Bordeaux. — Son arrivée à Paris. — Prodiges qu'il y accomplit. — Le banquet d'outre-tombe de la rue Saint-Claude. — Miracles de Sera- phina Feliciani, la Grande maîtresse. — Le souper des Irente-six adeptes. — La guérison miraculeuse du prince de Soubise. — Enthousiasme de la capitale pour le nouveau thaumaturge , . la m. Le cénacle des treize 30 IV. L'affaire du collier 38 \ . Retour en arrière. — Aventures et exploits de Caglioslro avant son arrivée à Strasbourg , ■>9 VI. Dénoûmenl de l'affaire du collier. — Cagliostro devant ses juges. — Ca- gliostro quitte la France. Sa morl O.j LE MAGNÉTISME ANIMAL I. Disposition des esprits à la fin du seizième siècle, concernant les faits merveil- leux et le surnaturel. — Les Swedenborgistes. — Le prêtre Gassner et le docteur Antoine Mesmer. — Débuts de Mesmer en Allemagne. — Mesmer se rend à Paris. — Tableau du traitement magnétique. — Ses premiers résultats 115 II. .Mesmer entre en relations avec les corps savants. — Ses démarches près de l'Académie des sciences. — Son conflit avec la Société royale de médecine. — Sa retraite à Créteil 135 III. Le baquet de Mesmer. — Description des crises magnétiques. — Mesmer et Deslon. — Le dîner des docteurs mesméristes. — Les vingt-sept proposi- tions de Mesmer. — La Faculté de médecine cite Deslon dans son assemblée générale. — Retraite de Mesmer à Spa 153 IV. Mesmer continue ses traitements magnétiques. — Le P. Girard. — M. Busson. — Le fils Kornmann. — Mesmer manifeste l'intention de quitter la France. — Négociations du gouvernement français avec Mesmer. — Offres du mi- nistre. — Refus de Mesmer 181 V. Les antécédents du magnétisme animal. — Travaux des savants des xvi% 714 TABLE DES MATIÈRES xvii' et xviu" siècles concernant le magnétisme animal. — Paracelse. — Goclenius. — Van Helmont. — Helimontius. — Roberti. — Le P. Kircher. — Robert Fludd. — Maxvell. — Le P. Hell. — Elisha Perkins. — Greatrakes et Gassner 198 VL Mesmer retourne à Paris. — Concurrence de Deslon. — Union passaj^ére de Mesmer et de Deslon. — Leur rupture. — Projet de souscription en faveur de Mesmer. — Divers incidents. — Mesmer reprend ses traitements. . . . 245 VIL Ouverture des cours de magnétisme dans la Société de l' harmonie. — Bergas publie ses Considérations sur le magnétisme animal. — Défection de Ber- tholet, sa déclaration contre l'existence de l'agent mesmérien. — Le ma- gnétisme prôné par le P. Hervier, qui le prêche publiquement dans la cathé- drale de Bordeaux 368 VIII. Discussions soulevées par les traitements de Mesmer. — La guérison du P. Hervier et la mort de Court de Gébelin. — Pamplilets contre Mesmer. — Mesmer est joué sur le théâtre. — Les docteurs modernes, le Baquet de santé. — Mademoiselle Paradis produite en public en présence de Mesmer. . . 278 IX. Le magnétisme devant les Académies. ■- Le formulaire de la Fatuité de mé- decine. — Rapport de Bailly, au nom de la commission royale choisie parmi les membres de l'Académie des sciences de la Faculté de médecine. — Rap- port secret de la même commission adressé au roi. — Rapport de la com- mission choisie dans la Société royale de médecine. — Rapport personnel de Jussieu. — Nouvelles épigrammes contre Mesmer 291 X. Les dernières années de Mesmer 320 XL Découverte du somnambulisme artificiel. — Le marquis de Puységur. — Le somnambule Victor. — L'arbre de Buzancy et l'arbre de Beaubourg. — Exploitsdu somnambule Victor 332 XII. Les docteurs électriques. — Le docteur Pételin, de Lyon, découvre la catalepsie artificielle provoquée parle magnétisme animal 360 XIII. Le magnétisme animal slationnaire pendant la Révolution et sous l'Empire. — Ses progrès en France à l'époque de la Restauration. — Ses succès daiîs les autres parties de l'Europe. — Le marquis de Puységur. — Le P. Hervier. — L'abbé Faria. — Deleu et son Histoire critique. — Le magnétisme re- connu et professé dans plusieurs universités étrangères. — Expériences de Georget, de Foissac, de Dupotet, à l'Hôtel-Dieu de Paris. — L'Académie de médecine entreprend l'examen public du magnétisme animal. — Rapport de Husson. — Conclusions de ce rapport 373 XIV. L'Académie de médecine reprend l'examen du magnétisme animal. — Rapport de Dubois (d'Amiens). — Proposition de Burdin, prix de 3000 francs offert au somnambule qui pourra lire sans le secours des yeux. — Suite de ce défi. — Mademoiselle Pigeaire, — Autres prétendants aux prix Burdin. — Triomphe des antimagnétistes à l'Académie de médecine 3137 XV. Théories pour l'explication des phénomènes, du magnétisme animal. — Théorie de Mesmer : l'agent ou tluide universel.— Théorie développée dans le rapport de Bailly: théorie de l'imagination. — Théorie du fluide magné- tique.— Théorie spiritiste. — Théorie magnéto-magique 424 TABLE DES MATIÈRES 715 LES MAGNÉTISEURS MYSTIQUES I. L'illuminisme apparaît eu France à la suite du magnétisme de Mesmer et des prodiges de Cagliostro. — Les prophéties politiques. — Le P. Beauregard. — La prophétie du chevalier de Lisle. — La prophétie de Gazette. . . . 447 IL Progrès du magnétisme mystique. — La Société exégélique de Slockolra. — Lavater. — Les magnétiseurs mystiques en France. — Anecdocte rapportée par le docteur Récamier. — Autre fait raconté par le docteur Parent. — La vision de Lord Castelreagh. — La voyante de Prevorst, etc. .... 459 LA FILLE ÉLECTRIQUE I. Manifestations électriques chez Angélique Cotin, dans le village de Bouvigny (Orne). — Observation faite par M. de Farémont, établissant la nature élec- trique des phénomènes propres à cette torpille humaine. — Expérience des médecins de Morlagne. — Angélique Cotlin à Paris. — Expériences devant la commission de l'Académie des sciences. — Conclusion. — Une nouvelle fille électrique au Canada, en 1880 477 LES ESCARGOTS SYMPATHIQUES M. Jules Allix annonce la prétendue découverte faite par Benoit (de l'Héraull) de la communication de la pensée à de grandes distances au moyen d'es- cargots vivants. — Benoit accueilli par M. Triât, dans son gymnase, pour construire son appareil. — L'expérience des escargots sympathiques est re- connue i'œuvre d'un halluciné 515 LES ESPRITS FRAPPEURS I. Les esprits frappeurs en France. — Les malheurs du charbonnier Lerible. — La jeune fille de Clairefontaine. — Triomphe d'un exorcisme. — Les esprits passent en Amérique II. Explication des toc-toc des esprits trappeurs o2.H LES TABLES TOURNANTES ET LES MÉDIUMS 1. Débarquement des esprits en Europe. — Les tables tournantes en Écosse, en Angleterre et en Allemagne. — Origine orientale des tables tournantes. ;)65 il. Les tables tournantes en France. — Comment elles sont accueillies dans notre pays. — Altitude des savants. — Expériences et ouvrages dAgenor de Gas- parin sur les tables tournantes 571 111. Théorie pour l'explication du phénomène de la rotation des tables. — Théorie de M. Chevreul et de Babinet, ou théorie des mécaniciens. — Expériences h l'appui de cette théorie, faites par Faraday, de Londres. — Théorie du 716 •« TABLE DES MATIÈRES fluide. — Théorie des esprits. — Explication de 'ce même phénomène par l'état hypnotique de l'une des personnes de la chaîne i80 IV. Progression des phénomènes après les tournantes. — Les tables qui parlent et qui écrivent. — La planchette. — Les médiums opérant sans aucun acces- soire. — Explication naturelle des actions des médiums .... . . .'i92 LES SPIRITES I. Les spirites en France. — Gahagnet. — Éliphas Lévy. — Victor Hennequin. — Le docteurnoir. — Girard de Caudemberg. — Henri Carion. — Le baron de Guldenstubbé et l'écrilure directe des esprits. — Le docteur Teste. — Le marquis de Mirville. — Âllan Kardec et son livre des Esprits 607 IL M- Home et ses prodiges. — Les Mémoires de M. Home. — Les frères Daven- port; leur truc dévoilé. — La photographie spirite. — Buguet; sa condam- nation. — Explication physiologique du spiritisme. — Résumé et conclu- sion générale de cet ouvrage. 630 L'HYPNOTISME I. Découverte de l'hypnotisme, ou sommeil nerveux, par le docteur Braid, en 1841. — Accueil fait à cette découverte en France 635 IL Le docteur Durand de Gros prêche l'hypnotisme sous le nom d' électro-biologie. 660 III. Les expériences sur l'hypnotisme en France en 1833. — Les docteurs Azam, de Bordeaux, Broca et FoUin. — Retour à Paris du docteur Durand de Gros en 1860. — Sa brochure sur le Bradisme 667 IV. L'hypnotisme expliquant les phénomènes du mesmérisme, du somnambulisme magnétique et tous les résultats analogues consignés dans l'histoire. . . 673 V. Expériences faites en 1879, à l'hospice de la Salpêtrière, par M. Charcot. — Les expériences de M. Charcot viennent confirmer l'explication théorique donnée dans cet ouvrage des phénomènes du magnétisme animal par l'état hypnotique. — Description des expériences de la Salpêtrière. — Compa- raison de ces effets avec ceux de l'hypnotisme, et par conséquent avec les phénomènes du magnétisme animal 694 CORBEIL. — IMPRIMERIE CRÉTÉ-DE L'aRBRE 1 r