i^m^
192
Eugène Revillodt. Livbes et revues.
iiùtiques (^ = to = tVj) indiqués par cette prononciation ^^^^ = ^^^''^^P' P''"'''*''' 1"^ "^""^ la langue parlée, comme en copte, on disait cAi&Te pour « beaucoup >-. J'ai même des exemples démotiques certains dans lesquels la transcription démotique signe à signe de V\ )^n a été employée pour syllabique mate même dans le verbe Aie«.Te posùdere et s'est conjuguée en conséquence. Tout ceci prouve seulement que Maspero (ainsi qu'EuMAs) a eu tort de tenir si peu compte du copte, comme des compléments pho- nétiques, dans sa transcription ultra-fantaisiste des hiéroglyphes. Si le copte était «bien renseigné», ainsi (lu'il le dit, pourquoi n'en tient-il pas plus compte, je le répète, dans ses lectures, que des transcriptions des Anciens (Manéthon et les bilingues, etc.), et que des compléments phonétiques transcrits aux vieilles épo(ines, et qui, le phts généralemeiil, sont d'accord? Pourquoi lit-il l'égyptien d'une façon qui ne rappelle absolument plus rien tant au coptisant qu'au philologue terre à lerre'i C'est une belle chose que l'imagination, permettant au critique de ne plus s'occuper des témoignages des Anciens et aux linguistes de parler un langage que n'auraient jamais compris les Anciens.
Mais nous en avons déjà dit bien long et nous sommes obligé de nous arrêter dans cette analyse de quelques-uns des travaux originaux du Sphynx. — Ajoutons seulement à propos du deniier («Fragments d'Évangile» par Spiegelbekg et Jacoby) que nous sommes revenu nous-méme, il y a un an, sur cette question dans un article de V Intermédiaire des chercheurs et des curieux, et que nous avons corrigé les versions un peu fantaisistes qu'on en avait données.
Quant aux articles bibliographiques du Sphynx, nous n'en parlerons pas en ce moment pour ne pas faire «la critique d'une critique >. D'ailleurs nous aurons l'occasion de parler nous-même d'un grand nombre des ouvrages qui y sont analysés, et nous indiquerons alors en quoi nous nous rapprochons ou nous écartons des collaborateurs du Sphynx, dont la compétence est bien loin d'être égale.
Au dernier moment nous recevons trois nouvelles publications :
1° De mon ami M. Wilcken un travail sur «Un contrat de mariage grec Ptolémaïque», extrait du ■1' fascicule de son journal : Archio fur Pa}:iyrusforschung und verwandte Oehiete. Nous reviendrons bientôt sur divers travaux de cette Revue à laquelle nous sommes abonnés et à la collaboration de laquelle Wilcken nous a convié, en nous marquant l'intérêt très vif qu'il prenait à nos publications grecques. Dans cet article même sur le mariage, il nous prodigue ses éloges et il nous est doux de lui rendre la pareille. Nous n'avons qu'à renvoyer sous ce rapport le lecteur à ce que nous disons p. 1121 et suiv. de notre Précis de droit égyptien relativement au nouveau texte très important qu'il publie et commente.
2° Deux travaux du grand métrologue M. Hcltsch, intitulés : «Die Klemente der iigyptischen Theilungs- rechnung» et «Neue Beitriige zur iigyptischen Theilungsrechnung».' Dans le premier, l'auteur ne paraît pas avoir connu ni nos anciennes études métrologiques, parues dans la 2° année de ma RcBue égyptologique, ni «Nos Mélanges de métrologie et d'histoire». Pour les «Mélanges» la chose n'a rien d'étonnant, puisqu'ils ont paru la même année (1895). En revanche, ces Mélanges sont cités plusieurs fois à chaque page du second. Hultsch les a donc très bien utilisés. Quant à sa haute compétence mathématique, elle n'est mise en donte par personne. Seulement il fera bien de se défier de certaines de ses autorités égyptologiques, telles que Griffith. ^
11 sera peut-être bon de noter ici également quelques-unes de nos dernières publications :
1° «Notre précis de droit égyptien comparé aux autres droits de l'antiquité» (Brière et Giard, édi- teurs), dont le dernier fascicule va paraître et qui compte environ 1600 pages dans ses cinq parties sur : 1" l'état des biens, 2° l'état des personnes, 3° les oblig.ations, 4° les actions, 5° l'économie politique et dans son introduction sur le droit comparé historique et critique.
2° « Les Drames de la conscience. Étude sur deux moralistes égyptiens inédits des deux premiers siècles de notre ère, » V volume. Le second volume est sous presse. Cet ouvrage donne tant dans le texte que dans l'introduction et dans le supplément l'histoire complète de la morale et des moralistes en Egypte à toutes les périodes.
3° «Les rapports historiques et légaux des Égyptiens et des Quirites depuis la fondation de Kome jusqu'aux emprunts faits par les décemvirs au code d'Amasis» (Maisonneuve, éditeur).
4° Un nouveau fascicule de mon Corpus papyromm Aegypti.
Je n'énumérerai pas de nombreux articles parus dans V Intei-médiaire des curieux, dont je suis le colla- Ijorateur assidu. Be.aucoup de ces articles pourraient intéresser nos lecteurs, ainsi peut-être que certaines communications faites aux divers congrès de 1900 et qu'un travail en préparation sur «Le premier et le dernier des moralistes égyptiens».
' Leipzig, Herzel.
' Depuis (jue nous avons envoyé ces pages à l'impression, nous avons reçu plusieurs nouveaux travaux, sans compter quelques fascicules du Sphj-ns, etc. Nous réservons tout cela pour un autre numéro, car il faut teiTuiner celui-ci.
I
L'Éditeur Ernest Lerodx, Propriétaire-Gérant.
REVUE ÉGYPTOLOGIQUE
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
M. EUGÈNE REVILLOUT.
ONZIÈME VOLUME.
LABOBEMUSI
PARIS
EENEST LEROUX, EDITEUR,
LIBEAIEE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE
DE L'ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, DE L'ÉCOLE DU LOUVRE, ETC.
28, RUE BONAPARTE, 28
1904.
VIENNE. — TrP. ADOLPHE HOLZHAUSEN,
IMPRIMEnR DE LA COUR I. & E. ET DE L'UNIVERSITÉ.
TABLE DES MATIÈEES.
Page
Le nom hiéroglyphique de l'argile ronge d'Éléphantine (Henbi Gauthieb) 1
Sermons inédits de Senouti (fin), (H. Guékik) 15
Le roman-thèse d'un philosophe nihiliste (Eugène Eettllout) 35
Quelques idées sur la forme primitive de certaines religions égyptiennes à propos de l'identification de
l'hiéroglyphe servant à écrire le mot Dieu (Victok Loeet) 69
Livres et revues, Thèses (Eugène Retillout) 101
Discours prononcé par le Prof. Docteur Nabee à Utrecht à la réception comme docteur en droit honoris
causa du Prof. Docteur Eue. Eevillout le 26 mars 1903 113
Le roi Pétibast II et le roman qui porte son nom (Eugène Eevulout) 115
Le roi Pétibast II et le roman qui porte son nom (suite), (Eugène KEvnionT) 168
Livres et revues (Eugène Eevllloct) 175
Papyrus magique de Londres et de Leide, par Eugène Eevillout 178
Planches : Dissertation sui- quelques syllabiques démotiques 189 à 220
Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from Brigiiam Young University
littp://www.archive.org/details/revuegyptologi11pari
REVUE ÉGYPTOLOGIQUE
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
M. EUGÈNE REVILLOUT.
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE, DE L'ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, ETC. ETC. 2S, EUE BONAPAJITE, 2S. A PAEIS.
Xr Volume. N°" I-II. 19CI4~
La REVUE EGYPTOLOGIQUE paraît tous les trois mois par numéros de six feuilles au moins, avec
planches, fac-similé etc. — Aucun numéro ne se vend séparément.
Prix rfe l'abonnement annuel : Paris 30 fr. — Dé2>artements 31 fr. — Étranger 3'i fr.
mmaire : Le nom hiéroglyphique de l'argile rouge d'Êléphantine, par Henri Gauthier. — Sermons inédits de Seuouti (fin), par H. GoÉKiN. — Le roman-thèse d'un philosophe nihiliste, par Eugène Eevilloct. — Quelques idées sur la forme pri- mitive de certaines religions égyptiennes à propos de l'identification de l'hiéroglyphe servant à écrire le mot Dieu, par Victor Loret. — Livres et Revues, Thèses, par Edgène Ke-\'illodt. — Discours prononcé par le Prof. Docteur Naber à Utrecht à la réception comme docteur en droit lionnris causa du Prof. Docteur EuG. Revillout le 26 mars IMOS.
LE NOM HIEROGLYPHIQUE DE L'ARGILE ROUGE D'ÊLÉPHANTINE
PAR
Henei Gauthier.
Au papyrus Koller/ parmi les produits nubiens et éthiopiens qui devront être réunis
par les soins du grand de Koush pour figurer à l'exposition que le Pharaon viendra visiter,
il est fait mention d'une substance désignée sous le nom de ^ "flflo dotido^i-îou.^ Ce
, ^ — "iilll
mot n est pas nouveau, et avant même la publication du papyrus Koller, on eu connaissait,
grâce au papyrus Ebers et au papyrus médical de Berlin, d'assez nombreux exemples;
depuis l'apparition du papyrus Koller, d'autres emplois ont pu également en être relevés
dans divers textes. Mais il nous semble que les tentatives d'explication de ce mot faites
par les égyptologues ne sont pas ab,solumeut satisfaisantes, et nous nous proposons ici de
soumettre à un nouvel examen la question de l'identification de la substance ^ ° (] D o.
Pour ne rien omettre, commençons par réunir tous les exemples à nous connus du mot doudou dans les textes hiératiques ou hiéroglyphiques. Ces exemples sont, y compris celui du papyrus KSller, au nombre de quatorze. Le papyrus médical Ebers,^ à lui seul, nous en donne six, que voici :
' Publié par M. A. Wiedemann, HieratiscJw Texte aus den Museen zu Berlin und Paris (Leipzi" 1879) Taf. XII -XIV.
^ Planche XIII, lig-. 2 (entre ^y(]l],° et l\ oV — L'orthographe du papyrus Koller est
incorrecte : la forme véritable du mot est, comme on le verra par les exemples ci-dessus, ^ Qm-
" Publié par Ludwig Stern (2 vol. in-fol., Leipzig-, 1875).
1
Henei Gauthier.
r Daus un traité relatif aux maladies du cœur [^^ WfK ^l I '^^^^ ^^ '^ '^)'^ uous lisons, sous la rubrique ''^^^ ° t^ Tv 1{^"=^,„i^ ^^ recette suivante:
./A /A III T J[
<=:>K^^ a (a|||_^iiiiiilll I JC=£^ I s oczszi | \\\& J^^ q ||1 _„_ '-y j <= A ||| î^iîKc)
"'^ "^C d() - ' (^P^' X^XIX; lie- 10 — 12) : <ï Place sur elle ce remède : doudou d'Elépban- tine broyé, deshou, citrons (?), faire cuire avec de rbuile (?) et du miel. Manger par la personne pendant quatre matins, pour écarter sa soif et pour vaincre la
de son cœur. »
^r^ 13c^==C3CDea e. -= — D û ^:3^ ^E>- ^:z^ — ^ o o Q "-'^ "'^'^ 2 bous la rubrique i <=>„ „, TA ,„ ® :r^ r. ^,m , A '^"^
^\ (pi. LXXIII, lig. 12 — 13), le papyrus nous donne la recette suivante : ""^ '"^
-~^ iiii..^ — D-9 iiiin t^ 1 M I 15 = '" — -r^n^nr n^ ^(1 #^^^8^ °
^l»t,^,5^^, , A^\. , ,^ I ^l-o IlltZ^II, ? J:-^l|î<:=>i[^^ ® ^'^^cna^^.c^n (pi. LXXIV, lig. 14—15) : «Autre recette : Serpents 7, moucbes 7,
_K— a *l^:^Q||| I I ^' ' ° '
animaux akou 7 de terre, poussière de doudou d'Eléphantine, — faire cuire avec de l'buile, envelopper l'ulcère de la blessure avec ce cataplasme.»
3° Sous la rubrique ^5^^^-, t\ .'^"""^ «recette contre le vaisseau qui
est surexcité dans tout membre», nous lisons la recette que voici : n mSfJîl'
(pi. LXXX, lig. 18—21) : « Autre recette : Viande de bœuf, 1, rate 1, sel 1, grains de blé 1, doudou 1, graisse de bouquetin 1, bile de bœuf 1, faire un cataplasme avec cela. »
4° Sous la rubrique ^~^ fl ® (!§^^^(]'^ «autre recette pour amollir
III
le d'un vaisseau», nous avons le remède suivant : Ï'^T'U "^T ' t ï"^!
^ Ml -" III \— =~-i III ^ — ^ ro V I — I ïiS^iii H «,-^ Il A-M
° <=>ï\ (pi. LXXXII, lig. 16—19) : «Autre recette : oignon 1, concombre 1, sel 1, miel 1, graisse de bouquetin 1, substance seskaou 1, viande de bœuf 1, doudou 1, citron (?) 1 ; faire uu cataplasme avec cela.»
5° ^^° n "^ Hr^ "'^ --^^ ^ ''^ ° 1^ '" ^ « autre remède pour ramollir les par- ties dures dans tout membre». Sous cette rubrique (pi. LXXXIII, lig. 15) est indiquée la
^•«'^^"^«"^^''^"t^=TSi^i'^<Lfl^^'â'^'^^S^^'?^i. im'i¥^ °iii^i-^^i£(](]?i^°°°i^°ifr>"^°ii^" ^t "" ° ^P
III 1^0 lir^=>^l I I ?!^ SSlll\www ^ m â Dlll % \ o o m .^S^ÔI I I I -^ D^ D I I
(pi. LXXXIII, lig. 20—22).
La plupart des mots entrant dans cette recette sont de signification encore douteuse; il n'est donc pas possible d'en donner une traduction suivie et complète. La fin de l'ordon- nance uous montre pourtant, de façon certaine, que le doudou qui nous occupe était mêlé
' De la planche XXXVI, 4 à la planche XLIII, 2. 2 Planche XXXIX, lig. 6—7.
Le nom hiéroglyphique de l'argile rouge d'Éléphantine. 3
à de l'eneeus, à du sel et à du miel, et que l'ou faisait de toutes ces substauces un cata- plasme qui devait être appliqué sur le membre que l'on voulait rendre moins dur.
6° Sous le titre général ^"^[1^ J|;^^=^Ç^^ (pi. LXXXV, lig. 19-20) : «autre chapitre, concernant la guérisou de la langue qui soufl're », nous lisons l'ordonnance
^|_Lm '^m'E-l 'P^- LXXXVI, lig. 2-3) : «Autre recette : de
mimosa épineux, 1, 1, métal Menti 1, semet 1, fèves 1, doudou 1, pous- sière d'albâtre 1, miel 1, [en user] pareillement. »^
Ces six exemples tirés du papyrus Ebers nous montrent que les principaux emplois de la substance doudou dans la médecine égyptienne étaient surtout des emplois astringents ou émollients. Le papyrus médical de Berlin, publié par Brugsch,- nous offre encore un exemple de l'usage du doudou, eu médecine ( planche VII, lig. 5).
Sous le titre suivant en effet: •=:> I '^ '^i^'"''^^!?) «remède pour guérir le
c. III ^ I (sa^^,^-==>Q 1^ ^ . A -«SI
cœur d'une personne qui s'est coupée (?)», le papyrus propose la recette suivante: [I
JHHlll^«v^AAO |||,wvv«H|||-^-nQO ||| û FD Y^ ûH||Ia«ws.)1| I II I I D ©'-t)^' 1 I '
où nous voyons le doudou servir, mêlé à diverses substances, à une fumigation. Malheureuse- ment l'exemple n'est pas aussi probant que ceux du papyrus Ebers, car la nature de la ma- ladie à guérir est assez obscure, et l'on ne voit pas clairement de quoi il s'agit. Il semble bien pourtant que la recette vise spécialement les coupures, et dans ce cas l'usage du doudou auquel il est fait ici allusion serait à peu près identique à celui du papyrus Ebers ^ où il est question de la guérison des ulcères infectieux. La vertu spéciale du doudou serait donc encore ici une vertu astringente.
Quoi qu'il en soit, la substance doudou ne nous est pas connue que par ces seuls papyrus. Certaines inscriptions hiéroglyphiques nous en offrent aussi des exemples.
Ainsi, dans le texte connu généralement des égyptologues sous le nom d' «Inscription de la destruction du genre humain», et tiré du tombeau de Séti I" à Thèbes (chambre de la Vache),* nous voyons le dieu Ra et son conseil divin confier à la déesse Sekhmet la tâche de détruire le genre humain pour le punir de son impiété. Le massacre une fois consommé, le dieu s'apaise, et, appelant ses messagers, il leur ordonne de courir en toute hâte : ^^ ^
ce dieu : qu'ils courent à Eléphantine et qu'ils m'apportent du doudou en quantité.» Ce pas- sage est déjà curieux par lui-même, en ce qu'il nous confirme ce que nous savions déjà par le papyrus Ebers, c'est-à-dire l'origine de cette substance doudou : elle se trouvait à l'état naturel à Eléphantine, ou y était apportée du centre de l'Afrique ou des côtes de l'Arabie
1 Si nous nous reportons aux recettes précédentes concernant, dans le papyrus, la même maladie, nous voyons que l'expression Q'^{| «pareillement» désigne l'action de Q Sh(^ «mâcher, puis recracher».
' Becueil des Momiments Egyptiens, t. II, pi. 85 a 107.
' PI. LXXIV, lig. 14--15; voir plus haut, page 2, au § 2°.
■* Ce texte a été publié par E. von Bergmann, dans ses Hierogfyphische Inschriften (planches 75 à 82), puis traduit en anglais par E. Naville, dans les Records of Ihe Pasl, t. VI, — enfin commenté par le même dans les Transactions of the Society of Bihlical archaeology, t. IV, p. 1 sqq.
^ Bergman^, op. cit. pi. 7G, ligne 17.
1*
Henri Gauthiee.
pour y être vendue aux Egyptiens. Mais ce n'est pas tout. Le texte continue immédiatement
amsi
— 1.,-i" ,1 Xqiii,
.... : [Bergmank, op. cit. pi. 76, lig. 17 — 19] : «Lorsqu'ils eurent apporté le doridou, fit
le le Sekti d'Héliopolis fut à broyer ce doudou, puis des prêtresses mélangèrent
la substance broyée à de la bière, et ce doudou devint par ce mélange [comme du sang] humain. Cela fit 7000 cruches de bière . . » — Enfin il est dit que le dieu Ra, ayant exa- miné cette boisson, s'en déclara satisfait, et jura qu'il cesserait désormais de détruire les hommes.
Ce passage nous prouve trois choses :
1° Le mot , même écrit avec la désinence q, généralement caractéristique du
à — "111 n n
genre féminin, est masculin, car il est suivi à deux reprises de l'adjectif démonstratif (1
2° La substance doudou, broyée et mêlée à de la bière, donnait à cette boisson une couleur rouge qui la faisait ressembler à du sang humain.
3° La mixture ainsi obtenue jouissait de quelque propriété magique ou merveilleuse, qui ne nous est pas bien connue.
Cette propriété de rougir les liquides dans lesquels on versait la poussière du doudou nous est encore attestée par un texte de la même époque, de caractère général fort obscur, mais bien précis pour ce seul détail qui nous occupe. C'est l'inscription, dite, par M. Bou- RiANT, des Musiciennes, gravée sur le mur occidental du temple de Maut à Karnak :- à un certain endroit, le texte nous dit d'une déesse (sans doute la même déesse Sekhmet qu'au tombeau de Séti I", car elle est représentée avec Maut sur le tableau des musiciennes) que :
"^^ /wvv^ \^ âô: '"' ^_^ b — D 0 0 o°o '-^ * ^11^ ^ versé à flots la boisson djousir rougie au moyen de doudou. ^
Ce n'est plus ici la bière que l'on mêle avec la substance doudou, c'est un liquide nommé djousir- mais cela importe peu; l'essentiel est que, là encore, le doudou est dit jouir de la propriété de rougir,* et que, là encore, l'opération à laquelle se livre la déesse Sekhmet semble bien avoir quelque chose de mystérieux et de magique.
Enfin, la stèle d'Anna, datant de la XYIIP dynastie, nous offre un dernier exemple de notre mot, dans un passage malheureusement assez mutilé et par cela même obscur et vague : ^
' Beugsch, dans un article intitulé «Die Alraune als altàgyptische Zauberpflanze*, publié dans la Zeil- schrifi fur agyptische Sprache, etc. ... t. XXIX, p. 31—33, a restitué ici, avec beaucoup de vraisemblance,
{m;
I.
m,
* Voir Eec. de Trav., t. XIII, p. 162 sqq. M. Boukiant, qui publie ce texte, l'attribue au règne de Bamsès II.
' Hec. de Travaux, t. XIII, p. 166.
* Nous ne sommes plus ici, comme tout à l'heure, en présence d'une restitution peu certaine, mais
bien en présence d'un mot au sens précis : , autre forme de la racine rotcge, rougir,
etc. . . .
s A'oir Eec. de Trav., t. XII, p. 106, lig. 5—6.
Le nom hiéroglyphique de l'aegile eodge d'Éléphantine.
°°o a^-^ ^ t^ icnrD t^i Z5 i;^ ?^n')r7-:2^ ^^=76 1 <,Y!>® ® n
I I r c<Il a fait sa frontière jusqu'aux ouvertures de la terre, et aux extrémités
de comme [fout?] le doucîoii d'Eléphantine; les Hirou-Shaou arec
leurs apports, comme les serviteurs des villes du sud et du nord; sa Majesté offre cela au nome thébain.»
Les Hirou-Shaou, c'est-à-dire les peuples nomades de la région du Siuai, étant ici mentionnés comme apportant les tributs propres de leur pays, il n'est pas invraisemblable de voir également dans les mots [1 f® V ^^ désignation d'apports faits sans doute
par les Nubiens ou les gens de l'Afrique centrale.
IL
Tels sont les textes qui nous ont conservé le mot . De tous ces passades, on
ù — OUI ' ° '
peut déduire la liste complète des diverses orthographes du mot, qui sont les suivantes :
A* o à — D o .= — n o ù — D n fi (3 ù — 0 n ù — d n"ri o a c n q ù o A q o .,,.
Ain' ^111' _^iii' ^m ^r°°' ^44oo' ^^1^' ^^.iir ^°^^°"^ '^''^^■^-
tenant comment ce mot a été compris et interprété par les savants.
Brdgsch, dans son Dictionnaire hiéroglyphique,^ l'a considéré comme désignant, d'après son détermiuatif , les fruits de l'arbre A. Or, cet arbre est traduit par lui^ «Apfel-
baum, pommier», et rapproché du copte scidci, fructus autumnalis, fomus, du grec c-wpa et de l'arabe ^L=wUJ'. De la même famille seraient les mots ô '^^ « Obstbaumgarten »
et v"^ '^^^^ Apfelwein, le cidre, ^U.xl\ (_>\^io», que l'on rencontre aux papjTus
Anastasi III et IV. ^
Quant au fruit doudou lui-même, il propose de l'identifier avec l'hébreu D'Kjn, doudaïm,^ en qui il reconnaît la <:poma amatoria, niandragora-i>, eu allemand «die Alraune». Reve- nant plus tard sur cette question dans un article spécialement consacré à la mandragore,^ Brugsch a de nouveau insisté sur ce rapprochement de l'égyptien doudou avec l'hébreu doudaim, qui, dans le dictionnaire biblique de Eiehm,'^ désigne la plante connue des botanistes sous le nom à'Atropa mandragora. Cette identification lui paraît absolument confirmée par les vertus calmantes et soporifiques de la mandragore, qui concordent assez avec les vertus enivrantes que semble avoir la boisson préparée par la déesse Sekhmet pour dé- truire le genre humain. Le mandragore porte d'ailleurs des fruits ou baies tout à fait semblables à des pommes. Et de cette façon l'étymologie copte sslisci, pomus, peut con- corder avec l'étymologie hébraïque doudaïm, atropa mandragora.
La même explication du mot t~~Jm a été donnée plus tard par S. Levi, dans sou
' Supplément^ p. 1379.
* BRnGSCH, Hierogl. W'orterb., p. 1670.
= Anast. III, 3/7. 2/5 et Anast. IV, 16 2.
* Le pluriel seul douddim se rencontre dans les textes.
* Die Alraune als altagyptische Zauberpflanze {A. Z., t. XXIX, p. 31 — 33). « I, 48.
6 Henri Gauthiee.
Vocabolario geroglifico,^ où il n'a fait, du reste, que reproduire l'identitication proposée par Brugsch.
Or, nous ne croyons pas pouvoir adopter ce sens de mandragore pour le mot ,
et voici les raisons qui nous ont conduit à soumettre la question à un nouvel et plus attentif examen. Elles sont au nombre de quatre :
1° Il est bien certain que le mot hébreu doudaim est rendu en grec, dans la Bible, par [AavîpâYopaç. Mais il est aussi certain que les Coptes ont, à leur tour, rendu ce mot lj.av3pavopa; par un terme qui n'a aucun rapport avec le mot égyptien . Ce ternie
copte nous est connu par trois exemples, empruntés au livre de la Genèse (chapitre XXX, versets 14, 15, 16) : c'est noTne.M.. D'après Peyron,^ la mandragore était ainsi appelée «a suavitate quae soporem inducit^; or, le mot égyptien |v\J nedjem signifie en effet doux, agréable, et c'est évidemment de cette racine que les Coptes ont tiré hotteja.. Si donc nous avions un jour le bonheur de retrouver dans quelque texte égyptien le mot hiéroglyphique qui servait à désigner la mandragore, ce serait sans doute quelque tei-me tiré de la racine nedjem.
2° Mais il est assez peu vraisemblable que les Egyptiens aient connu la mandragore chez eux. M. Victor Loret, dans son remarquable travail sur la flore pharaonique,^ n'a pu relever aucune trace de cette plante sur les monuments égyptiens, écrits ou gravés, et de son côté le savant naturaliste Schweinpdrth* n'a retrouvé, de nos jours, aucun spé- cimen de cette espèce végétale dans toute la vallée du Nil, pas plus à Assouan que dans la région du Delta. Nous savons au contraire que la mandragore était connue en Palestine sous le nom de doudaim, et si les Egyptiens ont pu eux-mêmes, à une certaine époque, en prendre connaissance, ce n'a été que par l'intermédiaire des Asiatiques, et nullement par les peuples de l'Afrique.
3° Une autre preuve, plus décisive encore peut-être, que les Egyptiens connaissaient assez mal la mandragore, c'est que, dans un passage du Cantique des Cantiques (chap. VII, verset 14), ayant à rendre le mot grec [.«.avîpâYopaç, traduction de l'hébreu doudaim, les tra- ducteurs coptes se sont simplement contentés de transcrire en lettres coptes la forme grecque, sans essayer de trouver dans leur propre langue un terme qui y ptit correspondre; ils ont transcrit Mi^iïa^p&Kûipoc, et M. Maspero a relevé, pour le même passage, les deux variantes
curieuses Mikna..pA.T?opon et Av.a.uxpA.i'opon.^
4° Enfin et surtout, le dernier argument, celui qui s'oppose avec le plus de force à l'identification proposée par Brugsch, est une assertion de Dioscoride;*' cet auteur nous dit en effet expressément que les Egyptiens appelaient la mandragore oi.-z\im\j., c'est-à-dire d'un mot dont nous n'avons pas encore retrouvé la forme hiéroglyphique, mais qui, en tout cas, ne ressemble en rien à doudou. Ce témoignage de Dioscoride est peut-être pour nous
' Tome V, p. 12. ^ Lexîcon linguae coptlcae^ p. 127.
^ V. Loret, La flore pharaonique d'après les domments hiéroglyphiques (Paris. Leiîoux 1892). * P. AscHERSON et G. ScHWEiNFUUTH : Illustration de la flore d'Egypte (dans les Mémoires de Tlnstilul égyptien, t. II, Le Caire 1889, pages 2-5—260) et Supplément (iiiU p. 745— 820).
^ Mémoires ptiUiés pur les membres de la Mission archéologique fra/nçaise du Caire, t. VI, p. 206, note 1. " llEpi ûXfJ; '.aTj;i/.rjç, liv. IV, chap. 76 : IlEpt MavSpayo'pou.
Le nom hiéroglyphique de l'argile rouge d'Éléphantine. 7
une raison de croire que même le terme kots-thm., qui traduit doudaïm et iJ.avîpa-;'opaç au chap. XXX de la Genèse, n'était pas le vrai nom égyptien de la mandragore, et que, dans leur embarras, les traducteurs de ce passage, ont fait appel à un mot qui servait seulement à désigner une propriété, une qualité de la mandragore, à savoir sa douceur et sa vertu soporifique.^
En tout cas, une chose reste certaine. Alors même que la mandragore aurait existé eu Egypte, et plus spécialement ix Eléphantine-Assouan, alors même que les Egyptiens lui auraient donné, outre le nom d'à7r£iJi.ou|j. signalé par Dioscoride, la désignation de doudou, nous ne verrions toujours pas comment cette mandragore aurait pu teindre en rouge sang les liquides, bière ou autres, dans lesquels on aurait plongé ses fruits, après les avoir pré- alablement broyés et réduits en poussière. Or, on s'en souvient, cette propriété tinctoriale est la caractéristique du doudou.
Bref, il nous paraît, pour toutes ces raisons, absolument inadmissible que nous ayons
affaire à la mandragore. Et même, si nous voulions pousser plus loin notre pensée, nous
û û o
irions jusqu'à affirmer, a priori, que le mot ne peut pas désigner un végétal, quel
o ^ — ^ 'Il
qu'il soit. Le déterminatif , écrit aussi ^r,, ou ooo, est en effet beaucoup plus souvent
III ,As, O
usité pour désigner les minéraux que les végétaux. D'autre part, le verbe T^ , «broyer, écraser, piler, réduire en poudre», que nous avons trouvé en relations avec le doudou dans la plupart des exemples que nous avons cités, est peut-être aussi plus fréquemment employé pour les substances minérales que pour les plantes.
Pourtant nous reconnaissons que ce sont là pures hypothèses n'offrant aucun caractère de certitude scientifique, et qu'il faut se garder de conclux'e à la légère à des faits qui ne sont pas rigoureusement démonti'és. Aussi bien, est-ce à un autre ordre de recherches que nous voulons avoir recours pour essayer de dégager la nature de la substance
III.
Le verbe égyptien A, écrit souvent aussi & o, est devenu en copte \- il est donc
naturel de supposer qu'un mot comme A A ou a dû passer dans la langue des
Coptes sous la forme redoublée "^"V. Si, en conséquence, le dictionnaire copte nous offre un terme semblable, non seulement ce terme aura les plus grandes chances de reproduire à nos yeux l'ancien mot égyptien , mais encore nous pourrons déclarer que jamais étymologie
d'aucun mot de la langue pharaonique n'aura été établie avec d'aussi grandes chances d'exactitude que celle-là.
Or, ce mot "V'V existe précisément en copte. Le dictionnaire de Peyron nous le donne sous deux formes:
1° Sous la forme simple 'V'V ("')>^ dialecte Bashmourique, avec la signification de:
' Bien que l'on connaisse certains exemples du d ou du t égyptien passant en copte sous la forme at
.â Q O
nous ne croyons pas que le mot ocisci pomus puisse être dérivé de ' Peyron, Lexicon linguae copticae. Supplément, p. 14.
Henei Gauthier.
lapis super quem fuUones vestes excutiunt, et l'indication de provenance : e scala K (c'est- à-dire, de la scala KnicHBR).^
2° Sous la forme composée pcq-\"\-,^ traduite par fullo, et tirée de Kircher, Lingua aegyptiaca restituta, p. 113 et 139.
Le dictionnaire de H. Tattam nous donne aussi le mot -^-V sous cette dernière forme composée de pc^-^-V ("0?^ 1^^'i' i"^"'^ V^^' fii'l^o également, avec indication de provenance Edwards.
Si nous nous reportons à l'ouvrage de Kircher, voici en effet ce que nous trouvons. Dans le chapitre de la scala copte-arabe étudiée par lui qui concerne les métiers, nous trouvons trois mots coptes rendus par le mot latin fullo; ce sont :
a) niÊ«kKuj».p, en arabe ^bj^M itinctor, fullo-».^
b) m^f-^W, en arabe jUiiJ\, fullo.^
c) nipjkÇiTHc, en arabe J*-"*«J^, Jf^-y:^^ dealbator, dilutor, fullo.''
De ces trois mots, le premier, hiêjvruj&p, offre un sens tout autre que celui proposé par Kircher : le mot arabe, dont il est représenté, dans la scala, comme l'équivalent, est en effet è.^'^^ es qui signifie le corroyeur, le tanneur-, et en effet le mot copte É«.Biyivp doit être traduit littéralement par : celui qui travaille le cuir. Ce mot n'a donc rien de commun avec une signification analogue à celle de teinturier ou foulon que Kircher lui assigne par erreur.
Le troisième de ces mots, nip«>ç^iTHc, dont les équivalents arabes sont JU,*i]\ «le laveur» et J^t^^-J* «le blanchisseur», est la transcription, avec désinence grecque, du mot égyptien ^ ^t\ ', — o ^ (Pap. Sallier IL 18), plus souvent écrit -tt' W^ ou voi
et qui doit être lu rekhti. Ce mot signifie «un laveur, un blanchisseur». Les traductions latines dealbator, dilutor, données par Kircher, sont donc exactes; mais celle de fullo ou foulon, qu'il a cru devoir ajouter aux précédentes, est fausse, car, ainsi que nous aurons l'occasion de le montrer, un foulon n'est pas un blanchisseur.
Enfin, le second des mots cités par Kircher, nipcq-^-\-, le seul qui nous intéresse
, . ù D O
vraiment ici, puisque nous croyons y retrouver les traces du mot égyptien , a comme
équivalent arabe dans la scala jUaSJl qui signifie «celui qui décatit» (une étoffe, un drap): il doit donc être exactement rendu par fullo ou foulon, comme le fait Kircher. C'est le seul des trois mots coptes que nous avons eus à étudier qui désigne véritablement et essen- tiellement le métier du foulon.
Ce mot se retrouve du reste dans une autre partie de l'ouvrage de Kircher, dans le chapitre de la scala où sont mentionnés les différents objets et outils nécessaires aux divers
" D'après une note que nous a obligeamment communiquée Jlonsieur Revillout, il faut interpréter K par Kircher non par Kabis, comme nous l'avions fait tout d'abord ; les travaux du copte Kabis en effet (critiqués par M. Revillout lui-même) sont de beaucoup postérieurs au lexique de Peteon.
2 Ibid., édit. de 1835, p. 256.
^ Tattam, Lexicon linguae coptlcae, p. 860.
* Athanasii Kircheri Lingua aegyptiaca restilula, Romae, 1644, p. 111.
'= Ibid., p. 113.
8 Ibid., p. 113. •
Le nom hiéroglyphique de l'argile rouge d'Éléphantine. 9
métiers. Nous y voyons par exemple que parmi nicpK».XeoimTenip&si, en arcabe J^^^^^ Cj'^\ «instrumenta dealbatoris» sont cités :^
1° mW, en arabe ^^jUaii\ ^s.=^, 's.lapis fuUonum», c'est-à dire «la pierre des foulons».
2° \-x&.<p(iios.\, en arabe sjm>^M ,aj"j..J\ «înstrumentum quo materia conteritur, mor- tariwn^, c'est-à-dire le maillet eu bois du décatisseur.
3° niuj6ûiTttTenipecj-\-\-, en arabe «jl.'aJiJ\ i^s. «lîgnum fullonumi> , c'est-à-dire «le bâton de bois, le maillet des foulons».
Il n'est donc pas possible de conserver aucun doute sur le sens exact du mot ■^'V ; il signifie flapis fullomim» la pierre des foulons, soit la pierre sur laquelle les foulons manipulaient les pièces de drap et d'étoffes diverses qu'ils avaient à travailler, soit plutôt, comme nous cbercberons à le démontrer, l'argile au moyen de laquelle ils dégraissaient et foulaient ces mêmes tissus. Le mot pc^'V'V devient alors un véritable mot composé, dont le sens littéral est «celui qui se sert de la pierre à foulon», c'est-à-dire le foulon lui-même.
Or, sur cette opération du foulage ou foulonnage des tissus de laine et des draps principalement, nous possédons, grâce aux auteurs anciens, des renseignements très circon- stanciés, qui vont nous permettre d'aboutir à un résultat intéressant concernant l'identifi- cation du mot égyptien avec cette terre a loulon, que nous voyons mentionnée par
KiRCHER.
Cette opération du foulonnage, qui est la plus importante de toute la fabrication du drap, a pour but de «transformer l'étoffe, lâche, relativement mince et molle (au sortir du métier à tisser), en un tissu serré et ferme, quoique moelleux».^ Elle a aussi pour but, pour la fabrication des étoffes autres que le drap «d'enlever aux tissus les corps gras dont ils sont imprégnés à leur sortie des métiers à tisser».^ Cette opération se fait, aujourd'hui, à l'aide de machines spéciales appelées foulons, mais «primitivement le foulage se faisait en piétinant sur l'étoffe chiffonnée dans un réservoir formant cuvette et rempli d'eau, sa- vonneuse, ou additionnée d'une certaine argile dite terre à foulon ^.^ D'autre part, dans l'antiquité grecque et romaine, l'industrie des foulons était beaucoup plus considérable qu'elle ne l'est aujourd'hui; ils n'étaient pas chargés seulement de travailler les tissus neufs, mais aussi de «blanchir et dégraisser les vêtements après qu'ils avaient été portés».^ Nous savons enfin que, chez les Eomains en particulier, les foulons formaient une des plus importantes corporations, ayant sa déesse protectrice et ses fêtes spéciales.
Cette industrie était, du reste, très ancienne; on trouve déjà chez Homère" cette habi- tude de fouler aux pieds (en grec 'Kœ/.-'iQv.^i, ou C7'jij.::ar?-c73;t, en latin argutari pedibus) les étoffes que l'on se proposait de blanchir ou de nettoyer.' Il n'y aurait donc rien de sur- prenant à ce que les Egyptiens eussent connu eux aussi cette opération. Et, de fait,
' KlKCHER, op. cit., p. 139.
2 E. Wesmann, Art. de la Grande Encyclopédie, t. III, p. 439, au mot '^ Apprêts f. ' Ibid.
* P. Gogdel, Art. de la Grande Encyclopédie, t. XVII, p. 890, au mot « Foulage ». ^ Ibid., p. 893, au mot « Foulon ». " Odyssée, VI, vers 90 sqq.
' Alfred Jacob (article Fullonica dans Darembekg et Saglio : Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, t. II, p. 1349).
2
10 Henei Gauthier.
Horapollou uous dit expressément que l'industrie du foulonuage a donné naissance à l'un des signes de la langue égyptienne : « ';-ix:ix zï ît;/.ïjv:£; îJc T.izotz h<)pù>r.yj âv "jzx-:: Zoi-^zizzjz: ■ TîJTïj i£ à-i -f,: Tiû ËpYiJ :\j.z:i-.r,-z: ov.cD-'.v y- * « pour représenter le foulon, ils dessinent deux jambes d'homme dans l'eau; et ils le représentent ainsi par analogie avec son travail». Or ce signe biéroglyphique nous est connu. Il est dessiné deux fois au tombeau de Pabournofir, à Sakkarab, c'est-à-dire à une époque remontant environ à la IIP dynastie pharaonique. M. Maspero, qui a étudié ce tombeau,^ a vu dans ce signe, ainsi dessiné ^^, «un vigneron dans son cuveau » ^ et a traduit les deux titres de Pahouruotir dans lesquels apparaît ce signe, à savoir : IV ;^^ 75^ ^^ ^$ et M- n^^ ^ ^g Wi par « directeur de maison de l'entrepôt méridional (?) des vignerons (?)», et «directeur de maison de l'entrepôt septen- trional (■?) des vignerons (?) » .* Nous ne voulons pas ici revenir sur cette étude de la carrière de Pabournolir, mais, nous appuyant, d'une part sur le passage d'Horapollon cité plus haut, d'autre part sur la nature spéciale de la jikipart des titres du défunt de Saqqarah, titres qui sont souvent en rapport avec la maison blanche, c'est-à-dire avec le service de trésorerie consacré à la fabrication et à la conservation du linge et des étoffes, nous proposerons de voir dans les deux fonctions où entre le signe ^g des fonctions relatives au foulonuage, au nettoyage et au blanchissage des étoffes royales. Cette identification, remarquons-le, concorde parfaitement avec les titres de î «blanchisseur de la maison blanche», U m
t inspecteur des blanchisseurs de la maison blanche», S^ » ^~~° □ «directeur de la maison du lin», et 5^ iÇ^J «directeur de la maison du battoir» (c'est-à-dire sans doute de l'atelier où l'on battait le lin pour le décortiquer et préparer la filasse.*)»
Cette courte digression uous permet donc d'affirmer que les Egyptiens ont connu l'industrie du nettoyage des étoffes et du foulonuage.
Ce point étant ainsi établi, il nous reste, pour obtenir des conclusions certaines con- cernant le sens du mot doudou, à résoudre les quatre questions suivantes :
1° Y at-il actuellemeut, ou du moins a-t-il pu y avoir autrefois de la pieiTe à foulon dans la région de la première cataracte? C'est là en effet le point essentiel, puisque nous savons par les textes que les Egyptiens tiraient leur doudou de la région d'Abou-Eléphantine.
2° Cette pierre ou terre à foulon peut-elle être rouge et donner la couleur rouge à un liquide avec lequel elle est délayée? La déesse Sekhmet en effet, nous le savons, se servait du doudou pour rendre couleur de sang humain la bière qu'elle préparait pour la destruction des hommes.
3" Cette pierre à foulon peut-elle être réduite en poussière et s'incorporer aux sub- stances avec lesquelles on la mélange ? Le papyrus Ebers contient en effet eu grand nombre de médicaments sous forme de cataplasmes ( ), dans la composition desquels entrait la
substance
^ — °"l 4" Enfin cette pierre à foulon pouvait-elle avoir, dans 1 antiquité, à côté des emplois
industriels, une utilité médicale?
' HoRAPOLLiKis, Hierorjljipkica. I, 6.5.
' Eludes égyptiennes, t. 11. 2' fasc, p. 24tj sqq.
' Ihid., p. 262.
* Ibid., p. 263.
^ Maspero, op. cit., p. 255.
Le nom hiéroglyphique de l'argile rouge d'Éléphantine. 11
1° Pour répondre à la première question, nous devons examiner de plus près la nature de cette pierre à foulon (dite aussi terre à foulon). Or, les géologues et les minéralogistes s'accordent aujourd'hui à la ranger dans la catégorie dite des argiles : «The fuller's earth is a local argillaceous deposit separating the luferior from the Great Oolite. It consists of beds of brown and blue clays with irregular beds of uodular limestones, and is of restricted range. »^ Mais parmi les argiles, ou distingue trois espèces principales:
a) Les argiles réfractaires employées à la fabrication des matériaux réfractaires.
b) Les argiles plastiques, employées à la fabrication des briques, etc.
c) Les argiles smectiques, ou terres à foulon, employées pour absorber les graisses dans l'industrie des tissus.^
Le caractère propre des argiles smectiques est de n'être pas plastiques, et de n'être pas pures, c'est-à-dire de contenir en quantité considérable (de 50 à 60 "/^j) de la silice : «When a clay coutains such an excess of silica, as, instead of being plastic, to fall to a tine powder in water, it is termed «Fuller's Earth». ^
Mais aucun de ces caractères propres à l'argile smectique n'est si exclusif qu'il puisse rendre impossible rexi.stence de dépôts de terre à foulon <à côté ou même au milieu des dépôts d'autres espèces d'argiles, plastiques ou réfractaires. Si doue nous prouvons l'existence dans la région d'Eléphantine et de la première cataracte de carrières d'argile, nous aurons de fortes raisons de penser que ces argilières contiennent, ou du moins ont pu contenir jadis, des terres à foulon.
Or, l'existence d'argilières à la première cataracte uous est démontrée par les poteries qu'on a retrouvées en nombre considérable à Assouan, à Eléphantine et à l'île de Philae, et par le culte du dieu modeleur et potier Khnoum, que les Egyptiens adoraient jadis dans cette partie de leur pays. En outre, ces argilières ont été retrouvées de nos jours et sont encore exploitées maintenant; peut-être même n'ont-elles jamais cessé de l'être. En tout cas, M. DE Morgan les a signalées en ces termes : «En face d'Eléphantine, sur la rive gauche du fleuve, dans la colline qui renferme la nécropole d'Assouan, sont de vastes exploitations
d'argile. La couche exploitée est épaisse de ti-ois mètres environ L'exploitation
a été fort importante; des rameaux s'étendent au loin et dans toutes les directions.»* D'autre part, le savant naturaliste italien Figari-Bey s'exprime ainsi, au sujet de ces argilières : «Nella regione di Assuan esiste un' argilla schistosa del tutto refrattaria, ed è 1' argilla Ollare e queir altra detta Kaulino.»''
Donc, de ce côté là, rien ne s'oppose à ce que le ° '«A^/^A T | %> © des textes
égyptiens ne soit l'argile smectique d'Assouan.
2" Pour la couleur rouge ou tendant au rouge, le fait même que la terre à foulon est une argile nous apprend qu'elle peut fort bien revêtir cette teinte. Les argiles présentent
* J. Preestwhich, Oeology, chemical, phyaical and slraligraphical (2 vol. Oxford. 1886), t. Il, p. 195. ' Lacroix, Minéralogie de la France et de ses colonies (Paris, 1893), t. I, p. 479.
' Preest-which, op. cit., t. I, p. 26. — Voir aussi ihid., t. II, p. 269, et Hintze, Handlmch der Minéra- logie (Leipzig, 1897, t. II, p. 848).
* J. DE MoRGAK, Catalogue des Monuments et Inscript, de VEqypte antique, 2 vol. Vienne, 1894 (t. I p. 141).
' Figaei-Bet, Studii Scientijici sulV Egitto e sue Adiacenze, Lucca 1864 (p. 180).
2*
12 Henei Gauthier.
en effet tellement de variétés différentes qu'on en peut trouver de toutes les couleurs, des blanches, des vertes, des brunes, des rouges, des jaunes, et même des bleues. Mais, outre ces renseignements très généraux tirés du simple raisonnement, nous possédons fort heureuse- ment des données beaucoup plus précises, fournies par les savants.
Nous savons en effet par Aristophane,^ par Strabon^ et par le lexicographe PoUux* que l'espèce de terre à foulon la plus estimée des Anciens se tirait de la petite île de Cimolos, une des Cyclades, et que par l'usage les termes de vj.ijm'/J.x y^, et creta cimoUa, furent étendus à toutes les argiles du même genre, même lorsqu'elles ne venaient pas de Cimolos. — Or, Dioscoride, traitant -îfl y-iixoiAuç y^?î* nous dit ceci : «T^ç Se •/.tij.toAiaç r, név ÈcTi Aî'jy.r;, r, îè â[;.'r;îpi.jps;, /.a; Ai7:aptav •iivà ï^fj-zo^i y.îz.XYjpisvY;, Tpbç 5è tT|V àçY)v y.atâdiu/poç, »iv àp(t7-r;v r;^r{ziz'i, — parmi les espèces de terre cimolieune, l'une est blanche, l'autre un feu fourfrée, possédant nue certaine propriété graisseuse, froide au toucher, et qui est regardée comme la meilleure.» Ainsi non seulement il peut y avoir une variété de terre à foulon rouge ou rougeâtre, mais c'est même cette variété qui est déclarée la meilleure.
Pline, qui traduit à peu près Dioscoride dans sou Histoire naturelle, nous dit également :
«Cretae plura gênera, ex iis Cimoliae duo , candidum et ad purpurissimum iu-
clinans.»^
Le savant arabe Ali-ibn-Mohammed, nous dit aussi, au sujet de ^J?.»:^" cr:^ «l^^ terre cimolieune», qu'elle est «molle, de couleur verte», mais qu' «enfumée avec des écorces d'amandes, pour servir d'aliment, elle devient rouge et prend un bon goût».''
De même les savants modernes ont souvent eu l'occasion de constater la couleur rouge des argiles smectiques ou terres à foulon. C'est ainsi que Guibourt, dans son «Hi.stoire naturelle des Drogues simples»,' dit ceci : «Ces argiles sont grasses et se laissent polir avec l'ongle; elles se délitent promptement dans l'eau et y forment une sorte de bouillie sans ductilité. Il y en a de jaunâtres, de vertes, de brunes et de rouge de chair. Elles con- tiennent des quantités variables d'oxyde de fer, de chaux et de magnésie.»
Outre la présence de cet oxyde de fer, qui peut contribuer à lui seul à donner à ces argiles une couleur rouge, on trouve quelquefois associés avec elles des cristaux jaunes de sulfate de barite.*
Enfin, M. de Morgan, dans sa description des argilières d'Assouan, a fait observer que les couches d'argile qu'on y trouve se composent «de lits alternants d'argile fine, rouge, grise